vendredi 30 mars 2018

Antisémitisme, territoires et intelligence

Elle était rescapée de la rafle du Vel' d'Hiv' en 1942. Son mari, lui, avait survécu à la Shoah. Elle avait 85 ans, était malade et handicapée. Et voilà qu'elle est assassinée chez elle par un jeune voisin pour la seule raison qu'elle était juive (1). Comme Sarah Halimi un an auparavant, Mireille Knoll a été victime d'un antisémitisme qui ne cesse de croître. Jusqu'ici dans une certaine indifférence. Comme si c'était inéluctable, comme s'il fallait, même douloureusement, s'en accommoder. Les Juifs de France représentent moins d'1% de la population mais sont victimes d'un acte raciste sur trois commis dans ce pays.
C'est une vieille, une trop vieille, une trop triste, une trop répugnante histoire, l'antisémitisme. Il a gangréné tous les milieux dans tant de nations depuis la nuit des temps. A l'époque de l'affaire Dreyfus, même un Jean Jaurès fut d'abord "hostile à ce Juif riche et protégé par l'argent", avant de reconnaître son erreur (2). 
Le revoilà donc de retour en force, les juifs étant attaqués parce qu'ils seraient tous riches et/ou responsables de la situation des Palestiniens. La bêtise mène à la violence. Et elles sont entretenues par certaines franges de l'extrême droite et par l'islamisme.
"Nous savons, écrit le politologue Jean-Yves Camus, qu'il existe une forme d'antisionisme qui démonise les juifs et attise la haine, comme il existe une montée du fondamentalisme musulman dans nombre de nos villes. (...) Il faut rappeler que la règle de droit s'impose à tous sans exception dans la France laïque. Pour le faire avec succès, il faut arrêter l'hypocrisie: ce nouvel antisémitisme est-il propre aux banlieues, aux populations issues de l'immigration, a-t-il un lien avec la culture musulmane? On ne doit plus éluder les réponses." (3)
Ne se sentant plus en sécurité, de nombreuses familles juives en arrivent à placer leurs enfants dans des écoles privées, voire à quitter la France pour Israël. "Nous en sommes arrivés à des logiques de territoires qui s'inscrivent dans l'urbanisme, le logement, les loisirs. C'est une logique qu'il faut casser et ce n'est pas une mince affaire: les enfants juifs quittent aussi le public (l'enseignement public) parce qu'il existe des secteurs où ils n'y sont plus en sécurité, sinon physique, du moins psychologique."
Et à force de ne plus se connaître, de ne plus se rencontrer, on renforce les clichés assassins.
Les antisémites qui confondent, sciemment ou non, antisémitisme et antisionisme, juifs et Israéliens, Israéliens et gouvernement Netanyahu (les mêmes qui crient "pas d'amalgame!" quand l'islamisme est rendu coupable de crimes), qui s'en prennent aux Juifs pour défendre les Palestiniens ne se rendent pas compte qu'en rendant aux Juifs la vie impossible, ils les poussent à s'exiler en Israël, où ils vont le plus souvent s'installer dans des colonies, des terres prises aux Palestiniens. A quoi reconnaît-on un imbécile? A son incapacité à imaginer les conséquences de ses actes. Les antisémites sont stupides. Le chacun chez soi ne fait qu'aggraver les tensions entre communautés.
Mais Francis Kalifat, le président du CRIF, le Conseil représentatif des institutions juives de France, entretient les mêmes confusions en s'opposant à la présence, dans la récente marche blanche contre l'antisémitisme, des représentants de la France insoumise, sous prétexte qu'ils prônent le boycott d'Israël. Que vient faire ici, dans une manifestation contre l'antisémitisme en France, Israël et sa politique, critiquable, vis-à-vis des Palestiniens? Associer tout Juif au territoire israélien, c'est participer aux mêmes raccourcis que les antisémites.
Dans le même temps, les locaux de l'Union des étudiants juifs de France à la Sorbonne ont été saccagés et leurs murs tagués de slogans haineux et antisémites. "A mort Israël", "Vive la Palestine", pouvait-on notamment y lire (4). Le fait, à nouveau, d'esprits faibles qui ne voient le monde qu'en noir et blanc: les Palestiniens sont le bien, les Israéliens le mal. Et tant pis si le Hamas, organisation islamiste au pouvoir à Gaza, est une plaie pour son propre peuple. Et tant pis s'il y a de vrais démocrates en Israël qui cherchent inlassablement une solution à ce vieux conflit. Si même à la Sorbonne, temple de l'intelligence, certains en viennent à (si peu) réfléchir de la sorte en classant les bons et les méchants, il y a lieu de s'inquiéter.
La lutte contre l'antisémitisme nous concerne tous, c'est un combat contre la bêtise et la haine, contre la territorialisation et les étiquettes, contre les analyses imbéciles. Et pour le vivre ensemble.

(1) https://www.huffingtonpost.fr/2018/03/27/meurtre-de-mireille-knoll-a-paris-deux-suspects-mis-en-examen-pour-homicide-volontaire-a-caractere-antisemite_a_23396102/?utm_hp_ref=fr-homepage
(2) Jean-Denis Bredin, L'Affaire, Julliard, 1983, cité par Mohamed Sifaoui, L'Insoumission, Plon, 2017 (p. 356).
(3) Jean-Yves Camus, "Qui casse du juif?", Charlie Hebdo, 7.2.2018.

lundi 26 mars 2018

Un homme debout

Ils expriment les deux facettes de l'être humain. L'un est un assassin, l'autre un héros. C'est la lâcheté et c'est le courage.
Et pourtant, il est des assassins qui passent pour des héros d'une idéologie totalitaire. Comment un Mohamed Merah qui exécuta de sang froid des enfants parce qu'ils avaient le malheur d'être juifs, des militaires parce qu'ils servaient l'Etat français, comment ce personnage abject peut-il fasciner des esprits faibles? Les djihadistes sont les révélateurs de la face sombre de l'humanité.
Un héros est celui qui n'hésite pas à risquer sa vie pour sauver celle des autres et non pour les tuer. Le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame sera à jamais un homme debout, associé aux notions de courage, de devoir, de compassion. Son nom restera dans les mémoires. Contrairement à ceux de ces hommes qui tuent lâchement et aveuglément. Ils ne seront que sinistres individus ensevelis dans des tombes anonymes.

Le jour se lève à peine
Et nous suivons à pied
La voiture qui t'emmène
Vers ta nouvelle maison 
Dit-on

On nous a prévenus
Que dessus
Il n'y aura pas ton nom

Et dans ce matin d'hiver
Où pleuvent les corbeaux
De personne 
Tu ne fus le héros

Babx, "Le déserteur" ("Une chanson inspirée par les trois lignes consacrées à l'enterrement de l'un des jeunes assassins du Bataclan, enterré dans une sépulture anonyme au cimetière de la Courneuve. Plein hiver. Cinq heures du matin. Sa mère ou son enfant lui parle.")
(extrait du superbe album Ascensions)

A lire à ce sujet: le communiqué du Printemps républicain:
https://www.facebook.com/PrintempsRepublicain/posts/875850889261166

jeudi 22 mars 2018

Politiquement correct et ridiculement neutre

Le ridicule finira-t-il par tuer un jour Justin Trudeau? Le premier ministre canadien est tellement soucieux de plaire à chacun.e et à tou.te.s qu'il en arrive à confondre égalité et égalitarisme. On l'a souvent vu se déguiser lors de manifestations pour bien indiquer qu'il est de tous les combats. On l'a même vu récemment revêtir, tels les Dupon.d.t s'habillant en costumes folkloriques pour (tenter de) passer inaperçus, la tenue (une tenue) traditionnelle indienne. Même les Indiens se sont moqués de sa volonté d'adaptation. 
Et voilà qu'on apprend que désormais au Canada les agent.e.s des services publics ne doivent plus s'adresser aux usager.e.s en les appelant d'emblée Madame ou Monsieur mais sont prié.e.s de leur demander d'abord comment ils.elles veulent être appelé.e.s. L'information date d'hier dans Marianne (1). On se pince, on pense qu'on s'est trompé de date, qu'on est déjà le 1er avril. Mais non: pour que le service public canadien "soit un reflet de la population diversifiée du Canada afin de s'assurer que les opinions des Canadiens soient pris en considération", les fonctionnaires fédéraux doivent désormais "demander sa préférence à l'interlocuteur (2) avant de l'appeler Madame ou Monsieur". Bref, il s'agit d'être neutre sans imposer ni genre ni sexe à son interlocut.eur.rice. Des usager.e.s ont déjà fait part de leur mécontentement face à ce qu'ils.elles considérent comme de l'impolitesse. Comment ne pas vexer son.sa vis-à-vis en semblant lui indiquer qu'on ne sait à quel genre il ou elle appartient? Et restreindre le choix entre Madame et Monsieur ne résoud en rien la question de l'appellation neutre.
Peut-être, pour éviter toute confusion, faudrait-il en arriver à ce que les fonctionnaires se taisent. Ils pourraient indiquer d'un mouvement de menton qu'il.elle.s sont prêt.e.s à écouter la personne qui leur fait face. Mais si ce menton est barbu, ne serait-ce pas déjà exprimer un choix? 
La neutralité semble devenir un objectif en soi. Le ridicule a de beaux jours devant lui.

(1) https://www.marianne.net/monde/au-canada-termes-madame-et-monsieur-proscrits-service-public
https://www.nouvelobs.com/monde/20180322.OBS4058/fini-les-monsieur-madame-dans-l-administration-canadienne-et-ca-ne-plait-pas-a-tous.html
(2) Ouh là! Ne faudrait-il pas ajouter "interlocutrice"?
(Re)lire sur ce blog "Quotidien de la femme", 8 mars 2018.

mardi 13 mars 2018

Fragilité des racistes

Il a 17 ans. Il a parfaitement compris, pour avoir réfléchi et lu de très nombreux auteurs, qu'au sein de l'espèce humaine il n'y a pas de race. ll en fait la remarquable démonstration dans une vidéo intelligente, brillante, érudite et très argumentée, qu'il a postée sur Internet (1). Dans l'introduction, il déclare: "J'aime le dialogue, ça me permet d'en savoir plus sur la nature humaine." Aussi, avant de réaliser sa vidéo, a-t-il tenté de discuter avec des racistes via Internet. Il a pris le temps - pour mieux les démonter ensuite - d'entendre les arguments de ceux qui prétendent qu'existent des races et que, évidemment, la race blanche est supérieure. Il s'est vite rendu compte par les injures qu'il a reçues, lors de ses recherches, de la violence dont est capable la nature humaine. 
Sa vidéo publiée, il a aussitôt été l'objet d'insultes racistes et antisémites. C'est que les racistes n'existent que si races il y a. Sinon qui seraient-ils, eux si fiers d'être ce qu'ils sont? Que et qui sont-ils d'ailleurs? On n'en sait rien, puisque courageusement, c'est sous un pseudonyme qu'ils agressent le jeune homme, lui collent une étoile jaune, l'agonisent d'insultes qu'on croyait disparues du vocabulaire de tout être humain d'aujourd'hui. L'homme des cavernes devait s'exprimer de manière plus conviviale que ces tristes sires agressifs et mal embouchés.
Le racisme n'existe que parce qu'il y a des racistes. Leur démontrer l'inexistence des races, c'est leur faire perdre leur identité, les rendre plus bêtes et méchants encore. Le racisme n'existe pas, mais la connerie et la haine, oui. On se dit que c'est quand même dommage que disparaissent les annuaires téléphoniques. Les pages jaunes constituent quand même un excellent outil pour trouver un psychothérapeute.
Dans sa salle d'attente, les racistes pourront lire le dernier ouvrage de Toni Morrison, "L'origine des autres", les textes de six conférences que la romancière américaine a prononcées à Harvard (2). Voici ce qu'en dit Télérama ce jour: "une réflexion passionnante sur la fabrication de l'Autre et la nature du confort que procure la désignation de l'étranger, sur la race comme critère constant de différenciation, tout comme la richesse, la classe sociale et le genre. C'est exigeant, c'est politique, c'est corrosif" (3).

(1) Excellente vidéo à voir sur le site de l'Obs: https://www.nouvelobs.com/societe/20180312.OBS3414/aurelien-enthoven-vise-par-des-messages-antisemites-apres-une-video-contre-le-racisme.html
https://www.huffingtonpost.fr/2018/03/12/raphael-enthoven-denonce-des-attaques-antisemites-contre-son-fils-aurelien_a_23383223/?utm_hp_ref=fr-homepage
(2) éd. Chr. Bourgois.
(3) Nathalie Crom, Télérama, 14.3.2018.

lundi 12 mars 2018

Le diable tire les ficelles

Ainsi va l'époque. Nos sociétés, à l'heure d'Internet, sont de plus en plus horizontales. Chacun a son mot à dire et ne s'en prive pas. Les mandataires politiques, à peine élus, sont critiqués. Chacun sait mieux qu'eux comment doit marcher le monde et quelles sont les meilleures décisions à prendre. Nos élus ne nous représentent plus, ne nous enthousiasment plus. Nous voulons nous exprimer et on nous en donne mille occasions chaque jour, en tant que lecteurs, auditeurs, téléspectateurs, consommateurs, électeurs. Nous avons un avis à donner sur tout et on nous garantit qu'il compte.
Mais d'autres restent dans une vision verticale de la société et continuent à croire au chef, à le vénérer même. Marine Le Pen vient d'être réélue, pour la troisième fois, à la tête de son parti. Avec un score dont n'oserait rêver aucun président nord-coréen: 100 %. On la disait critiquée au sein même de son parti suite à sa prestation calamiteuse au débat du deuxième tour de l'élection présidentielle face à Emmanuel Macron. Elle y avait fait la démonstration de ses limites intellectuelles, mais peu importe pour les affiliés du F.N., ils lui gardent une confiance qu'on peut qualifier d'aveugle. Et de sourde. 
En Chine, le parlement vient d'abolir la limite des mandats présidentiels, permettant ainsi au président Xi Jinping, qui dirige le gouvernement, l'armée et le parti (comme Mao Zedong) d'être président à vie. 2958 députés se sont prononcés pour, deux contre et trois se sont abstenus. On se demande quel sort attend ces cinq élus qui ont empêché Xi Jinping de réunir la même adhésion que la cheffe incontestée du F.N.
Vladimir Poutine, lui, se voit en tsar éternel de toutes les Russie et il a globalement le soutien des Russes, résignés et fatalistes peut-être, mais alignés derrière le chef.
La plupart des partis populistes, qui en ce moment recueillent une forte adhésion populaire, sont l'affaire d'un homme, parfois d'une femme, fort en gueule, un chef, un vrai, indispensable, irremplaçable. Un vrai guide qui nous emmène à sa suite, qui pense pour nous. Erdogan en Turquie, Orban en Hongrie sont les chefs si peu contestés (au risque de valser en prison) de leur pays. L'époque est aux chefs.

Revenons au F.N.: il tenait à Lille le week-end dernier un congrès de relance qui, comme le constate Sophia Aram (1), avait des allures d'enterrement. Marine Le Pen y a certes été plébiscitée, mais sans enthousiasme. Par des militants obéissants et résignés, aux applaudissements fatigués. Ils admettent que, s'il faut se débarrasser de l'éructant vieux chef en lui retirant le statut de président d'honneur, c'est bien le moins que de garder sa fille. Elle a eu la lumineuse idée d'inviter à la tribune Steve Bannon (2), héraut de l'extrême droite américaine, du suprémacisme blanc, de l'antisémitisme, du rejet des étrangers et de la démocratie, de la lutte contre la mondialisation. Le parti et sa cheffe semblent avoir oublié leur entreprise de dédiabolisation. Voilà qu'ils invitent à leur congrès l'un des bras droits de Satan. Durant le même week-end, à Lille toujours, le numéro deux de la section Jeunes du F.N. s'est fait épingler pour injures racistes envers un vigile qu'il a qualifié de "nègre de merde". Les cadres du F.N. s'offusquent: ce racisme dans leurs rangs est totalement inacceptable. Mais ils l'applaudissent à la tribune où Bannon affirme qu'il ne faut pas en avoir honte.
Bannon est actuellement en tournée en Europe pour tenter de construire un front mondial populiste pour lutter contre la mondialisation. Les contradictions semblent décidément être un gène de l'extrême droite: on mondialise pour lutter contre la mondialisation.
Enfin, la fille à papa propose de changer le nom du Front national en Rassemblement national, histoire de repeindre la façade. Ignore-t-elle vraiment que ce nouveau nom est un vieux nom, celui d'un parti d'extrême droite, dirigé par Tixier-Vignancourt qui s'est présenté aux élections présidentielles en 1965? Son directeur de campagne était un certain Jean-Marie Le Pen (3). Peut-être finalement ce nouveau nom est-il un hommage à son père. On voit par là que l'inconscient nous faire tant de choses qui nous échappent et que le diable revient facilement pas la fenêtre.

Post-scriptum: sacrée ambiance au F.N.:
https://www.nouvelobs.com/politique/20180309.OBS3354/ce-parti-me-fait-pitie-quand-les-jeunes-fn-se-lachent-sur-marine-le-pen-et-sur-le-reste.html

(1) https://www.franceinter.fr/emissions/le-billet-de-sophia-aram/le-billet-de-sophia-aram-12-mars-2018
(2) http://www.lalibre.be/actu/international/congres-du-fn-en-invitant-steve-bannon-le-fn-ne-change-pas-pour-castaner-5aa3ab44cd702f0c1a3b37e6
https://www.huffingtonpost.fr/2018/03/10/steve-bannon-en-europe-pour-creer-une-internationale-populiste_a_23382101/?utm_hp_ref=fr-homepage
(3) https://www.huffingtonpost.fr/2018/03/11/rassemblement-national-trop-proche-de-rassemblement-national-populaire-ancien-parti-collaborationniste_a_23382664/?utm_hp_ref=fr-homepage

jeudi 8 mars 2018

Quotidien de la femme

Cher.e.s ami.e.s,
je vous transmets cette information que vous pouvez réexpédier à celles et ceux autour de vous qui seraient intéressé.e.s: un appel/une invitation est lancé.e au.x musicien.ne.s et aux chanteu.r.se.s, tant professionnel.le.s qu'amat.eur.rice(re?).s pour former un orchestre inclusif. Les jours pairs, il sera dirigé par une cheffe (c'est un tirage au sort qui en a décidé ainsi), les jours impairs par un chef. Il rassemblera violonistes, violoncellistes, contrebassistes, cornistes, hautboïstes, clarinettistes, trompettistes, trombonistes, harpistes, pianistes, bassonistes et chanteu.r.se.s des deux genres et même des autres. La musique adoucit les genres. Les composit.eur.rice.s sont également invité.e.s à se porter candidat.e.s. Ceux et celles d'entre vous qui sont intéressé.e.s sont invité.e.s à envoyer leur candidature à Madame la Cheffe et Monsieur le Chef de l'Orchestre inclusif, 2 rue des Allié.e.s à Saint.e-Martin.e de Beaubourg/Belleville.  
Les candidat.e.s doivent savoir que, par souci d'équilibre, d'autres critères seront pris en compte: origine ethnique, corpulence, couleur (ou absence) des cheveux, quotient intellectuel, capacités et incapacités physiques. Les premières œuvres au programme de l'orchestre seront La Symphonie du Nouveau Monde d'Anton Dvoràk et la Nonette pour cordes et vents de Louise Farrenc.

On le voit, l'écriture inclusive (poussée ici dans ses excès, je le reconnais volontiers) est illisible. Et d'autant plus absurde que l'équivalent est impossible oralement, à moins de tenir un discours encore plus abscons. Tant de gens (hommes comme femmes, précisons-le) rencontrent déjà beaucoup de difficultés à se faire comprendre dans cette langue extrêmement complexe et réglementée qu'est le français. La (tentative de) lecture de commentaires postés sur de très nombreux sites d'information en témoigne. Que veut dire le commentateur? A qui s'adresse-t-il? Ne compliquons pas l'écriture sous le louable prétexte d'assurer l'égalité des genres.
Même les secrétaires de rédaction du mensuel féministe Causette avouent rencontrer certaines difficultés à se mettre d'accord sur l'application de l'écriture inclusive (1).
"La langue, c'est d'abord le reflet de la parole, rappelle le linguiste Louis-Jean Calvet. Une modification écrite qui entraîne un changement de prononciation, ça ne s'est jamais vu dans aucune langue. Il y a ici une double illusion: celle selon laquelle on peut changer la langue par l'écriture, et celle selon laquelle on peut changer les rapports sociaux avec la langue." (2)
Il fut un temps où, dans la langue française, était appliquée la règle de proximité ou de nombre.
"Ces trois jours et ces trois nuits entières", écrivait Racine dans Athalie. "Le cœur et la bouche ouverte", recommandait d'écrire le grammairien Claude Favre de Vaugelas en 1647.
Mais "l'accord de proximité fut peu utilisé", affirme le linguiste Alain Rey, qui estime que la malédiction du français est de ne pas avoir de neutre (2).
On peut aussi s'amuser de constater que "une grande crue est un désastre et un grand cru une merveille" (3). Ou relire ce vers de Jean Genet: "Les folles amours de la sentinelle et du mannequin" (2). Parfois, il est elle et elle est lui.

Finalement n'est-ce pas se tromper de champ de bataille que de porter le combat pour l'égalité sur le terrain de l'écriture? Aux Etats-Unis, dire African Americans plutôt que Blacks n'a en rien amélioré leur situation, constate Louis-Jean Calvet.
C'est sur la place des femmes dans la société qu'il faut travailler, la possibilité pour les filles, partout dans le monde, d'aller à l'école, de se former à toute profession. Travailler à l'égalité des salaires, à l'éducation des garçons au respect des filles et des femmes (il faut passer, propose Causette, de "Balance ton porc" à "Eduque ton porcelet"). Et tout cela passe aussi par la langue, par le nom. Par la féminisation des noms de fonctions et de professions. Par le respect du nom de naissance des femmes.

"La Communauté de communes de la Marche berrichonne vient d'accueillir un premier médecin salarié dans son centre de santé. Le docteur Jouda Karboub est d'origine tunisienne, mais est diplômée de l'Université d'Amiens, et elle a déjà exercé quatorze ans en France." (4) Le docteur est diplômée, lit-on. Curieux accord si on veut respecter les règles du français. Un sujet masculin ne peut avoir un adjectif féminin. Surtout qu'existent les termes doctoresse et même docteure. L'Assemblée nationale française impose désormais et logiquement de dire Madame la Ministre, Madame la députée, Madame la Rapporteure. Certains esprits conservateurs considèrent qu'on ne peut appeler Madame la Maire la femme qui occupe cette fonction, parce que cette appellation désigne l'épouse du maire. Il faudrait donc selon eux l'appeler Madame le Maire. Ils sont restés empêtrés en un temps où aucune femme n'exerçait cette fonction. Maintenant qu'elles sont nombreuses à le faire, comment faudrait-il alors appeler leur mari? Pas Monsieur le Maire, on croirait alors que c'est lui qui occupe la fonction. Faudrait-il donc dire Monsieur la Maire? Il suffit simplement de ne pas qualifier de maire son conjoint ou sa conjointe, ce qui n'a aucun sens. La langue suit l'usage, n'en déplaise au vieux député Julien Aubert (39 ans) que cette féminisation insupporte (5).

Première forme de l'existence et de la reconnaissance: le nom de famille.
Que les femmes gardent leur nom semble être une évidence, un premier signe de respect. Mais curieusement, ce ne semble pas être une revendication en France. Parcourir la rubrique nécrologique dans les journaux français, c'est découvrir la manière dont les femmes sont traitées aujourd'hui encore dans le pays des droits de l'homme. On y annonce la mort de "Madame Jeanne Legrand, née Dupont", parfois même de "Madame Jeanne Legrand", sans autre précision. A lire l'avis mortuaire, on comprend qu'elle était l'épouse ou la veuve de Pierre Legrand. Quelqu'un qui l'ignorerait et l'aurait connue avant son mariage ne peut savoir qu'il s'agit de Jeanne Dupont. En se mariant, tant de femmes françaises perdent leur nom. Le magazine Causette avait un jour publié la photo d'une tombe portant l'inscription suivante: "Ici reposent Pierre Legrand et son épouse". La tombe de l'épouse inconnue.
En France, une femme qui veut être inscrite sous son nom de naissance doit souvent se battre avec l'administration, les banques, différents organismes qui, d'emblée, la baptisent du nom de son mari. Le mariage fait perdre à la femme la base même de son identité: son nom.

Restent les signes qu'envoient les religions sur la place qu'elles attribuent aux femmes: inférieure.
Le voile est un marquage d'impureté et de soumission. La burqa est pire encore: la femme n'est pas montrable.
Les religions musulmane et catholique sont dirigées exclusivement par des hommes. Dans cette dernière, les femmes, même religieuses, n'y ont qu'un rôle subalterne. De bonniches même. Je m'étais, ici-même, il y a plusieurs années (7), effrayé de voir des jeunes femmes catholiques intégristes consacrer leur vie à "décharger les prêtres des soucis matériels tels que: cuisine, couture, ménage, les rendant ainsi plus libres pour accomplir leur ministère". Et voilà qu'on découvre que des religieuses, dans l'Eglise considérée comme moderne, sont confinées aux mêmes tâches au Vatican. "Certaines religieuse se lèvent bien avant l'aube pour préparer le petit-déjeuner de hauts prélats et ne vont se coucher qu'une fois le repas du soir servi, la maison rangée et la lessive et le repassage faits", rapporte l'Osservatore romano (8). Et ce pour un salaire arbitraire et souvent très modeste. Selon une religieuse, derrière tout cela se cache l'idée que dans l'église catholique un prêtre est tout et une nonne rien.

L'écriture inclusive ne sera qu'illusion tant que la femme sera la bonniche de son seigneur et maître, qu'il soit époux, compagnon, frère ou prélat.

(1) "Ecriture inclusive - Cauchemar en cuisine", Causette, décembre 2017.
(2) Romain Jeanticou, "Un . de discorde", Télérama, 20.12.2017.
(3) Marianne, 2.2.2018.
(4) La Nouvelle République - Indre, 3.2.2018.
(5) http://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/2017/12/06/37002-20171206ARTFIG00095-madame-la-deputee-l-assemblee-continue-la-feminisation-des-titres.php
(6) En Belgique, les avis nécrologiques annoncent le décès de " Madame Jeanne Dupont, épouse (ou veuve) de Monsieur Pierre Legrand" et les veuves conservent (ce qu'on appelle encore trop souvent) leur nom de jeune de fille
(7) (Re)lire sur ce blog "Belle jeunesse", 2.12.2012.
(8) http://www.lalibre.be/actu/international/au-vatican-des-nonnes-travaillent-comme-des-esclaves-pour-le-compte-de-certains-prelats-5a987566cd702f0c1a1428ad

mardi 6 mars 2018

Trump surboucqué

On est à la fois épaté et amusé par le talent de François Boucq et atterré par les propos véridiques qu'il illustre: les tweets envoyés par Suffisant Ier, alors qu'il était en campagne et depuis qu'il est président. Tout auteur de bandes dessinées ou de roman qui aurait imaginé un président aussi prétentieux et grossier qu'Ubu Trump verrait son œuvre taxée d'invraisemblance. Mais avec lui, impossible n'est pas américain. Cet homme ose tout, même le pire. Surtout le pire.
L'album "Trump en 100 tweets" (éditions i) sort demain. Pour ceux qui aiment rire. Jaune.

Voir quelques dessins de Boucq sur
http://www.lemonde.fr/ameriques/visuel/2018/03/01/trump-des-tweets-et-des-dessins_5264348_3222.html#coree

dimanche 4 mars 2018

Déjections de l'aigle

Une bonne et une mauvaise nouvelle.
La bonne: les Français continuent à acheter des livres.
La mauvaise: les 50.000 premiers exemplaires des mémoires de Jean-Marie L'Infâme ont été vendus avant même d'être en librairie. 50.000 autres exemplaires sont en réimpression. "Les mémoires de Jean-Marie Le Pen font un tabac", indiquait récemment France Inter (1).
Il faut reconnaître que les lecteurs en auront pour leur argent, un ramassis de propos d'un autre siècle, aussi nauséabonds que le personnage qui les a écrits. Et il n'y a aucun second degré. A l'heure de "#balancetonporc", ils pourront lire: "(les femmes) ne doivent pas oublier sous peine de mort qu'elles ont la mission sacrée de transmettre la vie et d'éduquer les enfants, de leur transmettre tout ce que l'école s'avère incapable de leur donner. Du point de vue de la société, je préfère une paysanne inculte mère de six enfants à une dame major de polytechnique qui n'en a pas." (2)
Même s'il a exercé différents mandats électifs de manière quasi continue depuis soixante ans, le père Le Pen - qui exècre "la classe politique" (à quelle classe appartient-il, lui, le doyen - et de très loin - des élus français?) - n'a jamais eu aucune responsabilité importante. Toute sa vie, il l'aura passée à éructer. Sur les autres, sur les étrangers, sur la France qui fout le camp, sur l'abandon de l'Algérie française, sur le système, sur sa fille. On a les projets de vie qu'on peut. "Le Pen, écrit Riss, avait l'art d'exploiter les mots pour en faire les alliés de son idéologie xénophobe, raciste et antisémite" (3). Cette idéologie-là continue à fasciner quantité de Français qui achètent donc des abjections qu'on peut aujourd'hui lire quotidiennement sur Internet. Mais celles-ci sont celles d'un chef qui est sans doute à leurs yeux le premier troll de la politique française. Celui qui n'a pas peur de signer son vomi.

Pendant ce temps, on apprend que la fille à papa serait l'objet d'un contrôle fiscal. Elle se dit persécutée. Ce qui n'est pas une surprise venant du Calimero de la politique française. "Une guerre médiatique est menée contre moi, pleurniche-t-elle avec la même absence de second degré que son géniteur. Qui je terrorise à ce point pour subir des persécutions judiciaires, médiatiques et maintenant fiscales?" (4) Elle ne pourra pas appeler papa au secours. "J'ai pitié d'elle, écrit-il (2). Chez les oiseaux, les parents chassent les oisillons du nid pour qu'ils volent de leurs propres ailes; dans la famille Le Pen, c'est l'inverse, l'oiselle a viré l'aigle de son aire pour devenir adulte." Adulte, elle l'est devenue: elle collectionnera bientôt autant de casseroles que l'aigle à l'œil de verre. 

(1) France Inter, 2.3.18, Journal de 13h.
(2) Charlie Hebdo, "Mémoires d'un œil de verre", 28.2.2018.
(3) Charlie Hebdo, "Taisez-vous, Le Pen", 28.2.2018.
(4) https://www.huffingtonpost.fr/2018/03/04/marine-le-pen-a-decouvert-dans-le-jdd-quelle-est-visee-par-un-controle-fiscal_a_23376330/?utm_hp_ref=fr-homepage