samedi 29 février 2020

Coranovirons de bord

Nous vivons une époque formidable. La planète se réchauffe à une vitesse incontrôlable, l'humanité et la biodiversité courent à leur perte et globalement personne n'entend changer quoi que ce soit à ses sacro-saintes habitudes. Les pires hommes occupent le pouvoir dans de nombreux pays avec une prétention qui n'a d'égale que leur action néfaste. Les croyants des différentes religions sont plus agressifs que jamais (ou autant que toujours?) avec qui ne pense pas comme eux. Internet est devenu le haut parleur des schtroumpfs grognons, des haineux et des complotistes Et voilà qu'un coronavirus a décidé de s'attaquer aux plus âgés et plus fragiles d'entre nous et de nous obliger à nous éloigner les uns des autres et à nous méfier des voyageurs. Quel écrivain aurait imaginé pareille dystopie?

A quelque chose, dit-on, malheur est bon. L'épidémie de coronavirus devrait nous amener à changer radicalement le fonctionnement de cette société mondialisée qui est la nôtre. Si nous étions sages et raisonnables. Ce qui reste amplement à prouver. 
Nous devrions cesser notre dépendance économique vis-à-vis de la Chine. Mettre fin à cette folie industrielle qui veut qu'aujourd'hui des produits traversent la planète dans tous les sens. Nous devrions arrêter de miser tant sur le secteur touristique qui veut que nous prenions l'avion bien plus que nos grands-parents ne prenaient le train. Cesser de construire et de faire voyager ces monstrueux bateaux de croisière pollueurs des mers et diffuseurs de virus. Et globalement repenser notre rapport compulsif à l'argent qui nous amène à tant d'activités néfastes pour la planète et pour nous-mêmes.
Nos gouvernements seraient bien inspirés de cesser de destructurer le service public de santé, de maintenir des hôpitaux de proximité, d'engager du personnel et d'investir dans la recherche.
Le coronavirus a déjà un effet positif à son actif: l'annulation du Salon de l'Auto de Genève. C'est déjà ça.

mercredi 26 février 2020

Une autre agriculture

Les agriculteurs se plaignent: ils sont victimes, disent-ils, d'agribashing, de critiques systématiques de leur métier. C'est que - allez savoir pourquoi - à chaque crise alimentaire causée par une agro-industrie hors-sol, uniquement soucieuse de rentabilité (vin à l'antigel, vache folle, bœuf aux hormones, poulet à la dioxine, grippe aviaire, lasagne à la viande de cheval, poissons nourris aux farines animales, etc.), les consommateurs deviennent plus méfiants, plus exigeants, plus soucieux de la qualité de leur alimentation. Et du bien-être animal, qui existait peu il y a vingt ans. Les dégâts des pesticides sur la santé des agriculteurs comme des riverains et leur impact négatif sur la biodiversité et la qualité de l'air, des sols et des eaux, tant de surface que souterraines, sont de plus en plus patents et laissent espérer qu'un jour proche on finira bien par les interdire (1).
Comment s'étonner du désarroi des paysans qui, le plus souvent très endettés, travaillent durement pour un revenu de misère, se font gruger par la grande distribution et critiquer pour leurs pratiques polluantes? Les syndicats majoritaires, en Belgique comme en France, ne les aident guère à remettre en question leurs pratiques. Au contraire. En France, la FNSEA a réussi à pousser le Ministre de l'Agriculture à créer une section antibashing au sein de la gendarmerie. Elle a été baptisée Demeter, comme la déesse grecque de la fertilité et comme le label bio. Comme pour faire un bras d'honneur à toutes celles et tous ceux qui conspuent l'agro-industrie. Et pour fliquer ceux qui en dénoncent les dérives. Certains groupes "Coquelicots" en ont fait l'expérience. L'agro-industrie est sacralisée. La critiquer, c'est blasphémer.
Surtout ne rien changer, continuer droit dans le mur, c'est ce que semble se dire un milieu décidément très perturbé.

Toutes ces critiques, justifiées par tant d'abus, ne visent pourtant pas les agriculteurs, mais le saccage de la nature et de la vie animale provoqué par la prise en otage de l'agriculture par le secteur chimique qui entend produire de l'alimentation comme on fabrique de l'essence ou des produits corrosifs. Sans se soucier de leur impact sur l'environnement.
Les agriculteurs dits conventionnels se laissent persuader qu'aucune autre voie n'est possible. "Si tout le monde se met au bio, y aura pas à manger pour tout le monde", veut croire l'un d'eux au Salon de l'agriculture à Paris (2).



Il est temps pourtant que les agriculteurs se regardent en face et remettent en question des pratiques destructrices. En premier lieu pour eux-mêmes. La dénonciation de l'agribashing par la FNSEA est, selon l'agronome Marc Dufumier (3), "un discours bêtement tactique, car cela ne correspond pas à l'opinion des Français, qui considèrent que les agriculteurs sont eux aussi victimes d'un système. Ils savent qu'il y a parmi eux un taux de suicide supérieur à la moyenne, qu'ils sont lourdement endettés, toujours poussés à s'agrandir, et les premiers malades de l'exposition aux pesticides". L'agronome rappelle que l'agriculture industrielle et ses engrais sont responsables de 20 à 25 % des gaz à effet de serre, tout comme de la disparition des abeilles et des coccinelles.
Les solutions existent, on les connaît, explique Marc Dufumier. "Ce n'est pas avec un blé à 90 quintaux à l'hectare, très coûteux en engrais azotés de synthèse, en pesticides et en carburant qu'on accroît la valeur ajoutée pour le paysan et le revenu national net de la France. Il serait beaucoup plus rentable de produire un blé à 50 quintaux, fertilisé par une légumineuse comme la luzerne, qui fixe l'azote dans le sol. Nous cesserions alors d'importer du gaz naturel russe pour fabriquer des engrais azotés de synthèse, mais aussi des tourteaux de soja brésiliens pour nourrir nos vaches, qui mangeraient de la luzerne. Nous cesserions aussi d'exporter du blé subventionné. Car le système actuel ne tient qu'à coups de subventions, sans lesquelles il s'écroulerait."
Marc Dufumier prône la diversification, qui produit le plus de valeur ajoutée. Même si, plus artisanale, elle demande davantage de travail. C'est pourquoi il estime que la transition agro-écologique doit s'accompagner "du paiement aux agriculteurs de leurs services environnementaux". Ce qui diminuerait aussi le coût des produits bio. "On rémunèrerait les agriculteurs qui séquestrent du carbone dans le sol par des pratiques vertueuses, et qui contribuent donc à la lutte contre le réchauffement climatique, fabriquent de l'humus, empêchent l'érosion, préviennent les inondations dans les vallées, pratiquent les rotations de cultures en semant des légumineuses, trèfle, sainfoin, luzerne, qui se substituent aux tourteaux de soja importés."
Il constate que dans les pays latins "on pense à rémunérer les services environnementaux, à sortir de l'endettement par une agriculture diversifiée". Mais la transition sera lente. En France, "elle se heurte avant tout aux lobbies de quatre ou cinq grands secteurs et, assez curieusement, d'un syndicat majoritaire, la FNSEA, très forte pour dégager à chaque crise agricole des subventions à court terme, mais qui ne veut rien changer au système."
Marc Dufumier propose aussi de "transférer une partie du financement de la politique agricole commune pour subventionner les municipalités qui passent au bio, dans la restauration collective, en particulier les cantines scolaires, et garantissent aux agriculteurs de proximité l'achat de leur production à des prix rémunérateurs". 

Ce n'est pas une cellule de gendarmerie qui combattra la critique de l'agro-industrie. Ce sont les agriculteurs eux-mêmes qui y arriveront en tournant le dos à celle-ci pour faire le choix d'une autre agriculture, plus vertueuse, plus respectueuse de l'environnement, des consommateurs, des paysans et des animaux. Reste aux Etats et à l'Union européenne à les encourager dans cette voie.



A voir ce jeudi 27 février à 23 h sur France 3: "La vie est dans le pré", documentaire d'Eric Guéret consacré à Paul François. Ce paysan charentais, intoxiqué par le pesticide Lasso, a gagné à force d'opiniatreté, son combat juridique contre Monsanto (*). Le documentaire le suit alors qu'il lance la conversion de ses 240 hectares de céréales en bio. "Le film tout entier rend hommage à l'incroyable force vitale de Paul François, qui poursuit la bataille malgré la maladie, le décès de son épouse et le déni de Monsanto, qui tente de l'épuiser par de multiples recours. (...) Ce film est aussi un appel urgent au sursaut politique." (Marie-Hélène Soenen, Télérama, 19.2.2020 - TT) Visible jusqu'au 28 mars sur france.tv
(*) (Re)lire sur ce blog "Nouveau coup de David à Goliath" (12.4.2019).

(1) https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/02/18/des-pesticides-suspectes-d-etre-des-perturbateurs-endocriniens-ou-cancerogenes-dans-l-air_6029930_3244.html
(2) reportage de Coco, "Salon de l'agribashing: nos terroirs ont du talent!", Charlie Hebdo, 26.2.2020.
(3) Vincent Rémy, "Humez-moi cet humus!", Télérama, 3.7.2019.

lundi 24 février 2020

Plattitude *

Il voulait prouver que la Terre est plate. Il n'y est pas parvenu. Mais reconnaissons-lui un mérite: il a prouvé la loi de l'attraction terrestre. Il ne pourra cependant pas la commenter puisqu'il en est mort.
Il s'appelait Michael Hughes et avait fabriqué sa propre fusée qui fonctionnait à la vapeur. Il devait monter à plus de 1.500 mètres d'altitude et de là démontrer que la Terre n'est pas ronde mais qu'elle a "la forme d'un frisbee". Son vaisseau spatial s'est écrasé quelques secondes après son décollage dans le désert californien. Mad Mike, comme est pertinemment surnommé ce cascadeur, voulait "convaincre les gens qu'ils peuvent faire des choses extraordinaires de leur vie". Il a surtout fait quelque chose de ridicule de sa mort.
On voit par là qu'il vaut mieux faire confiance à la science.

https://www.lalibre.be/international/amerique/un-americain-meurt-en-voulant-prouver-que-la-terre-est-plate-5e52afbdd8ad58685c2feea4

* Plattitude: attitude de celui qui pense que la Terre est plate mais se sent trop raplapla pour le prouver.

dimanche 23 février 2020

Singulier pluriel

Les est un article défini pluriel.
Un est un chiffre on ne peut plus singulier.
Pourquoi alors tant de journalistes associent-ils ces deux mots?
La présentatrice du Journal d'Arte vendredi soir, tout comme Le Monde hier (1), nous disent qu'en Algérie on a fêté "les un an" du Hirak, la révolte populaire qui secoue le pouvoir en place.
Est-ce si compliqué de dire qu'on a célébré le premier anniversaire du Hirak?

(1) https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/02/22/nous-ne-sommes-pas-venus-faire-la-fete-mais-vous-degager-des-milliers-de-personnes-ont-fete-les-un-an-du-hirak-en-algerie_6030491_3212.html

vendredi 21 février 2020

Candidats (rem)barrés

Les habitudes françaises ne cessent de nous surprendre. 
Dans cet Etat laïc, les candidats aux élections distribuent à leur électeurs potentiels ce qu'on appelle une "profession de foi". Cette locution à consonance religieuse désigne les lignes directrices du programme porté par une liste ou un candidat. Voilà en quoi je crois, nous disent-ils.
Lors des élections, ce sont les listes elles-mêmes qui fournissent les bulletins de vote. Avant son entrée dans l'isoloir, l'électeur est censé prendre un bulletin de chaque liste, ne glisser dans l'enveloppe que la liste de son choix et mettre à la poubelle les autres bulletins. 
Aux élections municipales, dans les communes de moins de mille habitants (1), les électeurs peuvent en outre biffer des noms sur cette liste. Plutôt que de choisir explicitement des candidats, on en raye. On exprime donc plus un refus qu'un choix parmi les candidats d'une même liste. 
Avant les élections, les candidats distribuent dans chaque boîte aux lettres de la commune leurs bulletins de vote. Les électeurs peuvent ainsi venir au bureau de vote avec leur bulletin en poche. Et donc, nous dit-on, barrer des noms tranquillement chez eux, sûrs d'être à l'abri de tout regard.
L'habitude de couper des têtes sans doute.

 (1) Il y a quatre ans, plus d'une commune française sur deux (on en comptait alors 36.000) comptait moins de 500 habitants.

vendredi 14 février 2020

Tartuffe en uniforme de flic

"Dans la politique, quand tous les dégoûtés seront partis, il ne restera plus que les dégoûtants", a déclaré un jour l'ancien premier ministre belge Paul Van den Boeynants (qui ne fut pas, il faut en convenir, un modèle).
Est-ce là l'objectif  de celui qui a diffusé une video totaement privée, à caractère sexuel de Benjamin Griveaux, candidat La République en Marche à la mairie de Paris? Ouvrir la voie au pire? Griveaux a jeté l'éponge, écœuré, après, dit-il, tant d'attaques basses et de menaces de mort. 
Un certain Piotr Pavlenski revendique la diffusion de cette video où l'on voit, dit-on, le candidat pratiquer l'onanisme. Rien d'illégal donc. Juste la vie (d'aujourd'hui). Mais Pavlenski - qui déclare avoir reçu cette video d'une personne qui a eu une "relation consentie" avec Griveaux - veut démontrer, dit-il, les contradictions de celui qui prétend être le candidat des familles. Il a sa vision de la famille et a donc mis sur la place publique des images totalement privées parce qu'il estime que la morale n'est pas sauve.
Quelles sont alors les règles qu'il faut suivre pour pouvoir être un élu politique? Etre un homme ou une femme dite fidèle? Prier une fois, deux fois ou cinq fois par jour? Etre vegan? N'avoir jamais levé la main sur personne, même pas sur un animal? N'avoir jamais visionné un film porno? N'être jamais passé au rouge? Bref, être un parangon de vertu? 
Qui donc est l'homme parfait, la femme parfaite, qui a toujours marché dans les clous, respecté toutes règles de la bienséance? Qui a été quelqu'un "comme il faut"? La diffusion d'une telle video tient d'une vision totalitaire du monde. Elle est revendiquée par quelqu'un qui se présente comme artiste. Ce qui nous amène à cette question:  qu'est ce que l'art pour lui? Où est-il dans la démarche très Big Brother de cet artiste russe? "Jusqu'où ira-t-on dans la haine et l'abomination?", demande Anne Hidalgo, l'actuelle maire de Paris. "Ce n'est plus aux chiens qu'on livre les hommes désormais, mais aux rats planqués au fond des pires égouts". 
Qui sera le prochain ou la prochaine sur la liste à être victime de ces pratiques à l'américaine qui font passer la morale - une morale - avant les idées politiques? 

Voici le temps des Tartuffe: Joachim Son-Forget, ex-député LREM à l'ego surdimensionné, a publié la video sur son compte Twitter tout en trouvant "inadmissible d'attaquer les gens sur leur vie privée". Cachez ce sein que je vous fais voir.
La classe politique est unanime pour condamner la diffusion de cette video privée. Ce midi, elle avait déjà été vue 700.000 fois. Les rapaces bavent.

Post-scriptum: A écouter (ou à lire) à ce sujet, le billet de Sophia Aram sur France Inter:
https://www.franceinter.fr/emissions/le-billet-de-sophia-aram/le-billet-de-sophia-aram-17-fevrier-2020

https://www.huffingtonpost.fr/entry/retrait-de-benjamin-griveaux-ce-que-lon-sait-des-videos-qui-ont-tout-fait-basculer_fr_5e4655e2c5b64433c614336a?utm_hp_ref=fr-homepage
https://www.lalibre.be/international/europe/foire-aux-ordures-abomination-climat-inquietant-la-classe-politique-s-indigne-de-la-diffusion-d-une-video-privee-de-benjamin-griveaux-5e466ea7f20d5a642285eb6a

jeudi 13 février 2020

Rallumons les Lumières

Il n'y a pas d'âge pour jouer les inquisiteurs, pour dire la loi, les règles et mettre à l'index qui ne les respecte pas. Deux groupements d'étudiants de l'ULB veulent faire interdire un débat sur la liberté d'expression qui se tient ce soir dans leur université (1). Ils refusent qu'y participent "des réactionnaires" que sont, selon eux, deux membres de Charlie Hebdo invités pour l'occasion. Ces jeunes philistins ont-ils lu un jour l'hebdomadaire qu'ils condamnent? L'ont-ils compris? Ils lui reprochent une prétendue "islamophobie", ce terme qui ne signifie rien d'autre qu'une interdiction de critiquer la religion musulmane (2). Et ils fustigent la laïcité défendue par Charlie. Savent-ils, ces censeurs, sur quelles valeurs a été fondée l'Université Libre de Bruxelles? La simple lecture de Wikipedia leur rappellera qu'elle a fondée par des libres penseurs qui entendaient combattre "l'intolérance et les préjugés" en répandant la philosophie des Lumières. Ces jeunes juges autoproclamés seront-ils capables de s'attaquer à leurs propres préjugés? Peut-on leur rappeler ce qu'est un débat? Un moment où des points de vue se confrontent. S'opposer à un débat sur la liberté d'expression dans l'Université Libre devrait pousser à leur excommunication. 

Note: ce n'est hélas pas la première fois que l'ULB est confrontée à la censure de débats.
(Re)lire sur ce blog "Faiblesses d'esprit", 8.2.2012 et "Egalité bla bla", 8.2.2013.

(1) https://www.lalibre.be/regions/bruxelles/pas-de-reacs-sur-notre-campus-des-militants-etudiants-veulent-empecher-un-debat-avec-charlie-hebdo-a-l-ulb-5e450bad9978e276b671a62d
(2) Dans Charlie Hebdo de ce 12 février, un lecteur qui se présente comme "musulman pratiquant depuis trente ans" et "lecteur assidu de Charlie" remercie l'hebdomadaire pour son soutien à Mila (voir billet précédent) et manifeste à celle-ci le sien. Eh, les étudiants censeurs, vous expliquez ça comment qu'un journal islamophobe soit apprécié par des musulmans?
Post-scriptum: Réaction de Caroline Fourest:
https://www.lalibre.be/regions/bruxelles/la-polemiste-caroline-fourest-reagit-a-la-volonte-estudiantine-d-empecher-la-venue-de-charlie-hebdo-sur-le-campus-de-l-ulb-5e456c77d8ad582fb05924b8

lundi 10 février 2020

Mais où est-Il?

Soyons triviaux. Une fois n'est pas coutume. L'actualité nous y invite. La question n'est pas  ici de décider de ce qui est de bon ou de mauvais goût, de ce qui est grossier ou non. Si quelque autorité que ce soit (politique, religieuse, culturelle, sociale) agissait par décret sur le goût, la télé verrait disparaître au moins la moitié de ses émissions et Internet des milliards de pages. La question est celle de la liberté d'expression.
Récemment, une jeune fille homosexuelle de seize ans, Mila, a éconduit un jeune homme qui la harcelait sur Internet. Celui-ci l'a aussitôt accusée de racisme antimusulman. Puis, d'autres aboyeurs qui traînent sur la toile, l'ont traitée de "sale Française", de "sale gouine", de "chiennasse".
Sa réaction fut virulente: "Votre religion, c'est de la merde. Votre Dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul. Merci. Au revoir", a-t-elle répondu à ceux qui l'injuriaient.
Fureur noire de centaines de personnes qui, depuis, lui adressent quotidiennement des messages haineux et des menaces de mort. Au point qu'elle a dû quitter son école et disparaître vu la violence des attaques à son égard et à celui de sa famille.
Ceux qui s'offusquent des propos de Mila ne croient pas en Dieu. Ils ne croient pas ce que toutes les religions monothéistes enseignent: Dieu est un être immatériel et il est partout. Plutôt que de se scandaliser des propos de Mila, ils auraient dû en rire. Et lui faire admettre que sa menace était totalement irréalisable. Affirmer vouloir toucher à quelque partie que ce soit de l'anatomie de Dieu, c'est totalement méconnaitre ce dernier. Même si la représentation collective le voit comme un vieux barbu (un homme, évidemment) au regard sévère, il n'a pas plus de cul que de tête, vu son immatérialité. Comme l'écrit Yannick Haenel dans Charlie Hebdo (1), "la localisation de l'anus divin s'annonce compliquée". Dieu échappe au trivial par son absence de corps.

La meilleure preuve, s'il en fallait, que Dieu est immatériel, c'est qu'il n'a ni yeux ni oreilles: il ne voit pas, n'entend pas les violences commises depuis les débuts de l'humanité, la misère, les inégalités, la planète qui part à la dérive. S'il les voyait, voilà longtemps qu'il aurait foudroyé ceux qui, depuis des millénaires, sont responsables de millions de morts. Combien compte-t-on dans l'histoire de l'humanité d'hommes, de femmes, d'enfants tués au nom de Dieu? Combien de conversions forcées, d'enlèvements, de viols, de tortures, d'attentats, de brutalités commises au nom de celui qui est, nous dit-on, l'incarnation de la bonté et de l'amour? On n'a pas le droit de se moquer de Dieu. Mais lui a le droit de se moquer de nous. Et bien pire. A croire qu'à force d'être partout Dieu n'est nulle part.

Ce qui n'empêche que se moquer de cette idée qu'est Dieu ou l'insulter suscite aussitôt une sainte haine. La haine souvent repose sur l'ignorance et l'absence de réflexion. On n'en absoudra pas pour autant les haineux.
On n'absoudra pas non plus la gauche, ni les mouvements féministes (pas tous heureusement - 2) qui brillent, dans cette "affaire Mila", par leur silence religieux. Ou pire: qui condamnent la blasphématrice plutôt que ceux qui la menacent de mort. 
Le Parti communiste n'est plus ce qu'il était. Le voilà qui condamne les "insultes à la religion". Karl Marx doit se retourner dans sa tombe, lui qui affirmait que "la religion est l'opium du peuple". Et  voilà le secrétaire général du PCF qui se range du côté des bigots. O tempora, o mores!

(1) dans le n° de Charlie Hebdo du 5.2.2020, numéro spécial blasphème.
(2) Le mouvement Femen, la Ligue du Droit international des femmes, Regards de femmes et Libres MarianneS ont soutenu Mila.
Note: Tous ceux qui, sans vraiment le dire, aimeraient voir réintroduit le délit de blasphème donnent implicitement raison à ceux qui menacent de mort Mila. Ce sont les mêmes que ceux qui depuis 1988 menacent de mort Salman Rushdie et tant d'autres impies. Ceux-là préférent défendre l'intégrité physique et la réputation d'un être immatériel (auquel la plupart d'entre eux ne croit pas), plutôt que celles d'une jeune fille ou d'un écrivain. Y a-t-il un psychiatre dans la salle?
A écouter, Sophia Aram ce matin sur France Inter:
https://www.franceinter.fr/emissions/le-billet-de-sophia-aram/le-billet-de-sophia-aram-10-fevrier-2020
A écouter, Brigitte Fontaine, "God Go To Hell", https://www.youtube.com/watch?v=Ny9hpp4HD0w

Enfer chrétien, du feu.
Enfer päien, du feu.
Enfer mahométan, du feu.
Enfer hindou, des flammes.
A en croire les religions, Dieu est né rôtisseur.
Victor Hugo, "Choses vues" (1)

jeudi 6 février 2020

Suffisant Ier

Mister I'm-The-Best, Trump le fat, n'a jamais été aussi populaire. Son côté dernier prédateur peut-être? Des Américains et même des Américaines se font un devoir de sauver le dernier représentant d'une race en voie d'extinction. Il faut lutter contre la disparition des vieux mâles qui se vantent d'attraper les femmes par la chatte.
A l'heure où Harvey Weinstein et Roger Ailes, tout-puissant patron de Fox News, sont tombés pour harcèlement sexuel, le Donald doit être défendu comme le héraut du patriarcat suffisant. C'est le patrimoine (au sens premier du terme) qu'il faut sauver. Le roi des coqs doit garder le droit d'insulter de toute sa hauteur ceux qui n'appartiennent pas à sa (basse) cour. Plus ils les agressent, plus elle l'applaudit.

Aussi, comme leur vie est douce, bonne et grasse !
Qu’ils sont patriarcaux, béats, vermillonnés,
Cinq pour cent ! Quel bonheur de dormir dans sa crasse,
De ne pas voir plus loin que le bout de son nez !

Jean Richepin, "Les Oiseaux de passage"

lundi 3 février 2020

Honni soit qui mâle y pense

Torquemada est-il le saint-patron de Mediapart? On se le demande. L'Inquisition revient en force.
Aujourd'hui, il est de bon ton de se scandaliser de tout. Et plus encore de n'importe quoi. Mieux encore: de soupçonner a priori n'importe qui de penser mal, si précisément il paraît douteux qu'il soit de votre camp.
L'air du temps veut qu'on puisse, qu'on doive se moquer des politiques, quoi qu'ils disent (ce sont tous des profiteurs, des cons et des salauds), mais exclut et interdit de rire des femmes, des racisés, des non hétérosexuels (la liste est longue et compliquée), des non catholiques (idem), des personnes handicapées, de tous ceux qui représentent des minorités visibles. Et se moquer - ou en donner l'impression - des minorités invisibles est un véritable crime qui peut vous mener au bûcher. Ou en tout cas à l'excommunication.
Les procès se multiplient sur Internet, les procureurs autoproclamés sont légion. Ils jettent l'anathème sur vous au moindre soupçon. Mieux vaut porter un casque en permanence.
Aujourd'hui, Mediapart mène "une étrange charge contre Le Masque et la Plume taxé de misogynie et plus encore", nous apprend Claude Askolovitch dans sa revue de presse sur France Inter (1).  L'émission de critique théâtrale, littéraire et cinématographique, de France Inter également. Ses chroniqueurs ont le culot d'apprécier des films de Woody Allen ou Roman Polanski plutôt que de disserter sur les accusations dont ces réalisateurs sont l'objet. Leurs plaisanteries sont jugées sexistes, misogynes, et même racistes et homophobes. L'accusation est grave. 
Askolovitch, ayant "lu et écouté" trouve cela "faux et forcé". Personnellement, je n'ai pu lire l'article. Il faut être abonné pour cela. Et je n'ai jamais eu envie de soutenir le Journal des Accusateurs publics. Mais voici ce qu'en dit Askolovitch: "L'article est signé Marine Turchi, grande enquêtrice de Mediapart qui a notamment accompagné les révélations  d'Adèle Haenel. Et l'on est frappé de lui trouver contre Le Masque la même fièvre minutieuse... Comme si des hoquets de rire et de langage, fruits d'une conversation poussée aux exagérations et dont le patron de l'émission, Jérôme Garcin, bonne pâte, reconnaît être parfois désolé, étaient aussi graves, valaient le même traitement, portaient le même poison que l'emprise et les atteintes sexuelles d'un adulte sur une jeune comédienne". Claude Askolovitch termine avec ceci: "S'il est ce matin une révélation dans Mediapart, elle est ici. Nous vivons ce moment où l'on passe du procès des individus au procès des mots et des intentions qu'ils révèleraient en dépit de leurs auteurs". 
C'est une autre journaliste du même site d'information, Mediapart, qui trouvait il n'y a pas si longtemps  que "l'islamisme n'est pas en soi une chose  grave" (2). Mediapart voit du racisme et du sexisme partout, mais de l'islamisme nulle part. Combien de morts au crédit de l'islamisme? Combien de femmes assouvies par ces barbus plus que machos?

(1) https://www.franceinter.fr/emissions/la-revue-de-presse/la-revue-de-presse-03-fevrier-2020
(2) (Re)lire sur ce blog "Gourouphilie", 14.11.2017.

dimanche 2 février 2020

Quand hurle la hyène

La haine semble aujourd'hui devenue pour tant de gens une manière simplement normale de s'exprimer. Je suis fâché ou simplement pas d'accord, donc il n'est que logique que je hurle, j'agresse, j'insulte, je casse. Beaucoup de ceux qui n'acceptent pas qu'on ne soit pas d'accord avec eux ou simplement qu'on ne pense pas comme eux crachent aussitôt, menacent de viol ou de mort. Ou des deux.

On a évidemment parfaitement le droit de ne pas être d'accord avec tel ou tel projet du gouvernement. Mais il faut vraiment manquer d'arguments solides pour envahir les locaux d'un autre syndicat qui ne suit pas la même stratégie que la vôtre, pour démolir la permanence d'un député de la majorité ou, pire encore, pour promener au bout d'une pique une représentation de la tête du président de la République en appelant à sa décapitation. C'est ce qui s'est passé récemment lors d'une retraite aux flambeaux contre la réforme des retraites. "La forme n'est pas anecdotique, ce genre de manifestation relève d'une esthétique militariste et pour tout dire fasciste", écrit le journaliste de Marianne Guy Konopnicki (1). Robert Badinter a poussé une vraie et saine colère au vu de cette manifestation haineuse (2): "Ce n'est pas tolérable! Rien n'excuse ce degré de violence, non pas physique encore, mais verbale. Rien! La représentation d'une tête au bout d'une pique, qui n'est rien d'autre que la continuité d'une guillotine, est, pour moi, à mes yeux, absolument, totalement condamnable. L'ex-garde des Sceaux, à qui l'on doit la suppression de la peine de mort en France, rappelle que les opposants, quels qu'ils soient, ont à leur disposition, pour se faire entendre, "tous les moyens, toutes les libertés, l'expression, le défilé, la manifestation, le slogan, mais pas la violence physique, pas l'agression des êtres humains, pas non plus la symbolique de la mort". Parce que, dit-il, "la mort n'est pas compatible avec nos idéaux".
Guy Konopnicki partage la colère de Robert Badinter: "ceux qui, aujourd'hui, en sont encore à célébrer les piques et la Guillotine n'ont décidément rien compris à l'histoire de la Révolution, ni à celle d'aujourd'hui. L'abolition de la peine de mort, dont Robert Badinter fut l'artisan, est un acte révolutionnaire. On ne lutte pas pour la justice en jouant de cette esthétique mortifère".
Une élue de l'opposition, plus précisément de La France insoumise, a minimisé l'évènement auquel elle a participé: on a bien le droit de faire un petit jeu de mots, s'est-elle défendue: "une retraite aux flambeaux pour ne pas avoir une retraite en lambeaux" (3). Ce qui nous amène, à nouveau, à cette question: à quoi cette France-là est-elle insoumise? au respect de la vie? à l'intelligence? à la civilité?

On a parfaitement le droit de ne pas supporter une attaque contre la religion en laquelle on croit. Surtout si l'attaque est grossière. Mais il ne faut vraiment pas faire confiance à son dieu pour menacer de viol et de mort l'auteure de propos qu'on juge insupportables. Ce dieu-là doit être bien faible pour n'être pas capable de se défendre lui-même (4). L'islam est une religion de haine, disait l'adolescente qui a prononcé ces paroles jugées offensantes. C'est faux, lui ont répondu quelques haineux qui l'ont menacée de mort, lui donnant ainsi raison. "Pour n'avoir pas compris que l'islam est une religion "d'amour et de paix", elle est menacée de mort, de viol, d'égorgement...", écrit Dominique Nora dans L'Obs.
On notera que la colère de la jeune fille est consécutive au fait qu'elle ait éconduit, dans une discussion sur Internet, un harceleur qui l'a alors accusée de racisme antimusulman. A la suite de quoi, des hyènes lui sont tombées sur le dos, la traitant de "sale Française", "sale gouine", "chiennasse". L'art de la conversation se perd. Le Conseil français du culte musulman n'a rien trouvé d'autre à dire que "Qui sème le vent récolte la tempête". Peut-on se permettre de le mettre en garde? Qui se met la tête dans le sable ne doit pas s'étonner de se prendre un coup de pied dans le cul. Réaction affligeante, juge Dominique Nora (5), "alors que la très grande majorité des musulmans de France sont ouverts et tolérants" et que 81% d'entre eux disent n'avoir "aucun problème à discuter avce des gens qui ne partagent pas les mêmes valeurs". En attendant, la jeune fille menacée n'a reçu que le soutien de l'extrême droite trop contente d'une telle aubaine. Et la gauche et les défenseurs des LGBT se taisent courageusement. Certains militants de la cause homo se sont exprimés néanmoins: pour sommer la jeune fille de retirer le drapeau arc-en-ciel de son profil sur Internet. "Nous y voilà: dans l'espace publie, la gauche essentialiste semble avoir muselé la gauche humaniste", déplore Dominique Nora.

On a parfaitement le droit de ne pas apprécier les décisions d'un arbitre. Autre chose est de le tabasser pour cela. C'est ce qui se passe de plus en plus souvent dans le milieu du football. Au point qu'il y a deux semaines les arbitres du Loir-et-Cher s'étaient mis en grève, le temps d'un week-end, pour protester contre les violences physiques dont ils sont trop souvent les victimes lors de matches de tous les niveaux d'âge et quels que soient les enjeux (6). Comme si les règles ne devaient être appliquées que d'un seul côté. La fédération des arbitres peine de plus en plus à recruter, les candidats aux insultes et aux coups se faisant rares.

"La haine de l'autre?", s'interroge Serge Raffy (7). La fin des débats respectueux où notre interlocuteur n'est pas forcément un ennemi à abattre? Nous y sommes. Les signes avant-coureurs d'un climat malsain, où le dialogue apparaît comme une pratique antédiluvienne, sont désormais sous nos yeux." (8) Le journaliste de L'Obs constate que "à grands pas, nous nous éloignons du monde de la raison, laissant le pouvoir aux seules émotions, à nos pires penchants".
On en vient à regretter les cours de politesse auxquels on avait encore droit dans les années '60, à se sentir obligé de rappeler que vivre en société implique le respect, somme toute, assez simple de règles de civilité, à en appeler à l'assertivité, cette capacité à dire les choses clairement, fermement s'il le faut, mais en respectant l'autre. Est-ce donc si difficile d'être humain?

(1) voir texte ci-dessous.
(2) https://fr.news.yahoo.com/video-tête-macron-pique-robert-161804970.html?guccounter=1&guce_referrer=aHR0cHM6Ly9zZWFyY2gubGlsby5vcmcvc2VhcmNod2ViLnBocD9xPWJhZGludGVyJTIwcmV0cmFpdGUlMjBhdXglMjBmbGFtYmVhdXg&guce_referrer_sig=AQAAAJUPUzTf3zkB1a5Bn02dLax6Ne2DqsfN3JqFk71ntphzi-biURo_ENP6NH210ne2h13AjWefMrusv59Kvu5jXYqXPW-glqqJy9k7V6MwQ1OImUT0_QBPitaGyzMWOV4UMPvq8ZRWNNCfk63x_p05fNbU8WZ-rdCiAk93UzD5M57-
(3) entendue sur France Inter
(8) (Re)lire sur ce blog "La grande forme d'Anastasie", 15.12.2020.


J'ai beau être hostile au projet de réforme des retraites, lorsque j'ai appris que des opposants à cette réforme organisaient une retraite aux flambeaux, j'étais quelque peu choqué. La forme n'est pas anecdotique, ce genre de manifestation relève d'une esthétique militariste et pour tout dire fasciste. Et au dessus des flambeaux, une tête, celle du président de la République portée sur une pique ! Je partage la saine colère de Robert Badinter. A l'esthétique fascisante, se mêlait une terrible référence aux massacres de Septembre 1792, aux meutes d'égorgeurs se ruant dans les prisons pour violer et assassiner les aristocrates, avant de s'en prendre aux enfants et aux handicapés de la Salepêtrière. Non, l'héritage de la Révolution Française n'est pas celui des Septembriseurs. L'abolition des privilèges, la Déclaration des droits de l'homme, l'organisation de la nation en communes et départements, avaient été votées par l'Assemblée Constituante. En septembre 1792, ce ne sont pas les émeutiers, les violeurs et les pillards qui ont sauvé la patrie en danger, mais les Volontaires, organisés en bataillons, qui repoussèrent les Prussiens à Valmy et à Jemappes. Admirateur de la Révolution s'il en fut, Jules Michelet, décrit avec effroi et dégoût ces journées, qui virent les Septembriseurs violer systématiquement les femmes et les enfants, avant de les égorger et de promener les têtes sur les piques. Ces Sans-Culottes ont ensuite servi de piétaille aux pires terroristes, élus à la Convention. Ceux qui, aujourd'hui, en sont encore à célébrer les piques et la Guillotine n'ont décidément rien compris à l'histoire de la Révolution, ni à celle d'aujourd'hui. L'abolition de la peine de mort, dont Robert Badinter fut l'artisan est un acte révolutionnaire. On ne lutte pas pour la justice en jouant de cette esthétique mortifère.