vendredi 24 mars 2017

Gardons nos distances

Trois maisons voisines et trois écriteaux presque semblables: "Attention au chien", "Chien méchant", "Chien bagarreur". On se méfie, on passe sur le trottoir d'en face, sans cependant voir ni entendre aucun molosse, pas même un caniche.
Un peu plus haut dans la même rue, un écriteau sur une porte: "Danger, ne restez pas ici".
On obéit, on reprend sa voiture et on rentre chez soi.
Il y a des villages accueillants, d'autres qui le sont moins. Allez savoir à quoi ça tient. 

mercredi 22 mars 2017

Les braves sociologues

Ils sont gentils, les sociologues. Ils nous offrent des explications simples à des problèmes compliqués.  Ils ont mieux compris les situations que les gens qui les vivent au quotidien. Et les sociologues blancs, très gentiment, n'hésitent pas à prendre la parole à la place de personnes d'origine maghrébine qui n'ont visiblement pas bien compris ce qui se passe autour d'elles.
Lundi, sur le plateau de l'émission 28 minutes sur Arte (1), il était question, une fois encore de lutte contre la radicalisation islamiste. Le sociologue Michel Fize a une explication: s'il y a de plus en plus de jeunes radicalisés en France, c'est "parce qu'il y a de plus en plus de souffrance, de désespérance, de colère, tous ces sentiments étant mêlés, qui font qu'un jeune va basculer parce qu'il ne voit plus une société qui lui apporte un sens". Nadia Remadna, fondatrice de la Brigade des Mères, lui répond, à partir de son expérience que, chez les radicalisés, "on a tous les profils", le facteur social en étant un parmi d'autres. Il faut sortir, dit-elle, du cliché du jeune abandonné socialement. "On ne se radicalise pas parce qu'on est pauvre, on se radicalise à cause d'une idéologie. Il faut travailler sur les rabatteurs qui transmettent la haine à nos enfants". Elle appelle à s'éloigner du "discours de victimisation".
Abdelghani Merah, frère aîné de Mohamed Merah qui a assassiné neuf personnes, va dans le même sens, appelant à empêcher de nuire des prédicateurs extrêmement dangereux et dont certains sont bien connus des autorités. Lui qui a été élevé par ses parents "dans la haine des Français et des Juifs" vient de traverser la France à pied durant trente-neuf jours (2) pour défendre la laïcité et la République qu'il remercie: "j'ai été élevé par la France, par la police de proximité, par l'Education nationale".
Le sociologue n'a pas l'air de l'entendre, il enfonce le clou et renforce le cliché: "qui sont les plus exclus de notre société?, demande-t-il. Des jeunes qui appartiennent à ces quartiers, souvent, du fait de leur couleur de peau, plus discriminés que les autres". Nadia Remadna a des gestes de dénégation, lève les yeux au ciel. Visiblement, elle n'a pas été entendue. Puis, Michel Fize a ce constat imparable: parlant de l'agresseur d'une militaire à Orly il y a quelques jours, il constate que "dans l'histoire de cet homme, on s'aperçoit que tout pourrait avoir basculé après la perte du frère aîné, qui l'a littéralement traumatisé. Donc y a un problème de lien social qui s'est défait progressivement, une cicatrice qui ne s'est pas fermée." C'est le même sociologue qui en appelait quelques minutes auparavant à la complexité des analyses. Il ne nous explique pas pourquoi la perte d'un frère amène un homme de trente-neuf ans à vouloir tuer des gens qui n'ont rien à voir avec son histoire personnelle, pourquoi un sentiment d'abandon social mène des jeunes à se transformer en tueurs lâches. A quoi sert un sociologue? A nous dire que les agresseurs sont des victimes? A nous culpabiliser? On repense à Edwy Plenel pour qui la barbarie de Daech n'est que la réponse à notre barbarie (3). Et celle des nazis à qui répondait-elle?
(note: j'ai zappé ensuite, tant les braves explications du bon blanc m'apparaissaient insupportables. Il faut dire que s'annoncait alors le sketch de Thibaut Nolte, le roi du cliché... J'en avais mon compte pour ce soir-là.)

(1) http://sites.arte.tv/28minutes/fr/bertrand-perier-et-eddy-moniot-radicalisation-comment-empecher-le-passage-la-violence-28minuten
(2) http://www.huffingtonpost.fr/2017/03/19/le-frere-de-mohamed-merah-nous-raconte-les-deux-moments-forts-de_a_21895652/?utm_hp_ref=fr-homepage
(3) cité par Philippe Val dans "Malaise dans l'inculture", Grasset, 2015, p. 249.

mercredi 15 mars 2017

Vive l'Europe (quand même) !

Il est de bon ton de critiquer l'Union européenne. Les populistes (qu'on appelle à tort eurosceptiques alors qu'ils sont au moins europhobes ou plus clairement anti-UE) l'accusent de tous les maux. C'est le bouc émissaire idéal. Elle briserait toute identité nationale et ôterait toute marge de manœuvre aux gouvernements nationaux. Pour d'autres, elle ne serait que le jouet des grandes multinationales et des lobbies économiques. Pour d'autres encore, elle serait tout cela et bien pire encore. Toujours elle est vue comme un machin déconnecté des réalités des citoyens et géré par des technocrates qui édicteraient des règles contraires aux intérêts des pays membres. Alors que ses différentes instances sont exclusivement composées de personnes désignées, par élection ou non, par les différents pays membres de l'Union (1).

Au départ, l''Europe s'est bâtie sur l'économie et le commerce, c'est une réalité, et elle doit évoluer vers plus de justice sociale et de solidarité encore. Les lobbies industriels y ont une influence trop importante, c'est un fait. Les entreprises y ont trop de poids. Mais quel intérêt ont tous ces contempteurs de l'Europe à jeter le bébé avec l'eau du bain? L'Europe souffre aujourd'hui d'une image ternie, mais aussi des analyses faciles, populistes, des rumeurs du Café du Commerce. Peut-on rappeler d'où elle vient? Rappeler que son premier objectif était de mettre fin à plus deux millénaires de guerre entre les peuples qui y vivent? Rappeler que la nature et l'eau se moquent des frontières et qu'on ne peut aujourd'hui intervenir uniquement sur des territoires nationaux si on veut les  préserver? Peut-on rappeler que l'U.E. agit dans des domaines extrêment divers?

Personnellement, j'ai eu la chance de participer à des festivals transnationaux aidés par des subventions européennes. J'ai eu le plaisir de jouer dans un spectacle financé par le programme Euraphis (qui cherche à mettre en valeur le patrimoine touristique des villes). Je connais de nombreuses institutions culturelles, des parcs naturels, quantités d'organisations de jeunesse, d'éducation permanente et de projets locaux qui ont bénéficié d'aides européennes. Avec d'autres militants écologistes et naturalistes, nous avons pu nous appuyer notamment sur les directives européennes sur l'eau, sur les oiseaux et sur le programme Natura 2000 pour nous opposer à un projet des années '60 potentiellement nuisible à l'environnement qui voulait se développer à la frontière franco-belge. La Province de Hainaut où j'ai longtemps habité a bénéficié pendant des années de subsides Objectif 1, qui soutiennent les régions en retard de développement. Et si certains des projets soutenus par cette aide ont pu être contestés ce fut le fait des pouvoirs locaux et régionaux concernés plutôt que de l'Union européenne. 
J'entends un peu partout les agriculteurs contester la P.A.C., la Politique agricole commune  (2),  mais s'effrayer à l'idée de n'être plus aidés par l'Europe. Je les entends s'opposer à l'importation de produits étrangers sur leur territoire tout en espérant exporter toujours plus leurs productions dans les pays voisins. Comme si les frontières pouvaient n'être fermées que dans un sens.
J'ai vu mes étudiants, belges et français, revenir enthousiasmés de leur année passée dans un établissement  d'enseignement en Lettonie, en Italie, en Roumanie, en Espagne, en Pologne ou aux Pays-Bas, dans le cadre d'échanges Erasmus. Ici où je vis au beau milieu de la France (grâce au principe de libre circulation des citoyens européens), les infrastructures d'accueil des paysans et des maraîchers qui participent à une importante foire mensuelle ont été rénovées grâce à des subventions européennes. Récemment, je visitais un musée rural dans le Limousin, lui aussi rénové grâce à l'U.E.

Hier en Grande-Bretagne, aujourd'hui-même aux Pays-Bas, demain en France et ailleurs, des partis et des candidats veulent enclencher la marche arrière, mettre à terre une construction, entamée il y a soixante ans, difficile, délicate, passionnante et en chantier permanent. Après celle du Brexit, une autre victoire des casseurs serait une catastrophe stupide. Le repli sur soi, la fermeture des frontières vont à contre-courant de l'Histoire et de l'humanité.
Pour en finir avec les analyses simpliste et les mensonges sur l'U.E., il est temps que celle-ci se fasse mieux connaître de ses citoyens, notamment dans les secteurs social, culturel, environnemental, de susciter une nouvelle mobilisation, de relancer un projet collectif.

Post-scriptum: durant la période 2014-2020, la Région Centre - Val de Loire aura reçu plus de 630 millions d'euros de l'Union européenne, une ressource plus importante que celle de l'Etat français, affirme François Bonneau, président de la Région (Journal de France 3 Centre, 29 mars 2017).

(1) (re)lire sur ce blog "Allo, la Terre, ici Bruxelles!", 7 juin 2016.
(2) http://bruxelles.blogs.liberation.fr/2017/02/28/reforme-de-la-pac-comme-un-elephant-au-milieu-du-salon/

lundi 13 mars 2017

Les yeux au beurre noir de la démocratie

C'est compliqué la démocratie. Ça se fait bousculer. Ça pose plein de questions. Comme le peuple, ça a bon dos.
Erdogan le mégalomaniaque voudrait changer la constitution turque pour avoir tous les pouvoirs, être le chef, et le seul, de l'Etat, du gouvernement et de la justice. Et sans doute directeur de rédaction de tous les organes de presse de son pays. Pas sûr que son peuple l'entendra de cette oreille, il envoie ses ministres faire campagne dans les pays européens où les communautés turques sont importantes. Il compte ainsi sur les expatriés pour faire passer son projet. Il injurie les gouvernements européens qui s'opposent aux meetings de ses représentants sur leur sol. Ce ne sont pas des démocraties, dit-il. Il va jusqu'à leur reprocher des méthodes nazies. Et dans le même temps, il fait tout ce qu'il peut, dans son propre pays, "champion du monde des journalistes emprisonnés" (1), pour empêcher les meetings de l'opposition. Il veut donc pouvoir s'exprimer librement partout, sans laisser ceux qui ne sont pas d'accord avec lui en faire autant. Le vote des Turcs de l'étranger pose question quand les enjeux sont aussi importants. Est-il démocratique de donner à des gens qui ne vivent pas dans un pays le même droit de vote qu'à ceux qui y résident et vont devoir subir, au prix de leur liberté parfois, physique et d'expression, les conséquences du référendum? Le principe "un homme - une voix" doit-il être, en toutes circonstances appliqué? Est-il toujours démocratique?
En France, dans la droite ligne de la campagne du Brexit et de celle de Dingo Trump, certains candidats multiplient impunément les mensonges. François Fillon a fustigé les médias qui avaient annoncé le suicide de sa femme. Mais personne ne trouve trace d'une telle information. Voilà à présent qu'il évoque un faits divers dans le Vaucluse: des garçons s'amusaient, dit-il, à envoyer au lance-pierres des lames de rasoir dans les jambes de filles portant des jupes courtes. Ici encore, personne n'a entendu parler de tels agissements (2).
Marine Le Fiel, elle, monte d'un cran encore dans ses théories du complot. Si l'U.E., a-t-elle affirmé, veut créer une armée européenne, c'est pour "tenir le peuple par les armes". Elle parle de "sombre projet" qui illustre les "dérives totalitaires" de l'Europe. Peut-être faudrait-il alors supprimer l'armée française? Elle pourait tenir le peuple par les armes. Elle dénonce "le projet mondialiste", affirme que  ses adversaires sont soutenus par "les tireurs de ficelles à Wall Street ou à Bruxelles" (3). Bref, les vieux arguments populistes outranciers et mensongers. La démocratie consiste-t-elle à laisser des candidats dire n'importe quoi? Les campagnes électorales autorisent-elles tous les sketchs, même les plus stupides ? Pas sûr qu'on puisse se rassurer en se disant que les électeurs savent faire preuve de maturité.

(1) https://rsf.org/fr/actualites/la-turquie-pays-champion-du-monde-des-journalistes-emprisonnes
(2) http://www.huffingtonpost.fr/2017/03/11/lintrouvable-fait-divers-evoque-par-francois-fillon-en-meeting/?utm_hp_ref=fr-homepage
(3) http://www.huffingtonpost.fr/2017/03/11/chateauroux-marine-le-pen-discours-complotiste/?utm_hp_ref=fr-homepage

vendredi 3 mars 2017

Mieux vaut avoir son passé derrière soi

La logique des électeurs est parfois difficile à suivre. 
François Fillon est de plus en plus lâché par les siens. Le champion choisi par la droite est soupçonné d'emplois fictifs. Il aurait engagé son épouse comme assistante parlementaire sans qu'elle n'occupe la fonction. Il risque pour cela d'être mis en examen. A droite, de nombreuses voix s'élèvent pour pousser Alain Juppé, battu par Fillon au second tour de la primaire de la droite, à prendre sa place. Et cette perspective devient de plus en plus crédible. Vollà d'ailleurs qu'un sondage annonce que, s'il était candidat, Juppé passerait devant Macron et Le Pen (1).
Ainsi donc, pour de très nombreux Français, mieux vaut un candidat déjà condamné pour emplois fictifs (2) qu'un candidat qui a toutes les chances de l'être. 
On voit par là que l'électeur est un être insaisissable.

(1) http://www.lalibre.be/actu/international/d-apres-un-sondage-juppe-devancerait-macron-et-le-pen-s-il-se-presentait-direct-58b94fbdcd708ea6c0f424c3
(2) "Il est contraint de quitter la vie politique en 2004, la cour d'appel de Versailles l'ayant condamné à 14 mois de prison avec sursis et à un an d'inéligibilité pour prise illégale d'intérêts dans le cadre de l'affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris." (Wikipedia)

mercredi 1 mars 2017

C'est trop injuste

Pathétiques. François Fillon et Marine Le Pen sont pathétiques. Les voilà tous deux rattrapés par la Justice. Les voilà tous deux qui hurlent au grand complot d'une justice instrumentalisée par le gouvernement. Les voilà tous deux qui en appellent au peuple pour les défendre. Alors que c'est à eux-mêmes que doivent s'en prendre ces deux grands bourgeois qui se croyaient au-dessus des lois et surtout au-dessus de la morale.
François Fillon affirme qu'il n'a "pas été traité comme un justiciable comme les autres". Il l'est, répond le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier (1), mais un candidat à la présidence de la République ne peut être considéré comme un justiciable comme les autres. On attend de lui, s'il veut accéder à la fonction suprême, qu'il ait respecté les règles communes. C'est bien le moins qu'on puisse en attendre.
"Au-delà de ma personne, c'est la démocratie qui est viséee", clame Fillon. "Ne vous laissez pas abuser!", dit-il. Par qui? Par lui?  Le champion de la droite se fait résistant et appelle à le rejoindre: "Résistez! Je le fais! Ma famille le fait!". Faut-il résister à la justice? Le voilà même qui parle d'assassinat politique. Ne confondrait-il pas assassinat et suicide? ll va falloir confier l'affaire au commissaire Maigret. Il adore les sombres affaires de province.
Marine Le Pen, de son côté, affirmait encore tout récemment qu'on a suffisamment parlé de cette affaire, qu'il est temps de passer à autre chose. On l'a connue plus virulente vis-à-vis de ses adversaires. Serait-elle fatiguée? Elle s'avère plus prompte à critiquer le fonctionnement de la justice qu'à répondre à une convocation de cette police qu'elle aime tant et qu'elle ne supporte pas de voir méprisée. Et voilà que même le syndicat policier Alliance, pourtant très à droite, se rebelle face aux menaces qu'elle a proférées contre les fonctionnaires aux ordres.
Magnifique dessin de Coco en une de Charlie Hebdo ce jour: on y voit Fillon dans les bras de Le Pen s'encourant, poursuivis par un juge. "Taubira, reviens!", dit Fillon. "On veut une jusice laxiste!", crie Le Pen.
On voit vers qui regardent ces deux candidats, vers Erdogan, vers Orban, vers Trump, tous ces chefs d'Etat qui aime(raie)nt mettre à leur service la presse, la justice et la police. Le Pen et Fillon nous laissent entrevoir ce qu'ils seraient s'ils arrivaient au pouvoir: des autocrates, éliminant les corps intermédiaires entre eux et leur cher peuple. Décidément, il a bon dos, le peuple.

(1) France Inter ce jour, journal de 13h.