samedi 11 juin 2005

Tennis-Fisc: 6-0 / 6-0

Ce texte a été publié en rubrique « Carte blanche » dans Le Soir du 11 juin 2005

Selon que vous serez puissants ou misérables…

Ainsi donc le choix de Justine Henin de s’installer à Monaco pour échapper à l’impôt est considéré comme un choix parfaitement respectable. « Un choix privé », estimait dans la presse notre Ministre des Finances. Echapper à l’impôt est donc un choix privé ! Que chacun en tire les leçons qu’il est en capacité de tirer…
Le Prince Philippe, Guy Verhofstadt, Laurette Onkelinx, Didier Reynders, Joëlle Milquet, Elio Di Rupo, Claude Eerdekens se bousculaient dans les gradins de Roland-Garros pour applaudir la plus célèbre des belges inciviques.

Quel message ce gouvernement de centre mou est-il en train d’adresser à ses citoyens ? D’un côté, avec son opération d’amnistie fiscale (pudiquement baptisée Déclaration Libératoire Unique), il tente de récupérer l’argent planqué au Luxembourg, en passant l’éponge sur les « amnésies » de certains contribuables. De l’autre, il court applaudir les nouveaux riches qui planquent leur fortune dans des paradis fiscaux. Nos sportifs « de haut niveau » (dans tous les sens du terme), qui se tapent des fortunes considérables à la force du mollet ou du poignet, ont donc des droits que n’ont pas nos maçons, nos enseignants ou nos boulangers, qui gagnent tout aussi durement mais plus discrètement et plus modestement leur vie, mais dont aucun gain n’échappera au fisc.

L’impôt a une valeur sonnante et trébuchante très comptable, mais aussi une valeur symbolique fondamentale : il est, par essence, la traduction du rapport de solidarité entre les citoyens. Les plus favorisés apportent ce que les plus déshérités n’ont pas, permettant à l’Etat de jouer son rôle de redistributeur. Ce sont ces contributions qui alimentent les budgets sociaux, ceux de la culture, de l’enseignement, de la santé, de la coopération au développement, du logement social. Du sport aussi... A l’heure où la culture ne cesse, dans des Etats Généraux peu généreux, de clamer ses besoins d’augmentation de budgets, où le trou de la sécu atteint de véritables abîmes, où les travailleurs du non-marchand demandent un salaire simplement décent, où l’Afrique se meurt faute de solidarité, à cette même heure, nos gouvernants se pâment d’admiration pour des vedettes qui leur font des bras d’honneur. L’important est de voir flotter le drapeau belge, ou de voir triompher une championne wallonne ! Belle leçon de politique !

C’est peut-être le moment de lancer un large débat de société sur l’impôt ! De dépasser en cette matière le silence socialiste (le PS s’en fait décidément une politique : ne plus rien dire sur rien) et le populisme libéral: « nous réfléchissons toujours à la réduction de la fiscalité liée au travail », déclarait à Roland-Garros Didier Reynders, président d’un parti qui refuse tout débat sur les grandes fortunes. Le parti du Premier ministre, lui, veut en arriver à un taux unique (inique ?) d’impôt. Peut-on, de manière cohérente, tenir ce discours, diminuer les ressources de l’Etat et, dans le même temps, promettre plus d’argent pour tous les secteurs sinistrés de la société ?

A l’heure où certaines opinions publiques réclament moins d’Europe, c’est une autre Europe qui s’avère indispensable : une Europe plus harmonieuse dans les politiques fiscales, une Europe qui mette fin à ces paradis indécents que constituent ces Etats d’opérette bâtis sur l’argent planqué. Vous avez remarqué ? Certains refusent d’accueillir « toute la misère du monde », mais ne rechignent pas à accepter, les yeux fermés, toute la richesse du monde. C’est d’urgence que nous devons mettre en œuvre, au niveau européen, une taxe sur la spéculation financière, de type Tobin – Spahn, qui alimentera un fonds pour la coopération vers les pays du Sud, que nous devons abolir les paradis fiscaux qui permettent de créer deux types de citoyens européens : ceux qui paient leurs impôts et ceux, aussi talentueux soient-ils, qui y échappent en toute impunité parce qu’ils ont… de l’argent.

La société du spectacle est aujourd’hui triomphante, hommes et femmes politiques, sportifs et sportives en sont quelques-uns des princes et princesses. Les premiers savent qu’ils ont tout à gagner à soutenir les seconds, en laissant de côté quelques-uns de leurs derniers principes. Pour ne garder que le plus ancien : « du pain et des jeux ! ». Après tout, que demande le peuple ?


Michel Guilbert,
ancien parlementaire Ecolo,
indigné chronique