vendredi 22 septembre 2017

La chasse est ouverte

En Belgique, Théo Francken, Secrétaire d'Etat à l'Asile et à la Migration, s'est récemment réjoui du "nettoyage" de migrants effectué dans le parc Maximilien à Bruxelles.
Dimanche dernier, il a reçu une délégation soudanaise venue en Belgique identifier des compatriotes "en situation illégale". Elle était composée d'agents des services secrets soudanais. "Vous invitez la police soudanaise, aux ordres du tyran, à identifier des gens qui le fuient!", s'est indigné un député Ecolo (1).
Aujourd'hui, Francken réclame des excuses d'Ecolo pour avoir été caricaturé en soldat nazi par la section jeunesse du parti vert qui dénonce "les rafles planifiées, collectives et avec quotas" et "les confiscation et pillage des effets personnels" (2).
Cette caricature est excessive (on ne banalise pas le nazisme), mais, comme souvent, la situation qu'elle dénonce est autrement plus choquante. C'est la banalisation de l'inhumanité qui est inacceptable. C'est Francken qui devrait présenter ses excuses pour l'attitude intolérable des forces "de l'ordre" vis-à-vis de gens qui, pour la plupart, ont fui guerres et dictatures. Lui qui devrait présenter ses excuses pour inhumanité avérée.
Témoignage (3) d'une Bruxelloise qui, parmi d'autres, tente de venir en aide aux candidats réfugiés et s'indigne des méthodes insupportables utilisées pour les chasser, comme on chasse un chien de son jardin: 
"Un matin, lors d'une rafle (pour pas changer), nouvel ordre: des sacs à dos sont saisis pour être envoyés aux "objets trouvés". Nous essayons de protester et d'expliquer que ces sacs contiennent leurs affaires personnelles (gsm, papiers, photos de famille, chargeur, produits de soin, vêtements...). Mais ils s'en balancent et refusent qu'on les prenne... Mes larmes ont coulé... Et ça a continué... 
Jusqu'à hier, le 11 septembre (date tellement marquée pour certains...), où les forces de l'ordre ont dépassé les limites en raflant les "migrants" qui faisaient la file, depuis environ 6h du matin, pour recevoir de quoi déjeuner. Ils ont pu atteindre leur quota. Même Théo Franken l'a publié sur sa page, tout fier de sa politique néo-nazie! Rafler les plus faibles, au lever du soleil, en mode zombie complètement crevés et à bout de tout! On sait qu'on ne pourra rien faire, que, quand ils sont là, on ne peut pas leur dire d'arrêter et de ne pas les embarquer, les menotter à l'aide de colsons... Mais on essaye, on crie, on hurle, on leur dit que ce qu'ils font est inhumain, honteux, qu'ils reproduisent des scénarios qu'on commémore aujourd'hui... (...)
Plus les heures passent et plus le car se remplit. On compte environ 25 arrestations dont une femme et des mineurs. Théo en a compté 21, dont 15 majeurs, dont 9 détenus (donc 6 mineurs!). On s'en va, très mal psychologiquement.
Le lendemain, aujourd'hui 12/09, le parc est vide, la gare est vide. On ne compte, en tout, qu'une quinzaine d'hommes (alors qu'il y a quelques jours seulement on pouvait en compter 400). Les rafles fonctionnent bien. Certains sont en centre fermé en vue d'être renvoyés dans leur pays d'origine ou dans un autre pays d'Europe, d'autres seront relâchés (?)." 

La solidarité, heureusement, continue à s'exprimer: de 150 à 200 migrants ont été hébergés la nuit par des citoyens scandalisés par l'attitude brutale de la police et du gouvernement (4). La plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés, à l'origine de cet accueil, rappelle que "la Belgique s'est engagée à accueillir plus de 3.800 demandeurs d'asile en provenance de Grèce et d'Italie et qu'elle a seulement accepté quelque 900 personnes". La plateforme demande aussi à la Belgique "d'activer la clause de souveraineté contenue dans les accords de Dublin afin de ne plus renvoyer les demandeurs d'asile concernés en Italie et d'examiner leur situation en Belgique". Comment s'étonner que l'Union européenne soit tant conspuée? Elle est si souvent utilisée par des Etats membres pour se dédouaner de leurs responsabilités, voire pour justifier leurs attitudes inhumaines.

En Allemagne, beaucoup de jeunes s'apprêtent à voter dimanche pour Angela Merkel parce qu'elle a su mener une politique très volontariste d'accueil des candidats réfugiés. Ce qu'on appelle là-bas la Willkommenskultur. Elle n'est pas exempte de problèmes et les manifestations de haine vis-à-vis des étrangers nouvellement arrivés ont, hélas,  été nombreux en Allemagne aussi. Mais l'affirmation claire de la chancelière de vouloir ouvrir largement les portes de son pays à ceux qui en ont besoin permet de se sentir fier de son propre pays (5). Ce n'est pas le cas partout.

(1) http://www.lalibre.be/actu/belgique/la-collaboration-entre-theo-francken-et-le-soudan-cree-la-polemique-59c15df7cd70fc627d9e3339
(2) http://www.lesoir.be/115198/article/2017-09-20/theo-francken-exige-des-excuses-apres-une-publication-des-jeunes-ecolo
(3) publié sur Facebook.
(4)http://www.levif.be/actualite/belgique/pres-de-200-citoyens-hebergent-des-migrants-pour-les-proteger-des-rafles-a-bruxelles/article-normal-726905.html
(5) https://www.amnesty.fr/refugies-et-migrants/actualites/ellwangen-les-hotes-sintallent-dans-la-routine

samedi 16 septembre 2017

Le mépris

Ils sont arrivés en France, après mille détours, après avoir fui les menaces et/ou la violence dans leur propre pays, après avoir parfois subi la torture et/ou l'emprisonnement chez eux ou sur la route de leur exil forcé. Ils pensaient, espéraient être arrivés au bout de leur chemin de croix, en étant accueillis, de manière correcte et humaine, dans un Centre d'Accueil et d'Orientation (CAO). Ils ne demandaient qu'une chose: s'intégrer, s'inventer une nouvelle vie. Et simplement vivre. Enfin. Librement. Ils s'étaient mis, avec opiniâtreté, à étudier un alphabet et une langue qui leur étaient étrangers, ils apprenaient les codes de ce qu'ils pensaient être leur nouveau pays, ils se montraient reconnaissants auprès des professionnels et des bénévoles qui leur venaient en aide.
Ils pensaient sans doute que dans le pays des Droits de l'Homme on les écouterait, on les respecterait, on leur ferait une place, même modeste. L'un d'eux avait intégré un lycée, un autre s'apprêtait à entamer des études d'électricien, tous espéraient se rendre utiles dans la société.
Ils ont 19 ans, 21 ans, 25 ans, 33 ans, 49 ans, ils s'appellent Ismaïl, Abdallah, Reda, Fekado, Mohamed, Osman, Saber. Ils ont un nom et découvrent qu'ils ne sont qu'un numéro de dossier. Leurs espoirs se trouvent aujourd'hui broyés par une machine administrative aussi hypocrite que peut l'être un être humain. Les voilà, une fois de plus, déracinés, expédiés d'un CAO à un PRAHDA (Programme d'Accueil et d'Hébergement des Demandeurs d'Asile), d'une ville où ils commençaient à tisser des liens, à une autre où ils ne connaissent personne et ne peuvent avoir accès à Internet.
Le diable s'habille en PRAHDA, un nom rédigé en novlangue: "le PRAHDA, estime une bénévole d'une association qui tente de leur venir en aide, consitue actuellement un dispositif national destiné à transférer très rapidement et discrètement les déboutés et surtout les demandeurs en procédure Dublin. Tout est fait pour qu'ils ne puissent pas exercer efficacement de recours."
Après le PRAHDA, ce sera le CRA, Centre de Rétention administrative. Et, de là, le renvoi vers le pays de l'Union européenne où ils ont été pour la première fois enregistrés. Le plus souvent, pour les amis soudanais dont je parle ici, ce sera l'Italie. Qui, principale porte d'entrée en Europe pour les demandeurs d'asile africains, est débordée par des afflux quotidiens et les renverra en France qui les rejettera une fois encore. Comme de vulgaires colis que personne n'aurait commandés. 
Ils sont les juifs errants du XXIe siècle. Qui parmi les responsables politiques, de tous niveaux, les verra enfin comme une chance et non comme un fardeau dont on se débarrasse comme d'une cannette qu'on jette par la fenêtre de la voiture en espérant ne pas être vu? Qui les verra comme des êtres humains plutôt que comme des chiens qu'on chasse à coups de pied?

Pour vouloir le monde parlé, 
Soudan, mon Soudan, 
Celui d'la parole échangée, 
On s'casse les dents. 
Oh, oh, oh, et je rêve 
Que Soudan, mon pays, soudain, se soulève... 
Oh, oh, 
Rêver, c'est déjà ça, c'est déjà ça. 

Alain Souchon

(Re)lire sur ce blog
- "Etre ou haïr", 8 août 2017;
- "Dans le mur", 10 février 2017;
- "Je cherche un homme", 22 janvier 2017.

vendredi 8 septembre 2017

Une maladie de l'avenir

Récemment (1), j'évoquais ici les propos répugnants et répulsifs, diffusés sur son blog, d'un prêcheur islamiste, français d'origine algérienne, qui vomit les femmes qu'il considère comme des sous-êtres. Etant entendu que lui a tout compris et est, du haut de sa supériorité de mâle, l'intelligence incarnée. On en rirait si ces positions n'étaient de plus en plus partagées.
L'écrivaine franco-marocaine Leïla Slimani, prix Goncourt 2016, vient de publier "Sexe et mensonges", un livre sur la vie sexuelle au Maroc qui repose sur des témoignages de femmes. 
Parlant de cet ouvrage, l'écrivain algérien Kamel Daoud estime qu'une de ses révélations est "le démantèlement d'une vieille croyance positiviste: le patriarcat, le machisme, la femme comme être minoré, ne sont pas le reliquat d'une culture qui s'imbrique mal dans l'universel et endosse mal la mécanique de la modernité, mais une construction du présent. Ce n'est pas une maladie du passé qui persiste, mais une maladie de l'avenir qui s'installe. Ce qui s'y joue n'est pas le poids de traditions rigides que l'on peine à décarcasser, mais un néoconservatisme qui a pris de la force, de la place, des leviers de pouvoir et même les armes. Les régimes autoritaires cultivent le deal avec des bigots qui ont imposé les termes du débat sur la sexualité: elle est menace, invasion, déstabilisation, trahison... De quoi souder les rangs contre la femme, au nom de Dieu, de la Femme vertueuse, de la Culture, de la Différence." (2)
En écho, Leïla Slimani en appelle "à la raison des Lumières et à l'horizon de l'universalité. Oui, on est des musulmans, on a notre culture, mais il faut arrêter de considérer que tous nos droits sont culturels. On peut aussi revendiquer des droits parce qu'ils sont universels et que, avant d'être marocains, musulmans ou femmes, on est des êtres humains. Sans être les otages de notre culture. Notre culture, c'est quelque chose de mouvant. On peut la faire changer. Et tout ne va pas s'écrouler." (3)
Kamel Daoud encore, avec ces propos qui se passent de commentaire: "nous sommes malheureusement, coincés entre le You Porn et le You pray, refusant la vie, rêvant de la mort comme orgasme, de l'au-delà comme seule compensation. Erigeant la spécificité culturelle là où nous avons peur d'aller vers l'autre, de le toucher, l'aimer, le désirer. Parce que castrés dans leur présence au monde, nos hommes se vengent par l'excision juridique, sociale et physique des femmes".

(1) "La fabrique d'islamophobie", 30 août 2017
(2) "Entre You Porn et You Pray", L'Obs, 31 août 2017.
(3) "Les femmes, le sexe et l'islam", L'Obs, 31 août 2017.

mercredi 6 septembre 2017

Sur la mauvaise pente

Il y a de nombreuses années, le Chat (de Philippe Geluck), toujours prêt à partager ses connaissances scientifiques, répondait à cette question complexe: "comment savoir si l'on est dans une montée ou dans une descente?". C'est facile, expliquait-il, il suffit de se munir d'un ballon et de le lâcher. S'il part vers le haut, c'est qu'on est dans une montée, vers le bas, dans une descente. 
La même expérience peut s'opérer avec un vélo. Si le vélo avance seul sans que le cycliste ne donne le moindre coup de pédale, c'est que le vélo est dans une descente.
Ce phénomène incroyable semble ignoré de nombre de complotistes qui visiblement (1) n'y ont pas pensé, tant ils sont persuadés avoir découvert la preuve que le vélo de Froome est truqué.
Bien sûr, on peut avoir des doutes autant sur le dopage électrique de nombre de vélos de course que sur le dopage chimique des cyclistes professionnels qui les montent. Autre chose est de diffuser urbi et orbi des conclusions aussi hâtives que stupides à partir d'un vélo et d'un cycliste qui avancent pendant cinq secondes.
On voit par là qu'il peut être utile de quitter de temps à autre son écran pour faire de la marche ou du vélo et ainsi découvrir que le monde est moins plat que notre encéphalogramme. 

Faites notre test (niveau débutants):
sur quelle(s) photo(s) le vélo est-il dans une descente?







(1)

dimanche 3 septembre 2017

Rire de mourir

Charlie Hebdo devrait supprimer ses unes et commencer immédiatement par la page 2. Ses unes font trop souvent polémique. Récemment (1), c'est un dessin dénonçant la violence d'un certain islam qui choquait les culs bénis. Voilà que la une de mercredi dernier scandalise, nous dit-on, des élus et des journalistes américains. Elle est drôle, pourtant, cette une dont le dessin de Riss représente des drapeaux nazis à moitié immergés sous une pluie battante et des mains tendues qui sortent de l'eau. On y lit "Dieu existe! Il a noyé tous les néonazis du Texas!". Shocking pour de bonnes âmes américaines (2). L'une d'elles trouve cette une "méprisable" mais reconnaît que les dessinateurs de Charlie ont quand même "la bénédiction de Dieu pour la publier." Un autre affirme qu'il n'est plus Charlie. Un autre encore estime que par peur de l'islam Charlie s'attaque aux victimes de tempêtes. "Les terroristes musulmans ont gagné", affirme cet homme qui visiblement ne lit jamais Charlie Hebdo.
Ces braves Américains devraient, au contraire, se réjouir de voir que - enfin - Charlie Hebdo croit en l'existence de Dieu. Mais non, ils s'offusquent d'un dessin qui se moque non pas des victimes de l'ouragan mais des néonazis qui récemment se sont tristement illustrés à Charlottesville et à qui l'élection d'Ubu Trump semble avoir donné une vraie fierté et une arrogance insupportable.
Au-delà de l'incompréhension de tel ou tel dessin, se posent des questions: la caricature peut-elle être limitée? Doit-elle, peut-elle être, sans perdre son sens, politiquement correcte?  Les néonazis ou les islamistes le sont-ils, eux, politiquement corrects? Et enfin ne peut-on rire de la mort, elle qui se rit de nous chaque jour?
L'humour nous fait rire tant qu'il ne nous touche pas personnellement. Le répertoire des Misters des Voix picardes, dont j'ai fait partie, ne comportait que des chansons "tristes et affligeantes". Nous chantions - à notre façon - la maladie, la mort, les accidents de la route, les violences familiales, les échecs, la dépression, le handicap et tant d'autres aspects noirs de la vie. Les spectateurs nous disaient avoir beaucoup ri, sauf, nous disait l'un, de cette chanson sur la maladie, lui qui venait d'en connaître une "longue et pénible"; sauf, nous disait une autre, de cette chanson sur le chômage, elle qui venait de le vivre trop longtemps; sauf, nous disait un troisième, de cette chanson sur la mort, lui qui l'avait trop souvent côtoyée. Mais toutes les autres les avaient fait beaucoup rire.
Si l'humour ne sert qu'à rire des autres et pas de soi a-t-il tout son sens? 
Ceci dit, imaginer ces red necks texans, si fiers de la couleur de leur peau et se moquant de ceux qui n'ont pas la même, les imaginant donc, ces producteurs de pétrole victimes du dérèglement climatique, le cul (et le reste) dans l'eau me fait rire. Allez savoir pourquoi.

(1) sur ce blog, "Padam padam", 23 août 2017.
(2) http://www.huffingtonpost.fr/2017/09/01/les-americains-choques-par-la-une-de-charlie-hebdo-sur-les-sinistres-dharvey_a_23193204/?utm_hp_ref=fr-homepage