dimanche 28 avril 2024

Tant de questions et une seule réponse

Pourquoi, pour défendre un camp, faut-il à toute force et sans nuances agresser violemment l'autre? Pourquoi, en ces temps d'individuation excessive, devient-on si généraliste - et ainsi stupide - dans ses positions, sans aucune place pour la nuance et l'analyse ? Pourquoi tous les juifs de la terre sont-ils tenus responsables de l'attitude de l'extrême droite israélienne ? Pourquoi, a contrario, tous les musulmans sont-ils vus comme des victimes ? Pourquoi la barbarie et la brutalité du Hamas sont-elles occultées ? Pourquoi les féministes et tant de défenseurs des droits humains s'obstinent-ils sciemment à ignorer les horribles massacres dont furent victimes tant de femmes israéliennes et leurs enfants le 7 octobre 2023 ? Pourquoi à l'horreur répond-on par la bêtise et la haine ? Pourquoi les musulmans sont-ils aujourd'hui vus comme les damnés de la terre et les juifs comme les bourreaux ? Pourquoi l'antisémitisme perdure-t-il à travers les siècles ? Pourquoi la rage rend-elle aveugle, sourd, hargneux et inaudible ? Pourquoi tant de gens pensent-ils agir en citoyens responsables avec leurs analyses fainéantes et leurs positionnements faciles ? 

Les mouvements étudiants un peu partout prennent fait et cause pour les Palestiniens. Mais aussi contre les juifs. "Depuis le début de la riposte israélienne aux massacres du 7 octobre 2023, écrit Philippe Paquet dans La Libre (1), les universités américaines sont le théâtre de manifestations propalestiennes souvent hystériques et violentes. Des étudiants et des enseignants juifs sont insultés, molestés et humiliés. Certains se voient interdire l'accès au campus, d'autres doivent se barricader dans les bâtiments." La sécurité de la communauté juive n'est plus garantie, malgré les interventions policières.
A l'instar de leurs collègues américains, les étudiants parisiens de Sciences Po se mobilisent pour soutenir les Palestiniens qu'ils estiment victimes d'un génocide de la part de l'Etat israélien. Dans leur combat qu'on peut comprendre, ils refusent toute prise de parole de juifs, leur refusent l'accès aux salles de réunion, quand ils ne vont pas jusqu'à les insulter. « Qu’on fasse preuve de solidarité à l’égard des Palestiniens, qu’on montre le rejet des crimes qui sont commis à Gaza, c’est naturel, c’est même digne et c’est noble », estime Raphaël Glucksmann, tête de liste du Parti socialiste et de Place publique aux élections européennes du 9 juin. « Après, dans quelle atmosphère on le fait ? Est-ce qu’on est inclusifs ? Est-ce qu’on tolère le débat ? Est-ce qu’on est capables d’organiser des discussions avec ceux qui ne partagent pas ce point de vue ? Jusqu’ici, jusqu’à preuve du contraire, ce n’est pas le cas. Et donc on a un problème." (2)
En mai '68, suite au renvoi en Allemagne de Daniel Cohn-Bendit par les autorités françaises, les étudiants manifestaient en criant "Nous sommes tous des juifs allemands ". Aujourd'hui, ce que laissent entendre leurs héritiers, c'est : "nous détestons tous les juifs".  Ils réclament un Etat palestinien qui s'étende "du fleuve à la mer". Ce qui implique la disparition de l'Etat d'Israël. A New York, on entend des étudiants crier leur amour au Hamas. Peut-on aimer un mouvement terroriste ultra-violent sans haïr celles et ceux qu'il a massacrés de manière systématique ? 

"Le Hamas perdra la guerre , estime Raphaël Enthoven (3), parce que ses combattants se moquent de mourir tant qu’ils tuent. Le Hamas perdra parce que, comme l’écrit Rima Hassan (4), il est prêt « à tous les sacrifices pour vaincre. Absolument tous les sacrifices. » Ainsi, quand Ismaïl Haniyeh, le chef de son bureau politique, apprend, depuis Doha, la mort de ses propres enfants et petits-enfants, il « remercie Allah pour la mort de ses enfants éliminés sur le chemin de la libération de Jérusalem et de la mosquée d’Al-Aqsa ». Quand on est capable de se réjouir d’avoir perdu les siens, on a perdu avant même de combattre. On incarne la défaite. On pue la mort. Le Hamas perdra la guerre parce que, comme tous les fascismes, comme tous les régimes (vraiment) génocidaires, le Hamas jubile d’assassiner et se moque de mourir, alors que les soldats de Tsahal craignent de mourir et répugnent à tuer. Les gens qui sont prêts à se sacrifier n’ont aucune chance contre des gens qui luttent pour rester vivants."

Vendredi dernier, dans 28', émission d'Arte, le journaliste Brice Couturier parlait, avec émotion, de ces étudiants américains qui rêvent d'une Palestine from the river to the sea : "Ces étudiants n'ont jamais manifesté pour les 1.200 personnes tuées, massacrées ou violées par le Hamas le 7 octobre, ils n'ont jamais manifesté non plus pour les 500.000 Syriens tués par le régime de Bachar el-Assad, ils n'ont jamais manifesté pour les Ouïghours réduits au travail forcé en Chine parce qu'ils sont musulmans. L'une des explications peur-être c'est que le principal sponsor étranger de ces universités américaines, c'est le Qatar, qui a donné 3,280 milliards de dollars à ces grandes universités, le Qatar où se prélassent actuellement les dirigeants du Hamas." Mais il y a une autre explication si simple et si pratique, la même depuis deux mille, qui ne réclame aucune analyse : l'antisémitisme. 

(2) https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/04/26/sciences-po-paris-la-mobilisation-propalestinienne-se-poursuit-un-face-a-face-tendu-avec-des-manifestants-pro-israel_6230102_3225.html
(3) dans Franc-Tireur, 17.4.2023.
(4) candidate LFI.

mercredi 24 avril 2024

Déjeuner en paix

Il y a des matins comme cela. On ne s'y attend pas, on se lève, on boit un café, comme chaque matin, on lit les infos. Pour une fois, on y découvre de bonnes nouvelles : Kadyrov, le boucher de Grozny, n'en a plus pour longtemps, en phase terminale de cancer (1) ; des drones ukrainiens ont détruit des sites énergétiques dans cette URSS que certains appellent Russie (2) ; un témoin et ex-ami a lourdement chargé Ubu Trump au premier jour de son procès (3). On se dit que cette journée commence bien, qu'il pourrait bien y avoir, un jour, une justice.
Et puis, on lit les informations régionales. Et bardaf, c'est l'embardée. L'Action française, ce vieux groupe d'extrême droite rance et antidreyfusard qu'on croyait mort depuis longtemps, a manifesté à Bélâbre contre le projet d'ouverture d'un centre d'accueil pour réfugiés (4). Délogés par la police, les militants fascistes et royalistes sont revenus se filmer à l'entrée du bâtiment qui abritera le centre et annoncent qu'ils reviendront encore et encore. On soupire. L'extrême droite est partout, même chez nous. Inlassablement, elle répand sa haine et sa bêtise jusque dans les campagnes. Ses militants, courageusement masqués (défendent-ils la burqa ?), affirment que rien ne les arrêtera. Ils lancent une cagnotte en ligne.  Pour racheter la matraque et les fumigènes que leur a confisqués la police ? Ils ont un slogan : « pour que vive la France, vive le roi ». La France vit bien et vivra sans mieux sans eux. De quel roi parlent-ils ? Le roi des cons ? 

(1) https://www.lalibre.be/international/europe/2024/04/23/le-dirigeant-tchetchene-ramzan-kadyrov-en-phase-terminale-comment-son-equipe-tente-de-faire-taire-les-rumeurs-en-vain-6P2T6OHQEBGDZG5BI52Q4OF7HA/
(2) https://www.lalibre.be/international/europe/guerre-ukraine-russie/2024/04/24/guerre-en-ukraine-des-sites-energetiques-en-feu-en-russie-apres-des-attaques-de-drones-selon-les-autorites-EUJKOVFSZRCCLN5G22LLSRMOMY/
(3) https://www.lalibre.be/international/2024/04/23/regard-noir-journalisme-de-chequier-et-liaisons-secretes-achetees-le-premier-temoin-du-proces-de-trump-pourrait-bien-sceller-son-sort-JCBWK4NJQJGCTCYZI3ZMJNOAJI/
(4) https://www.lanouvellerepublique.fr/indre/commune/belabre/le-groupe-d-extreme-droite-action-francaise-entend-poursuivre-sa-bataille-contre-le-cada-de-belabre

lundi 22 avril 2024

Toxique et séduisant

Aider l'Ukraine, c'est sauver notre démocratie (voir billet précédent). L'historien américain Timothy Snyder ne dit pas autre chose (1). Il rappelle la toxicité de Vladimir Poutine, tant dans son propre pays qu'à l'ouest, mais aussi en Afrique : en Russie, "depuis le début des années 2000, Poutine étend son pouvoir en minant le processus électoral et en contrôlant les richesses. Il détourne l'oligarchie à son profit pour s'imposer comme le plus puissant, le plus riche des oligarques. Depuis son arrivée au pouvoir, la politique intérieure est figée, la mobilité sociale n'existe pas. Il lui faut donc déployer une politique étrangère spectaculaire et exporter le chaos : il a besoin de faire croire que la corruption et le mensonge ne sont pas l'apanage de son régime mais qu'ils se répandent partout." Sa propagande tend à faire croire que nulle part, et surtout pas en Europe de l'ouest, la démocratie n'est respectée. "L'Ukraine est ainsi devenue un grand danger après la révolution de Maïdan (2014), quand elle s'est affirmée en tant que démocratie électorale et quand elle a mis en avant son désir d'intégration à la Communauté européenne. Si la démocratie est mise à mal en Russie, elle doit aussi l'être ailleurs."
On sait que Poutine et sa clique ont fait et font tout ce qu'ils peuvent - et ils peuvent beaucoup - pour favoriser les mouvements d'extrême droite en Europe, pour pousser le candidat Trump aux Etats-Unis et pour amener les Britanniques à choisir le Brexit. Toujours plus de chaos et moins de démocratie, c'est leur devise. Dans son livre (2), Timothy Snyder parle d'eux comme de "schizo-fascistes", "de véritables fascistes qui traitent leur adversaires de fascistes". Pour lui, "la Russie est aujourd'hui, selon toutes les définitions, un Etat fasciste : un parti unique, un leader dans le style de Hitler ou de Mussolini qui célèbre le primat de la volonté sur la raison, qui glorifie la guerre, mobilise la population et fait prospérer des théories du complot, contre les Juifs ou les lobbys homosexuels accusés de détruire les valeurs traditionnelles." Poutine reproduit beaucoup de pratiques de la Seconde guerre mondiale, affirme-t-il. "Il mène cette guerre selon une logique fasciste dans laquelle l'autre camp n'existe pas. L'Ukraine n'est pour lui ni un Etat ni une nation, il est normal de l'anéantir."

Poutine veut à la fois réécrire l'histoire et gommer le passé. "La propagande russe vise à effacer toute compréhension du passé. Vladimir Poutine proclame que la culture russe est menacée, mais en réalité il fait la guerre aux historiens. Il a fait fermer des ONG comme Memorial (3), qui avait entrepris un travail considérable pour mettre à nu les crimes du pouvoir soviétique, notamment sous Staline, ou de l'armée russe en Tchétchénie. Il mène des actions en justice contre des historiens, et une loi punit ceux qui publient sur Internet des informations sur le passé. Tous les politiciens qui essaient aujourd'hui de détruire la démocratie de l'intérieur procèdent ainsi, ils ramènent l'histoire au mythe d'une innocence perdue qu'il faut reconquérir."

Que pouvons-nous faire ? Pas grand-chose en attendant la chute inévitable du leader fasciste, sinon "aider l'Ukraine à gagner la guerre, ce qui contribuera à définir les paramètres d'une Russie du futur". 
Et pourtant, on ne les compte plus toutes celles et tous ceux qui à l'extrême droite comme à l'extrême gauche, à l'extrême jaune comme à l'extrême complotiste qui refusent de condamner le tueur en série. "Parce que, disait ce matin Sophia Aram (4), pour les poutinolâtres, on aurait apparemment tout à gagner à ne pas énerver la bête, surtout quand elle est occupée à dévorer quelqu'un d'autre que soi ou à continuer après vingt ans d'échecs à négocier avec le boucher de Grozny, d'Alep et de Butcha. C’est vrai, ça, on ne sait jamais, au fond de chaque criminel de guerre, sommeille peut-être l'âme d'un futur prix Nobel de la paix. (...) Un homme qui élimine ses opposants, assassine des journalistes, bombarde Irpin, Sebastopol ou Kherson, pactise avec Bachar Al Assad, s'allie avec les mollahs, assujettit la Tchétchénie et la Biélorussie, déstabilise la Géorgie, annexe la Crimée, lance des cyber-attaques, fait de l’ingérence dans les campagnes électorales américaines ou françaises, systématise le viol et la torture comme arme de guerre, organise la déportation d’enfants... Cet homme, cache peut-être au fond de lui une aspiration au dialogue."
Les partis politiques occidentaux qui soutiennent ou en tout cas refusent de condamner le monstre devraient faire fuir les électeurs. Et c'est le contraire. "Eh bien vous me croirez ou pas, dit encore Sophia Aram, pendant ce temps-là, à un mois des élections européennes, près de 46 % des Français s'apprêteraient à voter pour des partis qui n'ont absolument pas conscience que les Ukrainiens se battent aussi pour notre souveraineté, ou pour des partis qui considèrent que Poutine est un modèle ou un banquier." Poutine fascine. Le chaos gagne les têtes.

(1) "La stratégie du chaos", Télérama, 21.2.2024.
(2) Timothy Snyder, "La route pour la servitude. Russie, Europe, Amérique", éd. Gallimard, 2024.
(3) https://memorial-france.org/
(4) https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-billet-de-sophia-aram/le-billet-de-sophia-aram-du-lundi-22-avril-2024-9568929

dimanche 21 avril 2024

Armement pacifiste

Il fut un temps, pas bien lointain, où nous étions invités à refuser que nos impôts servent à financer les armements. C'était un temps où nous pensions, naïfs que nous étions, que la guerre jamais ne nous concernerait. Que nous vivions et vivrions en paix dans une Europe dont l'union nous préservait du pire, de l'impensable. Et voilà qu'un petit homme voisin, mauvais comme une teigne, sombre comme un tunnel sans issue, hargneux comme le Père Ubu, a fait de la guerre sa vie, décidant de venger les erreurs de ses prédécesseurs en pensant redonner du prestige à  son immense pays qui d'empire n'était plus que le plus vaste de la planète, ce qui le désespère.
Et nous voilà à réclamer de nos gouvernants qu'ils fassent produire des armes, des systèmes de défense, des missiles aux coûts exorbitants  pour donner à l'Ukraine les moyens de se défendre. De nous défendre. Et nous voilà, nous pacifistes, à nous réjouir d'apprendre  que la Chambre des Représentants américaine a décidé d'attribuer à l'Ukraine une nouvelle aide de près de 60 milliards de dollars pour mieux se défendre contre l'agresseur russe. On attend un même geste fort de l'Union européenne dont les promesses sont trop peu respectées. C'est la vie des Ukrainiens qui est en jeu, c'est leur indépendance, leur liberté. Qui peut hypocritement penser que cette guerre n'est pas la nôtre ? Si l'Ukraine perd cette guerre, c'est l'Union européenne qui mourra et avec elle la démocratie et notre liberté. 
La guerre sera toujours une erreur, mais refuser de l'affronter quand elle est à nos portes, c'est poser sa tête sur le billot du bourreau. 

vendredi 19 avril 2024

C'est normal

Le Front du Rassemblement national s'est normalisé.  Il faut donc s'inquiéter de ce qui est devenu la norme.
Le 7 avril dernier, dans le cadre du carnaval de Besançon, des militantes d'un collectif d’extrême droite ont brandi des pancartes associant les termes “immigrés” et “violeurs” » (1). Habituellement, la notion de carnaval est associée à celle de fête. Mais pas pour l'extrême droite qui profite de cette occasion pour exprimer sa haine normale. « Ces propos essentialisants, qui constituent des incitations à la haine envers les étrangers, m’ont conduit à déposer plainte le même jour pour incitation à la haine raciale », a déclaré la maire écologiste de Besançon. Elle a reçu en retour des menaces de viol, des centaines d’injures et de propos haineux ou dégradants. Normal. Elle a à nouveau déposé plainte. Quelques jours plus tard, des élus du Rassemblement national ont brandi des pancartes identiques en pleine séance du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, pour soutenir les deux femmes poursuivies pour leurs propos haineux. Normal. Cette fois, c'est la présidente du Conseil régional qui a déposé plainte. Elle a également dénoncé l’usage par un des élus du RN du mot Untermensch (« sous-homme » en allemand) au sein de l’hémicycle, une expression empruntée au vocabulaire nazi. Normal. 
Jordan Bardella, président du parti d'extrême droite, affirme catégoriquement qu'il n'y a pas de racistes dans son parti normal.

Le quotidien Le Monde a analysé (2) les positions prises par le parti normal d'extrême droite au Parlement européen concernant les relations internationales. "Soutien à des régimes autoritaires, refus de dénoncer l’application de la peine de mort ou d’autres sévices contre des opposants politiques, ignorance des cas de violations des libertés fondamentales : les centaines de décisions prises par les eurodéputés du RN à Bruxelles et à Strasbourg, analysées par Le Monde, offrent un panorama des relations internationales telles que le mouvement d’extrême droite les envisage." Soutien constant au Kremlin, refus de condamner la loi russe sur les « agents de l’étranger » (2019), rejet de la résolution consécutive à l’empoisonnement d'Alexeï Navalny (2020), rejet du soutien apporté à la société civile réprimée et notamment à l’organisation de défense des droits de l’homme Memorial, abstention sur la plupart des textes pris en soutien à l'Ukraine, etc. "Cela ne nous regarde pas",  affirment les élus RN qui ne veulent pas avoir l'air de toucher à la souveraineté d'un pays. Comme si la souveraineté ukrainienne était pleinement respectée. De toute façon, l'analyse du Monde démontre combien les députés frontistes appliquent ce principe de non-immixtion, de manière très variable selon les régimes concernés. Et défendent systématiquement les régimes autoritaires ou illibéraux. Normal.

Jordan Bardella est tête de liste de son parti pour les élections européennes. "La coquille vide d'idées mais remplie d'orgueil du RN", comme le qualifie l'hebdomadaire Franc-Tireur, est en campagne mais refuse les débats avec ses adversaires. Il envoie des seconds couteaux, préférant serrer des mains et débiter des âneries. Son adversaire du parti présidentiel, Valérie Hayer, affirme que Bardella "aborde cette campagne de la même manière qu'il a abordé son mandat au Parlement européen : sans aucun respect pour les Français". Normal ?

(1) https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/04/12/la-maire-de-besancon-harcelee-en-ligne-apres-sa-plainte-contre-des-pancartes-antimigrants_6227481_823448.html
(2) https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/04/17/au-parlement-europeen-le-rn-soutien-constant-des-regimes-autoritaires_6228263_823448.html

mardi 16 avril 2024

Déréglés

C'est une étrange mode. Il est de bon ton de faire la guerre. Vladimir Poutine n'a jamais vécu que pour cela. Chef de guerre, c'est son destin. Depuis vingt-cinq ans qu'il est au pouvoir, il provoque des conflits armés. S'il devait parvenir à conquérir l'Ukraine, ce sont d'autres territoires voisins qui craignent pour leur indépendance : la Moldavie, les Etats baltes, la Pologne...
Les Iraniens, eux, ne menaient la guerre que par milices interposées : le Hezbollah, le Hamas, les Houthis. Voilà qu'en attaquant Israël ils renouent directement avec une pratique qu'ils avaient abandonnée depuis 1988 et la fin de la guerre qui les opposaient à leurs voisins irakiens. Le Hamas est en guerre contre Israël et réciproquement. Après la Syrie, c'est le Yemen qui depuis des années se déchire, tout comme le Soudan où la guerre des généraux - qui a débuté il y a exactement un an - a déjà provoqué 15.000 morts et déplacé 8,4 millions de personnes. Dans l'indifférence du reste du monde. Il y a des guerres qui révoltent et mobilisent l'opinion publique et il y a celles qu'on préfère ignorer.
Et puis, c'est la Chine qui menace Taïwan, la Corée du nord celle du sud, le Venezuela  qui aimerait faire main basse sur l'Essequibo au Guyana voisin, les guerres qui se poursuivent, dans la même indifférence mondiale, dans l'est de la République démocratique du Congo.
Partout les budgets militaires sont revus à la hausse. C'est qu'il faut se préparer si pas à une attaque, du moins à une défense éventuelle. Tous les moyens devraient être mobilisés pour lutter contre le dérèglement climatique, mais certains préfèrent les consacrer à dérégler les rapports humains. On pensait que le sens de l'Homme était de devenir plus intelligent de siècle en siècle. On se trompe.  
Sur les réseaux prétendument sociaux, tant de gens mènent leur guerre, verbale cette fois, vouent aux gémonies qui ne pense pas comme eux et pousse chacun à choisir son camp contre l'autre. La nuance et le doute n'ont pas plus de place que l'analyse dans leurs vies si sûres d'elles. La guerre et la haine avancent de concert. Avec la bêtise.

mercredi 10 avril 2024

Souverainement égoïstes

Les êtres souverains, on vient de les découvrir à l'occasion d'une video ahurissante (1) et on ne sait comment les qualifier. Celles et ceux qui se présentent comme tels affirment ne rien avoir affaire avec la société. Ils ne reconnaissent pas l'autorité de la police ou de la justice, refusent de payer impôts ou amendes, ne "contractent" pas avec les autorités publiques et leurs lois. A leurs yeux, les Etats sont illégitimes, juste des sociétés privées "enregistrées à Washington". Dans la video de ce couple de Drômois contrôlés par la police à Dunkerque, on les entend refuser de donner leurs papiers aux gendarmes qui les contrôlent. Ils leur donnent oralement un nom - "Pierre de la famille Legrand par ouï-dire" -, à écrire "en minuscule s’il vous plaît, car nous ne sommes pas des entreprises".
"Je n'appartiens plus à l'entreprise République française Présidence. C'est une société depuis 1947. Et vous, vous êtes aussi enregistrés à la secte Washington DC sous un numéro, ce qui fait de vous des mercenaires sur le sol français." Voilà ce qu'affirme, péremptoire, le conducteur, avant de voir la vitre de sa voiture éclatée par le gendarme qui ne trouve pas d'autre moyen de le faire sortir de son véhicule. Sa femme, qui ne cessait de répéter "on ne contracte pas", hurle : "vous n'avez pas le droit !". Les non contractés ne sont pas décontractés.

Quand on tape "êtres souverains" sur un moteur de recherche, on effectue une plongée vertigineuse dans un monde halluciné : celui de gens, de personnes, d'êtres humains - on ne sait plus comment les qualifier selon leurs règles (l'un se présente comme "homme naturel vivant" !)  - centrés sur eux-mêmes, qui relèvent visiblement de la psychiatrie. "C'est ma personne, mais ce n'est pas moi", déclare l'un d'eux à un policier qui vient lui déposer une citation à comparaître au tribunal (2).  Il nage en pleine schizophrénie.
Etre souverains et refuser d'appartenir à leur Etat ne les dispense pas visiblement pas de rouler sur des routes, de circuler dans des espaces publics aménagés, entretenus et éclairés par les pouvoirs publics. Ils devraient les éviter s'ils allaient jusqu'au bout de leur logique, ne pas utiliser de transports publics, ne pas fréquenter les hôpitaux publics, ne pas accepter la moindre pension ou aide publique, ne pas faire appel à la police ou aux services de secours en cas de problème. Que font-ils si leur maison brûle ? 

Aujourd'hui, les partis populistes ont le vent en poupe. Ils se présentent le plus souvent comme souverainistes, veulent prendre leurs distances avec l'Union européenne, avec l'OTAN, avec toutes les instances internationales. Leur Etat doit se gérer seul. Ils n'ont pas plus peur de leurs contradictions que les êtres souverains. Ce sont souvent les mêmes partis qui se disent souverainistes et se montrent très tolérants à l'égard de la Russie qui fait la guerre à l'Ukraine pour la conquérir et ainsi mettre fin à sa souveraineté. Que feront-ils ces souverainistes si demain la souveraineté de leur Etat est attaquée alors qu'ils se seront retirés d'instances internationales basées sur la solidarité entre leurs membres ?
La présidente du Conseil italien, la souverainiste Giorgia Meloni, a dû faire machine arrière sur ses principes, comprenant à quel point son pays a besoin de l'Union européenne pour faire face aux vagues migratoires.
A ce propos, que pensent les êtres souverains de l'immigration ? Si personne n'appartient un Etat, tout le monde a le droit de s'installer où il l'entend. Allez savoir pourquoi, on n'est pas sûr qu'ils soient d'accord avec cette logique. Avec leur logique, si ce mot a un sens pour eux.

(1) https://www.youtube.com/watch?v=0Le5LJtW7RU
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/04/07/je-ne-contracte-pas-les-etres-souverains-ces-complotistes-qui-nient-l-autorite-des-etats_6226391_4355770.html
(2) https://www.youtube.com/watch?v=mYrgI1-vZuM



dimanche 7 avril 2024

Hypocrisie éternelle

On a parfois du mal à comprendre les décisions politiques. Ou on les comprend trop bien.
On se félicite évidemment que les députés français aient adopté à l'unanimité une proposition de loi restreignant la fabrication et la vente de produits contenant des PFAS, ces substances per- et polyfluoroalkylés, qu'on appelle aussi « polluants éternels » à cause de leur interminable cycle de vie et de leur impact négatif sur la santé. "Le texte, indique Le Monde (1), propose de réduire l’exposition de la population à ces molécules en interdisant la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché de certains produits qui en contiennent."

On retrouve des PFAS entre autres dans les emballages alimentaires, les textiles et les automobiles. Et aussi dans les poêles en téflon. Mais celles-ci ne sont pas concernées par l'interdiction. Le lobbying des salariés de l'entreprise Seb - qui prétendaient que leurs emplois étaient en jeu - a été payant.
"Le camp présidentiel avait rapidement sorti du périmètre du texte les ustensiles de cuisine, explique Le Monde. La majorité avait d’abord proposé de repousser l’interdiction concernant les ustensiles de cuisine de 2026 à 2030, un compromis rejeté par les écologistes, qui ne voulaient pas aller au-delà de 2027. Le camp présidentiel a répliqué en supprimant purement et simplement l’alinéa concernant ces produits. « Encore une fois », la majorité alliée aux Républicains et au Rassemblement national aura « cédé aux lobbyings [du fabricant] Seb, au détriment de la santé des Français. C’est une honte », ont réagi les députés écologistes."

On repense à l'interdiction de la publicité pour le tabac en Belgique il y a quelque vingt-cinq ans. Les organisateurs d'évènements sponsorisés par une marque de tabac avaient eu un délai de plusieurs années pour se trouver d'autres soutiens. Mais la fédération internationale automobile n'avait rien voulu savoir et menaçait de retirer le grand prix de Spa-Francorchamps de son calendrier des courses de Formule 1. Tous les partis politiques, une partie de la presse et d'innombrables citoyens s'en étaient pris aux écolos accusés de vouloir la mort de la Wallonie, pas moins. L'emploi (direct dans le cas de Seb, indirect dans celui de la F1) et l'électoralisme pèsent plus que la santé et l'environnement. Les élus (des élus) sont faibles. Et hypocrites.

Ceci dit, l'interdiction des PFAS dans les autres produits est naturellement une bonne décision. D'autant qu'elle s'accompagne d'autres mesures : l’application du principe pollueur-payeur, avec une taxe visant les industriels qui rejettent des substances per- et polyfluoroalkylées, l’obligation de contrôler la présence de PFAS dans l’eau potable sur tout le territoire et la fin des rejets aqueux de PFAS dans les cinq ans.

Cette loi - qui doit encore être adoptée par le Sénat - a été votée par 213 députés parmi les 577 que compte l'Assemblée nationale française : 56 de LFI (19 étaient absents), 8 de la Gauche démocrate et républicaine (14 absents), 14 du PS (17 absents), 20 des Verts (1 absent), 56 de Renaissance, le parti macronien, (113 absents), etc. Les 4 LR présents (sur 61) et les 22 RN (sur 88) se sont abstenus (voir tableau dans l'article du Monde). On voit par là que les problèmes de santé publique ne passionnent pas les parlementaires et que ceux de droite et d'extrême droite n'ont pas d'opinion sur cette question sensible. 

(1) https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/04/04/pfas-les-deputes-adoptent-une-proposition-de-loi-visant-a-reduire-l-exposition-aux-polluants-eternels-sans-interdire-les-ustensiles-de-cuisine-qui-en-contiennent_6225927_3245.html


lundi 1 avril 2024

Make Pope Great Again

Plus rien n'arrête Donald Trump. Ses ambitions sont aussi infinies que sa suffisance. Le vendeur de Bible (voir billet précédent) a annoncé ce lundi de Pâques qu'il espérait bien être élu pape. François n'a pu, vu son état de santé lié à son grand âge, participer au chemin de croix vendredi soir. Donald Trump table donc sur un remplacement prochain du pape et rêve d'être le premier pape président d'un pays autre que le Vatican. Il estime être le mieux placé pour occuper la fonction : personne au monde ne met mieux que lui en application le précepte du Christ "Tu aimeras ton prochain comme toi-même".  "Quand on sait combien je m'aime, on peut imaginer combien j'aime les autres", a-t-il déclaré. Il se voit donc déjà à la fois président des Etats-Unis, pape et chef d'Etat du Vatican. Il compte régner sous le nom de Maquereau Ier.

Post-scriptum du lendemain :
la date de publication de ce billet a toute son importance. Il s'agissait d'un poisson, en l'occurrence ici d'un maquereau, d'avril. Il est vrai qu'il est difficile de plaisanter à propos de Trump tant l'invraisemblable est toujours possible avec lui.
A ce propos, sait-il ce qu'est plaisanter ? Et n'est-ce pas une caractéristique des autocrates que d'être imperméable à l'humour ? Quelqu'un a-t-il déjà vu rire Poutine ?