mercredi 29 décembre 2021

Que se taisent les morts

C'est une scène qu'on retrouve dans de nombreux films fantastiques : le monstre reste insensible aux coups d'épée, les flèches ne peuvent rien contre sa carapace, même l'effondrement d'une montagne sur son dos le laisse de marbre. Le spectateur croit le monstre définitivement anéanti quand il a disparu en hurlant sous une rivière d'or en fusion. Mais non, il en renait après quelques instants, en rugissant de plus belle.
Ainsi va le régime russe qui n'en finit jamais avec le soviétisme.

Hier, la Cour suprême de Russie a prononcé la dissolution de Memorial International, présentée par Le Monde (1) comme "l’ONG russe la plus ancienne et la plus connue pour ses travaux de recherche sur les répressions de l’époque soviétique". Elle avait été cofondée par le prix Nobel de la paix Andreï Sakharov. Selon le procureur Alexeï Jafiarov, "il est évident que Memorial, en spéculant sur le thème de répressions au XXe siècle, crée une image mensongère de l’URSS comme Etat terroriste ». Il l'accuse, en outre, de « blanchir et de réhabiliter les criminels nazis ». 
"Pour de très nombreux Russes en quête d’informations sur le sort passé de leurs proches, poursuit Le Monde, l’ONG a joué un rôle de premier plan dans la documentation de la terreur stalinienne dont ont été victimes les familles. Elle continue encore aujourd’hui à le faire, alors que ces crimes sont relativisés ou mis sous le tapis. Sa disparition est en ce sens parlante : le pouvoir russe actuel, dont les représentants revendiquent fièrement l’héritage des services de sécurité soviétiques, se débarrasse de la dernière organisation critiquant ouvertement ce legs et pointant les similitudes entre pratiques passées et présentes." 

La veille, lundi, la Justice russe avait condamné l'historien du goulag Iouri Dmitriev à 15 ans de détention. "Pour de nombreuses ONG, relève Le Monde (2)M. Dmitriev paye pour ses recherches sur l’ampleur des répressions staliniennes, une page de l’histoire dont le Kremlin s’efforce de minimiser l’importance car en contradiction avec le discours officiel sur l’héroïsme et la grandeur de la Russie, héritière de l’URSS. M. Dmitriev a passé des décennies à localiser des charniers et à exhumer les restes de victimes. Sous Vladimir Poutine – qui est un ancien officier du KGB, l’organisation héritière des polices politiques de Lénine et Staline –, l’accès aux archives d’Etat concernant ces sujets a été considérablement réduit et les identités des exécutants des purges, classées secrètes. "

Du passé, faisons table rase. Et faisons taire celles et ceux qui veulent entretenir la mémoire de gens qui n'ont jamais existé. Iouri Dmitriev et ses amis voulaient que justice soit rendue aux milliers de prisonniers du Goulag morts en captivité, notamment ceux de Sandormokh, un hameau abandonné en Carélie russe, où ils avaient découvert en 1997 un charnier de centaines de fosses communes.
"Rien ne devait se savoir", écrit Bernard De Backer dans un article glaçant, très documenté, récemment publié sur son blog et consacré au livre Sandormokh - Le livre noir d'un lieu de mémoire, d'Irina Flige (3)," ni l’exécution, ni le nom, ni la date, ni le lieu du supplice et de l’enfouissement des cadavres sous terre, ni, bien sûr, l’identité des auteurs. Quelques survivants ou évadés, témoins d’époque qui passèrent par les îles Solovki entre les deux guerres, membres des familles sans nouvelles de leurs proches, habitants du voisinage ayant vu ou entendu des mouvements suspects conservaient leurs souvenirs en silence." Le silence de l'Etat soviétique était plus lourd encore, plus oppressant, plus effrayant. Un silence totalitaire. Celui du régime de Vladimir Poutine l'est tout autant. Comme s'il endossait la responsabilité des dirigeants soviétiques, l'Etat russe veut à toute force enfermer son passé dans le mensonge. Ce qui a eu lieu n'a pas eu lieu. Les morts inconnus n'ont jamais existé. Le vernis démocratique dont se targuait encore parfois le régime poutinien ne cherche plus à faire illusion. Le monstre est toujours vivant. 

Peuples gores et peineux, aux pensées anomiques
Nations mornes et fangeuses, esclaves anachroniques
Qui marchent lentement sous l'insulte et la trique
Des tribuns revenus de la nuit soviétique
C'est l'histoire assassine, qui rougit sous nos pas
C'est la voix de Staline, c'est le rire de Beria
C'est la rime racoleuse d'Aragon et d'Elsa
C'est le cri des enfants morts à Karaganda
"Karaganda (Camp 99)", Hubert-Félix Thiéfaine (Stratégie de l'inespoir)

(1) https://www.lemonde.fr/international/article/2021/12/29/en-russie-la-dissolution-de-l-ong-memorial-marque-l-ampleur-du-recul-democratique-de-l-ere-poutine_6107571_3210.html
(2) https://www.lemonde.fr/international/article/2021/12/27/en-russie-l-historien-du-goulag-iouri-dmitriev-condamne-a-quinze-ans-de-prison_6107414_3210.html
(3) https://geoculture.blog/2021/11/25/regler-son-compte-a-sandormokh/#more-11978

Il reste possible de continuer à soutenir Memorial, notamment via Memorial France: 
http://memorial-france.org/about-us/

lundi 13 décembre 2021

Miss Foie gras 2022

A quoi tient un pays? Valérie Pécresse, la candidate de la bonne vieille droite à l'élection présidentielle, est très inquiète. Elle ne dort plus, la France est en danger. Les décisions de certains maires écolos lui font craindre le pire. Voici qu'après Strasbourg, Villeurbanne et Grenoble, c'est la ville de Lyon qui annonce qu'il n'y aura plus de foie gras dans les repas officiels. Cette absence de foie gras étouffe Valérie Pécresse. "Y aura du foie gras, parce qu'on aime le foie gras. On aime le foie gras. Je vais vous dire: si être français, c'est de ne plus avoir de sapin de Noël, c'est ne plus manger de foie gras, c'est ne plus avoir la chance d'élire Miss France, à un moment donné, la France, c'est la France et le foie gras, c'est la France." On le voit, l'heure est grave. Déjà que les Français ne portent plus de béret, ne roulent plus en 2CV et ont sensiblement diminué leur consommation de vin, que deviendra la France si ses habitants ne trouvent plus, au pied de leur sapin de Noël, Miss France les bras remplis de boîtes de foie gras ? Ce pays va à vau-l'eau. 

Ce sketch peut être revu sur: https://www.france.tv/france-3/19-20-journal-national/2942171-edition-du-dimanche-12-decembre-2021.html (à +/- 12').

dimanche 12 décembre 2021

Invasion mythique

La France est menacée d'invasion. Elle est déjà occupée par trop d'immigrés. Les Français ne sont plus chez eux. C'est ce que charlemartèlent les Zemmour, les Le Pen, les identitaires qui pensent qu'un bon Français doit s'appeler Jean-Marie et une bonne Française France.
La réalité est bien différente. De nombreux pays regardent éberlués cette France qui se laisse enfermer dans la question de l'immigration. Une fausse question, aux yeux de beaucoup d'observateurs étrangers.

"A peu près tous les voisins de la France ont une plus grande proportion d’immigrés dans leur population", écrit le New York Times. "Au cours de la dernière décennie, l’immigration a moins augmenté en France que dans le reste de l’Europe ou dans d’autres nations développées du monde. (...) En 2020, en France, la part des immigrants dans la population – 13 % – est inférieure à la moyenne des pays de l’OCDE." 
La rubrique CheckNews de Libération (1) constate que "si l’on se fie à la notion d’immigré telle que définie par l’Insee et l’Ined (soit une personne née étrangère à l’étranger, excluant donc celles nées françaises à l’étranger), la France comptait l’an dernier 6,8 millions d’immigrés, soit 10,2 % de sa population totale d’après les dernières données de l’Insee."
Le dernier bilan de l’OCDE indique, souligne encore Libération, qu’en moyenne, entre 2010 et 2019, les entrées d’immigrés dits permanents en France ont représenté chaque année 0,4 % de la population du pays. Un chiffre nettement inférieur à la moyenne des pays de l’OCDE, qui était de 0,69 % sur la période. " On peut dire que notre taux d’immigration est modéré comparé à la plupart des pays occidentaux ", explique Jean-Christophe Dumont, directeur de la division des migrations internationales de l’OCDE.

L’évolution de la part des personnes nées à l’étranger dans la population totale a évolué de 2,2 points sur la dernière décennie en France: elle était de 11,6% en 2010 et de 13,1% en 2020. 2,2% d’augmentation moyenne donc, quand elle était de 2,9 au Royaume-Uni, de 3,3 en Allemagne ou de 4 en Belgique.
" Ces dernières années, on observe que l’immigration en France est, en proportion, parmi les plus faibles, quelle que soit la mesure considérée ", analyse Marine Haddad, chercheuse à l’Ined et spécialiste de l’immigration.
Ce qui est vrai, explique Libération, c'est que la France est un vieux pays d’immigration, qui a une deuxième génération (ayant au moins un parent immigré) bien plus importante que ses voisins. Le pays, selon une étude de l’Insee, était l’un des seuls pays européens à compter davantage d’enfants de la deuxième génération que d’immigrés. Comparativement à ses voisins, le pays " se caractérise par des flux migratoires plus anciens, mais aussi plus faibles sur la période récente ", écrivait déjà l’Insee en 2012. Voilà pourquoi on est très loin d'une invasion. Pourquoi aussi tous les enfants français ne s'appellent pas Eric ou Marine. On se calme. On respire.

mercredi 8 décembre 2021

Lettre à un jeune maire séduit par un prêcheur de haine

Bonjour, Spike Groen.

Je te connaissais peu jusqu'à présent. Nous siégeons tous deux depuis un an et demi dans le Conseil de notre Communauté de communes. De prime abord, je te trouvais plutôt sympathique. J’admirais ton élégance vestimentaire, ton look entre D’Artagnan et Marcel Proust. Et puis surtout, je me réjouissais de voir qu’un jeune homme de 19 ans était capable de se mobiliser pour sa commune, de prendre ses responsabilités et d’assumer la fonction de maire pour éviter que son village, faute de candidats à l’élection municipale, soit administré par la préfecture.
Et voilà que je découvre que derrière cette allure de dandy et ce militant pour l’autonomie locale vit un fervent supporteur d’un prêcheur de haine. Tu as créé un comité de soutien à l’épouvantail Zemmour et es fier de parader à ses côtés.

Tu as un nom et un âge qui auraient dû te pousser à te mobiliser pour le climat, pour l’avenir de la planète et de ses habitants. Et voilà que tu soutiens un candidat qui n’a d’yeux que pour un passé mythifié, qui réécrit l’Histoire et veut réhabiliter Pétain.
Comment peut-on être si vieux à 21 ans, me demandé-je ? Comment peut-on soutenir un personnage qui n’a pour programme que la fermeture des frontières ? Surtout quand on vient soi-même d’ailleurs.

Tu viens de Frise, je viens de Wallonie et près de cinquante ans nous séparent. Quand j’avais ton âge, je militais contre l’apartheid et le stalinisme, je me définissais comme pacifiste. Toi, tu soutiens un candidat qui a fait de l’agressivité contre les autres sa marque de fabrique. Fabricant de haine, voilà ce qu’il est. Là où il faudrait unir, il divise. Là où il faudrait jeter des ponts, il installe des barbelés. L’urgence aujourd’hui, c’est de créer des liens, d’apaiser un monde où se multiplient les conflits, d’accueillir celles et ceux qui cherchent un refuge, de lutter contre le réchauffement climatique qui menace l’avenir de l’humanité. Mais Zemmour se contente de cracher son fiel, à mille lieues des priorités actuelles. Comment peux-tu faire un héros de ce triste sire ? Comment ce cauchemar peut-il te faire rêver ?

Dans l’article que Le Monde t’a consacré pour essayer de te comprendre, je lis que tu as placé un drapeau bleu-blanc-rouge sur le portail de ta mairie. Derrière le drapeau français, il y a une devise: liberté - égalité - fraternité. Ton héros défend la première de ces valeurs (liberté de dire et de faire ce que l’on veut), mais piétine à chacune de ses interventions les deux autres. On aimerait l’entendre sur l’égalité entre les êtres humains, entre les hommes et les femmes, entre ceux qui sont nés ici et ceux qui viennent d’ailleurs. On aimerait savoir, s’il est encore républicain, comment il entend faire vivre la valeur de fraternité, lui qui ne connaît pas le mot « accueil » et ne rêve que de refoulement, de rejet, d’exclusion. Il porte la vision d’une France rance, rabougrie, refermée sur elle-même. Une France triste.

Depuis toujours, depuis qu’il diffuse ses idées nauséabondes sur les plateaux de télé, Z. me fait penser à Tullius Detritus, ce personnage de « La Zizanie », album des aventures d’Asterix. Il a pour mission de semer la discorde dans les rangs gaulois.
Raciste assumé, condamné pour incitation à la haine raciale, nostalgique du pétainisme, Zemmour conspue le « Système » qui l’a fait. Connu comme journaliste polémiste grâce à la télé, il crache sur les médias et sur ses ex-confrères et consœurs, dénonce une élite à laquelle il appartient, sème la haine mais joue les victimes quand il la reçoit en boomerang. J’aimerais comprendre ce qui peut te séduire chez un personnage qui m’apparaît aussi repoussant.

Le Monde te dit « angoissé par une hypothétique progression de l’islam politique ».
Sais-tu que ton champion, parlant des djihadistes, a affirmé qu'il "respecte des gens qui meurent pour ce en quoi ils croient - ce dont nous ne sommes plus capables » ? Il a même, dit-il, de l'admiration pour eux : "des gens qui meurent pour leur foi, on devrait plutôt être admiratifs que méprisants". Le parquet a ouvert une enquête à son égard pour apologie de terrorisme.
Te rends-tu compte que l’islamisme et l’extrême droite sont les deux faces d’une même triste médaille ? Celle de ceux qui sont sûrs d’avoir raison contre tous les autres, de ceux qui ont fait de la haine pour ceux qui ne sont pas ou ne pensent pas comme eux une valeur.

Depuis quatre ou cinq ans, j‘anime, avec d’autres bénévoles qui continuent à croire en la solidarité (une notion qui semble étrangère à ton mentor), des ateliers d’apprentissage du français auprès de demandeurs d’asile accueillis à Argenton-sur-Creuse. Certains d'entre eux pratiquent déjà un peu l'allemand, l'italien ou le turc, parce que leurs errances et surtout les rejets dont ils ont été l'objet les ont amenés à passer du temps dans ces pays. Aujourd'hui, ils apprennent le français avec l'espoir de s'intégrer ici. J’aimerais que tu rencontres un jour ces personnes, venues du Soudan, d’Afghanistan, du Tibet, du Pakistan, de Mauritanie, de Géorgie, de Guinée, du Nigéria, de tant de pays qu’elles ont fuis à cause de la guerre, de la misère, des menaces. Ces gens ont connu la faim, la soif, le rejet, la prison, la haine, le désespoir, la torture parfois. Ils ont tous une même envie, celle que nous avons tous : vivre en sécurité. Et pour cela, trouver un travail dans le pays qui voudra bien leur donner leur chance.
Connais-tu l’association « Patrons solidaires » ? Elle a été créée par des artisans - boulangers, bouchers, électriciens, menuisiers, etc. - qui peinent à recruter et se battent pour que les jeunes réfugiés africains ou asiatiques qu’ils ont recrutés puissent conserver leurs papiers. Ils ne trouvent quasiment plus de Français - de souche, comme vous les appelez - pour exercer ces professions. Te rends-tu compte que ton Zemmour et la fille à papa Le Pen sont totalement déconnectés de l'économie réelle ? Ils sont les premiers à déplorer la disparition des petits commerces et des artisans dans les campagnes, sans vouloir voir que ce sont de jeunes migrants qui les sauveront. Zemmour incarne le douanier (qui n'est pas un imbécile, puisqu'il est douanier) raciste du sketch de Fernand Raynaud: "J'aime pas les étrangers qui viennent manger le pain des Français". Il chasse l'étranger et se retrouve sans pain. L'étranger était boulanger.

Les chiffres vous donnent tort, à vous qui avez peur d’être envahis. Sais-tu que l'immigration dans les pays de l'OCDE a atteint en 2020 le plus bas niveau enregistré depuis 2003 ? Une baisse d'au moins 30%. La commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Johansonn, estime qu'un aspect positif de la pandémie de coronavirus est d'avoir rendu "évident que nous avons besoin des migrants" sur le marché du travail. A la veille de l’ouverture des stations de sports d’hiver, on voit tous ces employeurs désespérer de trouver des employés. Sais-tu que les immigrés ne coûtent globalement rien à la société ? Leur impact selon les pays et les années oscille entre -1% et +1% du PIB. Et sur la période 2006-2018, il est même le plus souvent positif. Selon l’OCDE toujours, "mieux intégrer les immigrés peut contribuer à renforcer les gains budgétaires. Par exemple, le simple fait de combler l'écart d'emploi entre les personnes d'âge actif issues de l'immigration et celles nées dans le pays, de même âge et de même niveau d'études, pourrait accroître la contribution budgétaire nette totale des immigrés de plus d'un tiers de point de PIB dans un pays sur trois". Mais l'extrême droite préfèrera toujours les slogans simplistes aux chiffres, la haine à la raison. 

Voilà, Spike, mes questions sont nombreuses et réelles. Vraiment, je ne peux te comprendre. J’espère que tu y répondras.
Je ne sais par quelle formule de politesse terminer cette lettre. Certainement pas par « cordialement » ou « amicalement ». Même pas par « au plaisir de te lire ». Je ne suis pas sûr d’y avoir du plaisir. Mais je rêve un peu, quand même, que ce soit le cas, espérant que tu qualifieras demain ton positionnement d'aujourd'hui d’erreur de jeunesse. 

Michel Guilbert 

Post-scriptum: La réponse de S. Groen et diverses réactions sont lisibles dans les commentaires (cliquez ci-dessous).
N'hésitez pas à m'envoyer les vôtres.

(Re)lire sur ce blog: "Ce vieil idéal oublié", 26.11.2021.

lundi 6 décembre 2021

France (Info) soumise

S'il est élu, Jean-Luc Mélenchon nous annonce qu'il sera un président sud-américain. Mais lequel ? On se posait récemment la question (1). On a, depuis hier, la réponse: ce sera Fidel Castro. Le MélenChe entend mettre la télévision publique à son service. Elle est tenue, sous peine d'être accusée de trahir le peuple, de diffuser en direct les discours du futur Lider Maximo.
Hier, en meeting à Paris, le candidat de La France insoumise s'adressait à son peuple et trois chaînes d'information en continu sur quatre retransmettaient en direct et sans filtre son message essentiel. Elles en faisaient de même avec le discours, tout aussi important, de l'épouvantail Z. Les écrans de ces trois chaînes indiquaient que les images étaient fournies par le candidat. Le son l'était aussi. BFM TV, C-News et LCI se sont ainsi "transformées en robinets à propagande électorale". Elles remettent "les clés de leur antenne à des communicants", constate la journaliste de France Inter Sonia Devillers (2). Elle rappelle qu'en 2019 LCI s'était fait remonter les bretelles par le CSA pour "non maîtrise de son antenne". Mais que ce rappel à la déontologie journalistique est restée lettre morte. "Sacrée défaite du journalisme", déplore-t-elle. France Info a, heureusement, refusé de jouer ce jeu dangereux. Ce dont MélenChe s'est plaint pendant son meeting. Il a remercié "les chaînes de télévision qui accomplissent leur devoir civique en nous permettant de nous exprimer devant tous les Français qui le souhaitent, ce qui n'est pas le cas du prétendu service public" (acclamations). On sait maintenant à quoi ressemblerait le service public dans un régime tenu par la France insoumise: un service soumis.

(1) (Re)lire sur ce blog "Le MélenChe, un festival à lui tout seul", 15.11. 2021.
(2) https://www.franceinter.fr/emissions/l-edito-m/l-edito-m-du-lundi-06-decembre-2021

lundi 29 novembre 2021

Le wokisme, loin des Lumières

Quand s'éveillent les woke ? Quand il fait noir ? A force de vouloir à toute force pratiquer l'inclusion et le respect de chacun, ils tombent dans la bêtise la plus abjecte. Leur crainte de choquer qui que ce soit les fait basculer dans l'obscurantisme. Des exemples de bêtise woke, on en a déjà en pagaille (1). En voici d'autres. Le pire est toujours possible. 

Brown Sugar, un des grands titres des Rolling Stones, a été retiré du répertoire de leur tournée actuelle, No Filter. Cette chanson de 1971 "qui dénonce le racisme, l'esclavagisme et les abus sexuels des planteurs britanniques dans les Caraïbes" (2) est considérée par les woke comme "sexiste et constituant une offense aux femmes noires". On engage professeur capable d'apprendre aux mal réveillés à analyser un texte.
Au Texas, une nouvelle loi sur l'éducation oblige désormais les profs à "présenter ou respecter tout point de vue différent et se montrer sans parti pris" (3). Exemple pris par le fonctionnaire en charge de la réforme: l'Holocauste. Il faut donc comprendre que les négationnistes ont les mêmes droits que les historiens ou les victimes et que leur voix doit être entendue comme une autre.
A Toronto, on pense comme au Texas. La rencontre prévue, en février prochain, entre Nadia Murad et des étudiants de la ville a été annulée. La prix Nobel de la paix 2018, victime de l'islamisme, est accusée de « favoriser l’islamophobie ». Nadia Murad est une miraculée. " Réduite à l’état d’esclave sexuelle par les djihadistes de l’état islamique avant de réussir à s’enfuir en Allemagne, elle est, rappelle Franc-Tireur (4), un témoin majeur d’un génocide contemporain paradoxalement mal connu : celui des Yézidis. Minorité du Kurdistan irakien qui pratique une des plus anciennes religions monothéistes, les Yézidis sont haïs des islamistes, qui les surnomment les adorateurs du Diable. Les six frères de Nadia Murad ont été tués en 2014 lors de l’assaut des djihadistes à Sinjar, bastion des Yézidis. C’était le sort réservé aux hommes. Nadia Murad, elle, a été achetée, battue et violée à plusieurs reprises. C’était le sort réservé aux survivantes." Militante des droits de l'homme, elle est, depuis 2016, ambassadrice de bonne volonté de l'Organisation des Nations unies pour la dignité des victimes de la traite des êtres humains. Elle a reçu le prix Nobel de la Paix 2018, en même temps que Denis Mukwege, pour leurs efforts pour mettre fin à l'emploi des violences sexuelles en tant qu'arme de guerre. Mais voilà que pour Helen Fisher, surintendante et membre de la direction du Conseil scolaire du district de Toronto (600 écoles et 250 000 étudiants), la victime est coupable. "Le Conseil scolaire se vante d’être parmi les plus inclusifs au monde, dans une des villes les plus multiculturalistes de la planète." Dès lors, Helen Fischer a fait interdire la rencontre prévue entre les étudiants et Nadia Murad autour de son livre "Pour que je sois la dernière". La sélection des lectures se doit d’être « équitable », rappelle-t-elle. Et voilà Nadia Murad accusée de « favoriser l’islamophobie » dans son livre. "Ah, si seulement les rescapés de crimes contre l’humanité pouvaient cesser de témoigner…, écrit Franc-Tireur. Islamistes, censeurs, paresseux et trouillards pourraient enfin dormir en paix." Et l'école pourrait se contenter de faire lire aux élèves les aventures des Bisounours. 

(1) (Re)lire sur ce blog, par exemple: "Mal réveillées", 25.8.2021.
(2) P. Chesnet, "Woking Stones", Charlie Hebdo, 20.10.2021.
(3) P. Chesnet, "Bonnet d'âne", Charlie Hebdo, 20.10.2021.
(4) https://www.franc-tireur.fr/sois-nobel-et-tais-toi
(5) Nadia Murad, "Pour que je sois la dernière", éd. Fayard, 2018.

vendredi 26 novembre 2021

Ce vieil idéal oublié

Avant tout débat entre candidats à l'élection présidentielle, il faudrait leur faire lire les quelque 800 pages des trois tomes du récit graphique "L'Odyssée d'Hakim" (1). Un témoignage - qui doit être semblable à  des centaines de milliers d'autres - de ce qui pousse des hommes et des femmes à rompre, contre leur gré, leurs racines, à fuir leur quotidien pour tenter de trouver un pays d'accueil qui leur permettrait, à eux et à leurs proches, de se construire un avenir moins effrayant que ce qu'ils vivent. Un témoignage sur le chemin de croix qu'est le chemin de l'exil. S'y mêlent désarroi, faim et soif, froid, rejet, désespoir, escroquerie, danger, mépris, brimades, haine. Et, ici et là, heureusement, entraide et solidarité.
Durant un an et demi, le dessinateur Fabien Toulmé a recueilli régulièrement les souvenirs d'un jeune Syrien qui a fui son pays en guerre pour pouvoir retrouver sa famille accueillie en France. Son épouse et ses beaux-parents ont pu y obtenir le statut de réfugié, mais leur bébé et lui, pour de sombres raisons administratives, n'ont pu les rejoindre que par un périple éprouvant et dangereux via la Jordanie, le Liban, la Turquie, la Grèce, la Macédoine, la Serbie, la Hongrie, l'Autriche, la Suisse et enfin la France. Trois ans de galère durant lesquels il a croisé des gens qui l'ont conseillé, soutenu ou aidé, mais aussi d'autres qui profitent des migrants, leur demandant des prix exorbitants pour une bouteille d'eau, un café, un taxi ou des couches pour bébés. La Hongrie est le pire pays d'Europe, qui parque les migrants comme des bêtes, les maltraite, oubliant qu'en 1956 quatre cent mille Hongrois, fuyant la répression soviétique, ont été accueillis en Europe de l'ouest (2). Parvenant enfin en Autriche, Hakim y est accueilli par des policiers "pleins de compassion". Depuis septembre 2015, la famille est réunie en France où elle a obtenu le statut de réfugié. Elle y vit à l'abri et en sécurité, même si ses fins de mois sont difficiles.

On aimerait entendre les Zemour, les Le Pen et toute cette droite qui se laisse contaminer par ce virus haineux des étrangers réagir à la lecture de cette odyssée et aussi à ces propos d'Ahmad, un autre réfugié syrien qu'Hakim a rencontré en Hongrie: "Et tous ces Européens qui s'imaginent qu'on est des miséreux qui viennent pour gagner de l'argent, prendre leurs emplois. Les miséreux, ils n'ont pas le choix, ils restent en Syrie. Et ils se prennent des bombes sur la tête. J'ai même entendu des hommes politiques dire qu'on était des lâches. Qu'on devrait prendre les armes pour défendre notre pays. Mais pour qui ? Pour les barbares de Daesh ? Ou pour les bouchers qui sont au pouvoir ? Et j'aimerais bien qu'ils me disent quel genre d'arme on doit prendre contre les bombes et les armes chimiques... Je suis sûr que si tout ça se passait dans leur pays, ils seraient les premiers à fuir. Ou pire, à profiter de la situation pour se faire du fric."
On pourrait aussi interroger les candidats à l'élection présidentielle sur la manière dont ils voient la devise fondatrice de la République française, et en particulier la valeur de fraternité, ce "vieil idéal oublié", comme l'écrit David van Reybrouck (3).

En Biélorussie, des réfugiés sont pris en otages par le dictateur Loukachenko qui les a fait venir par avions pour les pousser vers la frontière d'une Pologne qui les rejette. L'Union européenne a pris des sanctions pour tenter d'affaiblir ce régime fort. "Arrêtez les sanctions et je cesserai de vous envoyer des migrants", lui répond Loukanchenko qui n'a pas plus de respect pour les migrants qu'il n'en a pour son propre peuple. Des femmes, des hommes, des enfants sont tombés dans le piège. La Pologne les refoulent, les empêchant de déposer des demandes d'asile. Les voilà un peu plus victimes encore, victimes de situations de guerre et de misère qu'ils fuient en Afghanistan, en Irak, en Syrie, en Ethiopie et victimes d'une guerre diplomatique que se mènent le régime autoritaire de Minsk, avec l'appui de Moscou, et l'Union européenne. 
L'Union européenne se mure. Incapables de se mettre d'accord sur une politique migratoire, ses Etats, pour la plupart, se ferment, certains allant jusqu'à construire murs et barrières. Pour le plus grand plaisir des populistes et des nationalistes, des pays se transforment en forteresses. " Un pays comme le Danemark, pourtant dirigé par les socio-démocrates, a l’une des politiques d’immigration les plus dures du continent", soulignait ce matin Pierre Haski. Sur les billets en euros figurent des ponts. Ils sont rompus. L'industrie du barbelé ne souffre pas de la crise. Et pourtant, l'UE a besoin de cette main d'oeuvre. Les migrations ont toujours existé et les pays en ont besoin d'un point de vue économique, social et culturel, rappelait récemment un philosophe allemand. Un monde sans migration n'a jamais existé, ne pourra jamais exister. 

Pendant ce temps, des migrants se noient par dizaines en Méditerranée ou dans la Manche. La Grande-Bretagne menace de repousser jusqu'aux côtes françaises les migrants qui s'approcheraient des siennes. En les faisant accompagner par des jet-skis ! (5) " La seule conclusion que l’on puisse tirer de ces tragédies à répétition à presque toutes les frontières extérieures de l’Europe, disait Pierre Haski (6), est que nous, la puissante et riche Europe - Royaume Uni compris, une fois n’est pas coutume -, n’avons toujours pas de réponse à cette question. Cela fait pourtant des années qu’elle se pose à l’Europe, des naufragés de Lampedusa en Italie, aux camps de Samos aux allures de prison, en Grèce ; des grillages surélevés de l’enclave espagnole de Ceuta, à l’inhumaine jungle de Calais."
Et de souligner nos contradictions: " Lors de la chute de Kaboul aux mains des talibans, avec les images apocalyptiques de l’aéroport, tout le monde a été d’accord pour aider un maximum d’Afghans à partir. La mobilisation des villes, des associations, des particuliers a permis d’offrir un accueil honorable à des milliers d’Afghans qui avaient pu grimper à bord d’avions. Mais dans le même temps, des Afghans d’autres catégories sociales, venus par d’autres moyens, n’ont pas le même traitement, éternel dilemme". L'éditorialiste de France Inter rappelle qu'à la fin des années 70, "la France accueillait 120.000 boat people d’Indochine, après une mobilisation d’intellectuels de tous bords, de droite comme de gauche (...) Impensable aujourd’hui, avec le débat public délétère autour de cette question, les murs ont poussé, d’abord dans nos têtes." Il cite le politologue bulgare Ivan Krastev qui relevait il y a quelques jours dans le Financial Times, que " l’Europe est impuissante à aider ceux qui veulent la démocratie chez eux, et redoute l’arrivée à sa porte de ces migrants qui rêvent d’Europe. (...) L’Europe est terrorisée de sa propre attractivité. Hier, nous étions inspirés par l’idée que d’autres peuples voudraient vivre comme nous. Aujourd’hui, cette idée nous effraye ". 

(1) Fabien Toulmé, "L'Odyssée d'Hakim", éditions Delcourt / Encrages, 2020 (3 tomes).
(2) (Re)lire sur ce blog: "A la mémoire de Zsuzsanna", 10.10.2016.
(3) David van Reybrouck, "Odes", éd. Actes Sud, 2021, Ode à la fraternité, p. 36.
(4) "Vox Pop", Arte, 21.11.2021.
(5) France Inter, Journal de 13h, 26.11.2021.
(6) France Inter, 26.11.2021, 8h15

mardi 23 novembre 2021

Lapin chasseur

J'ai beau faire tous les efforts que je peux (il est vrai que je me fatigue vite), je n'ai pas la moindre once, ni même le moindre gramme de compassion pour ce chasseur qui, le week-end dernier, a été grièvement blessé par une ourse qui défendait ses petits alors que lui chassait le sanglier. Il était, nous dit-on, à 1200 mètres d'altitude, dans le « noyau central », où l’on dénombrerait la présence d’une quarantaine d’ours, sur les 70 à 80 présents sur l’ensemble du massif pyrénéen (1). L'ourse a été tuée. Défendre ses oursons lui a coûté la vie. Récemment, le président des chasseurs, l'inénarrable Willy Schraen, interpellé par rapport aux accidents de chasse dont sont victimes des non chasseurs, nous expliquait tranquillement que le risque zéro n'existe pas, comme s'il fallait de ne pas s'en offusquer et que ce genre d'accident était simplement normal. Eh bien donc, cette fois, on ne s'offusque pas. Après tout, qui peut être assez prétentieux ou stupide (les deux adjectifs sont souvent synonymes) pour aller chasser dans le jardin des ours ? Et pourquoi, se demande-t-on, la victime serait-elle toujours du même côté du fusil ? Pourquoi les animaux devraient-ils être par nature chassés ? Ne sont-ils pas, eux aussi, chasseurs ? Voilà que les chasseurs qui affirment être les meilleurs connaisseurs de la nature sont surpris par celle-ci. Ce qui vient d'arriver est donc simplement normal. Et rassurant. La chasse peut aussi se pratiquer dans l'autre sens. Cette réciprocité (rare), c'est la loi de ce qu'ils appellent sport

Ce sont ces mêmes chasseurs qui se proposent aujourd'hui de jouer les flics de la nature. Schraen vient d'évoquer une idée lumineuse: certains chasseurs pourraient être des “policiers de proximité” à même de “dresser des procès-verbaux et de constater des flagrants délits”. Ceci pour lutter contre “une délinquance rurale et environnementale” qui serait, selon lui, en pleine augmentation (2). Parmi ces actes de délinquance, il y a une “hécatombe” d’oiseaux rapaces, victimes de tirs pendant la saison de chasse. C'est ce que dénonce la Ligue de protection des oiseaux (3) qui appelle les fédérations de chasseurs à préserver ces espèces protégées. Début novembre, un épervier d’Europe a été “la cible d’un tir au fusil dans l’Hérault” et en est resté paralysé, puis deux faucons crécerelles ont été retrouvés dans le même état dans le Vaucluse. "En région PACA en octobre, explique le HuffPost, deux autres éperviers et deux autres faucons crécerelles avaient été découverts morts. En septembre, c’était un aigle royal en Ardèche, une buse variable dans le Gard, un circaète Jean-Le-Blanc, etc.”, énumère l’association. Ces victimes ne constituent que la partie visible de l’iceberg tant la probabilité de retrouver les animaux tués est très faible. Au cours des trois dernières années, les centres de soins qu’elle gère ont pris en charge 109 rapaces plombés, dont 87% entre début septembre et fin février, soit entre les dates d’ouverture et de fermeture générales de la chasse en France." Avant de jouer aux flics, les chasseurs feraient bien de chasser de leurs rangs les inconscients, les incompétents, les délinquants et les barbares. Il y a du travail. 
Ils feraient bien, avant de jouer au shérif, d'apprendre qu'existent des règles et qu'on ne fait pas ce qu'on veut où on veut. Interviewé ce midi sur France Inter (4), Willy Schraen considère que les chasseurs ont le droit de chasser comme ils l'entendent puisqu'ils chassent chez eux. Ce qui est doublement faux. Très souvent, ils chassent dans des espaces publics ou dans des espaces privés sur lesquels ils n'ont d'autre droit que celui de passage (qu'ils s'octroient). Et Willy-Calimero semble oublier que même chez soi on ne fait pas ce qu'on veut. Qui peut prétendre construire une maison sans permis sous prétexte que le terrain lui appartient ? Qui pense pouvoir polluer sans vergogne son environnement sous prétexte que c'est le sien ? Qui pense pouvoir maltraiter des animaux sous prétexte qu'ils sont sa propriété ? Vivre en société implique des règles. Encore un petit effort, Willy, pour entrer dans le XXIe siècle.

Dans la forêt de l'automne
ce matin est arrivée
une chose que personne
n'aurait pu imaginer
au bois de morte fontaine
où vont à morte saison
tous les chasseurs de la plaine
c'est une révolution, car,

ce matin un lapin
a tué un chasseur
c'était un lapin qui
c'était un lapin qui
ce matin un lapin
a tué un chasseur
c'était un lapin qui
avait un fusil

ils crièrent à l'injustice
ils crièrent à l'assassin

comme si c'était justice
quand ils tuaient le lapin
et puis devant la mitraille
venue de tous les fourrés
abandonnant la bataille
les chasseurs se sont sauvés, car,

ce matin un lapin
a tué un chasseur

Chantal Goya (qui eût cru que je citerais un jour Chantal Goya ?)

A lire: le billet d'Alain Bougrain-Dubourg sur le site de Charlie Hebdo:
https://charliehebdo.fr/2021/11/ecologie/scandale-en-altitude-une-ourse-defend-ses-petits/?utm_source=sendinblue&utm_campaign=QUOTIDIENNE_22112021_-_ABONNES&utm_medium=email

dimanche 21 novembre 2021

Cause toujours

La COP26 est un échec. Les promesses faites par les chefs d'Etat n'engagent que leurs successeurs. Les limites fixées dans le temps pour se passer d'énergies fossiles sont suffisamment lointaines pour qu'elles ne gênent leur réélection. En attendant, la forêt amazonienne peut continuer à brûler, le charbon être extrait, les avions et les bateaux les plus polluants à circuler. Des représentants de peuples et d'îles menacés de disparition ont eu beau exprimer leur inquiétude, leurs cris ne peuvent rien face au bruit du rouleau compresseur de la croissance. Ils seront sacrifiés sur l'autel de celle-ci. "Triste spectacle que l'humanité qui s'est déjà faite à l'idée qu'il lui faudra se séparer d'une partie d'elle-même", écrit Riss (1). Le directeur de Charlie Hebdo fait un parallèle avec les choix qu'ont dû faire les soignants parmi les malades du Covid ou ceux qu'ont dû faire les sauveteurs parmi les victimes du Bataclan entre ceux qui avaient une chance de s'en sortir et ceux qui n'en avaient pas ou peu. "Cette COP26 ressemble à un poste de secours où sont triés ceux qui seront sauvés et ceux qui ne le seront pas. Les tribus qui survivront et celles qui disparaîtront. Et la nôtre semble avoir été choisie: la tribu des pays riches, bien nourrie, bien grasse, bien au chaud dans ses maisons, calée devant un écran de télé alimenté par l'énergie nucléaire. Les autres devront se débrouiller seules." On pense à celles et ceux qui au début de la pandémie ne voulaient rien changer à leurs habitudes, ni masque, ni distance physique, ni vaccin, arguant du fait que seuls les vieux mouraient de ce virus et qu'il faut bien mourir de quelque chose. Le même égoïsme pour ne rien changer à son confort personnel.
"Notre société moderne est construite sur l'idée du bien-être, de la facilité et du plaisir. les privations, les restrictions, les renoncements sont vécus non seulement comme des contrariétés personnelles, mais comme un échec civilisationnel." Dans le non-débat actuel sur la problématique énergétique, rares sont ceux qui évoquent la nécessité de diminuer nos consommations d'énergie et donc la production. Nous en voulons toujours plus, pour faire rouler les véhicules électriques, alimenter tous nos appareils branchés sur la 5G, rester connectés partout et tout le temps, produire toujours plus pour pouvoir consommer toujours plus, parce que nous avons été éduqués comme cela, en consommateurs voraces, en boulimiques insatiables. "Cette crise climatique nous déstabilise, écrit encore Riss, car elle met à l'épreuve la solidité de nos valeurs. Sommes-nous les créatures sophistiquées et raffinées que nous pensons être, ou au contraire de banals mammifères qui, pour sauver leur peau, n'hésiteront pas à dévorer leurs congénères ? Le choix sera non seulement difficile à faire, il sera encore plus terrible à assumer. En jouissant d'une vie qui devrait tout au sacrifice de celle des autres."

(1) Riss, "Morituri", Charlie Hebdo, 10.11.2021.

lundi 15 novembre 2021

Le MélenChe, un festival à lui tout seul

On ne l'arrête plus, le MélenChe. Depuis qu'il se voit en sauveur et en champion de la gauche (malgré un piètre score dans les sondages), il distribue les bons et les mauvais points autour de lui. Yannick Jadot, candidat écologiste, vient d'en recevoir de bons: "je suis très satisfait de lui parce qu’il a élargi le champ de nos idées, sur la planification écologique, sur le protectionnisme… Il avance bien” (1). Le maître est content, mais trouve cependant que cet élève peut mieux faire.
Il a mis au coin François Hollande. "Au secours, le zombie Hollande est de retour, s'écrie Mélenchon. Plus méchant que jamais, il mord tout ce qui bouge. Changez de trottoir quand il passe." (2) Comme l'écrit Charlie Hebdo, il change de trottoir quand il voit Hollande, mais traverse la rue pour bavarder avec Zemmour. 

Jean-Luc Mélenchon reste convaincu que son heure arrive: celle du grand soir. "Il y a une classe moyenne qui hésite. Elle se lève zemmourienne, puis elle déjeune jadotiste et se couche mélenchoniste", dit-il (3). Le problème, c'est que quand on se couche, en général, c'est pour dormir. Et il n'est pas sûr qu'on fasse de beaux rêves en s'endormant mélenchoniste. D'autant que l'avenir qu'il se voit a de quoi inquiéter: "si je suis élu, je me considèrerai comme un chef d'Etat latino-américain" (4). On ne sait s'il se voit en Lula, en Bolsonaro, en Maduro, en Castro ou en Peron. Ou alors en Ortega, cet ex-rebelle marxiste devenu sombre dictateur.
Et on craint effectivement que ce soit dans cette catégorie des autocrates qu'il se classe quand on lit ses déclarations sur Taïwan: " Les Chinois n'ont pas l'intention d'envahir Taïwan, mais si Taïwan se déclare indépendante, alors, il est possible, à juste titre, que la Chine trouve qu'une ligne rouge a été franchie, donc il faut trouver le moyen qu'il ne se passe rien" (5) On voit par là que le MélenChe est déjà en train de justifier l'injustifiable. Comme l'écrit Guillaume Erner, "Taïwan n'a pas à se déclarer indépendante: l'île l'est de facto. Elle a une armée, une monnaie, accorde des visas. la seule chose qui la distingue d'un pays souverain, c'est le refus chinois. A priori, entre une dictature implacable et une démocratie, le choix devrait être rapide...". Mélenchon visiblement a fait le sien. Un ami qui connaît bien Taïwan me disait qu'il y a quelques années le MélenChe avait comparé la présidente taïwanaise, élue au suffrage universel, à Marine Le Pen: elle refuse la mainmise de la Chine, donc elle est anti-communiste, donc elle est d'extrême droite. Quand les analyses politiques sont aussi simplistes, elles vous mènent au goulag.

A (re)lire sur ce blog: notamment "Merci, Jean-Luc", 20.10.2018.

(1) https://www.huffingtonpost.fr/entry/presidentielle-jean-luc-melenchon-tres-satisfait-de-yannick-jadot-enfin-presque_fr_618e2c30e4b0a96e518c4ad8
(2) Twitter, 20.10.2021, cité par Charlie Hebdo, 27.10.2021.
(3) L'Obs, 14.10.2021, cité par Charlie Hebdo, 20.10.2021.
(4) Libération, 21.10, cité par Charlie Hebdo, 27.10.2021.
(5) Guillaume Erner, "Mélenchon le mandarin", Charlie Hebdo, 27.10.2021.

vendredi 12 novembre 2021

L'élégance du sanglier

Mais quelle surprise ! Que lui est-il arrivé ? Voilà que le patron des chasseurs français n'est qu'un chasseur. Il aimait présenter les chasseurs comme les premiers et les meilleurs des écologistes. "La chasse durable que nous pratiquons a une fonction dans une approche écologique moderne de nos territoires", écrit-il dans une luxueuse plaquette intitulée "La chasse, cœur de biodiversité". La Fédération nationale des chasseurs qu'il préside entend "agir encore et toujours pour la biodiversité", se vantant de "sauvegarder et exiger que les biocorridors soient respectés", de "ramasser annuellement des déchets dans la nature", d' "entretenir des passages à faune", de "suivre et étudier les espèces migratrices" ou encore de "réguler les espèces invasives exogènes". Et voilà que, sans crier gare, il nous dit: "j'en ai rien à foutre de réguler". Quelle déception ! On lui faisait tellement confiance à cet homme délicat. Invité, sur RMC, à réagir à des images montrant des daims parqués dans un enclos pour y être tranquillement tirés, Willy Schraen a affirmé qu'il n'a pas à jouer “les petites mains de la régulation” de la biodiversité. “Moi mon métier c’est pas chasseur, j’en ai rien à fout' de réguler”, a-t-il déclaré. Son truc, c'est “du plaisir dans l’acte de chasse”. 
Voilà donc que les chasseurs prennent plaisir à chasser. Qui s'attendait à une déclaration aussi bouleversante ? "T'as rien compris à la chasse ! J'vais t'expliquer ce que t'as pas compris. Toi, tu penses qu'on est là pour réguler ?, demande-t-il à son interlocutrice (1). Mais t'as pas compris ?  T'as pas compris que nous c'est une passion ? T'as pas compris qu'on prend du plaisir dans l'acte d'chasse. T'as compris ça ? Tu crois qu'on va dev'nir, nous, les p'tites mains de la régulation ? Moi, mon métier, c'est pas chasser. J'en ai rien à fout' de réguler ! Je vais à la chasse parce que c'est une transition extraordinaire dans ma passion et j'y prends du plaisir." Bientôt, il nous dira qu'il n'en a "rien à fout'" des accidents de chasse - dont certains mortels - qui se sont multipliés depuis le début, récent, de la saison.

Sur la couverture de la plaquette de la Fédération nationale des Chasseurs, on découvre qu'il s'agit d'une "association agréée au titre de la protection de l'environnement" dont elle n'a rien à fout'.  Y est reproduite cette phrase de Rudyard Kipling: "N'admettez rien a priori si vous le pouvez le vérifier". Je l'avoue: je n'avais pas admis que les chasseurs étaient les rois des écolos. Ce brave Willy, qui tutoie si sympathiquement ses détracteurs, vient de m'aider à le vérifier.

(Re)lire sur ce blog: "Chasse punitive", 25.9.2021; "L'âge de chasse", 22.9.2019; "La saison des Tartarin", 13.9.2018; "La fable du loup et du rap", 17.2.2015.

(1) https://www.huffingtonpost.fr/entry/chasse-willy-schraen-nen-a-rien-a-foutre-de-reguler-avec-la-chasse-et-provoque-un-tolle_fr_618bebfee4b06de3eb7e05cf

mardi 9 novembre 2021

L'Europe du sexisme

"La liberté, c'est l'esclavage" proclame un des slogans du régime totalitaire de 1984, le terrifiant roman de George Orwell. Aujourd'hui, c'est le Conseil de l'Europe (1) qui affirme que la liberté, c'est la soumission. Des affiches présentent des jeunes femmes souriantes dont la moitié de la tête est voilée et l'autre pas. "Beauty is in diversity as freeedom is in hijab", nous dit-on, ajoutant que le monde serait sacrément ennuyeux si tout le monde se ressemblait et nous invitant à célébrer la diversité et à respecter le hijab. Oui, à respecter le hijab. Avec tout le mépris qu'on peut imaginer derrière ce slogan pour toutes les femmes qui, dans des pays islamiques, sont sommées de porter ce voile sous peine de prison, de violence ou même de mort. Pour elles, le hijab est l'exact contraire de la liberté. Vêtement politique (le dira-t-on jamais assez ?), il marque la soumission de la femme aux lois du Coran et à l'homme. Il indique une société patriarcale dans laquelle la femme doit tenir son rang qui ne sera jamais le premier. Il y a une bonne quinzaine d'années, j'avais reçu de l'imam de Ronse/Renaix un fascicule (que j'aurais dû conserver) de promotion du voile. Ce dernier était présenté comme un moyen de protéger, même contre son gré, cette perle qu'est la femme.
Le Conseil de l'Europe explique que ces visuels diffusés par tweets ont été réalisés par les participants d’un atelier "contre les discours de haine anti-musulmans" qui s’est tenu en ligne fin septembre, qu'ils ont fait "usage de leur liberté d’exprimer leur identité et leurs points de vue ", mais que leurs affiches ne représentent pas la position du Conseil de l’Europe ou de sa Secrétaire Générale". C'est pourquoi elles ont été retirées suite aux réactions indignées qu'elles ont suscitées principalement en France. 

"La campagne ne serait donc que le fruit de membres lambda de la société civile désireux de s’engager pour les droits humains ?, se demande l'hebdomadaire Marianne (2). Pas vraiment. Comme l’annonce d’ailleurs très ouvertement le site du Conseil de l’Europe, l’atelier en question a été organisé en collaboration avec le Forum of European Muslim Youth and Student Organisations (Femyso) », une association bien connue pour son lobbying pro-voile. « Le Femyso est la branche jeune d’une organisation réputée proche des Frères musulmans, l’Union des Organisations Islamiques en Europe (UOIE), qui représente le courant fondamentaliste de l’islam en Europe et dont l’objectif est de former une élite musulmane européenne », explique à Marianne Florence Bergeaud Blackler, anthropologue au CNRS et spécialiste des mouvements islamistes. D'autres participantes à l'atelier sont membres de l’European Forum of Muslim Women (EFMW), une émanation féminine de l’UOIE. Bref, des organisations fondamentalistes islamiques se sont bel et bien glissées dans les petits papiers du Conseil de l'Europe en parvenant ici à mener, sous couvert de lutte anti-raciste, une campagne sexiste.  

Naëm Bestandji, essayiste, auteur de Le linceul du féminisme, Caresser l'islamisme dans le sens du voile (Seramis) estime (3) que cette campagne cherche à "assigner toutes les musulmanes à la frange extrémiste de l'islam par la promotion de son étendard sexiste et patriarcal. L’objectif est l’avancée de cette idéologie totalitaire aux antipodes des valeurs défendues par les diverses instances européennes. Comment est-ce possible ? Depuis plusieurs décennies, les Frères musulmans considèrent l’Europe comme un territoire à conquérir. Cela passe d’abord par la réislamisation des musulmans et l’adaptation des pays européens aux demandes islamistes." L'essayiste considère qu'avec le voile, "outil politique de prédilection de l’islamisme," et la rhétorique d’inversion "les islamistes se présentent en défenseurs des droits humains, de la laïcité et de la liberté des femmes et en combattants de la lutte contre le racisme. Comme pour toutes les idéologies totalitaires, la jeunesse est une cible fondamentale." Et un de leurs outils est dès lors le Forum des organisations européennes de jeunes et d'étudiants musulmans (Femyso). "La jeunesse a toujours été une cible privilégiée de l’islamisme politique. Sa vision s’inscrit dans le temps long. Cette idéologie veut influer sur les futurs citoyens pour que, à moyen et long terme, l’islamisme soit mieux accepté. Obsédés sexuels et nostalgiques d’un patriarcat multimillénaire, le sexisme du voile est leur outil politique de prédilection." 

Les islamistes sont doués pour les tours de passe-passe. Ils sont parvenus à tétaniser une bonne partie de cette gauche qui se veut bien pensante et ne craint qu'une chose: passer pour raciste en étant critique par rapport à une injonction de l'islamisme. Résultat: en pensant lutter contre ce qu'elle appelle islamophobie, elle nourrit le sexisme et le machisme. "La femme est considérée comme un objet sexuel tentateur qui doit être caché sous un voile pour ne pas exciter la libido masculine, écrit encore Naëm Bestandji. Il n’existe aucun discours équivalent pour les hommes. Cette campagne s’enfonce dans l’abject lorsqu’elle partage un dessin animé de dix secondes qui met en scène des petites filles voilées avec le slogan unis dans la diversité. Le sexisme, le patriarcat et, ici, la sexualisation des fillettes sont présentés comme des formes de diversités à promouvoir… Le hijab est prescrit par les islamistes afin de cacher la femme pour des raisons sexuelles. Voiler une fillette est la considérer comme désirable (tout en la préparant au sort d'objet sexuel adulte qui l'attend). Cette campagne véhicule les idées les plus rétrogrades de l'islamisme. Elle banalise la pédophilie par la sexualisation des fillettes tentatrices."

Conclusion de l'essayiste: "nos sociétés, certaines plus que d’autres, ont mis des siècles à s’émanciper du poids patriarcal de l’Église catholique. Mais il semble que le patriarcat est comme la nature : il aurait horreur du vide. Ce que nous espérions être une histoire révolue est sur le point d’être remplacé par le patriarcat de l’intégrisme musulman. Le patriarcat a encore de beaux jours devant lui, grâce au soutien d’institutions européennes comme le Conseil de l’Europe, avec les deniers du contribuable, et pour la plus grande joie des islamistes."

(1) qui n'a rien à voir avec l'Union européenne.
(2) https://www.marianne.net/societe/laicite-et-religions/derriere-la-campagne-pro-voile-du-conseil-de-leurope-la-galaxie-des-freres-musulmans
(3) https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/pub-pro-voile-du-conseil-de-leurope-une-strategie-victimaire-centrale-pour-lislamisme

jeudi 4 novembre 2021

Jeu de dupes

La COP26  est en cours. On va voir ce qu'on va voir. L'avenir de l'humanité est en jeu et les chefs d'Etats et de gouvernements le disent haut et fort: ils sont pleinement conscients de leur responsabilité historique. A l'exception des présidents chinois, russe, turc et brésilien qui ont visiblement d'autres priorités que l'avenir de leur peuple et de la planète. 
"Nous devons montrer que nous avons la maturité et la sagesse pour agir. Il est temps pour l'humanité de grandir, la COP26 est un tournant pour l'humanité", a déclaré à Glasgow le premier ministre britannique Boris Johnson, ratant aussitôt ce virage en prenant un jet privé pour regagner Londres et participer à un dîner avec ses anciens collègues journalistes du Daily Telegraph (1). 

Quelques jours avant l'ouverture de la grand-messe consacrée au climat s'en tenait une autre: le Sommet mondial sur l'avenir du tourisme. La Covid-19 a sérieusement ralenti l'activité de ce secteur en pleine explosion et les professionnels du tourisme n'attendent qu'une chose: faire voler, rouler et naviguer comme hier avions, autocars et paquebots de croisière. L'industrie touristique se souhaite un avenir "plus durable, plus inclusif et plus résilient" (2). A l'image sans doute de celle de Thaïlande qui pour remplacer les touristes perdus veut maintenant "attirer davantage les voyageurs d'affaires et les voyageurs haut de gamme", en encourageant le tourisme médical (sic), celui du bien-être ou encore le golf, autant de secteurs si inclusifs. "La France en manque de visiteurs chinois", s'inquiète en titre le journal de France 3 (3). Leur absence pour cause de pandémie génère un manque à gagner de 3 milliards d'euros par an. Le directeur du château de Chantilly est très inquiet. Il les attend impatiemment.
Le tourisme spatial devrait aussi se développer grâce à Jeff Bezos, le patron d'Amazon. Il a l'intention d'installer une station privée dans l'espace avec un hôtel et des bureaux pour "developper l'activité économique et ouvrir de nouveaux marchés dans l'espace" (4).

A la COP26, quarante-six pays ont annoncé qu'ils abandonneraient le charbon d'ici 2040 et qu'ils n'accorderaient plus de soutien économique aux centrales à charbon. Mais uniquement pour les centrales à l'étranger et ce à partir de 2030. Ce qui laisse largement du temps pour brûler des millions de tonnes de charbon et subventionner ces centrales. La Chine et l'Inde, grands consommateurs de charbon, n'ont rien signé. D'après une étude du FMI, les grands producteurs mondiaux de gaz, de pétrole et et de charbon, reçoivent 11 (oui, onze) millions de dollars par minute (oui, par minute) dans 191 pays, soit rien de moins que 5100 milliards d'euros par an. Ces subventions représentent aujourd'hui 6,8% du PIB mondial. En 2025, 7,4%. Le secteur ne tremble pas. Mais se prépare néanmoins à une transition. Qui n'a rien d'écologique. "L'industrie des combustibles fossiles perd de l'argent sur ses marchés traditionnels de production d'électricité et transport. Elle construit donc de nouvelles usines de plastiques à un rythme stupéfiant afin de pouvoir liquider ses produits pétrochimiques sous forme de plastiques. Cette action annule d'autres efforts mondiaux pour ralentir le changement climatique." C'est une ancienne responsable de l'Agence américaine de protection de l'environnement qui l'écrit (5). Résultat: d'ici 2030, l'industrie américaine des plastiques émettra davantage de gaz à effet de serre que la totalité des centrales électriques au charbon.

Et cette décision encore au rayon des bonnes nouvelles: les dirigeants de plus de cent pays, représentant plus de 85% des forêts du monde, se sont engagés à la COP26 à mettre fin à la déforestation d'ici à 2030. Sachant que chaque minute l'équivalent d'une vingtaine de terrains de football sont "déforestés", calculez combien d'hectares de forêt il restera en 2030. Vous avez huit ans.

Autre nouvelle: le nombre d'immatriculations de voitures neuves est en lourde chute, à cause d'une pénurie de semi-conducteurs. C'est une mauvais nouvelle, nous dit-on.

Mais après tout, ce qui est important, ce sont tous ces petits gestes que nous pouvons, nous citoyens lambda, poser au quotidien pour sauver la planète: couper le robinet en se lavant les dents, prendre plus souvent son vélo, couper l'éclairage en quittant une pièce... On ne veut pas être défaitiste. Mais quand même. Après nous, les mouches. S'il en reste.

(1) https://www.lalibre.be/international/europe/2021/11/04/hypocrisie-choquant-un-choix-de-boris-johnson-provoque-la-polemique-en-pleine-cop26-NXLHTZMHQFHW7PM7SXXKBC74LQ/
(2) "Tourisme - Une pandémie, et ça repart !", Charlie Hebdo, 3.11.2021.
(3) 4.11.2021, 19h30.
(4) "Délire des hauteurs", Charlie Hebdo, 3.11.2021.
(5) "Au cul, la COP26 !", Charlie Hebdo, 3.11.2021.

dimanche 31 octobre 2021

Ce besoin des autres

Qui peut l'ignorer? L'élection présidentielle se profile en France, elle aura lieu dans moins de six mois. Les candidats se bousculent au portillon. On s'étonne d'en voir autant souhaiter monter sur la plus haute marche du podium qui, en France, est aussi celle de l'échafaud. Aussitôt élu, le président est vilipendé, ceux qui ne l'ont pas élu n'ayant qu'un objectif: le guillotiner.
Dans les (d)ébats actuels, le thème imposé par l'extrême droite, la lutte contre l'immigration, prend presque toute la place, contaminant la droite et une partie du centre. Telle une flaque d'hydrocarbures en mer, il pollue son environnement et semble inarrêtable. La lutte contre le réchauffement climatique devrait être la priorité absolue, mais la majorité des candidats l'ignore ou la fait passer loin derrière le pouvoir d'achat, la sécurité et l'immigration. Nous sommes envahis, nous ne sommes plus chez nous, clament les Zemmour, les Le Pen et autres nationalistes obsédés par la fermeture des frontières.

Les chiffres leur donnent pourtant tort: l'immigration dans les pays de l'OCDE a atteint en 2020 le plus bas niveau enregistré depuis 2003. Une baisse d'au moins 30% (1). La commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Johansonn, estime qu'un aspect positif de la pandémie de coronavirus est d'avoir rendu "évident que nous avons besoin des migrants" sur le marché du travail. Et s'il y a une urgence, ce n'est pas de lutter contre l'arrivée de migrants, mais contre le travail irrégulier. "Par ailleurs, souligne Olivier Pirot dans La Nouvelle République (2), les immigrés ne coûtent globalement rien à la société. Leur impact selon les pays et les années oscille entre -1% et +1% du PIB. Et sur la période 2006-2018, il est même le plus souvent positif." Le journaliste souligne aussi que, "contrairement à certaines idées reçues et discours politiques, la majorité des immigrés dans ces pays (de l'OCDE) sont des femmes". Et que "la pandémie a montré aussi, directement dans les territoires, le besoin essentiel de certains secteurs de faire appel à de la main d'œuvre saisonnière et étrangère". 
L'OCDE insiste: "mieux intégrer les immigrés peut contribuer à renforcer les gains budgétaires. Par exemple, le simple fait de combler l'écart d'emploi entre les personnes d'âge actif issues de l'immigration et celles nées dans le pays, de même âge et de même niveau d'études, pourrait accroître la contribution budgétaire nette totale des immigrés de plus d'un tiers de point de PIB dans un pays sur trois". Mais l'extrême droite préfèrera toujours les slogans simplistes aux chiffres, la haine à la raison. 

(1) "En 2020, les flux migratoires ont brutalement chuté", La Nouvelle République, 29.10.2021.
(2) "Autre jour", La Nouvelle République, 29.10.2021.

(Re)lire sur ce blog "Le pain des Français", 16.10.2021.

vendredi 29 octobre 2021

C'est comment qu'on freine?

L'Homme est un animal curieux. Il apprend lentement et n'aime guère modifier ses habitudes. Il aime vivre comme il a vécu, même si son mode de vie s'apparente à une fuite en avant. 
Depuis quelques décennies, on lui dit que les prix de l'énergie sont ridicules par rapport à leur coût réel. On lui dit que les énergies fossiles vont coûter de plus en plus cher à tous points de vue, économique comme écologique. Mais l'Homme est un animal sourd. Il n'aime pas entendre ce qui le dérange. Aussi s'étonne-t-il aujourd'hui devant la flambée des prix de l'énergie. Elle est aussi inattendue qu'inacceptable, s'indigne-t-il. L'Homme adore s'indigner.

Dans une séquence d'un journal télévisé consacrée à cette hausse des prix, une femme explique que, pour faire face à l'augmentation des tarifs du gaz, les membres de sa famille se voient obligés de diminuer la température ambiante demandée, de porter un pull plutôt que de vivre en t-shirt, de ne chauffer la salle de bains qu'au moment de son utilisation et de ne plus chauffer les chambres. Bref, cette famille découvre le b.a-ba de l'utilisation rationnelle de l'énergie. Dans le même temps, le Ministre français de l'Economie se réjouit de voir la croissance repartir à la hausse et remercie ses compatriotes de consommer autant. Et tant pis si cette croissance s'apparente à un suicide programmé. Le gouvernement et une large partie de la classe politique et économique entendent relancer le programme nucléaire pour répondre à la forte hausse attendue de la consommation d'énergie. Il s'agit de répondre à la demande. Produire toujours plus pour pouvoir consommer toujours plus. Ou consommer toujours plus pour justifier une production sans cesse croissante. Tous les appels au changement radical de mode de vie lancés lors du premier confinement n'ont pas été entendus. L'Homme est un animal sourd et têtu. 

La Ministre de la transition écologique, Barbara Pompili, affirme cependant la nécessité de "baisser de 40% notre consommation d’énergie”. L'association négaWatt invite à la sobriété et propose dans un récent rapport (1) “d’augmenter le prix de l’aérien, d’interdire progressivement l’ensemble des vols intérieurs lorsqu'une alternative ferroviaire existe, de mettre fin aux ventes de véhicules diesels et essences au plus tard en 2035” ou encore de “réduire la vitesse maximale autorisée sur autoroute à 110 km/h”. La limitation de vitesses ne plaît pas en France. “C’est une mesure qui semble impopulaire et semble être une atteinte aux libertés, mais il faut la voir autrement”, répond Yves Marignac, chef du Pôle énergies nucléaire et fossiles et l’un des auteurs de négaWatt 2022. “Ce qui est encore plus impopulaire que la réduction de vitesse, c’est la pollution, la circulation accrue, les embouteillages, et les accidents mortels”. Pour négaWatt, écrit le HuffPost, limiter la vitesse permet à la fois de réduire la pollution  - qui provoque chaque année 50.000 décès prématurés en France - et de diminuer les dangers de la conduite. Reste que pour inciter à un changement de mode de locomotion, les pouvoirs publics devraient développer d'urgence une nouvelle politique de transport en commun et soutenir l'usage du vélo qui n'est pratiqué, dans trop de campagnes, que le dimanche. Et pour mener ces politiques, taxer beaucoup plus les producteurs d'énergie. A l'heure où on nous annonce que la hausse des prix de l'énergie se poursuivra au moins jusqu'au printemps 2022, le groupe Total a vu ses bénéfices multipliés par vingt-trois. L'Homme, cet animal aveugle, peut-il considérer qu'il s'agit là d'une bonne nouvelle?

A lire: le numéro spécial du Courrier international consacré au climat. "L'avenir nous appartient - Comment lutter contre le dérèglement climatique, de façon individuelle et collective, 28.10.2021. 

(1) https://www.huffingtonpost.fr/entry/reduire-la-vitesse-sur-autoroute-a-110kmh-et-mettre-fin-aux-voyages-a-lautre-bout-du-monde-comment-faire-accepter-la-sobriete-energetique_fr_6177f9b0e4b066de4f67c36d


samedi 16 octobre 2021

Le pain des Français

En janvier dernier, un boulanger de Besançon a entamé une grève de la faim pour éviter l'expulsion de son apprenti. Impossible de trouver un apprenti pour sa "Huche à pain", jusqu'à ce qu'il rencontre Laye Fodé Traoré, un jeune guinéen, qui n'avait que deux envies: apprendre et trouver du travail. A l'âge de 18 ans, ce dernier a reçu un ordre de quitter le territoire français. Son patron a fini - en mettant sa vie en jeu - par obtenir gain de cause. Depuis, le jeune homme a obtenu son CAP de boulangerie et suit à présent une formation en carrosserie, domaine qui était son premier choix. Stéphane Ravacley, son patron, constate qu'aucun problème n'a été constaté avec tous ces jeunes venus d'ailleurs, qu'ils n'ont jamais fait l'objet d'aucune plainte. Le jeune guinéen boulanger à Besançon a connu une belle réussite scolaire. "Ils sont doués et ont toute leur place dans nos entreprises", constate son patron (1). 

Dans l'Ain, un couple de boulangers a formé un autre jeune guinéen. "Il est motivé, il a toutes les qualités requises." Les deux boulangers auraient voulu l'engager comme apprenti, ce qui s'est avéré impossible. Jusqu'à ses 18 ans, Yaya était protégé par son statut de mineur non accompagné. Mais au-delà, il n'avait plus ni statut, ni papier. Pendant trois ans, ils ont effectué toutes les démarches possibles auprès de la préfecture pour qu'il obtienne ses papiers. En vain. Ici encore, une grève de la faim a débloqué la situation.

Pour soutenir tous ces patrons qui galèrent pour pouvoir engager un apprenti venu d'ailleurs, Stéphane Ravacley a créé un collectif national, Patrons solidaires (2). Ils sont nombreux ces jeunes dont l'envie de travailler est contrariée par leur absence de papiers:  Madama, Karim, Noureldien, Amara, Aboubakar, Ousmane, Mohamed, Amadou. Ils ont envie d'être boulanger, menuisier, électricien, boucher et ont un emploi ou un contrat d'apprentissage à portée de main, mais l'Etat, aveugle et sourd, veut les expulser.

On voit par là que l'extrême droite et son chantre à la mode, Zemmour l'épouvantail, sont totalement déconnectés de l'économie réelle. Ils sont les premiers à déplorer la disparition des petits commerces et des artisans dans les campagnes, sans vouloir voir que ce sont de jeunes migrants qui les sauveront. Zemmour incarne le douanier (qui n'est pas un imbécile, puisqu'il est douanier) stupide et raciste du sketch de Fernand Raynaud: "J'aime pas les étrangers qui viennent manger le pain des Français" (3). Il chasse l'étranger et se retrouve sans pain. L'étranger était boulanger.

mercredi 6 octobre 2021

Vieux jeunes

Quand il apparaît à la télévision, on change de chaîne et par réflexe on ouvre la fenêtre. On sent comme une odeur de pieds, de beurre rance, d'égout. On n'arrive pas à comprendre comment Zemmour peut  rencontrer autant de succès, comment il peut rendre fou à ce point. Il abêtit. Et il vieillit prématurément aussi, notamment de jeunes maires. On a vu hier dans un JT français l'un d'entre eux mener campagne pour que le candidat le plus gris et le plus désespérant qu'on puisse imaginer recueille les signatures nécessaires à sa candidature à la présidence de la République française. Comment un cauchemar peut-il faire rêver ? La Nouvelle République - Indre nous apprend que le maire du petit village de Saint-Gilles s'enthousiasme pour Zemmour le haineux, au point de prendre l'initiative de créer un comité de soutien à la candidature du non encore candidat pétainiste. Ce maire a 21 ans. Il espère accueillir chez lui celui qu'il voit comme un sauveur. Dans quel état psychologique faut-il être pour soutenir un tel individu pleurnicheur et agressif - et déjà condamné par la justice pour incitation à la haine raciale - dont le seul programme se résume à fermer les frontières ? Ces jeunes sont plus vieux que des octogénaires qui militent pour la solidarité, l'accueil, le renouveau. Ces vieillards avant l'heure voient l'avenir dans un rétroviseur. Parfois, le système démocratique inquiète.

Post-scriptum: pour savoir pourquoi il ne faut plus dire Eric Zemmour mais Olive Avertisseur-Sonore, écoutez François Morel: https://www.franceinter.fr/emissions/le-billet-de-francois-morel/le-billet-de-francois-morel-du-vendredi-08-octobre-2021

(Re)lire sur ce blog: "Croquemitaine", 8.12.2014; "Sourires amers", 5.9.21; "Le temps des brutes", 13.10.16.

lundi 4 octobre 2021

A.u. la fo.u.lle !

Voilà que l'on apprend (1) qu'un projet de décret en Communauté française de Belgique rebaptisée Fédération Wallonie-Bruxelles entend imposer l'usage de l'écriture inclusive tant à l'écrit qu'à l'oral. Depuis quand le politique se mêle-t-il de fixer les règles du langage ? Dans quel type de régime est-on alors ? Cette imposition nous donnerait un langage et une écriture moches, illisibles, inécoutables, impraticables, mais si politiquement correct.e.s qu'on se croirait dans 1984. La novlangue est l'expression d'une doctrine totalitaire. Y aura-t-il une police de la langue? Ce projet fait froid dans le dos.

(Re)lire sur ce blog: "Quotidien de la femme",  8.3.2018

(1) https://focus.levif.be/culture/livres-bd/decret-sur-l-ecriture-inclusive-mais-que-font-les-flic-quette-x-s/article-column-1475541.html

samedi 25 septembre 2021

Chasse punitive

Il est drôle, Willy Schraen. C'est sans doute un des meilleurs humoristes français actuels. Quand il se présente en malheureuse victime, on s'esclaffe. Le président de la Fédération nationale des chasseurs dénonce l'interdiction de la chasse à certains oiseaux. C'est de "l'écologie punitive", tonne-t-il. Il nous fait rire. On se demande ce que lui ont fait les alouettes des champs, les vanneaux huppés, les pluviers dorés, les grives et les merles noirs pour être punis de mort par lui et les chasseurs qui veulent continuer à s'adonner à cette étrange passion morbide sous prétexte qu'il faut continuer à faire vivre une tradition culturelle qui remonte à Néandertal (qui reste visiblement leur modèle).

"On a un harcèlement terrible qui vient de l'écologie punitive en permanence, pleurniche Schraen dans un de ses sketchs dont il a le secret. Les chasseurs sont malmenés. On commence à en prendre plein la gueule à longueur de journée."  (1) Bien moins que les oiseaux. L'alouette des champs a perdu près du tiers de ses effectifs en trente ans. Mais les larmes de crocodile de Schraen ont ému le gouvernement français: le Ministère de la transition écologique met en consultation plusieurs projets d’arrêtés pour autoriser à nouveau le piégeage de quelque 115 000 oiseaux par le biais de méthodes de chasse dites « traditionnelles ». Même si elles sont fondées sur des techniques non conformes au droit européen et ont été jugées illégales par le Conseil d’Etat. Peu auparavant, en clôture du Congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) (à Marseille du 3 au 11 septembre), le gouvernement français, la main sur le cœur, avait déclaré son intention de faire tout ce qui est en son pouvoir pour sauver la biodiversité. Le Monde (2): "Le temps est venu, a résumé Bruno Oberle, le directeur général de l’UICN, d’un « changement fondamental ». Certes, répond en substance la France, pays hôte du congrès, mais nous souhaitons malgré tout pouvoir continuer à enfreindre la loi pour permettre à une fraction de pourcent de nos concitoyens de s’adonner au plaisir de tuer des dizaines de milliers d’oiseaux en déclin. Parmi les espèces ciblées par les projets d’arrêtés, certaines ont vu leurs populations se contracter de moitié, en Europe, au cours des trente à quarante dernières années. Le contraste entre le fracas des mots utilisés pour décrire le problème et l’absence forcenée du plus petit début de réponse politique à ce problème incarne bien plus que ce que la novlangue politicienne qualifie généralement de « mesure pragmatique ». Ce contraste illustre plutôt le fait que l’enjeu environnemental est désormais au cœur d’une rupture du pacte démocratique."

Le Monde rappelle que "l’alouette des champs et le vanneau huppé sont respectivement classés en « préoccupation mineure » et « quasi menacé », selon la liste rouge des espèces menacées de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en France. « Les nouveaux arrêtés en préparation demeurent illégaux, et la LPO [la Ligue de protection des oiseaux] demandera leur suspension immédiate devant le Conseil d’Etat si jamais ils sont signés », a immédiatement réagi la LPO. Les populations d’oiseaux des villes et des champs se sont effondrées en France à cause des activités humaines, alertent les scientifiques. Pour la LPO, il s’agit de « satisfaire les lobbys cynégétiques à l’approche de l’élection présidentielle ». « Chasser hors du cadre légal, c’est braconner », a ainsi assené son président, Alain Bougrain-Dubourg dans un communiqué." (3) Schraen, lui, a critiqué « une radicalisation d’une partie ultraminoritaire de la société » contre la chasse, refusant de voir que l'opinion publique rejette très majoritairement la chasse, aujourd'hui vue comme une activité d'un autre âge.

Les oiseaux qui résident dans les marais d'Harchies, réserve naturelle belge, à la frontière française, sont depuis toujours victimes de la chasse punitive des chasseurs français. Dans les années '80 Jean-Pierre Verhaeghen, le conservateur de l'époque, m'expliquait le problème que lui posaient ces derniers: certains d'entre eux, sous prétexte de promenade, circulaient dans les marais et y faisaient un maximum de bruit pour pousser les oiseaux vers la frontière où les attendaient leurs camarades canardeurs. Plus de trente ans après, rien n'a changé. Ces cinq dernières années, les naturalistes ont recensé le nombre de coups de feu tirés par les chasseurs français lors de leur première soirée de chasse: 1100 en 2016, 2054 en 2020.  Mais ces chasseurs sont ou très mauvais ou trop imbibés: "Ce n'est pas un massacre. Nous, ce soir, on tuera un ou deux canards tout au plus. Il y a même des soirs où l'on ne prend rien. On dit alors qu'on fait capot. En fait, on vient surtout pour passer une bonne soirée ensemble et partager un bon barbecue." (4) Qui donc arrivera un jour à expliquer aux chasseurs qu'on peut passer un bon moment entre amis sans sortir son fusil ?

Dans une luxueuse plaquette audacieusement intitulée "La chasse, cœur de la biodiversité" et distribuée il y a quelques mois aux 520.000 conseillers municipaux de France, la Fédération des chasseurs tente de se présenter comme une organisation dont l'écologie est le souci premier. Leur vision de l'écologie est assez particulière: "Tuer des animaux et les déguster est une évidence pour nous. (...) Nous ne renierons jamais que la quête de l'animal est une philosophie de vie pour nous." Ecologiste donc, mais aussi philosophe. Willy Schraen est décidément un humoriste qui ose tout. 

Le mal aimé / Je suis le mal aimé (Claude François)

Post-scriptum: j'avais cru comprendre que les chasseurs étaient les seuls vrais écolos. Et voilà qu'ils ne sont que des barbares néandertaliens : https://www.huffingtonpost.fr/entry/hautes-alpes-une-louve-tuee-par-balles-retrouvee-pendue-devant-une-mairie_fr_614de817e4b03dd7280a8a3d

Consultation publique sur les projets d’arrêtés relatifs à la capture de 98 702 alouettes des champs au moyen de pantes dans les Landes, la Gironde, le Lot-et-Garonne et les Pyrénées-Atlantiques

 

Consultation publique sur les projets d’arrêtés relatifs à la capture de 7 798 alouettes des champs au moyen de matoles dans les Landes et le Lot-et-Garonne

 

Consultation publique sur le projet d’arrêté relatif à la capture de 1 200 vanneaux huppés et 30 pluviers dorés au moyen de tenderies aux filets dans les Ardennes

 

Consultation publique sur le projet d'arrêté relatif à la tenderie de 5800 grives et merles noirs dans les Ardennes

 

Le site des consultations sature fréquemment en cas de trop nombreuses connections simultanées et il faut parfois persévérer ou recommencer à un autre horaire. Il est également important de ne pas simplement copier-coller des argumentaires existants car seuls les avis individuels originaux sont pris en compte. (LPO)




(1) France Inter, 17.9.2021, Journal de 13h.

(2) https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/09/19/l-enjeu-environnemental-est-desormais-au-c-ur-d-une-rupture-du-pacte-democratique_6095186_3232.html

(3) https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/09/16/le-gouvernement-veut-autoriser-a-nouveau-certaines-chasses-traditionnelles-d-oiseaux_6094886_3244.html


(4) https://www.rtbf.be/info/regions/hainaut/detail_encore-un-soir-complique-pour-les-canards-des-marais-d-harchies-canardes-en-passant-la-frontiere?id=10828025&fbclid=IwAR2y7MTtNev9fmZNoxY2fChfi7UEBUzbaj1DejldDmx0VrplYM2iafQ9vdw


https://www.lalibre.be/international/europe/2021/09/22/un-chasseur-manifeste-en-accrochant-un-pigeon-vivant-sur-une-pancarte-PAQIC56M3ZBVLEXNUXXMMFMGZQ/

lundi 13 septembre 2021

Un virus abrutissant

La bêtise est un virus dangereux qui se propage aisément et a parfois pour effet (qu'on n'oserait appeler secondaire, mais plutôt primaire) la violence. Les anti-vaccins et anti passes sanitaires le démontrent chaque jour.

En Martinique, la situation sanitaire est catastrophique: 527 personnes sont mortes de la Covid-19 depuis le début de l'épidémie et seulement 26,20 % de la population étaient entièrement vaccinée fin août. Les soignants martiniquais n'ont pu prendre le moindre congé, travaillant sans s'arrêter durant quatre semaines d'affilée. Pour les soulager, des collègues ont débarqué de la métropole. Mais à leur arrivée à l'aéroport martiniquais, ils ont été traités d' "assassins" par quelques dizaines de manifestants qui leur ont signifié qu'ils ne sont "pas les bienvenus".  Les soignants ont dû être protégés par la police pour sortir de l'aéroport. Au-delà de ce cas, de nombreux médecins français témoignent des menaces de mort qu’ils reçoivent quotidiennement, depuis le début de la campagne vaccinale, surtout sur les réseaux prétendument sociaux. Le président du syndicat professionnel Union française pour une Médecine libre (UFMLS) dénonce « des discours complotistes qui font croire que l'on a assassiné les gens dans les maisons de retraite, que le vaccin va décimer la moitié de l'humanité » (1).

A Bruxelles, vu l'importance de la propagation du virus, les autorités envisagent l'instauration d'un passe sanitaire. Aussitôt, le collectif "L'Abîme" a menacé d'organiser des "apéros contaminants" (2). Ces rendez-vous auraient lieu tous les samedis avec un objectif de contamination entre les participants qui auraient ainsi droit, pensent-ils, à leur passe sanitaire sur base d'une immunité naturelle. Voilà un collectif qui n'a aucun sens du collectif. 

En fait, ce virus est un révélateur. Il dévoile les crétins.

Ici, c'est de plus en plus gris / Le monde se cherche un abri / Contre la bêtise humaine  - Louis-Jean Cormier, "138" (album "Le Ciel est au plancher").

(1) https://www.marianne.net/societe/sante/martinique-des-soignants-venus-en-renfort-insultes-par-des-antivax-a-laeroport

(2)    https://www.lalibre.be/belgique/societe/2021/09/10/ces-gens-vivent-dans-un-autre-monde-erika-vlieghe-tres-remontee-contre-le-collectif-labime-DEYV65H4RNBCLCSWKNQHAXNL7M/