lundi 20 mai 2024

Perdu dans le brouillard céleste

Dieu existe, il faut bien le constater. Il s'est manifesté encore en ce dimanche de Pentecôte. Il est descendu sur la tête de certains de ses apôtres. Pas sous forme de feu directement cette fois, mais de brouillard. Et, perdu, l'hélicoptère qui transportait le président iranien Ebrahim Raïssi s'est écrasé sur la montagne, dans un feu d'enfer. Avec lui ont disparu le Ministre des Affaires étrangères et d'autres dignitaires du régime islamique.
Dieu manque de délicatesse dans ses manifestations, mais s'il a fait l'homme à son image on n'est guère surpris. "Ce descendant du Prophète, écrit Le Monde (1), a démontré sa loyauté sans faille envers le noyau dur de la République islamique d’Iran, dont le Guide suprême, les gardiens de la révolution (l’armée idéologique du pays) et les appareils sécuritaires du pays, en jouant un rôle important dans presque tous les dossiers de violation des droits humains depuis la révolution en 1979." Juge religieux, il a condamné à mort des milliers de prisonniers politiques. Il a été placé sur la liste noire des dirigeants iraniens sanctionnés par les Etats-Unis pour « complicité de graves violations des droits humains ». Le Monde rappelle aussi que, face aux manifestations qui ont suivi la mort, en septembre 2022, de Mahsa Amini, celui qu'on surnomme le Boucher de Téhéran avait appelé à une « confrontation ferme » face aux manifestants. "Pendant cette vague de contestation, au moins cinq cents civils ont été tués en lien avec les manifestations. Des dizaines de milliers d’Iraniens ont été arrêtés. Au moins huit ont été pendus." Il a réinstauré la police des mœurs qui fait la chasse, dans les rues iraniennes, aux femmes qui ont l'impudence de sortir sans voile.
Samedi dernier encore, sept personnes, dont deux femmes, ont été pendues. L'Iran est un des pays qui exécute le plus dans le monde, avec la Chine et l'Arabie saoudite. L'ONG Iran Human Rights a déjà comptabilisé 223 exécutions cette année, dont au moins 50 au cours du seul mois de mai (2).

Ce régime haïssable qui hait les femmes et la liberté de pensée et d'expression vient de perdre un de ses fidèles serviteurs, mais pas sa tête. Le vrai pouvoir est entre les mains du vieil ayatollah Khamenei, de ses proches et des Gardiens de la révolution. "Aussi, écrit Le Monde, les équilibres internes de Téhéran ne devraient pas être bouleversés. La diplomatie de la République islamique d’Iran, notamment son soutien militaire et stratégique à ses alliés dans la région, dont le président syrien, Bachar Al-Assad, le Hezbollah libanais, les houthistes au Yémen et les milices chiites en Irak, ne devrait pas non plus évoluer." Dieu a encore du boulot.

Post-scriptum : On est étonné mais heureux d'apprendre que le président chinois, Xi Jinping, a fait savoir qu'il partage la douleur du peuple iranien. Il semble enfin comprendre ce que signifie vivre sous une dictature.

(1) https://www.lemonde.fr/international/article/2024/05/20/ebrahim-raissi-le-president-iranien-qui-etait-pressenti-pour-succeder-au-guide-supreme-est-mort_6234317_3210.html
(2) https://www.lalibre.be/international/moyen-orient/2024/05/18/iran-deux-femmes-pendues-les-executions-sintensifient-dans-la-machine-a-tuer-de-la-republique-islamique-qui-vise-a-semer-la-peur-KTABLWNZ65ATTC5MSZLDSN7EKA/

samedi 18 mai 2024

Quelqu'un de bien

Les antivax, les complotistes, les populistes d'extrême droite comme d'extrême gauche, les gilets jaunes, les islamistes, les communautaristes, les antisémites, ils en prennent tous pour le grade qu'ils n'ont pas. Ceux qui ont abandonné la raison, qui ont transformé leurs croyances en vérités absolues et indiscutables ; ceux qui aiment se faire du mal, remontant loin en arrière le fil de ses messages sur tel réseau dit social pour trouver une phrase qui les dérange et leur permette de l'injurier (et même de la menacer de mort) ; les Le Pen, les Bardella, les Zemmour, les Mélenchon, les élus qui se disent insoumis, tous ceux-là doivent avoir les oreilles qui sifflent chaque fois que Sophia Aram joue son dernier spectacle " "Le Monde d'après". (1)

Et puis, il y a les autres, qui, à la voir et l'écouter, passent une soirée à rire et à vibrer à l'unisson avec elle. C'était encore le cas hier soir au Centre Culturel Yves Furet à La Souterraine où nous étions quelques centaines à nous réjouir d'entendre cette voix qui nous parle et nous porte. L'ovation qui a ponctué son énergique prestation en témoigne.

"Pour mon 5e spectacle, écrit-elle, j’ai choisi de m’amuser avec la dinguerie d’une époque réussissant l’exploit de ressusciter les timbrés que l’on croyait oubliés et d’en inventer de nouveaux qui n’ont rien à envier aux premiers. Je dédie donc ce spectacle aux antivax découvrant l’innocuité d’un faux pass-vaccinal face à un vrai virus, aux petites bourgeoises le cul bien moulé dans leurs leggings venant expier leurs vacances à Courchevel en faisant la promotion d'un islam rigoriste qu'elles n'auront ni à subir ni à combattre, aux antisémites décomplexés par la grâce d’un candidat réussissant l’exploit d’être juif et pétainiste, aux gilets jaunes venus vomir leur bière sur la tombe du soldat inconnu, aux complotistes, aux populistes et aux décérébrés qui les excusent autant qu’ils les utilisent. Aux poutinolâtres qui après avoir crié tous les samedis à la dictature dans notre pays, admirent la poigne d’un autocrate sans foi ni loi… "

Il faut l'écouter jouant sa tante Fatiha et la ronde des assiettes qui ne reviennent jamais vides : un plat de nourriture offert aux voisins revient empli d'autres mets de choix, d'origines diverses. Depuis que les barbes ont poussé et que les voiles couvrent les têtes féminines, les échanges ont cessé dans l'immeuble. C'est qu'il ne faudrait pas risquer de manger un plat qui ne soit pas halal.
Il faut l'écouter jouant, avec une voix aux insupportables accents stridents, Lorraine, une jeune fille désolée d'être blanche, hétéro et cisgenre,  pleine de bienveillance pour les pauvres racisés qui sont si gentils mais ne sont hélas que de pauvres victimes de notre racisme systèmique.

Sophia Aram, qui est née et a grandi à Trappes, en région parisienne, dans une famille nombreuse d'origine marocaine, affirme avoir toujours été de gauche. Mais un jour, c'est le choc : elle apprend qu'elle est classée par une certaine gauche comme humoriste de droite. Elle a toujours été de gauche, mais c'est la gauche qui ne l'est plus, tombée dans une analyse tellement simpliste qu'elle fait de toute personne qui n'appartient pas à l'élite une victime, loin de toute vision de libre arbitre et d'autonomie de l'individu. Et qui sont tous ces gens bien nés qui viennent lui faire la leçon, lui dire qu'elle ne peut savoir ce que c'est que d'avoir vécu dans une cité ?

Je suis quelqu'un de bien, nous dit-elle : féministe, sociale-démocrate, athée, écologiste, végétarienne et surtout, surtout, universaliste. C'est là son grand crime : croire que tous les humains puissent avoir les mêmes droits et doivent respecter les mêmes règles. Apparemment, une valeur de droite désormais pour une gauche perdue corps et biens dans un naufrage (im)moral, une gauche qui n'a plus aucun sens de l'humour. Aucun sens.
Rire avec cette femme qui depuis ses débuts fustige les teubés fait du bien.

Son spectacle "Le Monde d'après" a reçu récemment le Molière de l'humour (2). Et ça aussi, ça fait du bien.

(1) https://www.fnacspectacles.com/artist/sophia-aram/sophia-aram-le-monde-dapres-tournee-3408563/
(2) https://www.youtube.com/watch?v=_350IG3xrSg

jeudi 16 mai 2024

Soumission

Les religions se portent bien. Les partis de différents bords font ce qu'ils peuvent pour les aider à exercer leur pouvoir sur leurs ouailles. La religion est l'opium du peuple et tant mieux si elle nous rapporte des voix, se disent-ils. 

La France insoumise ne l'est pas totalement. On l'a écrit déjà : elle est soumise aux analyses simplistes et sans nuance, mais aussi à l'islamisme. Qui se permet de critiquer la religion musulmane se trouve aussitôt traité d'islamophobe. La religion est sacrée pour les populistes.
En Belgique, Ecolo s'est déclaré favorable au port du voile même dans l'administration, sauf exception. Ce parti né notamment du féminisme a trucidé sa mère. 
En Grande-Bretagne, les élections locales du 2 mai ont vu la victoire de nombreux candidats islamistes, certains sous l'étiquette des Verts. L'ancien député écossais George Galloway avait été chassé du Labour pour être devenu chroniqueur sur la chaîne iranienne PressTV et pour s'être positionné sur la ligne du Hamas. Il vient d'être réélu sur la liste islamo-gauchiste du Workers Party of Britain. (1)
Aux Etats-Unis, Dieu soutient mordicus Donald Ubu Trump. L'Eglise évangélique a fait de ce fieffé menteur-violeur-manipulateur-tricheur-mécréant-total son héros.
En Russie, le régime s'est acoquiné avec l'Eglise orthodoxe qui qualifie de sainte la guerre menée à  l'Ukraine.

Mais bons (ou mauvais) dieux !  Quel mépris ont tous ces partis et leurs élus pour ceux et surtout celles qui encaissent les coups des fous de Dieu ! En Malaisie, un tribunal islamique a condamné une mère célibataire à six coups de canne et à une amende équivalant à 800 euros. Elle est coupable de "proximité rapprochée" avec un homme qui n'était pas son mari. Une vague "verte" a submergé le pays aux élections régionales d'août 2023 et, depuis, la charia est d'application dans certaines régions du pays. (1)
La République islamique d'Iran, soutien actif du Hamas, continue à dévorer ses enfants dans une indifférence quasi générale. Le 24 avril, les autorités judiciaires ont condamné à mort Toomaj Salehi. Ce rappeur, militant du mouvement Femme, vie, liberté, dénonce le totalitarisme du régime et sa corruption. "Pour ses prises de position, écrit un collectif d’artistes et de militants des droits humains (2), Toomaj Salehi a été arrêté le 30 octobre 2022 et sévèrement torturé dès les premiers jours de sa détention avant d’être placé à l’isolement durant plusieurs mois. Libéré sous caution le 19 novembre 2023, il publie immédiatement une vidéo pour dénoncer les tortures physiques et psychiques dont il a été victime. Avec un courage inouï, il accuse la corruption de la justice, qui l’a condamné à six ans et trois mois de prison pour « corruption sur terre ». Toomaj est de nouveau violemment arrêté le 30 novembre 2023 et condamné, le 24 avril, à la peine de mort pour les mêmes faits qui lui étaient reprochés un an plus tôt. A ses côtés, d’autres opposants sont sous le coup d’une condamnation à mort pour avoir pris part aux manifestations nationales en soutien au mouvement Femme, vie, liberté."

Dans son récit "Le Couteau", dans lequel il revient sur l'attaque extrêmement violente dont il a été victime de la part d'un islamiste, Salman Rushdie rappelle ce qu'il a écrit après les assassinats de Charlie Hebdo : "La religion, forme médiévale de l'irrationalité, associée à l'arsenal moderne devient une menace réelle pour nos libertés. Le totalitarisme religieux a provoqué une mutation mortelle au cœur de l'islam et nous en voyons les tragiques conséquences aujourd'hui à Paris." Salman Rushdie constate, par ailleurs, qu'en Inde, son pays d'origine, "le sectarisme religieux et l'autoritarisme politique vont de pair, la violence augmente et la démocratie se meurt". 

Qu'on se rassure, de bonnes âmes prient pour nous. Le 19 mai, la chaîne d'extrême-droite CNews diffusera la messe de la Pentecôte en direct du pèlerinage traditionnaliste de Chartres. On s'attend à un record du nombre de pèlerins. Ils pourraient être 20.000. (1)

Aux élections européennes, ne votons que pour des partis et des candidats qui défendent clairement la laïcité, renvoient les religions à la maison et soutiennent le libre arbitre, l'autonomie de l'individu et la décolonisation des esprits et des corps.

(1) Fous de Dieu en folie, Charlie Hebdo, 15.5.2024.
(2) https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/04/30/monsieur-macron-nous-vous-demandons-d-agir-par-tous-les-moyens-politiques-et-diplomatiques-pour-faire-lever-la-peine-de-mort-du-rappeur-toomaj-salehi-prononcee-par-la-republique-islamique-d-iran_6230804_3232.html


dimanche 12 mai 2024

Cette guerre qui s'avance

Depuis quelques jours, les troupes de Poutine intensifient leurs bombardements sur Kharkiv et sa région où plus de quatre mille personnes ont dû être évacuées. Cette nouvelle pression russe n'est pas une surprise pour ceux qui suivent la situation. Et contredit ceux qui estiment qu'il suffirait de laisser à la Russie les régions déjà conquises pour qu'elle mette fin à cette guerre. Ubu Trump, par exemple, toujours aussi prétentieux et méprisant, qui affirme que, s'il était président, il mettrait fin à la guerre en vingt-quatre heures en faisant pression sur le gouvernement ukrainien pour qu’il fasse définitivement une croix sur les territoires actuellement occupés par la Russie. Etrange moyen de mettre fin à une guerre : accepter les victoires de l'agresseur-voleur.

Le projet russe est terrifiant et s'apparente, si on écoute certains de ses zélateurs les plus monstrueux, à un projet de génocide.
Il y a un peu plus d'un mois, le traducteur et poète André Markowicz exprimait son impression que le discours poutinien se radicalise. "Maintenant, c’est par dizaines que l’on trouve des déclarations selon lesquelles, l’Ukraine, il faut la détruire complètement, totalement, qu’il n’y a aucune place pour une Ukraine  quelconque, pour le nom même de l’Ukraine, même à l’intérieur de la Fédération de Russie, (...).  Chez Soloviov (note : propagandiste en chef de Poutine), on entend de plus en plus souvent des appels à raser toutes les villes, parce qu’il n’y a rien à garder, culturellement parlant, dans ces villes (même Kiev, berceau de l’orthodoxie russe), et surtout pas les gens. Les gens, explique le député Lougovoï, en particulier les habitants de Kharkov, il faut qu’ils soient anéantis, que la ville soit frappée par une « catastrophe de masse » telle qu’il n’en reste rien, ou en tout cas que personne n’y ait plus aucun moyen d’y vivre, et qu’ils partent, les habitants, « à pied ou en voiture » (...), « avec leurs baluchons » , – ces gens qui y habitent en ce moment, qu’ils partent à l’Ouest, ceux qu’on n’aura pas tués, et qu’on ne les revoie plus. Les 800.000 habitants de Kharkov aujourd’hui (...). En gros, personne (en dehors, donc, de quelques rares voix) n’a dit que ces paroles étaient un appel au génocide. Parce que, le génocide, il est aujourd’hui considéré comme nécessaire et sain, – et, finalement, ce qui est nouveau, c’est le caractère massif de ces déclarations, pas les déclarations elles-mêmes, qui ne font que poursuivre la ligne de Timoféï Serguéïevtsev énoncée il y a exactement deux ans, fin mars - début avril 2022."
Et puis, il y a eu cette déclaration solennelle de l’Église orthodoxe russe, qualifiant de « guerre sainte » ce qu'on ne pouvait appeler jusqu'alors que Opération militaire spéciale. "Ça, c’est nouveau à double titre, dit André Markowicz : d’abord, parce que, dès lors, c’est officiel, cette « opération militaire » qui, si vous la qualifiez de « guerre » en Russie, peut vous valoir jusqu’à dix ans de prison, est bien devenue une guerre – puisqu’elle est « sainte ». Ça n’a l’air de rien, mais c’est fondamental, parce que ça signifie que, pour l’État russe et la hiérarchie de l’Église orthodoxe de Moscou, c’est l’essence même de la nation qui est aujourd’hui engagée dans une guerre, et que, donc, cette guerre ne peut se régler que par une victoire totale sur les forces du mal." L’Église orthodoxe russe est très claire : « Après l’achèvement de l’opération militaire spéciale, tout le territoire de l’Ukraine contemporaine doit appartenir à la zone d’influence exclusive de la Russie. La possibilité de l’existence sur ce territoire d’un régime politique russophobe, ennemi de la Russie, doit être totalement exclue ».
L'Eglise russe en revient à des positions qu'on croyait appartenir définitivement au Moyen-Age : la Russie mène cette guerre sainte contre l’Antéchrist, contre les « assauts du globalisme et contre l’Occident tombé dans le satanisme ».  Et les prêtres orthodoxes ont l'obligation "de prier tous les jours pour la victoire des forces russes".
"Ça veut dire, estime André Markowicz, que, peu à peu, mais d’une façon très claire, Poutine a mobilisé la société tout entière, – tout le pays, et que cette guerre contre l’Ukraine est devenue une guerre existentielle." Jusqu'à l'intérieur de la Russie, explique encore André Markowicz, où des personnes  sont agressées, victimes de ratonnades, simplement à cause de leur physique asiatique ou caucasien. Dès lors, "les immigrés, par centaines aujourd’hui (mais le mouvement va s’amplifier) rentrent chez eux, du jour au lendemain (...)".

La guerre est qualifiée de sainte mais donc aussi d'existentielle, "non pas parce qu’elle est existentielle pour le pays, mais pour lui (le régime poutinien). Ce que dit Poutine (ou plutôt ce qu’il ne dit pas mais ce qu’il montre) c’est que, maintenant qu’il a les mains libres grâce à Trump (qui gouverne déjà, quoi qu’on puisse dire), il n’y aura pas de quartier, – il veut conquérir l’Ukraine tout entière et, réellement, concrètement, en remplacer les habitants. Les Ukrainiens qui ne comprennent pas qu’ils sont russes ou doivent vivre « l’influence exclusive de la Russie » seront détruits, « totalement », soit ils iront « à l’Ouest » – de nouveaux millions de réfugiés, donc, – libre à l’Europe sataniste de les accueillir ou pas."

André Markowicz est inquiet : "combien il y en a, de voix en France, de la gauche à la droite, pour dire que « non, la France ne fera jamais la guerre à la Russie »... Et combien ne comprennent pas que ce n’est pas la France qui fera ou ne fera pas la guerre à la Russie, mais la Russie qui fera, ou ne fera pas (mais qui fera) la guerre, – et plutôt non, disons-le autrement : qui la fait déjà, la guerre, sauf que nous, dans la vie quotidienne, on ne s’en rend pas compte. Et combien, en France, ne comprennent pas que, ce qui va arriver, c’est ça. Que nous sommes, aujourd’hui, entrés dans une période dont un dirigeant polonais (est-ce Donald Tusk lui-même ?) a dit que c’était une « avant-guerre ».
C’est la guerre qui s’avance. Pas une « opération militaire spéciale » Non, une guerre, d’annihilation. Et nous regardons ailleurs."

Oui, le monde n'a les yeux tournés que vers Gaza. Les jeunes (et moins jeunes) indignés ont raison réclamer la fin de la guerre à Gaza et de défendre le peuple palestinien. Mais qui se soucie de cette guerre à nos portes, qui menace la démocratie en Ukraine et chez nous ? Qui s'inquiète du sort des Ukrainiens ? Et pendant ce temps, Biden, coincé entre Israël et Gaza, perd des points (ce qui signifie que Trump en gagne), pendant ce temps, l'extreme droite européenne, qui trouve beaucoup de charme au régime poutinien, progresse partout. Le vacarme de cette guerre fait de moins en moins de bruit chez nous.
Il fait froid dans le monde.

jeudi 9 mai 2024

Dialoguer

Ils veulent la fin de la guerre, mais pas la paix. C'est ce qu'il faut comprendre de l'opposition de certains étudiants à une conférence, prévue en juin à l'ULB (l'Université Libre de Bruxelles), d'Elie Barnavi, historien, essayiste et ancien ambassadeur d’Israël en France, sur la situation entre Israël et la Palestine.
“Elie Barnavi est une voix équilibrée pour la paix. Nous sommes beaucoup à avoir cette voix en disant qu’il faut qu’il y ait deux Etats qui vivent en pays côte à côte”, a déclaré la députée bruxelloise Viviane Teitelbaum. “Nous avons en face de nous des gens qui ne veulent pas la paix, ni le dialogue, qui ne veulent pas jeter des ponts et qui veulent construire des murs.”. Même point de vue chez Henri Goldman, membre de l’Union des progressistes juifs de Belgique (UPJB) : ”En même temps que je suis aux côtés du principe de l’occupation de ces étudiants, je trouve que cette demande de boycott est une stupidité”. (1)
L'intellectuel israélien rejeté se présente comme "pro palestinien depuis toujours", convaincu que les Palestiniens ont les mêmes droits que lui et favorable à un Etat palestinien. "Je me bats pour ça, nous sommes nombreux en Israël à le faire. S’en prendre à moi et aux universités qui sont des lieux de débats, […] c’est tout simplement contre productif” (...) “Ce qui est extraordinaire dans ces lieux d’élites, […], c’est l’abyssale ignorance de ces jeunes. Comme ils ne veulent pas entendre ce que des gens comme moi ont à leur dire, ils se complaisent dans cette espèce d’ignorance”.

On a du mal à comprendre qu'une opposition aussi ferme au dialogue puisse venir d'étudiants en sciences politiques. Ou alors on craint le pire par rapport aux politiques qu'ils pourraient mener plus tard, s'ils devaient être d'une manière ou d'une autre, au pouvoir, sans dialogue, sans écoute, sans nuance, sans analyse. Visiblement, pour eux, le monde est facile à comprendre : il y a les pauvres victimes et les méchants oppresseurs. Il y a les bons Palestiniens et les affreux Israéliens (ou plus largement Juifs). Le 7 octobre 2023 est une date qui n'a pas existé pour eux dans l'histoire du monde.
La situation des Palestiniens est suffisamment dramatique pour qu'ils soient soutenus par semblables hargneux fermés au dialogue. Peut-on dans le même temps vouloir la fin de la guerre et refuser d'écouter les voix pacifistes ?

Dans Le Monde, ce jour (2), un collectif de dix professeurs de Sciences Po Paris dénonce la volonté de boycott des universités israéliennes. Ils rappellent que la mission d’une université dans une démocratie est d'être "un lieu de savoir où sont élaborées de nouvelles idées en réponse à des questions difficiles". Ils déplorent "la fermeture de la pensée, le radicalisme et les simplifications à outrance (qui) ont prospéré depuis plusieurs jours". "Nous appelons, écrivent-ils, au retour à une forme de civilité intellectuelle et républicaine qui repose sur le respect de la parole de ceux qui pensent différemment et sur l’acceptation des règles essentielles du pluralisme critique, en vue de créer des ponts au lieu de les détruire."
Ils s'opposent au boycott : "aux barricades, aux slogans outranciers et aux formules offensantes proposons un débat constructif avec toutes les parties prenantes. Faisons en sorte que Sciences Po offre un espace de dialogue entre Israéliens et Palestiniens, et plus largement entre les citoyens des différents pays de la région. Sans les universités israéliennes et leurs voisines, dans le contexte d’une véritable communauté globale du savoir, ce projet ne peut pas avoir lieu."

On se permet de conseiller aux étudiants (et à toute personne prête à entrer dans la complexité de l'histoire et de l'actualité de ce sac de nœuds qu'est le Moyen-Orient) de lire "Holocaustes" de Gilles Kepel, ouvrage sorti tout récemment aux éditions Plon.

(1) https://www.lalibre.be/belgique/societe/2024/05/08/blocage-des-etudiants-sur-le-campus-de-lulb-ce-qui-est-extraordinaire-cest-labyssale-ignorance-de-ces-jeunes-MBJVDXFKJVG3BOG6M54SMUHW2A/
(2) https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/05/09/sciences-po-l-accentuation-des-clivages-est-une-impasse-voyons-comment-construire-un-dialogue_6232366_3232.html

mardi 7 mai 2024

Le sens des mots et de l'humour

Mon dernier billet se terminait sur un appel à l'humour. Il pourrait nous aider à vivre. Mais il y a humour et humour. C'est l'émoi à France Inter et chez nombre de ses auditeurs : l'humoriste Guillaume Meurice serait potentiellement viré. Il avait, il y a quelques mois, suscité l'indignation notamment de sa direction pour avoir traité Netanyahu de "une sorte de nazi, mais sans prépuce". Il s'était fait taper sur les doigts. Pour la directrice de France Inter, dans un contexte de « recrudescence des actes antisémites au sein de notre pays, ce choix des mots semble particulièrement malvenu ». L'Arcom, (l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, le "gendarme de l'audiovisuel", avait adressé une mise en garde à Radio France, estimant que le sketch avait « porté atteinte au bon exercice par Radio France de ses missions et à la relation de confiance qu’elle se doit d’entretenir avec l’ensemble de ses auditeurs ».
Meurice avait, dès lors, logiquement reçu un avertissement de la part de Radio France. Il l'a contesté devant un tribunal qui a considéré que cette formule ne relevait pas de l'injure mais du droit à l'humour. Il en a fait un livre. Récemment en radio, il a à nouveau cité cette expression et a été, en attendant toute décision, suspendu. On a le droit de tout dire quand on est humoriste, soutient-il. Dimanche dernier, l'équipe de l'émission "Le Grand dimanche soir" (dans laquelle il officie)  l'a défendu. "Comme l'extrême droite a décidé de nous faire taire ce soir, on ne va tout de même pas leur laisser ce plaisir", a déclaré l'animatrice de l'émission, Charline Vanhoenacker (1). Que vient faire là-dedans l'extrême droite ? On n'en sait rien, mais on a le droit de tout dire quand on est humoriste.  
L'accusation est d'autant plus curieuse que dans le même temps un journaliste de France Info (du même groupe Radio France que France Inter) est suspendu pour avoir failli aider le leader du Front du Rassemblement national à écrire un livre. Lui, on n'imagine pas que c'est l'extrême droite qui l'a fait taire.

Hier, dans une autre émission de France Inter, "La Bande originale" (2), un autre humoriste, Tanguy Pastureau, explique que sur les réseaux dits sociaux, il lit "plein de messages d'adieu d'auditeurs",  appelant au boycott de France Inter à cause de l'affaire Meurice et reçoit des ordres à soutenir ce dernier. "Ça m'a gonflé, parce que je fais ce que je veux, en fait." Tanguy Pastureau dit que ce qu'il ne soutient pas, c'est "le fait de suspendre deux semaines quelqu'un avant un entretien bla bla je sais pas quoi, on meurt sous les procédures dans ce pays, parlez-vous, la direction et Meurice, prenez un thérapeute de couple, un mec de l'ONU (...). A cause de la direction de Radio France, tous les salariés d'Inter maintenant vont être accusés de travailler pour une chaine qui bafoue la liberté d'expression (...). A propos de liberté d'expression à 100%, petit point, ça n'existe pas en France, et ouf, car aux Etats-Unis ou c'est le cas, vous pouvez dire "je suis un nazi", avoir une croix gammée tatouée entre les yeux, porter un T-shirt avec le visage de Charles Manson, l'assassin de Sharon Tate, (...)".
Et puis, Pastureau rappelle ceci : "les humoristes ont une responsabilité, les gars, certains d'entre nous ont 900.000 followers, font des salles de 2000 places, 5 millions de vues YouTube, les algorithmes nous ont donné plus de pouvoir d'influence que l'ensemble du gouvernement, c'est plus juste des vannes, tout est démultiplié et le peuple est à cran, (...). On dit aussi "un grand pouvoir implique de grandes responsabilités". Faites avec. Vous n'êtes pas juste des clowns." Il dit encore que "dire d'un juif, même le plus atroce d'entre eux, que c'est un nazi, ça peut choquer, rapport à l'histoire, parce que le monde n'a pas commencé à la naissance de notre nombril. Les plaies de la Shoah sont encore béantes, et celles de l'esclavage, et celle du génocide arménien, (...). Alors on peut rire de tout, mais si on accepte que face à nos mots, parfois les autres pleurent. Et crient. Et soient blessés. C'est la vie. C'est pas juste "l'essstrême-droite pas gentille". Les gens ont un cœur. Je soutiens tous ceux qui se font virer comme ça, en un claquement de doigt (...) Je soutiens, mais je n'oublie qu'au lendemain du 7 octobre quand moi, j'ai pris position, j'ai reçu des centaines et des centaines de menaces de mort. Je l'ai dit à l'antenne, avec les larmes aux yeux, j'ai pas eu un soutien dans cette putain de radio. Ici, dans cette équipe, oui, et Charline et Sophia, toujours citer ceux qui vous donnent de la force, Quant aux twittos qui me donnent des ordres maintenant, ils ne l'ont pas fait à l'époque : #soutienpastureau, loulou. C'était pas le bon combat, c'est ça ?"

C'est la grande mode aujourd'hui : traiter les gens avec qui on est en désaccord de nazi ou de facho (3). C'est facile. Pas besoin de réfléchir. Mais les mots ont un sens et une histoire. On voit par là que l'humour n'est pas toujours désarmant.

Post-scriptum : un ami m'apprend que Guillaume Meurice a fait ses débuts au Théâtre de la Main d'or (4), celui de Dieudonné, cet humoriste d'un genre particulier, plusieurs fois condamné pour antisémitisme et  grand ami de Jean-Marie Le Pen. Leur humour est-il d'extrême gauche ou d'extrême droite ? On s'y perd. En tout cas, il n'est pas drôle.

(1) https://www.lalibre.be/culture/medias-tele/2024/05/05/charline-vanhoenacker-consacre-son-emission-a-guillaume-meurice-mis-a-pied-par-radio-france-un-humoriste-claque-la-porte-en-direct-GY5PKCXMH5C3BI75RSFBFVJA7E/
(2) https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/tanguy-pastureau-maltraite-l-info/tanguy-pastureau-maltraite-l-info-du-lundi-06-mai-2024-5093789
(3) A lire : Gérard Biard, "68 millions de nazis, sauf moi", Charlie Hebdo, 1.5.2024.
(4) https://atlantico.fr/article/decryptage/guillaume-meurice-a-commence-sa-carriere-avec-dieudonne
Sur ce blog, à propos de Guillaume Meurice :
https://moeursethumeurs.blogspot.com/2017/11/non-encore-une-fois.html
https://moeursethumeurs.blogspot.com/2017/12/lart-de-savoir-se-taire.html

dimanche 5 mai 2024

Fascination de la violence

En France, ces dernières semaines, de manière aussi incompréhensible qu'inquiétante, on a vu des adolescents tués par d'autres. Pour des raisons diverses. Souvent très futiles. A chaque fois, au couteau. Pourquoi des jeunes se promènent-ils avec un couteau dans leur poche ? Comment peuvent-ils l'utiliser pour tuer ?
Ici et là, on voit des gens fascinés par ce tueur en série qu'est Poutine. D'autres attirés par la violence islamiste. Aux Etats-Unis, posséder une et même plusieurs armes est considéré comme normal, mais fumer un joint est criminel. Dans le conflit Hamas-Israël, certains ont été jusqu'à applaudir les viols, les éventrations, les assassinats de juifs, quand d'autres se réjouissent de la mort de musulmans. 
Comment expliquer une telle fascination pour la violence et les violents ?

Dans "Un monde flamboyant" (1), Siri Hustvedt fait dialoguer deux de ses personnages tous deux artistes plasticiens : "Comme je lui disais que Marinetti était un fou répugnant, il a répliqué qu'il aimait ce qui était fou et répugnant. Qu'il aimait le feu, la haine et la vitesse. Il y a de la beauté dans la violence, a-t-il dit. Personne ne veut le reconnaître, mais c'est vrai. (...) J'ai réagi à ses propos. J'ai dit que c'était une esthétique fasciste, et que pour voir de la beauté dans les mutilations et les effusions de sang, il fallait être complètement distancié des individus concernés. Mais Rune a appris qu'une vive décharge verbale ou visuelle provoque des réactions fortes, qu'il peut alors savourer à son aise. Il est séduit par une insurrection facile, de l'espèce qui ne coûte rien à personne."

Dans son dernier ouvrage, "Le Couteau" (2), récit de l'agression qui faillit lui coûter la vie, Salman Rushdie imagine un dialogue avec l'homme de vingt-quatre ans qui a tenté de l'assassiner au nom de sa religion. Rushdie lui cite Bertrand Russel qui, dans The Faith of a Nationalist, dit ceci : "Les gens tendent à aligner leurs croyances avec leurs passions. Les hommes cruels croient un dieu cruel et prennent prétexte de leurs croyances pour excuser leur cruauté. Tandis que les bonnes personnes croient un dieu de bonté, et elles auraient été bonnes de toute façon." Rushdie imagine que, enfant, "le A.", comme il l'appelle, était "un brave garçon qui a bon cœur et n'aurait fait de mal à personne" et se pose ces questions : "un tel enfant, à peine adulte, peut-il se voir enseigner la cruauté ? La cruauté était-elle déjà en lui, dans quelque recoin intime, attendant les mots qui allaient la libérer ? Ou a-t-elle pu être véritablement semée dans le sol vierge de votre caractère pas encore formé, y prendre racine et s'épanouir ? Ceux qui vous connaissaient ont été surpris de votre geste. Le meurtrier en vous n'avait pas encore montré son visage. Ce sol vierge a eu besoin de quatre années d'Imam Yutubi pour devenir ce qu'il est, ce que vous êtes devenu." Juste après, Rushdie a cette réflexion sur l'humour : "la seule façon de comprendre la polémique autour de ce livre (Les Versets sataniques) c'était d'y voir une querelle entre ceux qui ont le sens de l'humour et ceux qui ne l'ont pas. Je vous comprends bien à présent, mon assassin raté, hypocrite assassin, mon semblable, mon frère. Vous pouviez envisager un meurtre parce que vous étiez incapable de rire."

Peut-on enseigner l'humour ? C'est une arme désarmante. Le monde s'en trouverait meilleur.

(1) Babel - Actes Sud, 2014, traduction de Christine Le Bœuf.
(2) Gallimard, 2024, traduction de Gérard Meudal.


vendredi 3 mai 2024

Thanatophiles

L'amour rend aveugle. Parfois bête aussi. Et même odieux. Des militants pro-palestiniens à l'Université de Columbia ont empêché des étudiants juifs de pénétrer sur le campus aux cris de "Hamas, on t'aime !", "On aime aussi tes roquettes !", "Brûlez Tel-Aviv !", "Dehors les sionistes !", "Retournez en Pologne !". (1) Soutenir le peuple palestinien et son droit à vivre tombe sous le sens, mais soutenir le Hamas (et en profiter pour agresser des juifs), c'est soutenir la mort. Le Hamas a un objectif qui est une véritable obsession : la destruction de l'Etat d'Israël, par tous les moyens. La défense des Palestiniens n'est qu'un faux nez qui abuse des esprits sans doute bienveillants, mais surtout faibles. Des esprits obscurcis qui veulent se - et nous - convaincre que le Hamas est un mouvement de résistance, alors qu'il s'agit d'un mouvement totalitaire qui emprisonne et torture ses opposants, qui tue les homosexuels, n'a que faire du sort des Palestiniens et règne par la terreur.

Un article du quotidien israélien Ha'Aretz (2) donne la parole à des Gazaouis de tous âges qui maudissent le Hamas qui leur a imposé cette guerre et son cortège de souffrances. Tous s'expriment sous pseudonyme, tant ils craignent des représailles. Plus d'un propriétaire d'âne à Gaza a rebaptisé son animal Yahya Sinwar, le nom du plus haut chef militaire du Hamas. Basel, 30 ans, dit sa colère devant la confiscation de son histoire par le Hamas. "Le Hamas joue avec ma vie, comme avec celle de millions de personnes, au nom de slogans absurdes sans aucun fondement réel, des slogans qui ont rabaissé la cause palestinienne et transformé une lutte digne et noble en un combat quotidien pour un morceau de pain et quelques boîtes de conserve." Une sexagénaire estime que " la colère et l'amertume contre le Hamas sont grandes et elles sont partout". Un professeur de sciences politiques de l'université Al-Azhar à Gaza rappelle dans un article qu'avant cette guerre les plus hauts dirigeants politiques du Hamas ont fui Gaza pour la Turquie et le Qatar, "laissant se débrouiller les combattants de base et les dirigeants de second plan, menés par l'ancien prisonnier sans expérience de la politique ni du pouvoir", à savoir Yahya Sinwar. La guerre que mène actuellement Israël au Hamas a quasiment "anéanti le pouvoir militaire du Hamas, mais pas son pouvoir d'oppression sur nous", constate, amer, Basel. Il rappelle qu'avant la guerre tout rassemblement de plus de dix personnes nécessitait une autorisation, les jeunes ne pouvaient se retrouvaient sur la plage et les relations filles-garçons étaient sous le contrôle de la police des mœurs. Tous ces Gazouis critiques du régime déplorent de voir les journalistes palestiniens et arabes se détourner dès qu'ils entendent s'exprimer la colère du peuple contre le Hamas.

Sur son site, le Courrier international relaie aussi l'article (3), dans lequel Shlomi Eldar, journaliste de Ha’Aretz, relate le résultat de ses rencontres avec plusieurs Palestiniens, tant pro-Fatah que pro-Hamas et issus des couches supérieures de la société gazaouie. Parmi eux, Soufian Abou Zaïda, un ancien détenu politique du Fatah libéré par Israël dans le cadre des accords d’Oslo de 1993. "Dans une sorte de folie messianique", Yahya Sinwar avait imaginé la conquête de l'ensemble de l’État hébreu, au point de se préparer à gouverner la “nouvelle Palestine”, explique-t-il. "Le Hamas s’était mis à multiplier les références à la “dernière promesse”, une annonce concernant la fin des temps, lorsque tous les êtres humains auront adopté l’islam. Mais, en dehors du noyau dur du Hamas, cet affrontement apocalyptique avec Israël n’était considéré que comme une chimère destinée à détourner l’attention des Gazaouis de leur sort." Un ancien cadre du Hamas confirme : “Il y a deux ans, lors d’une conférence au sommet avec Sinwar, ce dernier avait vanté les réalisations du Hamas, au premier rang desquelles le creusement de plusieurs centaines de kilomètres de tunnels et d’un coût évalué par Sinwar lui-même à 250 millions de dollars. Beaucoup d’entre nous se sont dit qu’il était devenu fou.” Selon lui, Sinwar et les siens vivaient dans un "univers parallèle” : “un jour, un commandant du Hamas m’a contacté pour m’annoncer fièrement qu’il était en train de mettre la dernière main à une liste de fonctionnaires qui seraient nommés à la tête des villes et des villages de la Palestine reconquise. Moi, j’étais censé devenir le nouveau maire de Zarnouka”, un quartier de la ville israélienne de Rehovot, qui compte 150 000 habitants juifs.
Des plans détaillés avaient été établis, avec un relevé cadastral de milliers de biens censés être saisis par le Hamas dans tout Israël. Et le sort des Juifs était déjà réglé : "concernant les colons juifs occupant la Palestine usurpée [l’État d’Israël], il faudra distinguer entre ceux qui ont pris les armes contre nous et qui seront exécutés, et les civils, qui auront le choix entre, soit la conversion à l’islam et l’adoption de la langue arabe, soit l’exil.” Cependant, il fut également décidé que les experts et les scientifiques juifs n’auraient pas le droit de quitter le pays et seraient forcés de mettre leurs compétences au service de la nouvelle Palestine".

Comment peut-on aimer le Hamas, ce mouvement qui vénère la mort et exhibe fièrement des images de ses militants commettant les crimes les plus atroces avec un grand sourire ? 
Comment peut-on aimer le Hamas quand on entend Ismaïl Haniyeh, le chef de son bureau politique, qui déclare, alors qu'il vient d'apprendre, depuis Doha où il vit, la mort à Gaza de ses propres enfants et petits-enfants, qu'il « remercie Allah pour la mort de ses enfants éliminés sur le chemin de la libération de Jérusalem et de la mosquée d’Al-Aqsa ». Réflexion de Rapahël Enthoven : "Quand on est capable de se réjouir d’avoir perdu les siens, on a perdu avant même de combattre. On incarne la défaite. On pue la mort."
Révérer le Hamas comme le font des étudiants en sciences politiques (qui ont encore tant à apprendre), ce n'est pas défendre la cause palestinienne, c'est mépriser les Gazaouis.

(1) "A l'école du Hamas", Franc-Tireur, 1.5.2024.
(2) Amira Hass, "Maudit soit le Hamas", Ha'Aretz, 1.4.2024, in Le Courrier international, 2.4.2024.
(3) https://www.courrierinternational.com/article/enquete-des-dirigeants-du-hamas-pensaient-conquerir-israel
(4) "Le Hamas perdra", Franc-Tireur, 17.4.2024.


mercredi 1 mai 2024

Un endroit tranquille où mourir

Un mardi après-midi (hier), on apprend en lisant "Le Couteau" (1), le dernier ouvrage de Salman Rushdie, que son ami Paul Auster ne va bien, qu'il souffre d'un cancer du poumon. On s'inquiète pour lui. "Il faudrait lui retirer deux ou trois lobes du poumon. Je lui rappelai que le dramaturge devenu président de la République tchèque, Vaclav Havel, lui aussi gros fumeur, s'était retrouvé après son opération avec seulement la moitié d'un de ses poumons et qu'il se portait bien. Il en a ri et a déclaré qu'il espérait faire mieux. C'était bon de le voir et de l'entendre rire. J'étais heureux de le voir si optimiste. Mais le cancer était sournois. On ne pouvait qu'espérer que tout aille pour le mieux."
Le lendemain (ce matin), on apprend que Paul Auster est mort. L'un (qui ne croit pas aux miracles) aura échappé miraculeusement à une vingtaine de coups de couteau, l'autre aura dû céder face au cancer. 

Dans Le Monde (2), Denis Cosnard le décrit comme "un immense écrivain américain. L’un des plus brillants de sa génération, le plus francophile aussi. Un orfèvre dans l’art du récit, plongeant dans son enfance, son histoire, ce qu’il appelait sa « zone intérieure », pour nourrir des textes romanesques, autobiographiques ou même politiques d’une intelligence et d’une sensibilité extrêmes. Il savait retracer comme nul autre la vie de ses personnages ou la sienne dans toute leur amplitude, leurs contradictions, leurs sinuosités, leurs bifurcations liées parfois à d’apparents hasards." Il salue aussi sa "langue limpide", et sa "maitrise de la narration". Le critique du Monde relève que "ses premières phrases sont des modèles du genre". Au hasard, parmi d'autres de ses livres, on ouvre "Brooklyn Follies" (3). On lit la première phrase : "Je cherchais un endroit tranquille où mourir. Quelqu'un me conseilla Brooklyn et, dès le lendemain matin, je m'y rendis de Wetchester afin de reconnaître le terrain". Paul Auster est mort hier soir dans sa maison de Brooklyn.

(1) Salman Rushdie, "Le Couteau", Gallimard, 2024, trdaction de Gérard Meudal.
(2) https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2024/05/01/le-grand-ecrivain-americain-paul-auster-auteur-de-moon-palace-et-leviathan-est-mort-a-77-ans_6230916_3382.html
(3) Paul Auster, "Brooklyn Follies", Actes Sud, 2005, traduction de Christine Le Bœuf.

Le jour du jeu

1er mai. Fête du travail. C'est le jour où traditionnellement Elio Di Rupo troque son nœud papillon pour un foulard rouge autour du cou. Paul Magnette porte un blouson de cuir pour tenter de ressembler à un ouvrier. (Ils portent un blouson de cuir, les ouvriers ?). C'est le jour où tous deux se rappellent les paroles de l'Internationale et où ils lèvent le poing. C'est le jour où les patrons wallons tremblent. Le 1er mai est un jour théâtral.