mardi 29 novembre 2016

Brexin

Quasiment tous les candidats à toutes les élections nous promettent de diminuer le chômage, de prendre des mesures qui vont relancer l'emploi.
Mais plusieurs études affirment que l'informatisation et la robotisation vont, au contraire, diminuer l'emploi de manière considérable. De plus en plus de tâches seront assurées par des robots.
Est-ce si grave? Dans "I Daniel Blake", le dernier film de Ken Loach, on voit combien, en Grande-Bretagne, la privatisation de services liés à l'emploi et à la santé a transformé ceux-ci en machines à exclure. Les "personnes décisionnaires" agissent sans la moindre empathie, elles semblent n'avoir pour seul rôle que de cocher des cases et de sanctionner. Quelle différence entre eux et des machines? Au moins, on n'est pas déçu d'un robot, on ne peut attendre d'attitude humaine de sa part.
S'il devait être élu, François Thatcher Fillon et son programme ultralibéral risquent de faire entrer la France dans un tel modèle. Finalement, on risque d'assister à un mouvement inversé: la Grande-Bretagne va quitter l'Europe tandis que la France va adopter le système socio-économique britannique.

dimanche 27 novembre 2016

Consommez!

Décidément, le progrès est inarrêtable. Il s'introduit partout, se glisse sous nos portes, entre dans nos salles de bain, dans nos chambres à coucher, nos garde-manger.
Désormais, quand un produit que nous consommons vient à nous manquer, il nous suffira de pousser sur un bouton et hop! nous en recevrons rapidement un nouveau par la poste et le coût en sera automatiquement débité de notre compte bancaire (1). Et ça, c'est vraiment chouette! Plus besoin de sortir faire ses courses, plus besoin de se poser la question de la marque que l'on souhaite, plus jamais de manque. Les plus grandes marques industrielles, les plus beaux fleurons de la mondialisation auront leur rond de serviette à notre table. La société de l'éternelle satisfaction et de l'abondance s'ouvre à nous.
Bientôt plus de café? Pas grave! Il suffit de pousser sur la pastille qu'on a collée sur la porte de l'armoire de la cuisine. Bientôt plus de poudre à lessiver? Pas grave! Il suffit de pousser sur la pastille qu'on a collée sur le lave-linge. Bientôt plus de dentifrice? Pas grave! Il suffit de pousser sur la pastille qu'on a collée sur le miroir de la salle de bain. 
C'est la si sympathique multinationale Amazon qui est à l'origine de cette innovation qui nous permettra de ne jamais manquer de produits Kraft, Gilette, Tide, Lipton, Nivea et de tant d'autres entreprises tellement mondialisées qu'elles s'installent maintenant de manière permanente dans nos salons. Ce qui est rassurant, c'est que nous ne manquerons jamais de Kleenex pour pleurer sur la bêtise humaine et le capitalisme hautainement triomphant.
On n'arrête pas le progrès. mais lui risque bien de nous arrêter. Il y a un mur au bout de cette course folle à la surproduction et à la consommation. Et nous courons tous nous y fracasser. Comme l'écrit Paul Jorion (2), "Le dernier qui s'en va éteint la lumière"? Mais qu'il ne se trompe pas, qu'il ne pousse pas sur la pastille.

(1) https://mrmondialisation.org/lhyper-consumerisme-au-bout-de-ton-doigt/?utm_source=actus_lilo
(2) Fayard, 2016.

vendredi 25 novembre 2016

Bande de casseurs

Qui pourra enrayer cette contre-révolution conservatrice et nationaliste qui se répand tel un virus? Quels arguments peuvent être invoqués (et entendus) pour entraver cette progression de ce qui apparaît comme une marche arrière à vitesse grand V?
En Pologne, en Hongrie, en Grande-Bretagne, en Turquie, en Moldavie, en France, aux Etats-Unis, en Russie, le rouleau compresseur écrase les droits politiques et sociaux.
Pour gagner des élections, se présenter comme le candidat anti-système semble très à la mode. Sans réussir à tous. Nicolas Bling Bling Sarkozy a dû comprendre que, après avoir été président de la République, ministre, parlementaire et maire, après avoir affiché tous les signes matériels de la réussite, on ne peut plus faire semblant de ne pas avoir été un membre actif et choyé de ce fameux (et indéfini) système.
Dingo Trump, lui, a réussi. Même en étant milliardaire, même en possédant un véritable empire économique et  financier, même en organisant son propre système pour échapper au fisc, même en ayant poussé dans la misère des milliers (au moins) d'Américains. Il a largement perdu le vote populaire aux élections (de plus de deux millions de voix) mais a acquis une large majorité de grands électeurs, ceux-là même qui constituent un système.
Trump est l'incarnation même d'un système. Un système qui méprise, qui écrase, qui broie, au nom de l'argent. Trump le suffisant est l'incarnation même d'un capitalisme sans foi ni loi. D'une indécence sans nom. "Le lendemain des élections, écrit Laure Murat (1), les actions des deux plus grandes compagnies gérant des prisons privées (système que Hillary Clinton voulait abolir) ont bondi. Corrections Corporations of America a pris 49% et GEO Group Prison 21%. Bienvenue à Trumpland." La directrice du Centre d'Etudes européennes et russes à l'UCLA cite ces propos du philosophe et psychanalyste français Félix Guattari: "De même que les algues mutantes et monstrueuses envahissent la lagune de Venise, de même les écrans de télévison sont saturés d'une population d'images et d'énoncés dégénérés. Une autre espèce d'algues relevant, cette fois, de l'écologie sociale consiste en cette liberté de prolifération qui est laissée à des hommes comme Donald Trump qui s'empare de quartiers entiers de New York, d'Atlantic City, etc. pour les rénover, en augmentant les loyers et refouler, par la même occasion, des dizaines de milliers de familles pauvres, dont la plupart sont condamnées à devenir homeless, l'équivalent ici des poissons morts de l'écologie." Ces phrases sont extraites de son ouvrage "Les trois écologies" qui date de 1989. Il y a vingt-sept ans. Qui peut dire qu'il ne savait pas que Donald Trump est au service du système capitaliste dans toute son horreur et son inhumanité? Qui n'imagine pas qu'avec la liberté qui lui est donnée via son statut de président son système va proliférer dans l'ensemble des Etats-Unis et bien au-delà avec les pires conséquences qu'on puisse imaginer?

En France, les deux ténors de la droite, qui s'affronteront dans les urnes dimanche, veulent changer le système. Pour éviter les questions qui le dérangent, François Fillon fustige le système des journalistes. Il en parle comme de l'Inquisition. L'homme qui s'est forgé une image caricaturale du candidat de droite considère que les analyses des journalistes à son égard sont de la caricature. Il en a assez d'assister "à un déchaînement ridicule du petit microcosme parisien qui croit tout savoir". Parce que lui, contrairement aux journalistes, connaît le peuple.
Je connais bien les Français, dit-il. j'ai entendu leur détresse. C'est pourquoi il propose de supprimer l'impôt sur la fortune et 500 000 emplois de fonctionnaires (2), d'augmenter la durée hebdomadaire du temps de travail et la TVA, de reculer l'âge de la retraite, de réserver les remboursements de sécurité sociale aux maladies graves. La France alors ira mieux. François Fillon a le talent d'un médecin dans une comédie de Molière qui recommande une longue purge pour améliorer l'état du malade. Dans quels secteurs entend-il supprimer 500 000 emplois? Dans l'enseignement, dans la police, chez les pompiers, dans les hôpitaux, à la Poste? Dans tous ces secteurs qui se plaignent déjà de manque de moyens et de personnel?
Dans quel système vit donc François Fillon? Quelle caricature se fait-il des attentes des Français? De quel système a-t-il entendu la détresse?
"Parce qu'il n'y a pas de système au singulier, personne ne peut s'arroger le qualificatif d'antisystème, écrit Guillaume Erner dans Charlie Hebdo (3). Le propre d'une société démocratique, c'est d'abriter en son sein différentes forces, sans que l'on parvienne jamais à situer le pouvoir en un lieu unique. Qui gouverne? Le peuple, les électeurs, la finance, etc. Ces différents groupe sont en concurrence pour le pouvoir, ils l'exercent en jetant leurs forces respectives dans la bataille. (...) Ce qui compte, c'est de démasquer la supercherie des antisystème. (...) Et la ruse de ces antisystème, au bout du compte, c'est de faire croire que le système existe, pour mieux le renforcer."
Finalement, l'objectif des anti-système semble bien être de casser. Casser les acquis sociaux, casser les avancées positives, casser les solidarités.

(1) http://www.marianne.net/caricature-inquisition-bouclier-anti-questions-qui-fachent-fillon-100248111.html
(2) Entendus dans un journal de France Inter ce jour, ces "Jeunes avec François Fillon" qui hurlent de joie en l'entendant dans le débat d'hier répéter qu'il veut supprimer 500 000 emplois de fonctionnaires... C'est donc réjouissant? De quel type de société rêvent ces jeunes? D'une société sans écoles publiques, sans hôpitaux publics, sans justice, sans police, sans cantonniers, sans administration? Une société privatisée où tout se paie? Quel âge ont ces jeunes? Quele idée se font-ils des rapports entre citoyens?
(3) "Contre le système, tout contre", Charlie Hebdo, 23 novembre 2016.

mardi 22 novembre 2016

Alep et nous

Alep est en train de mourir et ses habitants piégés se font massacrer par les frappes du gouvernement syrien et de la Russie. Les écoles, les hôpitaux, les centres de distribution de nourriture sont particulièrement visés. Les enfants meurent sous les obus, les armes à sous-munitions et les armes chimiques. Les crimes de guerre se succèdent.
Qu'en pensent les catholiques français qui soutiennent François Fillon? Lui est proche de Vladimir Poutine et favorable à un rapprochement avec la Russie. L'Europe et les Etats-Unis ont laissé passer des occasions d'intervenir pour tenter d'aider les rebelles syriens démocrates et peut-être inverser le rapport de force. Mais la situation est ce qu'elle est aujourd'hui. L'horreur. Certains la comparent à Guernica. Comment Fillon peut-il encore honnêtement croire que c'est de Poutine que viendra la solution? Les soutiens chrétiens (et autres) à Fillon sont-ils uniquement préoccupés par l'interdiction de la GPA et de l'adoption par les homosexuels, par la suppression de l'ISF et de cinq cent mille postes de fonctionnaires? Ils ont l'occasion de mettre leur champion face à ses responsabilités pour qu'il fasse pression sur son ami Poutine. A moins que la notion de prochain leur soit étrangère.

lundi 21 novembre 2016

Le lundi au soleil

Il y a des matins où on se lève l'esprit sombre, à l'annonce d'un Brexit ou de la victoire d'un Dingo Trump. Et puis, plus rarement, d'autres matins, où on se lève plus léger, avec le sourire.
Comme ce matin, suite à la lourde défaite, dans l'élection primaire de la droite française, de Nicolas l'indispensable. Sarkozy abandonne la politique. Il l'avait déjà annoncé il y a quatre ans et demi, suite à son échec face à François Hollande. Mais le virus fut plus fort. Sarko s'aimait trop pour ne pas revenir. Un des arts de la politique est de savoir se retirer à temps.  Et d'éviter de croire les sondeurs. L'électeur est une anguille qui vous glisse entre les estimations. A trop singer l'extrême droite, à tenir des propos qui sont l'exact contraire de ce qu'il a dit précédemment, à tenter de se faire passer - sans rire - pour le défenseur des milieux populaires face au système et aux élites, Sarko la girouette ne pouvait que dérouter (dans tous les sens du terme) les électeurs de droite. Si on y ajoute la batterie de casseroles qu'il traîne derrière lui, on comprend qu'il lui était difficile de gagner la course.
C'est le janséniste Fillon qui l'emporte largement, un vrai homme de droite, ultralibéral, conservateur, admirateur de Margaret Thatcher, favorable à un rapprochement stratégique avec la Russie. Il a bénéficié d'un soutien appuyé du mouvement "Sens commun", proche de la pseudo "Manif pour tous", il est favorable "à un vrai statut pour la femme au foyer" et a l'intention de supprimer cinq cent mille postes de fonctionnaires. Lui président, la France en bavera, mais tranquillement, sans éclat.
La situation aura le mérite d'être clair: un vrai candidat de droite, plutôt qu'un homme qui fait les yeux doux à l'extrême droite. Qu'en pense les électeurs du centre associés à la droite?
Dans sa déclaration, Nathalie Kosciusko-Morizet a affirmé que le grand perdant de cette primaire, c'est François Hollande. Pas elle, arrivée quatrième avec 2,6% des voix? Pas Sarkozy? Pas Poisson, pas Le Maire, pas Copé? Non, c'est François Hollande. 
La gauche, elle, partira à la bataille en ordre dispersé, sans vraiment y croire. La mobilisation de la droite, hier, devrait l'inciter à serrer les rangs. Mais les erreurs, les pertes de repère, les désillusions, les rancœurs, les querelles d'ego sont trop fortes. La fille à papa, elle, attend son heure. Tranquillement.
Ce matin, il y avait un joli soleil automnal. A présent, les nuages sont gris et la pluie est drue.

Post-scriptum: les réactions de la presse étrangère:
http://www.courrierinternational.com/article/vu-dailleurs-defaite-de-sarkozy-clap-de-fin-pour-le-berlusconi-francais

vendredi 18 novembre 2016

Une famille en or

Papy Le Pen n'est plus membre du F.N., parti qu'il a co-fondé, il n'en est plus que le président d'honneur. Ainsi en a décidé la Justice (1). Sa fille Marine qui a hérité du parti de son père ne supportait plus les propos, excessifs à son goût, de son cher papa. Ils ne sont plus en accord avec l'image lisse et apaisée qu'elle veut donner de son si gentil parti. Elle adore Donald Trump et sa capacité à injurier toute personne qui n'est pas comme lui, mais elle a pris ses distances avec papa qui passe son temps à insulter les autres. Bref, elle a chassé le père et en a trouvé un autre. Mais son papa rejeté ne l'entendait pas de cette oreille et a déposé plainte (c'est fou ce que les gens d'extrême droite adorent déposer plainte auprès d'une Justice qu'ils ne cessent, par ailleurs, de vilipender). La Justice a été rendue par Salomon qui a coupé la poire en deux. Le non-membre mais président d'honneur devra être invité aux réunions du comité central du parti. Il va y avoir de l'ambiance dans ces réunions de famille.
Se réunira-t-il au QG de "Marine", celle qui essaie de faire oublier son nom? La "candidate du peuple" a installé son bureau "de campagne" dans les beaux quartiers de Paris. Il lui coûtera mensuellement cinq mille euros. Un loyer modeste pour celle qui veut défendre les gens modestes. Une question de cohérence.
La reine de la manipulation se sent pousser des ailes, plus encore depuis la victoire de Dingo Trump pour qui elle a tant d'admiration. A quoi ressemble une walkyrie avec des ailes? A un ptérodactyle?
Un spécialiste en communication lui a trouvé son logo de campagne: une rose bleue. Etrange choix. Comme le dit un éditoraliste de la Nouvelle République (2), elle a un côté superficiel, on la dirait génétiquement modifiée. On n'oserait la respirer, de crainte de se rendre malade. Bref, on ne la sent pas naturelle. Donc, à la réflexion, sans doute lui convient-elle parfaitement.

(1) http://www.huffingtonpost.fr/2016/11/17/la-justice-valide-lexclusion-de-jean-marie-le-pen-du-front-nati/?utm_hp_ref=fr-homepage
(2) 17 novembre 2016.

lundi 14 novembre 2016

Sinistre parangon

Ici et là en Europe, et ailleurs sans doute, des hommes et des femmes politiques se réjouissent de la victoire de Trump l'abject. Si ça lui arrive à lui, se disent par exemple Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy, alors pourquoi pas à moi? Si un homme vulgaire, inculte, sexiste, raciste, sociopathe, pro-armes et pro-peine de mort, anti-immigrés et anti-avortement, qui contourne le fisc en affichant sa suffisance, son  mépris  et sa grossièreté peut être élu président des Etats-Unis, si on peut tout dire sans retenue, si on peut faire les promesses les plus stupides, les plus agressives et les plus intenables, alors eux pensent avoir toutes leurs chances. Les voilà donc fiers de pouvoir se comparer à un homme dont ont honte la moitié des Américains et rejeté et redouté par la moitié de la planète (au moins). On a les modèles qu'on peut.
On voit par là que l'être humain reste difficile à suivre.

Ecoutez, à ce propos, le billet de Sophia Aram, sur France Inter ce matin:
https://www.franceinter.fr/emissions/le-billet-de-sophia-aram/le-billet-de-sophia-aram-14-novembre-2016

dimanche 13 novembre 2016

Une voix lumineuse

C'est un esprit brillant qui s'est éteint hier. Un de ceux qui participent à plus d'intelligence, à plus de tolérance, à plus de fraternité. Là où les fous de Dieu et leurs dérives violentes font les beaux jours des Trump, des Le Pen ou des Wilders, des penseurs comme Malek Chebel apportent de la lumière. Il est d'alleurs décrit comme "un adepte d'un islam des Lumières".

Anthropologue des religions, philosophe, psychanalyste, traducteur du Coran, auteur notamment de "Le Coran pour les nuls", "L'islam et la raison", "L'érotisme arabe" ou encore "L'islam en 100 questions", il rappelait à propos des caricatures de Mahomet que, contrairement à ce qu'affirment en vitupérant - ou, bien pire, ne tuant - certains radicaux, "pas une ligne, dans le Coran n'interdit de représenter le Prophète" (1).
C'est lui aussi qui, dans le numéro de Charlie Hebdo qui marqua le redémarrage de l'équpe après le massacre d'une part importante des siens (2), déclarait que "l'islam ne progressera pas tant qu'il n'aura pas fait sa place à l'individu à part entière, c'est-à-dire l'individu qui outrage, l'individu qui est outragé, l'individu qui blasphème, l'individu qui veut être agnostique, ou athée... Le jour où il reconnaîtra l'individu à part entière, créatif, inventif, désobéissant, l'islam aura fait un grand progrès dans la modernité. Ce qui l'en empêche, ce sont les religieux qui ont décidé de l'orientation doctrinale, philosophique, morale, spirituelle, de l'ensemble de la planète musulmane: ils ont peur de l'individu, car il représente un contre-pouvoir, qui pourrait entraîner la dissolution de leur pouvoir obscur." 
Déjà, réagissant à l'incendie perpétré contre les locaux de Charlie Hebdo début novembre 2011, le philosophe y avait vu "un acte de guerre, une sorte de terrorisme". Avec ce genre d'action, disait-il, "on s'empêche de penser. Même de vivre" (3).

Malek Chebel plaidait donc pour un Islam des Lumières et des plaisirs: "Je milite pour une utopie, c'est vrai, pour un Islam de demain qui n'est pas encore vraiment là. Je parle d'un Islam des Lumières et non plus d'un Islam arrêté au VIIe siècle ou d'un Islam qui ne bouge plus et qui exige que tout le reste du monde s'adapte à lui", disait-il (4). "90% des musulmans aspirent à un Islam ouvert et seuls 1% amènent le feu, mais ce sont eux qui font la une des JT", ajoutait-t-il. "Les musulmans doivent accepter de vivre en Europe selon un contrat social différent. La gouvernance humaine appartient aux hommes. Et l'Islam doit rester du domaine de la foi sans piétiner sur cette gouvernance." (...) "Il faut stigmatiser ceux qui justifient la burqa ou la polygamie au nom de l'Islam. Je suis un militant des droits de l'homme, en particulier dans l'Islam. (...) Nous devons élargir nos champs de représentation mutuels. Dire aux Occidentaux de ne pas enterrer trop vite l'Islam sous prétexte qu'il a de mauvais côtés. Et dire aux musulmans que l'aspiration à la beauté et à la sexualité est un combat aussi politique qu'esthétique."

Malek Chebel est mort à la veille de la commémoration des ignobles attentats de Paris. Sa voix va nous manquer. Elle était porteuse de lumière dans l'obscurantisme qui gagne le monde.

(1) "Paris est une cible", Arte, 5 janvier 2016.
(2) Charlie Hebdo, 25 février 2015.
(3) France Inter, journal, 2 novembre 2011.
(4) LLB, 12 novembre 2010.

(Re)lire sur ce blog
- "Aujourd'hui comme hier et comme demain", 7 janvier 2016.
- "Charlie le retour", 25 février 2015.
- "Renvoi de censeurs", 2 novembre 2011.
- "Mauvaise foi", 15 novembre 2010.

samedi 12 novembre 2016

L'année du paon

Comment un personnage aussi repoussant que Trump peut-il séduire? Quel crédit, quelle légitimité peut avoir un président qui a passé sa campagne électorale à injurier la moitié de ses concitoyens? Trois jours après, ces questions restent entières et les réponses multiples. On l'a dit, il est trop simple d'opposer élites et milieux populaires. Comme le disait encore Bernard Guetta hier matin (1), "il n'y a pas que des laissés-pour-compte qui aient voté pour lui, mais également beaucoup de gens riches ou très riches, immensément séduits par sa volonté de réduire leurs impôts". Le vote Trump est ici comparable au vote Le Pen (2): le sud-est de la France contaminé par le virus FN est aussi peuplé de braves bourgeois, voire de personnes aux très hauts revenus, qui plébiscitent l'extrême droite pour sa volonté d'ériger des murs et de rejeter l'étranger. C'est le vote de l'égoïsme sous toutes ses formes.
Et le sort des couches populaires est bien le cadet des soucis du milliardaire. "Ce n'est pas se soucier des plus démunis que de leur vendre de faux espoirs, de fausses solutions et de fausses explications de leur appauvrissement, par ailleurs bien réel. Quand Donald Trump met tous les malheurs du monde sur le libre-échangisme, il oublie bien trop vite qu'ils tiennent avant tout au recul de l'Etat et à la dérèglementation qu'il ne veut pas combattre mais encore accentuer et qu'un retour au protectionnisme n'arrangerait rien, mais aggraverait tout", dit Bernard Guetta.

Les électeurs trumpés affirment rejeter en un seul bloc toute la classe politique qui serait corrompue et coupée des réalités de monsieur et madame tout le monde. Ce qui est insultant et méprisant pour  les élus qui, parfois en ne comptant pas leur temps, s'efforcent de mener une politique cohérente en répondant aux problèmes de terrain. Et, de toute façon, pourquoi alors faire confiance à un personnage aussi répugnant, vulgaire, agressif, menteur, arrogant, sexiste, raciste, accusé à de multiples reprises d'agressions sexuelles, sans programme sérieux et crédible et sans aucune expérience politique? Pourquoi ne pas avoir choisi alors la candidate écologiste ou le candidat libertarien?
Trump peut être comparé à Berlusconi. La réussite financière de ces hommes fascine et beaucoup de naïfs aux analyses simplistes se disent convaincus que ce qu'ils ont réussi dans les affaires ils doivent pouvoir le réussir pour le bien de leur pays. Même si un Berlusconi a profité de son statut de président du Conseil pour faire plus d'affaires encore et a laissé l'Italie dans un état lamentable. Même si Trump sait comment éviter le fisc. "Ce milliardaire héritier d'une immense fortune et tellement habile à se soustraire au fisc n'est ni l'incarnation de la vertu ni celle des couches populaires", estime encore Bernard Guetta.

Son agressivité est en phase avec les propos violents, orduriers et mensongers qui s'expriment aujourd'hui par torrents sur Internet. Facebook s'est d'ailleurs vu reprocher d'être devenu une énorme caisse de résonance de mensonges et de fausses informations (3).
Trump a lui-même basé sa campagne, d'une agressivité inouïe, sur les mensonges, les menaces, les promesses les plus folles, les plus absurdes et - on l'espère - pour une bonne part intenables. Mais l'essentiel n'était-il pas de se faire élire, quitte à cocufier aussitôt après ses électeurs (4)? Il affirme qu'il ne lui faudra qu'un mois pour vaincre Daech. Son arrogance et sa suffisance sont sans limites. Il annonce un investissement de mille milliards de dollars dans les travaux publics, mais aussi une sensible baisse des impôts des entreprises et des citoyens. L'Etat va donc augmenter ses dépenses tout en diminuant ses recettes. Quel homme d'affaires sérieux gèrerait de la sorte son entreprise?
Difficile de savoir ce que sera la présidence de Trump tant l'homme a multiplié les déclarations idiotes et les promesses impossibles à tenir. Tant il change d'avis rapidement. Voilà qu'il annonce qu'il n'abrogera pas l'Obamacare, pourtant une des plus fermes promesses de sa campagne. Il allait le faire dès le premier jour de sa présidence. Il se contentera de l'améliorer, vient-il de déclarer. C'est que, lors de leur brève entrevue, Barak Obama lui en a expliqué tout l'intérêt. Dommage que le candidat Trump ne se soit pas un minimum informé avant de faire des promesses qui prennent ses électeurs pour des demeurés. Peter Wehner, ancien collaborateur de Ronald Reagan et des Bush, père et fils, dénonçait en janvier (5) "(l')ignorance (de Trump) sur des questions élémentaires d'intérêt national", son absence de "désir de s'informer sur la plupart de ces sujets, et encore moins de les maîtriser. Aucun autre candidat à la présidence n'a été aussi dédaigneux de la connaissance, indifférent aux faits, insensible à sa propre ignorance." L'homme, disait-il, est fantasque, incohérent et sans scrupule. Il a un côté vulgaire et cruel." Peter Wehner dénonçait son narcissisme, son "mélange détonant d'ignorance, d'instabilité émotionnelle, de démagogie, d'égocentrisme et d'esprit rancunier".

Cet opportuniste sans foi ni loi sera un danger pour son pays comme pour le monde, surtout avec une Cour suprême demain dominée par une majorité d'ultra conservateurs et un vice-président qui a tout d'un fanatique religieux (6). Trump ne croit pas plus aux méfaits du tabac qu'au réchauffement climatique. Entouré de climato-sceptiques et de créationnistes (dont certains pourraient occuper des postes importants dans son gouvernement), il se présente comme sceptique par rapport à la science. Surtout si des théories scientifiques s'avèrent gênantes pour faire des affaires. Il se pose en défenseur des producteurs de charbon et de toutes les énergies carbonées, s'oppose à l'avortement, défend la peine de mort. Il va jeter de l'huile sur le feu en Israël s'il déménage, comme il l'a promis, l'ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. Et les Syriens, les Ukrainiens et bien d'autres peuples peuvent craindre le pire selon les positions les plus inattendues et incohérentes que pourra prendre ce président qui ne connaît pas la différence entre un cessez-le-feu et un traité de paix. 

Certains analystes font remarquer que quasiment toute la presse américaine a soutenu Hillary Clinton. Et que ce soutien de l'establishment a finalement profité à Trump. C'est oublier un peu vite le soutien de Fox News à Trump et qu'il y a six mois encore une bonne partie des médias américains, les télévisions surtout, se faisait plaisir et surtout de l'audience en invitant ce candidat outrancier aux déclarations provocatrices. Certains journalistes ont d'ailleurs reconnu n'avoir pas fait leur travail en le laissant se pavaner et en négligeant de le contredire ou de confronter ses déclarations à l'emporte-pièce aux chiffres et aux réalités.
Un journaliste a vu clair avant les autres: Michaël Moore annonçait dès la fin juillet la victoire de Trump: "des millions de personnes, écrivait-il alors, seront tentés de devenir marionnettistes et de choisir Trump dans le seul but de brouiller les cartes et voir ce qui arrivera." (7)
Ce qui arrivera? Peut-être le pire pour nombre d'électeurs de Trump. Et pour tous les autres, à l'exception sans doute des plus fortunés.

Résumons-nous: la démocratie ne mène pas toujours à la démocratie.

Les manifestations, les mots de haine, les agressions sous couvert de défense, les menaces de ceux qui se prétendent menacés, le couteau affirmant qu'on cherche à le poignarder, le poing accusant le menton de l'avoir attaqué, tout cela devint familier, la grande hypocrisie malveillante de l'époque. Même le précheur sorti de nulle part n'étonnait plus personne. De tels saints hommes bien peu saints surgissent tout le temps, issus d'une sorte de parthénogénèse pathologique, un bizarre tour de passe-passe qui transforme des nullités en sommités.
Salman Rushdie, "Deux ans, huit mois et vingt-huit jours",
trad.: Gérard Meudal, Actes Sud, 2016.

(1) https://www.franceinter.fr/emissions/geopolitique/geopolitique-11-novembre-2016
(2) (re)lire sur ce blog "Frère et sœur", 6 juillet 2016.
(3) http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/11/11/accuse-d-avoir-influence-l-election-americaine-facebook-se-defend_5029769_4408996.html
(4) http://www.lalibre.be/debats/chronique-redaction/les-electeurs-de-trump-cocus-des-le-premier-soir-58244e2fcd70fb896a67cda1
(5) "Pourquoi je ne voterai jamais pour lui", New York Times, 14 janvier 2016.
(6) http://www.marianne.net/sexiste-homophobe-si-vice-president-mike-pence-etait-pire-que-trump-100247723.html
(7) http://www.huffingtonpost.fr/michael-moore/cinq-raisons-pour-lesquelles-trump-va-gagner/

jeudi 10 novembre 2016

Elite, toi-même!

Au lendemain de l'élection de Dingo Trump, les analyses se bousculent pout tenter de comprendre l'incompréhensible. Et elles restent, pour la plupart, simplistes, dichotomiques. Comme au lendemain du Brexit. Comme après chaque poussée du FN en France. Le mot le plus répandu dans la presse d'aujourd"hui, c'est "élite". On nous explique que l'élection de Trump le vulgaire est l'expression d'un rejet des élites par les classes populaires. Sans que personne ne définisse ces fameuses élites. On comprend qu'il s'agit de la classe politique, des milieux économiques, des médias. Peut-être ausi des intellectuels. Toutes ces catégories vivraient entre elles, en vase clos, sans problème d'argent et surtout sans aucun contact avec la population. Comme si cette population était homogène. Comme si tout journaliste, tout responsable politique, tout entrepreneur vivait dans les quartiers chics des grandes villes avec des salaires mensuels dépassant les 5000 €. Comme s'ils étaient déconnectés de toute réalité autre que la leur. C'est oublier (ou vouloir ignorer) qu'il y a des situations extrêmement diverses et que Donald Trump, puissant homme d'affaires milliardaire, vit dans un luxe bien plus important que celui dans lequel baigneraient une majeure partie des élites auxquelles il serait soi disant opposé. Et Marine Le Pen n'appartiendrait pas à l'élite, elle, la fille à papa, qui gagne beaucoup d'argent grâce à son statut de députée européenne et dont le micro-parti Jeanne est poursuivi par la Justice pour enrichissement frauduleux (1)?
Il y a, nous disent ces brillants analystes, deux Amérique, il y a deux Grande-Bretagne, il y a deux France. Mais comment savoir alors de quel côté on est rangé? Fait-on partie de l'élite dès qu'on a fait des études supérieures? Même si on a des revenus modestes? Même si on vit à la campagne ou en banlieue? Et l'artisan qui gagne bien sa vie grâce à ses compétences et son travail fait-il automatiquement partie des classes populaires délaissées? Tout artiste fait-il, par définition, partie de l'élite? Où classer (car il s'agit bien de cela pour trop d'analystes: classer pour comprendre) tous ceux que leurs réflexions et leurs valeurs ont amené à vivre de manière la plus économe possible? Où classer ceux qui font tout pour empêcher des étrangers de s'installer chez eux et se plaignent d'être esseulés? Il existe quantité d'associations, d'organismes, de groupes qui créent quotidennement du lien entre des habitants d'origines diverses qui se rencontrent, échangent, montent des projets ensemble. Il n'y a pas de catégories étanches, même s'il est confortable d'y classer les gens. Il y a une multitude de situations et il n'y a pas uniquement des victimes d'un côté et de l'autre des politiques cyniques qui les méprisent. Bien sûr il y en a, mais les pires de ces derniers s'appellent sans doute Trump ou Le Pen.
On ne combattra pas le populisme à coups d'analyses simplistes.

Post-scriptum: les analystes se trompent... Encore une fois, les faits sont complexes. Et il faut s'embarrasser de nuances. Désolé!
http://www.lalibre.be/actu/usa-2016/non-ce-ne-sont-pas-les-pauvres-qui-ont-vote-pour-donald-trump-infographie-58242c67cd70fb896a67b5da
http://www.liberation.fr/desintox/2016/11/10/comment-le-fn-recupere-et-truque-le-vote-trump_1527575
http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/11/14/eloge-des-elites_5030578_3232.html

(1) (re)lire sur ce blog "Au-dessus des lois", 14 octobre 2015.


mercredi 9 novembre 2016

Trumpettes de la renommée, vous êtes bien mal embouchées

"Etre Américain, c'est avoir été réprouvé et étranger, c'est avoir parcouru les chemins de l'exil et c'est savoir que celui qui rejette l'éprouvé, l'étranger, l'exilé, renie aussi l'Amérique." (Robert Kennedy)
Aujourd'hui, l'Amérique est moins américaine que jamais.
Demain, la France sera-t-elle encore le pays des droits de l'homme?
Un peu partout progressent des partis et des candidats dont le programme se résume au rejet, au recul et à la fermeture, et qui sans la moindre idée novatrice et positive parviennent à séduire une majorité d'électeurs.
L'éducation, notamment permanente, et la culture doivent (ré)investir d'urgence le champ de la démocratie. Les partis et les hommes et femmes politiques, tout autant que les médias, doivent se remettre en question. Et les citoyens en mouvement. 
Dans quatorze ans, les années trente. Ne laissons pas l'Histoire bégayer.

A lire, sur le site de la Libre, l'édito de Philippe Paquet, "Une victoire du populisme inimaginable et honteuse":
http://www.lalibre.be/debats/edito/edito-une-victoire-du-populisme-inimaginable-et-honteuse-5822d407cd70958a9d5eecd6

mardi 8 novembre 2016

La démocratie et les crétins

Quelques heures d'angoisse encore et nous saurons. Nous saurons si le monde entier doit craindre le pire. Ce qui sera le cas si Dingo Trump devient président des Etats-Unis.
Une (trop) longue campagne de haine et de folie furieuse se termine. Sur quoi débouchera-t-elle? Si le candidat républicain s'est montré un peu moins abject ces derniers jours, c'est qu'il est contrôlé de près par son équipe de campagne qui lui a interdit de gérer lui-même son compte Twitter de crainte de nouveaux dérapages. Come le dit Barak Obama, quel confiance peut-on avoir en un homme aussi incapable de se maîtriser qui pourrait avoir demain la responsabilité d'utiliser ou non l'arme atomique? (1)

La candidature de Dingo pose question par rapport à la démocratie. On entend les politologues, les économistes, les journalistes nous expliquer que les électeurs de Trump sont les oubliés du "système", que la classe moyenne américaine et plus encore le prolétariat souffrent, qu'il suffisait autrefois d'un emploi pour faire vivre une famille quand il faut aujourd'hui deux, si pas quatre. Même si ces explications peuvent justifier un ressentiment et une envie de changement, aucune ne nous permet de comprendre pourquoi ces électeurs font le choix d'un candidat qui aurait plus sa place dans un hôpital psychiatrique qu'à la Maison blanche.
Faudra-t-il à l'avenir faire passer un test pyschologique aux candidats aux élections? Peut-on les laisser mentir impunément? Les laisser insulter tous ceux qui ne sont pas et ne pensent pas comme eux? En Europe, et ailleurs, toutes ses outrances auraient disqualifié Dingo Trump qui aurait rapidement été condamné par des tribunaux, mais pas aux Etats-Unis où la liberté d'expression est sans limite.

Comment un personnage aussi repoussant peut-il attirer tant d'électeurs? "En Israël, il séduit aussi", indique un article de Ha'Aretz (Tev-Aviv) (2), où certains se disent que Trump vaut quand même mieux qu'une femme ou qu'un Noir. Sans doute la même raison vaut-elle aux Etats-Unis. Le succès de Trump, c'est - notamment - la revanche de cette Amérique blanche qui a toujours haï ce président noir qui a en outre l'outrecuidance d'être un intellectuel et un homme élégant. Plutôt une brute stupide pourvu qu'elle soit masculine et blanche. Mais Trump est aussi un "révélateur du déclin de l'école américaine", estime the Daily Beast (New York) (3) Le journal constate que plusieurs enquêtes font apparaître que les millenials (les jeunes nés avec Internet) "n'ont pas seulement été privés d'une alphabétisation culturelle cruciale à l'école, comme les générations précédentes, mais ils méprisent la curiosité intellectuelle et la culture livresque". Ce que dénonce un professeur d'anglais de l'université Emory dans un ouvrage de 2008 intitulé The Dumbest Génération (Génération de crétins): "pour les jeunes Américains, écrit Mark Bauerlein, la vie n'a jamais été aussi généreuse, les biens aussi abondants, les études aussi accessibles et les libertés aussi fécondes. Les gains matériels sont évidents. (...) Mais ce sont des avancées superficielles. Comme le montrent les résultats des enquêtes, les connaissances et les aptitudes n'ont pas progressé au même rythme et les habitudes intellectuelles qui vont avec ne sont plus ce qu'elles étaient."
Les Dingo Trump, on l'a assez (?) dit ici, se multiplient, y compris en Europe où les leaders politiques aux analyses simplistes et aux programmes dangereux s'installent au pouvoir ou grimpent dans les sondages. La grande question reste celle de l'intelligence, de la capacité à être critique, à prendre de la distance, à utiliser des outils d'analyse. A l'heure d'Internet, les théories du complot et les jugements expéditifs ont bien plus de succès que les analyses nuancées et le bilans complexes. La presse - une certaine presse -  n'est pas en reste, qui déclare péremptoirement que les Américains n'ont que le choix entre la peste et le choléra. On peut reprocher bien des choses à Hillary Clinton, notamment ses liens avec le grand capital, mais elle ne représente pas un danger pour les Etats-Unis et l'ensemble de la planète. Trump si. Et comme l'écrivait hier Paul Krugman dans le New York Times (4), elle est parvenue à tenir le cap malgré les interventions agressives de Wikileaks (qui apparaît de plus en plus comme un outil perverti, voire pervers), du FBI, de Fox News et d'autre médias. Si elle l'emporte, ce sera grâce aux électeurs qui ne se sont pas laissés gagner par la haine mais qui ont gardé le sens des valeurs. Et qui savent combien une démocratie, fût-elle la plus grande du monde, peut être fragile.

(1) http://www.lalibre.be/actu/usa-2016/donald-trump-interdit-de-compte-twitter-par-ses-collaborateurs-5820334acd70fb896a663d3f
(2) 9 octobre, in le Courrier international, 27 octobre 2016.
(3) 25 septembre, in le Courrier international, 27 octobre 2016.
(4) http://www.nytimes.com/2016/11/07/opinion/how-to-rig-an-election.html?emc=eta1&_r=0

vendredi 4 novembre 2016

Dans le mur

Les Américains sont prêts à se choisir comme président le plus dingue d'entre eux. Mais aussi le moins Américain. "Etre Américain, disait Robert Kennedy, c'est avoir été réprouvé et étranger, c'est avoir parcouru les chemins de l'exil et c'est savoir que celui qui rejette l'éprouvé, l'étranger, l'exilé, renie aussi l'Amérique." (1) Trump fera la guerre à tous, à la moitié des nations (au moins), aux femmes, aux latinos, aux musulmans, aux homos, aux gens de gauche, à tous ceux qui pensent. Les Russes, les Turcs, les Hongrois, les Philippins, les Israéliens et tant d'autres à travers la planète se sont déjà choisi des dirigeants qui ne resteront pas dans l'Histoire comme des colombes, mais comme des nationalistes bornés et brutaux. 
A l'heure où s'ouvre à Marrakech la COP22, il faut bien constater que la lutte contre le réchauffement climatique est le cadet des soucis des (ir)responsables politiques. Qui ne font que refléter le sentiment de ceux qui les ont élus. En France, ils sont nombreux à s'obstiner à vouloir créer dans la région nantaise un nouvel aéroport, dit Notre-D(r)ame-des-Landes. A Londres, certains réclament à cor et à cri l'agrandissement de l'aéroport d'Heathrow. "Tout le pays en a besoin", peut-on lire dans The Independent (2) Besoin de quoi? De plus de gaz à effet de serre? De perte de biodiversité? De fuite en avant? De folie collective? Le dernier rapport du WWF (3) indique un déclin de 58% des espèces vertébrées de 1970 à 2012. Il pourrait atteindre les 67% en 2020. En France, la consommation de pesticides ne cesse d'augmenter. Un peu partout dans les pays encore appelés développés, le béton ne cesse de s'étendre, les villes s'installent à la campagne. Le CETA et globalement le sacro-saint marché font semblant de penser que le monde se portera mieux si les productions agro-industrielles, céréales, viande, lait, le traversent dans tous les sens.
L'immense majorité des économistes, des journalistes, des citoyens continue à fonctionner avec des références des années '60. Business as usual. Surtout ne rien changer. Continuer à penser que la croissance est seule voie. Même si elle est sans issue autre qu'un précipice.
La lutte contre l'islamo-fascisme est, de l'avis (quasi) unanime, une priorité mondiale. Mais les Etats-Unis et l'Europe continuent à protéger l'Arabie saoudite, un de leurs meilleurs clients notamment pour les ventes d'armes. Qui représentent de l'argent et surtout des emplois. L'éthique pèse peu face à de tels arguments.
Les candidats aux élections, un peu partout, continent à nous emmener à grande vitesse dans un cul-de-sac. Ils ont bien compris que proposer un changement de cap radical, pourtant absolument indispensable, n'est pas rentable électoralement. Il faut continuer à vendre du rêve. Et nous, électeurs, ne demandons que cela, rêver. Alors, non seulement nous ne changeons rien à nos habitudes, mais, en plus, nous choisissons ceux qui n'ont aucune vision d'avenir, ceux qui font semblant de croire que tout ira mieux demain. Nous nous adressons à eux en sachant qu'ils sont les Docteur Coué de la politique, alors que nous devrions faire confiance à un oncologue. Mais ils nous affirment qu'en fermant les frontières, en bâtissant des murs, en nous regardant dans le rétroviseur, en produisant et en consommant plus que jamais, tout s'arrangera.
Visiblement, une bonne partie de l'humanité a décidé d'accélérer le processus, de fermer les yeux et de s'envoyer dans le mur, en ignorant les problèmes qui la menacent et en se donnant pour représentants les pires des siens.
"On ne peut laisser le monde dans un état moins bon que celui dans lequel on l'a trouvé", estime le producteur de cinéma Marin Karmitz (4). Il a raison. Mais l'état du monde ne fait qu'empirer et personne ne songe à le mettre en soins intensifs. Et de toute façon, à qui le laisserons-nous? Y aura-t-il encore des mouches après nous, à la fin de ce siècle?

(1) cité par André Glucksmann, dans "Voltaire contre-ataque", éd. Robert Laffont, 2014.
(2) 26.10.2016, in le Courrier international, 3 novembre 2016.
(3) http://www.wwf.fr/vous_informer/actualites/?10521/deux-tiers-des-populations-de-vertebres-pourraient-disparaitre-d-ici-2020
(4) France Inter, 4 novembre 2016, 8h40.