lundi 28 février 2011

Parisianismes

Voici deux-trois semaines, Eric Zemmour a été entarté. Il a trouvé qu'il s'agissait là d'une "blague de mauvais goût". On ne peut lui donner tort. D'autant qu'on n'oserait lui contester ses connaissances en la matière. Il s'en est fait une spécialité (1). On constate qu'Eric Zemmour, condamné - à peu près au même moment - par la justice pour propos racistes (2), a été discriminé par cet entartage. C'est ainsi, que voulez-vous? Il devrait s'y résigner, lui qui considère que "la discrimination, c'est la vie". D'ailleurs, il appelle à détruire la HALDE, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (3). On pourrait le prendre au mot: mettre à la poubelle ses bouquins (il semblerait que non seulement il parle mais qu'il écrive aussi), boycotter les émissions dans lesquelles il sévit. C'est assez facile à faire.

Le styliste John Galliano est accusé d'injures antisémites. Il conteste les insultes mais dit avoir réagi parce que ses interlocuteurs l'avaient pris pour un sdf et traité comme tel. John Galliano a autrefois fait défiler des mannequins habillés en guenilles. Il avait créé la mode sdf (4). C'était très tendance, ma chère. Apparemment, il n'aime pas qu'on le prenne pour un paumé qui ne serait pas tendance. On voit par là que le mauvais goût est avant tout une affaire de goût.

Résumons-nous: il est difficile d'être et de paraître à la fois.

(1) Eric Zemmour fait partie de ces gens dont on ne sait très bien ce qu'ils font. Ils passent à la télé. Ils s'y laissent aller. La télé est devenue le bon endroit pour se laisser aller.
(2) voir sur ce blog "La mauvaise haleine de la télé", 23.01.2011
(3) voir http://carolinefourest.wordpresse.com - "Sauvons la HALDE", 15.01.2011
(4) JT de France 2 ce soir

samedi 26 février 2011

Oh! Wapidées

Tout le monde ne peut avoir l'insigne chance d'habiter en Wallonie picarde. C'est dommage. C'est the place to be. Elle porte le charmant diminutif de Wapi. C'est joli, c'est léger, c'est bondissant. La Wapi, disent ses thuriféraires, fait envie. On ne sait trop de quoi. D'être la région qui fonctionne à la méthode Coué sans doute. Elle s'est fixé des objectifs audacieux, paraît-il. On les cherche. On en trouve. Mais ailleurs.
Voici, en vrac, quelques idées appliquées dans d'autres villes et régions qui pourraient pousser la Wapi dans la voie du développement et de l'intelligence durables. Au-delà des mots dont on peut se gargariser à l'envi.
- Eclairer les trottoirs avec l'énergie des piétons *: en marchant, un passant produit jusqu'à 70 watts; la mairie de Toulouse récupère cette énergie pour éclairer les réverbères. Des détecteurs de mouvements augmentent la puissance des lampes au passage des promeneurs. Ce qui permet de n'éclairer les trottoirs que quand y passent des piétons et d'économiser 70% d'énergie. Quand on sait que l'éclairage public représente 40% de la facture d'électricité d'une ville, on voit que les piétons ont de l'or dans les pieds (1).
- Récupérer la chaleur des eaux usées pour chauffer les bâtiments: à Valenciennes, la chaleur des eaux usées issues des douches et des lave-linge est récupérée et répond à 80% des besoins en chauffage de l'hôtel de ville (1).
- Limiter voire interdire l'entrée en ville de véhicules polluants: à Orléans et à Montpellier, cités médiévales, les véhicules de livraison classiques ne sont plus autorisés que le matin. En journée, place aux petits véhicules électriques (1).
- Interdire les sachets en plastique: à New Delhi, utiliser un sac plastique est désormais passible d'une amende de 1600 euros, voire de cinq ans de prison!
- Instaurer une journée (ou plus) sans viande: à Gand, le jeudi est végétarien. C'est tout bénéfice pour la santé et pour la planète (2).
- Créer une monnaie "responsable": les habitants du quartier Rabot-Blaisantvest, à Gand également, ont lancé en octobre dernier leur monnaie, le toreke, complémentaire à l'euro. Elle est utilisable dans les magasins bios, les transports en commun, les activités socialement responsables (3).
- Interdire les panneaux publicitaires dans l'espace public: c'est ce qu'a fait la ville de Sao Paulo au Brésil pour lutter contre la culture de consommation (4).
Quelques autres idées encore:
- Interdire désormais la construction de nouvelles maisons quatre façades: c'est économiser de l'énergie et de l'espace.
- Développer les énergies renouvelables jusqu'à viser les émissions zéro de CO2: c'est bon pour la planète. Et pour le moral.
- Travailler à une mobilité plus douce (on peut compter sur ses doigts les kilomètres de pistes cyclables en Wapi) et à une augmentation de la sécurité routière (en Wapi, c'est dramatique ce que les discothèques sont meurtrières dans leurs effets secondaires).
- Etendre les mesures agri-environnementales appliquées dans les parcs naturels à tout le secteur agricole en Wapdoowap.
- Raccourcir les circuits entre producteurs et consommateurs en agriculture.
- Utiliser des plastiques biodégradables (pour les yaourts par exemple), d'autant qu'on en fabrique en Youpi.
La liste n'est pas exhaustive. Si vous avez des idées, n'hésitez pas à les envoyer au Comité de Développement de la Wapdoowap (ou quelque chose de ce genre) qui visiblement en manque.
On a appris voilà deux jours que le village de Calonne et quelques agriculteurs vont être sacrifiés sur l'autel de l'économie-qui-a-toujours-raison et
du Holcim-est-plus-fort-que-vous-que-voulez-y-faire-?.

(1) LLB, 14.02.2011
(2) voir sur ce blog "Carnaval au moins une fois par semaine", 03.12.2009
(3) FinanCité Magazine, décembre 2010 - www.torekes.be
(4) interview de l'économiste Tim Jackson, Le Vif, 11.02.2011

* L'énergie des piétons, c'est mieux que l'énergie du désespoir. Défendons les piétons. Tant qu'il en reste.

jeudi 24 février 2011

Une surprise

Il n'est jamais bon d'avoir pour guide un aveugle. Même - et surtout - s'il est suprême. Les Libyens le savent depuis longtemps et tentent - une fois encore, une fois qu'ils espèrent être la bonne - de s'en débarrasser. Le guide résiste, fait tirer sur ses compatriotes, les menace de "boucheries". C'est dire s'il aime son peuple. Il n'a plus aucune retenue, il en eut peu dans sa vie, mais cette fois il est clair qu'il a tout épuisé. Il éructe, crache sa haine, exprime sa folie. Il n'est pas président, dit-il. Il ne peut donc démissionner, lui qui est l'incarnation de la révolution. La révolution, c'est la sienne, elle date de 1969. Il en est propriétaire et il ne peut y avoir de révolution contre la révolution. Aujourd'hui, il vient d'affirmer que les Libyens qui par (centaines de ?) milliers s'opposent à lui sont drogués, manipulés par Ben Laden. Il prend les Libyens et la communauté internationale pour des demeurés. On en rirait si la situation n'était aussi dramatique.
Beaucoup de chefs d'Etat et de marchands d'armes sont aujourd'hui surpris, ils ignoraient que le Colonel Kadhafi était un fou furieux. Il est toujours bon de s'informer. En recevant ce président terroriste, en lui vendant des armes, en faisant semblant de croire qu'il s'était assagi, en lui donnant du crédit, en lui baisant la main même, ils ont écrasé un peu plus le peuple libyen. Celui-ci a compris qu'il ne devait rien attendre ni de l'Occident si prompt à donner des leçons de démocratie, ni de soi-disant révolutionnaires anti-américains. Le pétrole, les affaires et les alliances passent avant la population. Résumons-nous: l'hypocrisie se porte mieux que le peuple libyen.

P.S.: la règlementation sur les ventes d'armes par la FN de Herstal va être améliorée. Mais n'attendez pas des Wallons qu'ils soient plus éthiques que le reste de l'Europe, ce serait "idiot". C'est ce qui ressort des propos du premier wallon au JT de la RTBF ce soir. Voilà pourqwé no 'stons fîrs etc.

samedi 19 février 2011

Wallonie, terre d'écueil

La révolution arabe se répand. Après la Tunisie et l'Egypte, voici qu'elle gagne l'Algérie, le Yémen, Bahreïn, l'Iran. Et même la Libye. Des événements qui agitent cette Libye, dirigée de main de maître absolu par le Colonel Kadhafi depuis quarante-deux ans, on ne sait pas grand chose. La police et l'armée ont coupé les liaisons internet et y sont toute puissantes. Elle y sont bien armées. Grâce à la FN d'Herstal notamment. En 2009, notre Fabrique nationale d'armes a vendu à l'armée libyenne 367 fusils F2000, 367 P90, 367 pistolets 5.7 et des armes "à létalité réduite". On voit par là que la qualité wallonne est appréciée de l'autre côte de la Méditerranée. Le GRIP (1) avait indiqué alors combien il trouvait peu opportune cette vente d'armes: il rappelait qu'on dénombrait alors 875 millions d'armes légères dans le monde, que 7 à 8 millions d'unités sont produites chaque année, et que l'armée libyenne, qui compte 120.000 hommes, disposait alors d'un armement jugé "largement suffisant". Dans un courrier adressé aux parlementaires wallons, le GRIP estimait que "vendre des armes légères à la Libye peut s'apparenter à un marché toxique qui risque de mettre à mal la réputation de la Belgique sur la scène internationale" (2).

Le Ministre-Président de la Région wallonne avait pourtant pris le temps de consulter et de réfléchir. Un an. Au lendemain des élections régionales de juin 2009, il était enfin capable de prendre sa décision d'accorder ou non cette licence de vente d'armes à la Libye. On était enfin in tempore non suspecto. On pouvait prendre une décision "dans la sérénité", estimait Rudy Demotte. Sans préciser qui était alors serein. Certainement pas les opposants libyens. Cette décision fut - qui s'en étonna vraiment ? - positive. L'emploi wallon méritait bien cette sage décision. Mais voilà que l'armée libyenne n'utilise pas sagement ses armes. Allez, rendez-les nous. On vous remboursera.
Voilà pourqwé no s'tons firs d'iess' wallons!

(1) Groupe de Recherche et d'Information sur la Paix et la Sécurité
(2) Le Soir, 05.12.2009

vendredi 18 février 2011

Sainte Nitouche

Finalement, ce que Bart De Wever fait le mieux, c'est s'offusquer. Il est parfait dans le rôle de la victime. Dès qu'un négociateur fait un pas, même minime, vers une recherche de compromis, il lui fait un croc-en-jambe. On s'en plaint. La main sur le coeur, il s'indigne, il dit qu'il fait ce qu'il peut, qu'il n'est responsable de rien. C'est pas moi, dit-il, mais que voulez-vous? ce pays est en panne. L'impasse des négociations, selon lui, démontre que ce pays est ingouvernable. Il est facile de dire qu'un compromis est introuvable: il suffit de refuser de le trouver. Ce qu'il a trouvé, c'est une nouvelle occasion de s'offusquer. Les déclarations de Laurette Onkelinx l'ont fâché. Tout rouge. Elle estime que "la NVA est un parti nationaliste et le nationalisme est un cancer qui ronge le pays". Le président de la NVA ne peut l'entendre. Et moins encore l'accepter. L'enfant capricieux n'aime pas la critique. Entend-il le ras-le-bol des jeunes qui se sont manifestés hier à travers tout le pays? De Wever et les flamingants tiennent un vieux discours, celui d'un oude wereld, un monde dépassé qui veut mettre des frontières là où elles disparaissent. Les jeunes de la génération Erasmus et Facebook, qui vivent au quotidien la multiculturalité, ringardisent les nationalistes. Mais De Wever s'en moque. Il fait barrage de son corps. On sent bien qu'il veut aller aux élections. Augmenter encore son score et celui de son parti. Et devenir l'empereur de toutes les Flandre. C'est la marche de l'empereur. Il marche à reculons.

P.S.: Au Journal parlé de la Première (RTBF) à 13h, Eric-Emmanuel Schmidt déclarait que " le nationalisme est une pathologie". De Wever est de ces malades qui nient leur maladie. Ce qui n'aide pas à la soigner.

jeudi 17 février 2011

Douches froides

La revue Nature, connue pour sa rigueur scientifique, vient de publier deux articles établissant clairement un lien entre les inondations catastrophiques et meurtrières qu'ont connues ces dernières années de nombreux pays à travers le monde et le réchauffement climatique dû à l'activité humaine. C'est ce que nous apprend le JT de France 2 ce soir. Les gaz à effet de serre entraînent une augmentation de température qui elle-même génère une évaporation plus importante des eaux maritimes. Et dès lors des précipitations extrêmes.
On attend impatiemment la réaction de Claude Allègre, leader du climatoscepticisme, si prompt à dire tout et n'importe quoi, pourvu qu'on parle de lui. Si Claude Eerdekens a quelque chose à dire aussi, qu'il n'hésite pas. Ses commentaires sont toujours attendus avec impatience (voir "D'un Claude à l'autre. Allègrement", 21.03.2010).
Le même JT revient sur les inondations le long de la côte atlantique française voilà un an exactement. On constate que des travaux de rehaussement des digues sont en cours ici et là. On voit bien aussi que certains ont construit leur maison en bord de mer. La vue sur le mer doit être belle. Elle l'est moins quand l'eau monte dans les maisons. On se demande si l'homo est toujours sapiens.

De la nécessité de maîtriser l'orthographe

On reçoit un message - un de plus - nous avertissant que notre carte bancaire est suspendue. On pourrait s'inquiéter. On ne le fait pas, on comprend vite que l'auteur du message nous prend pour un gogo. Au point qu'il ne se soucie même pas de faire semblant de maîtriser la langue française. Voilà - textuellement - ce qu'il nous écrit:

"Bonjour client de Visa Card ,
Votre Carte Bancaire est suspendue , Car Nous avons remarqué un probleme sur votre Carte.
Nous avons determiner que quelqu'un a peut-etre utiliser Votre Carte sans votre autorisation. Pour votre protection, nous avons suspendue votre Carte de credit. Pour lever cette suspention, Cliquez ici et suivez la procedure indiquer pour Mettre a jour de votre Carte Credit. Note: Si ce n'est pas achever le 30 fevrier 2011, nous serons contraints de suspendre votre carte !
Nous vous remercions de votre cooperation dans le cadre de ce dossier. Merci,
Support Clients Service."

On voit par là que l'auteur du message non seulement méconnaît totalement la syntaxe et l'orthographe, mais surtout ignore que le mois de février s'arrête le 28. On ne ferait pas confiance à un gestionnaire aussi brouillé avec des connaissances aussi élémentaires.
On voit aussi par là que si l'on veut prendre les gens pour des cons, mieux vaut s'assurer avant de ne pas en être un soi-même.

lundi 14 février 2011

Il y a étranger et étranger

On l'a vu et entendu: des habitants de Herbeumont n'apprécient pas qu'un centre d'accueil de réfugiés occupe désormais l'ancien village de vacances installé chez eux (1).
Voilà à présent que le Shape s'inquiète lui aussi pour des raisons semblables: l'hôtel Maisières qui lui fait face, à Casteau à deux pas de Mons, pourrait désormais être transformé en centre d'accueil pour 250 demandeurs d'asile et une trentaine de mineurs non accompagnés. Le Shape (Quartier général des forces alliées en Europe) a exprimé "ses préoccupations sécuritaires à propos de cette situation et de son possible impact négatif sur la communauté du Shape", apprend-on (2). Cette communauté vit - ou en tout cas travaille - derrière des grillages solidement gardés. On n'entre au Shape qu'en montrant patte blanche. C'est le cas de le dire. Cette communauté est, pour l'essentiel, composée d'étrangers venus des vingt-huit pays membres de l'OTAN et de pays partenaires. On est toujours l'étranger de quelqu'un, que l'on soit américain, canadien, français, polonais, suédois ou tchèque. Mais certains étrangers sont plus étrangers que d'autres. Ceux-là sont incapables de montrer patte blanche. Il convient, on le comprend, de s'en méfier: "le Shape demande formellement qu'une estimation de la menace soit établie de façon coordonnée avec les organismes belges traitant des problèmes de sécurité de façon à pouvoir évaluer l'accroissement de la menace potentielle pour le quartier et sa communauté", peut-on lire.
On comprend par là que quand l'hôtel était un hôtel il ne constituait pas une menace. C'est comme le village de vacances de Herbeumont. Les touristes et les chargés d'affaires sont gentils par définition. Les réfugiés sont menaçants. Tout le monde sait cela. On se dit que s'ils sont si menaçants, c'est sans doute une bonne idée de les installer face à des militaires, plutôt qu'au coeur d'un quartier habité par des personnes défavorisées et désarmées. On sent que quelque chose nous échappe.

(1) cf "Il y a trop d'étrangers dans le monde", 03.02.2011 et "Les oiseaux de passage", 06.02.2011
(2) cf LLB, 09.02.2011

samedi 12 février 2011

Défendre Chantal Descampagnes

Depuis onze ans, Chantal Descampagnes dirige le Centre culturel de Schaerbeek. Un centre aux moyens modestes, avec une toute petite équipe, mais qui réalise un beau travail. Comme, par exemple, "Parole aux jeunes" le week-end prochain ou la Nuit des Femmes début mars.
C'est une excellente professionnelle de l'action socioculturelle. J'ai pu m'en rendre compte en suivant certains de mes étudiants qui y étaient ou y sont aujourd'hui en stage.
Et voilà que le pouvoir organisateur du centre veut lui retirer sa fonction, sans que personne n'en comprenne bien les raisons.
Une pétition est en ligne pour la soutenir:
http://www.lapetition.be/en-ligne/sos-8545.html

vendredi 11 février 2011

Good vibrations

Tout à coup, on se sent égyptien. On n'avait jamais pensé l'être un jour. Trois semaines auparavant, on ne pensait pas à l'Egypte. On pensait à la Tunisie à laquelle on ne pensait pas un mois plus tôt. La télévision et internet sont d'énormes caisses de résonance. Mais aussi d'appartenance. On est devant sa télé, branché sur Euronews et on entend ces clameurs de la Place Tahrir, hier des clameurs de colère, aujourd'hui de bonheur. On les partage à sa manière. On est incapable de bouger, de zapper. C'est toujours la même image, le même son. Il n'y en a pas de plus beaux. L'émotion traverse les ondes et la Méditerranée. D'autres régimes doivent aujourd'hui boucler leur ceinture de sécurité, s'accrocher à leur siège.
Les autorités égyptiennes ont eu beau couper internet. C'était trop tard. Le mouvement était parti.
En mai 68 à Paris, les étudiants en révolte s'aidaient de transistors, écoutaient dans les rues les informations d'Europe 1 pour savoir où était la police, ce qu'elle préparait. Aujourd'hui les réseaux sociaux de type Facebook ont pris le relais, plus efficaces encore. Le citoyen peut produire l'information, utiliser les médias pour informer lui-même, faire passer des messages, mobiliser. Facebook aura été le meilleur allié des révolutionnaires tunisiens et égyptiens: "cela nous permettait, en temps réel, de connaître la réalité de la situation sur le terrain et de contourner la désinformation de la télé officielle", explique Lofti Mejri, avocat tunisien (1).
On peut critiquer bien des aspects de l'ordinateur qui isole et crétinise. Mais il crée aussi des liens et peut constituer un formidable outil de mobilisation. C'est la jeunesse Facebook qui a mis fin aux trente années de règne de Moubarak, aux vingt-trois ans de pouvoir sans partage de Ben Ali.

Le gouvernement chinois, pas plus que Moubarak et Ben Ali, n'est très blogueur. Il a créé la Guobao, la brigade de protection de la sécurité intérieure. Entendez par là une police politique qui se balade sur internet, les blogs et les réseaux sociaux et pourchassent tous ceux qui ont l'outrecuidance de critiquer les autorités. Ou tout simplement de s'exprimer librement. Des gouvernements comme ceux-là débloguent complètement. Mais à force de débloguer, ils risquent aussi de dégager. Un jour ou l'autre. Parfois le lendemain du jour où ils affirmaient, convaincus, qu'ils ne quitteraient jamais le pouvoir. Aujourd'hui, le rêve est permis.

(1) le Vif/l'Express, 21.01.2011

dimanche 6 février 2011

Les oiseaux de passage

A Alice (voir "Il y a trop d'étrangers dans le monde" - 03.02.2011)

C'est une cour carrée et qui n'a rien d'étrange :
Sur les flancs, l'écurie et l'étable au toit bas ;

Ici près, la maison ; là-bas, au fond, la grange

Sous son chapeau de chaume et sa jupe en plâtras.


Le bac, où les chevaux au retour viendront boire,

Dans sa berge de bois est immobile et dort.

Tout plaqué de soleil, le purin à l'eau noire

Luit le long du fumier gras et pailleté d'or.


Loin de l'endroit humide où gît la couche grasse,

Au milieu de la cour, où le crottin plus sec
Riche de grains d'avoine en poussière s'entasse,

La poule l'éparpille à coups d'ongle et de bec.


Plus haut, entre les deux brancards d'une charrette,

Un gros coq satisfait, gavé d'aise, assoupi,

Hérissé, l'œil mi-clos recouvert par la crête,

Ainsi qu'une couveuse en boule est accroupi.


Des canards hébétés voguent, l'oeil en extase.

On dirait des rêveurs, quand, soudain s'arrêtant,

Pour chercher leur pâture au plus vert de la vase

Ils crèvent d'un plongeon les moires de l'étang.


Sur le faîte du toit, dont les grises ardoises

Montrent dans le soleil leurs écailles d'argent,

Des pigeons violets aux reflets de turquoises

De roucoulements sourds gonflent leur col changeant.


Leur ventre bien lustré, dont la plume est plus sombre,

Fait tantôt de l'ébène et tantôt de l'émail,

Et leurs pattes, qui sont rouges parmi cette ombre,

Semblent sur du velours des branches de corail.


Au bout du clos, bien loin, on voit paître les oies

Et vaguer les dindons noirs comme des huissiers.

Oh ! qui pourra chanter vos bonheurs et vos joies,

Rentiers, faiseurs de lards, philistins, épiciers ?


Oh ! vie heureuse des bourgeois ! Qu'avril bourgeonne

Ou que décembre gèle, ils sont fiers et contents.

Ce pigeon est aimé trois jours par sa pigeonne ;

Ca lui suffit, il sait que l'amour n'a qu'un temps.


Ce dindon a toujours béni sa destinée.

Et quand vient le moment de mourir il faut voir

Cette jeune oie en pleurs : " C'est là que je suis née ;

Je meurs près de ma mère et j'ai fait mon devoir.

"
Elle a fait son devoir ! C'est à dire que oncque
Elle n'eut de souhait impossible, elle n'eut

Aucun rêve de lune, aucun désir de jonque

L'emportant sans rameurs sur un fleuve inconnu.


Elle ne sentit pas lui courir sous la plume

De ces grands souffles fous qu'on a dans le sommeil,

Pour aller voir la nuit comment le ciel s'allume

Et mourir au matin sur le coeur du soleil.


Et tous sont ainsi faits ! Vivre la même vie

Toujours pour ces gens-là cela n'est point hideux

Ce canard n'a qu'un bec, et n'eut jamais envie

Ou de n'en plus avoir ou bien d'en avoir deux.


Aussi, comme leur vie est douce, bonne et grasse !

Qu'ils sont patriarcaux, béats, vermillonnés,

Cinq pour cent ! Quel bonheur de dormir dans sa crasse,

De ne pas voir plus loin que le bout de son nez !


N'avoir aucun besoin de baiser sur les lèvres,

Et, loin des songes vains, loin des soucis cuisants,

Posséder pour tout cœur un viscère sans fièvres,

Un coucou régulier et garanti dix ans !

Oh ! les gens bienheureux !... Tout à coup, dans l'espace,

Si haut qu'il semble aller lentement, un grand vol

En forme de triangle arrive, plane et passe.

Où vont-ils ? Qui sont-ils ? Comme ils sont loin du sol !


Les pigeons, le bec droit, poussent un cri de flûte

Qui brise les soupirs de leur col redressé,

Et sautent dans le vide avec une culbute.

Les dindons d'une voix tremblotante ont gloussé.


Les poules picorant ont relevé la tête

Le coq, droit sur l'ergot, les deux ailes pendant,

Clignant de l'œil en l'air et secouant la crête,

Vers les hauts pèlerins pousse un appel strident.


Qu'est-ce que vous avez, bourgeois ? Soyez donc calmes.

Pourquoi les appeler, sot ? Ils n'entendront pas.

Et d'ailleurs, eux qui vont vers le pays des palmes

Crois-tu que ton fumier ait pour eux des appas ?


Regardez-les passer ! Eux, ce sont les sauvages

Ils vont où leur désir le veut, par-dessus monts,

Et bois, et mers, et vents, et loin des esclavages.

L'air qu'ils boivent feraient éclater vos poumons.


Regardez-les ! Avant d'atteindre sa chimère,

Plus d'un, l'aile rompue et du sang plein les yeux,

Mourra. Ces pauvres gens ont aussi femme et mère,

Et savent les aimer aussi bien que vous, mieux.


Pour choyer cette femme et nourrir cette mère,

Ils pouvaient devenir volaille comme vous.

Mais ils sont avant tout les fils de la chimère,

Des assoiffés d'azur, des poètes, des fous.


Ils sont maigres, meurtris, las, harassés. Qu'importe !

Là-haut chante pour eux un mystère profond.

A l'haleine du vent inconnu qui les porte

Ils ont ouvert sans peur leurs deux ailes. Ils vont.


La bise contre leur poitrail siffle avec rage.

L'averse les inonde et pèse sur leur dos.

Eux, dévorent l'abîme et chevauchent l'orage.

Ils vont, loin de la terre, au dessus des badauds.


Ils vont, par l'étendue ample, rois de l'espace.

Là-bas, ils trouveront de l'amour, du nouveau.

Là-bas, un bon soleil chauffera leur carcasse
Et fera se gonfler leur cœur et leur cerveau.


Là-bas, c'est le pays de l'étrange et du rêve,

C'est l'horizon perdu par delà les sommets,

C'est le bleu paradis, c'est la lointaine grève

Où votre espoir banal n'abordera jamais.


Regardez-les, vieux coq, jeune oie édifiante !

Rien de vous ne pourra monter aussi haut qu'eux.

Et le peu qui viendra d'eux à vous, c'est leur fiente.

Les bourgeois sont troublés de voir passer les gueux.

"Les oiseaux de passage" de Jean Richepin (1849-1926), version complète du texte mis en musique et popularisé par Georges Brassens - trouvé sur http://poesie.webnet.fr/lesgrandsclassiques/poemes/jean_richepin/les_oiseaux_de_passage.html

vendredi 4 février 2011

Vergogna

On n'est jamais si bien servi que par soi-même. Silvio Berlusconi le sait. Il s'aime beaucoup, ça fait plaisir, on voit tant de gens qui manquent de confiance en eux. "Je suis le meilleur président du conseil qu'ait connu l'Italie depuis cent cinquante ans", dit-il. On se réjouit pour lui. Mais on a des doutes. On pense même que ce serait le contraire. D'autres aussi: des magistrats, des journalistes l'attaquent. Mais il est inattaquable, le parlement italien a adopté trente-six lois ad personam pour qu'il en soit ainsi. Le reportage de Maria-Rosa Bobbi et Michael Busse (1) le démontre. Prouve aussi son appartenance avec la sinistre loge P2, ses liens avec la mafia, notamment via Marcello Dell'Utri, son bras droit, et les investissements de la mafia dans Forza Italia, le parti berlusconien.
Le président du conseil répond coup pour coup à chaque attaque; il ne supporte pas la magistrature, la presse. Il les insulte. Le seul pouvoir, c'est lui. Il a interdit tout débat électoral sur la RAI aux dernières élections. Ce pouvoir, il l'exerce en mêlant argent, coups bas, mensonges, kitsch, populisme, suffisance et menaces.

Un Italien imagine ses journées, sa vie avec Berlusconi. Le matin, il quitte son appartement, propriété d'un groupe immobilier qui appartient à Berlusconi. Il se rend à son travail à Mondadori, la société d'édition qui appartient à Berlusconi. Au passage, il achète un journal qui appartient à Berlusconi. Le soir, soit il regarde une chaîne de télé qui appartient à Berlusconi, soit il va au cinéma voir un film produit par une société qui appartient à Berlusconi, dans un complexe qui appartient à Berlusconi, soit encore il va voir un voir un match de foot d'un club milanais qui appartient à Berlusconi. Il a encore une autre possibilité: lire un livre édité par Mondadori, qu'il a acheté dans une librairie qui appartient à Berlusconi. On voit par là qu'on n'échappe pas à qui vous savez. En fait, entre la Tunisie et l'Italie, la différence est faible. Elle tient au nombre de gens qui disent "basta!". Et à la légalité de l'élection. Mais les deux pays appartiennent à une seule personne, ont été vendus, pillés, la corruption est la même. La confusion des intérêts, économiques et politiques, aussi. L'Etat n'est plus que gangrène.

Berlusconi s'est associé - acoquiné serait un verbe plus juste - avec la Ligue du Nord, dont certains membres se plaisent à faire le salut fasciste et à se référer à Mussolini. L'un d'entre eux traite les immigrés d'animaux. Faut-il considérer de la même manière les centaines de milliers d'Italiens qui ont émigré en Belgique, en France, en Argentine, aux Etats-Unis, au Venezuela? "Tous les étrangers, dehors!", dit-il.

Le tout-puissant a ses supporters: "c'est un chef d'entreprise doté d'un grand sens de la communication", admire l'un d'eux. "Un homme riche et puissant, les autres ne pensent qu'à s'enrichir", dit un autre. On voit par là que celui qui possède suscite l'estime, plus que celui aimerait posséder. "Il faut un chef", dit un troisième. Et tant pis si le chef a assis son pouvoir sur une corruption qui a gagné tous les étages de la société italienne.
D'autres Italiens protestent, se battent, dénoncent le personnage. Le "Peuple violet" est né sur internet, il n'est lié à aucun parti. Il s'oppose à la "lobotomisation totale du peuple italien", à son "abrutissement". D'autres expriment leur honte: "il est embarrassant pour un Italien de parler de cette situation avec un non-Italien, dit le patron d'une chaîne de télé numérique condamnée à vivoter, " le sentiment qui domine, c'est la honte". C'est ce que me disait aussi récemment une amie italienne, contente que son travail ne l'amène plus à voyager hors d'Italie pour y représenter un pays dirigé par semblable personnage.
Nanni Moretti fut l'un des plus virulents contre le Cavaliere, mais n'est guère optimiste. A la fin de son film, "Le caïman", il imagine la condamnation de Berlusconi, mais à la sortie du tribunal, le président du Conseil est applaudi par la foule, quand les juges sont agressés. Après lui, le chaos. "L'Italie est un pays du tiers-monde", dit un interlocuteur dans le documentaire.

(1) diffusé sur Arte mardi dernier

jeudi 3 février 2011

Il y a trop d'étrangers dans le monde

Le racisme et la bêtise ne connaissent pas de frontières. On vient d'en avoir la preuve ce soir avec une séquence du JT de la RTBF. Un centre d'accueil de réfugiés vient d'ouvrir ses portes à Herbeumont, dans un ancien village de vacances. Certains Saglés - c'est le nom, apprend-on, des habitants d'Herbeumont - ne décolèrent pas. Certains sont même devenus hystériques. Leur village est "foutu". C'est ce qu'ils disent. L'un d'entre eux, "un vieux saglé", a envoyé une lettre au Ministre Philippe Courard, en charge de l'accueil des réfugiés, pour menacer ses enfants. Il a oublié de signer de son nom. C'est dire s'il était énervé. Ses enfants à lui sont en danger de mort, comprend-on, du seul fait de la présence dans le village de quatre cents personnes supplémentaires qui, pour la plupart, ont fui leur propre village parce qu'elles étaient en danger de mort. Au JT, on a pu voir et entendre certaines d'entre elles. Ces gens sont noirs. C'est dire s'ils sont capables de faire peur. D'ailleurs, une habitante d'Herbeumont le dit: il faut se méfier, "on ne sait jamais avec ces nationalités-là". La libraire a décidé d'interdire certains rayons de sa boutique à ces nationalités-là. Günter Walraff, s'il s'était baladé, en Belgique, aurait - hélas - établi les mêmes constats qu'en Allemagne (1): la bêtise et la haine se portent mieux que jamais. En attendant, nous voilà prévenus: à Herbeumont (comme dans tant d'autres villes et villages peuplés d'imbéciles heureux qui sont nés quelque part), on aime les étrangers quand ils sont touristes, entendez blancs et friqués. Les autres ont intérêt à passer leur chemin. On n'est pas complètement saglé, on a compris la leçon: on le passera.

(1) voir "Portrait de la bêtise humaine", 27.01.2011