jeudi 26 juillet 2018

"Le Lambeau"

C'est un livre sur la résilience, sur la voie difficile et douloureuse de la reconstruction, tant physique que psychique. Philippe Lançon, contrairement à tant de ses camarades de Charlie Hebdo, est sorti vivant du massacre dont a été victime l'équipe. Vivant mais diminué, puisqu'il a été blessé au bras et, surtout, a eu la mâchoire inférieure arrachée par une balle de kalashnikov.
Il est revenu d'entre les morts et c'est ce long cheminement vers la vie qu'il raconte, vers son autre vie, vers celui qu'il sera parce qu'il a vite compris qu'il ne serait plus jamais celui qu'il a été.
Dans ce journal intime qui ne ressemble à aucun autre, il nous parle de "la solitude d'être vivant", de sa difficulté à rester en lien avec certains proches, parce qu'il est, dramatiquement et simplement, proche de ses amis tués et centré sur lui-même, sa douleur, ses angoisses et qu'elles ne sont pas partageables.

Il parle très peu des assassins de ses amis, de ceux qui l'ont blessé à jamais. "Je n'ai aucune colère contre les frères K, je sais qu'ils sont les produits de ce monde, mais je ne peux simplement pas les expliquer". Ils les voit comme des censeurs violents: "toute censure est bien une forme extrême et paranoïaque de critique. La forme la plus extrême ne pouvait être exercée que par des ignorants ou des illettrés, c'était dans l'ordre des choses, et c'était exactement ce qui venait d'avoir lieu: nous avions été victimes des censeurs les plus efficaces, ceux qui liquident tout sans avoir rien lu." 

Il raconte son parcours médical fait d'avancées et de reculs, d'espoirs et de déceptions, au fil de dix-sept interventions chirurgicales (de janvier 2015 à août 2017 - ceux qui le lisent chaque semaine dans Charlie savent que ce parcours n'est hélas pas fini). Son plaisir de revenir à l'hôpital, de retrouver sa chirurgienne, sa colère au contraire de n'avoir pas de ses nouvelles.
"Le Lambeau" est aussi un hommage au corps médical, médecins, infirmières, aide-soignants, kinés, pyschologues, brancardiers, à tous ceux et toutes celles qui quotidiennement accompagnent - chacun avec ses compétences, son opiniâtreté, sa désinvolture, son style - leurs patients. Un hommage aussi aux policiers qui assurent sa sécurité.
Hommage enfin à la culture qui l'a aidé à se reconstruire: Proust, Shakespeare, Bach, Kafka, Velasquez, le jazz l'ont accompagné dans ses chambres d'hôpital, dans les salles d'attente et d'opération. La culture comme boussole, comme bouée, comme refuge, comme point d'appui.

Le récit est calme, posé, bouleversant. Il nous parle de vie, de mort, de douleur, de corps, d'amour, d'amitié, d'écriture et de musique, de couleurs et d'odeurs. Il nous parle de lui. Il nous parle de nous.  

"Le Lambeau", Philippe Lançon, Gallimard, 2018.

Les critiques dans "Le masque et la plume":
https://www.franceinter.fr/livres/le-lambeau-de-philippe-lancon-les-critiques-du-masque-et-la-plume

lundi 23 juillet 2018

Dans le mur et l'indifférence

Où va le monde? Dans le mur à coup sûr. Les petits Mussolini (voir billet précédent) se reproduisent comme lapins en garenne, mais avec une obsession de coq: le menton et le poitrail en avant, ils cherchent à chanter plus fort que les autres et à s'imposer, dans leur pays ou leur région, comme le seul chef au pouvoir maximal. 
"A une époque caractérisée par les accès de colère du président américain Donald Trump, le révisionnisme du président russe Vladimir Poutine et l'ambition démesurée du président chinois Xi Jinping, la situation internationale est de plus en plus confuse, dysfonctionnelle, voire dangereuse. Comment en sommes-nous arrivés là et comment pouvons-nous en sortir?", s'interroge  Carl Bildt, ancien Ministre des Affaires étrangères et ancien Premier Ministre de Suède (1) "Ces dernières années, la communauté internationale est entrée dans une nouvelle phase. La politique de l'idéalisme et de l'espoir a été remplacée par celle de l'identité et de la peur. Cette tendance s'est confirmée dans un pays occidental après l'autre, mais elle est particulièrement sensible dans les deux pays anglo-saxons qui, à l'origine, ont rendu possible la période de progrès miraculeux précédent. Aujourd'hui, le Royaume-Uni nous offre le spectacle tragique d'un débat politique confus. (...) Autrefois animé d'une vision politique de portée planétaire, le Royaume-Uni sombre dans les querelles de clocher." (...)
"Pendant des décennies, la Maison-Blanche a été le point d'ancrage du monde. Aujourd'hui, elle est une source de rhétorique belliqueuse qui ne cherche même pas à faire semblant de respecter les règles de l'ordre international. En fait, la stratégie de sécurité nationale officielle du gouvernement Trump dénonce même les efforts des Etats-Unis visant à préserver l'ordre international, des efforts décriés comme étant contre-productifs et autodestructeurs. L'avenir qu'envisage cette Maison-Blanche est uniquement fait de conflits entre nations souveraines."

L'écrivain irlandais Robert McLiam Wilson fait le même constat, en des termes plus crus : "De tout temps plus émotif et moins philosophique que la France ou l'Allemagne, le monde anglophone est entré dans une phase lunatique de caprice et de déconne proche de la démence. A ce stade, attendre le moindre signe de compétence ou de sérieux de la part de ces deux pays serait pêcher par naïveté (quant au sens politique, même pas en rêve). Mystérieusement fâchées, deux nations riches et privilégiées ont balancé leurs jouets hors du parc en élisant des idiots forcés de gouverner idiotement  parce qu'en Anglophonie, quand on se trompe, il ne faut surtout jamais l'admettre" (2).
Evoquant le président Trump, le philosophe allemand Jürgen Habermas estime que "on ne peut même pas dire que cet individu est en dessous du niveau de culture politique de son pays: Trump détruit constamment ce niveau" (3).
La Maison-Blanche, affirme le romancier américain Jérôme Charyn, "n'a rien de dysfonctionnel. Elle respire l'air vicié de la rancœur et vit avec. Elle sert de base aux mélodies du Donald: ses vitupérations et ses tweets. Elle nous déstabilise à intervalles réguliers. Et nous peinons à définir clairement nos lignes de bataille" (4).

Tous ces navrants petits Mussolini n'ont pour objectif qu'eux-mêmes, nous démontrent qu'il y a urgence à changer radicalement le système démocratique, à en finir avec un système électoral qui nous laisse - presque à chaque fois - déçus. La majorité des élus n'ont pour ambition que d'être réélus. Le long terme - et même le moyen - n'appartient pas à leurs préoccupations.
Bart De Wever se rêve en président d'une république flamande. Elle risque bien d'être un pays sans terre, un pays liquide. Une bonne partie de la Flandre sera sous eau dans un horizon proche. Il se trompe totalement de combat. Il aura cependant une belle casquette. Celle d'un gardien de phare aux confins de la Wallonie.

Si nous allons dans le mur, c'est aussi parce que nous laissons la voie libre à ces petits Mussolini. L'indifférence des citoyens est aujourd'hui aussi grande que leur apathie, leur résignation et leur lassitude. Que nous arrive-t-il? Nous devrions chaque jour être dans les rues pour protester contre la barbarie qui régit la Syrie, contre la bêtise qui règne aux Etats-Unis, contre la dictature qui s'installe insidieusement au gré de tant de peuples, contre la mort en Méditérranée de tant de gens qui refusent de crever dans leur pays, contre le dérèglement climatique qui générera plus encore de catastrophes, de misère, de sécheresse, de migrations, contre l'augmentation du fossé entre riches qui ne savent que faire d'un argent qui leur file entre les doigts et pauvres qui tentent de survivre et parfois meurent dans le mépris et l'indifférence des premiers.
Mais nous sommes en vacances Peut-être de nous-mêmes.

(1) Project Syndicate, Prague, 19.4.2018, in Le Courrier international, 12.7.2018.
(2) "Le grand n'importe quoi du monde anglophone", Charlie Hebdo, 18.7.2018.
(3) "L'entretien", Le Courrier international, 5.7.2018.
(4) "Obama", Charlie Hebdo, 18.7.2018.

lundi 16 juillet 2018

Le diable et nous

Depuis mon adolescence, je ne crois ni à dieu ni à diable. Mais voilà que je doute. Je ne vois de dieu nulle part, mais je commence à me dire que le diable pourrait bien exister. Je le vois avec la mèche blonde, la lippe boudeuse et l'attitude arrogante. 
Ubu Trump semble s'être donné pour mission de briser les ententes, de casser les accords, de semer  la zizanie partout où il le peut. Voilà qu'il déclare que le Royaume-Uni doit opter pour un Brexit dur sous peine de ne pouvoir conclure un accord économique avec les Etats-Unis. Voilà qu'il affirme que l'Union européenne détruit son identité et sa culture en laissant entrer sur son sol trop de migrants. Voilà qu'il reproche à Sadiq Khan, le maire de Londres, de n'en avoir pas fait assez pour lutter contre le terrorisme et d'être incapable d'endiguer l'augmentation du nombre de meurtres à Londres (1). Suffisant Ier, brave soldat de la NRA, semble oublier que les meurtres et accidents par armes à feu sont en augmentation dans son pays si sécurisé et il ne bougera pas le petit doigt pour inverser la tendance. C'est une (vieille) histoire de paille et de poutre. On peut être un homme grand et être très petit. On peut être président des Etats-Unis et être l'incarnation de la grossièreté, de la fatuité et de l'inculture.

"Comme les petits Mussolini sont nombreux, se fâche le journaliste Bernard Guetta lors de sa dernière émission sur France Inter (2). Regardez Monsieur Erdogan, regardez Monsieur Orban, regardez Monsieur Poutine. Il y a partout sur les cinq continents aujourd'hui un parfum très très pesant de nationalisme, de xénophobie, de peur de tout et d'abord de l'étranger. Nous sommes plus de cinq cents millions d'habitants de l'Union européenne et nous avons une peur panique de quelques dizaines de milliers de réfugiés ou de prétendants à l'immigration économique qui arrivent sur les côtes italiennes. Mais nous avons perdu la raison! Regardez maintenant les Etats-Unis: ils sont plus de 300 millions, le pays le plus riche du monde, la plus grande démocratie, et Monsieur Trump en arrive à faire arracher des enfants des bras de leurs mères par peur de l'immigration. Mais nous sommes fous! Le monde devient fou!"
Les populismes qu'incarnent ces petits Mussolini trouvent leur succès dans notre "peur d'un avenir que l'on ne voit pas, opaque, incompréhensible, imprévisible. Que faisons-nous?", demande Bernard Guetta qui trouve incompréhensible qu'il n'y ait pas de manifestations de masse contre le boucher de Damas, contre l'horreur, l'abomination. "Il n'y a plus de croyances collectives, bonnes ou mauvaises, pour faire descendre les gens dans la rue. Les choses sont devenues tellement complexes pour la majorité des gens - alors qu'en fait elles ne le sont pas vraiment - qu'on hésite à s'engager."
S'exprimant depuis vingt-sept ans, chaque matin de la semaine sur France Inter, Bernard Guetta va nous manquer. Européen convaincu, ce "sage" (comme l'appelle une auditrice) engagé estime que "la force du capital internationalisé n'a jamais été aussi grande et qu'il faudrait pouvoir lui opposer au minimum une puissance publique de taille continentale". Et on repense à ce diable de Trump que d'aucuns veulent voir comme un "anti-système" et qui essaie, notamment, de diviser l'Union européenne pour que le système capitaliste puisse s'exercer plus sauvagement encore.
Comment refonder, revivifier l'Union européenne? Il s'agit de nous interpeller nous-mêmes, nous, les citoyens de ces 27 pays, répond Bernad Guetta. "Que voulons-nous? Aborder en ordre dispersé la Russie de Poutine, l'Amérique de Trump, les chaos au Moyen-Orient, la Chine montante dont le budget militaire ne cesse d'augmenter? L'U.E. et les pays qui la composent sont le bastion de la démocratie et de la protection sociale."
Le philosophe allemand Jürgen Habermas ne pense pas autrement: "depuis un quart de siècle, je prône une intégration politique européenne plus poussée parce que je pense que seule cette configuration du continent permettra de contrôler un capitalisme devenu sauvage" (3).
Il est temps de se lever contre les petits Mussolini et les prêcheurs du repli sur soi, de sortir de nos critiques - même si elles sont pour partie fondées - sur l'Europe, pour la bousculer, la dynamiser, mettre en œuvre ce qui a fondé l'Union: la solidarité. Et de faire tomber de leur piédestal tous les philistins racrapautés derrière leurs frontières sur un passé mythique et une vision du monde dépassée. Il est temps de remettre le diable à sa place: dans les poubelles de l'Histoire.

(1) https://www.huffingtonpost.fr/2018/07/12/brexit-theresa-may-sadiq-khan-donald-trump-se-lache-dans-une-interview-decapante-au-sun_a_23480948/?utm_hp_ref=fr-homepage
(2) https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-06-juillet-2018
(3) "L'entretien", Le Courrier international, 5 juillet 2016.

mardi 10 juillet 2018

Transe nationale

Les Belges sont décidément de drôles d'oiseaux. Sont-il en manque de nation?
Traversant vendredi dernier (avant le match Brésil - Belgique donc) une partie de la France du fin fond de la région Centre jusque Paris, par ce qui pourrait ressembler à un chemin des écoliers, avant de rejoindre par autoroute Valenciennes, puis la frontière belge à Brunehaut, on y voit tout au plus cinq drapeaux français en soutien aux Bleus.
Effectuant à peine dix kilomètres en Belgique, on ne pourrait compter les drapeaux belges et les images des Diables rouges sur les façades, les voitures, les commerces. Cent cinquante au moins. Peut-être le double. Ce n'est plus de la ferveur, c'est de l'idolâtrie. 
En Belgique, la fête nationale est très peu fêtée et ceux qui connaissent l'air et les paroles de la Brabançonne, l'hymne national, ne doivent pas être plus nombreux qu'une équipe de football. Mais quand l'équipe nationale belge gagne, c'est tout un pays qui entre en transe.
Qu'est-ce qui explique un tel engouement? Le sentiment d'être un petit Etat, voire un Etat petit, et d'exister via son équipe de foot? L'impression (illusoire) d'appartenir - enfin - à un pays uni? Le soutien à une équipe multicolore dont les joueurs ont des origines diverses?
Les Belges qui se sont longtemps moqué du chauvinisme français sont, depuis plusieurs années, passés maîtres en la matière. Leurs cocoricos sont bien plus tonitruants que ceux des Français.
Bien sûr, ne le boudons pas, c'est aussi le plaisir de faire la fête avec des amis, avec les voisins, avec des inconnus qui partagent la même passion, vivent les mêmes émotions, se (sou)lèvent à la même seconde. 
Mais quand même - j'assume le rôle du schtroumpf grognon - comment peut-on autant s'identifier à des millionnaires en short? Parce que tout le monde a, un jour ou l'autre, joué au football?
Il y a au moins une raison de se réjouir de ce sentiment national(iste), c'est qu'il doit faire grogner Bart De Wever et sa NVA. Et rien que ça - au-delà de leur talent - me rend sympathiques les Diables rouges.

(Re)lire sur ce blog
- "Boire et déboires", 6 juillet 2014;
- "Footfootfootfootfootfootfootfootfootfoot", 11 juin 2016;
- "Much a do about nothing", 2 juin 2016;
- "Qatar bouillu, coupe du monde footue"; 27 mai 2015;
- "Les djihadistes du Standard", 27 janvier 2015;
- "Un modèle mal footu", 20 novembre 2014;
- "Ne pas déranger", 28 avril 2014;
- et d'autres encore.

Aux commentateurs de ce blog (suite)

Bon... je n'ai pas trouvé la cause du problème (voir billet d'hier), mais j'ai changé les paramètres. Tous les commentaires devraient donc être publiés. A l'exception des messages d'insulte, racistes, homophobes, antisémites, etc. et des pubs. Merci de signer, d'une manière ou d'une autre, vos messages. Qu'on sache qui parle. 

lundi 9 juillet 2018

Aux commentateurs de ce blog

Il me revient que des commentaires me sont envoyés mais non publiés. Ils m'ont tout simplement échappé. 
Habituellement, je publie tous les commentaires qui me sont envoyés, à l'exception des messages anonymes,  des injures et des publicités. Les autres me paraissent a priori pertinents et me semblent participer utilement aux débats et réflexions.
Je viens cependant de me rendre compte que des commentaires sont restés bloqués depuis quelques semaines dans ce qu'il est convenu d'appeler le tableau de bord de ce blog. Je ne comprends pas pourquoi et j'espère que d'autres n'ont pas tout simplement disparu sans que j'ai pu, d'une manière ou d'une autre, en avoir connaissance. D'autant que je dois avouer ne pas être un spécialiste en ces matières. Peut-être, suite à l'application de la directive sur la protection de la vie privée et des données, le fonctionnemment de blogspot a-t-il été modifié.
Désolé donc pour vos commentaires évaporés. Je vais continuer à chercher la cause de ce problème. Et surtout tenter de le résoudre.

mercredi 4 juillet 2018

Météos mollissantes

Juillet signe le retour de la météo des plages. Il fut déjà question ici de la diversité des météos: celle des plages en été, celle des neiges en hiver, et même celle des routes toute l'année dans une émision radio de la RTBF autrefois. La météo se fait ponctuelle. Nous avons hélas perdu la si poétique météo marine de France Inter. On n'entend plus annoncer les mers calmes devenant agitées, les avis de coups de vent mollissant sur Circéo, Iroise, Cromarty, Pazenn et Fisher. 
Mais pourquoi, nous interrogions-nous, n'a-t-on pas droit à la météo des pistes cyclables? Et pourquoi pas celle des voies ferrées ou navigables? Et tant qu'à faire, si ce n'est pas abuser, nous aimerions avoir la météo des sentiers de randonnée, celle des coins à champignons, des rivières gelées où patiner, des petits chemins qui sentent la noisette, des étangs de pêche, des forêts où entendre le brame du cerf, des jardins publics, des terrasses de bistrots, des chemins de traverse, des culs-de-sac, des voies latérales. Et celle des grands boulevards, pour pouvoir programmer nos flâneries. 
Quant à la météo des plages, pourquoi n'y avons-nous droit qu'en été? Pourquoi ne peut-on savoir s'il y aura beaucoup de vent sur la plage pour s'y balader en hiver et sortir son chien ou son cerf-volant? Beaucoup de pluie pour s'y promener, avec un ciré et quelqu'un qu'on aime, en automne? La plage n'existe-t-elle qu'en juillet-août?

pour hector et pascale, amber, tamise, fanette et sa famille
finistère rêvé le matin à l'est
Ile de Ré 4 à 6
pique-nique souriant ouest
vent sud-est revenant ouest sur ses fesses à midi près du cap
pour fanette ce lundi vent d'ouest récré 3 à 5
puis fraises et champs 5 à 6
mère joyeuse en fin d'après-midi
pour amber et tamise
odeur forte
des pleurs des cris 4 à 6 le soir puis virant nord-ouest
mère calme devenant agitée 6 à 8
débordée par ses enfants
des averses des rafales sur lits superposés
montée chromatique sur ouessant
père à l'ouest malgré lui
venant lui prêter main forte
molissant 3 à 5 7 nuits sur 7
revenant sud la matin

Camille, Waves (album "Music Hole")
https://www.youtube.com/watch?v=lOnNzqw3nCc



lundi 2 juillet 2018

Infréquentables fusilleurs

On en connaît tous de ces gens qu'on fréquente avec plaisir, mais qui, à force de critiquer, si sûrs d'eux, les uns et les autres et même la terre entière, deviennent infréquentables. Marcel Proust, en son temps, en avait connus, lui aussi.
En quittant les **, vous allez voir les ***, et la bêtise, la méchanceté, la misérable situation des ** est mise à nu. Pénétré d'admiration pour la clairvoyance des ***, vous rougissez d'avoir d'abord eu quelque considération pour les **. Mais quand vous retournez chez eux, ils percent de part en part les *** et à peu près avec les mêmes procédés. Aller de l'un chez l'autre, c'est visiter les deux camps ennemis. Seulement comme l'un n'entend jamais la fusillade de l'autre, il se croit le seul armé. Quand on s'est aperçu que l'armement est le même et que les forces ou plutôt la faiblesse sont à peu près pareilles, on cesse alors d'admirer celui qui tire et de mépriser celui qui est visé. C'est le commencement de la sagesse. La sagesse même serait de rompre avec tous les deux. 

(Marcel Proust, "Contre la franchise", chap. X de "Fragments de Comédie italienne", in "Les Plaisirs et les jours",  1896.)

dimanche 1 juillet 2018

Voici venir juillet au pied léger

En ce jour de la Saint-Thierry, c'est l'été et les premiers départs en vacances. Les températures sont caniculaires et les humeurs colériques. Quantité de Français partent moroses, voire grognons. C'est qu'ils ne peuvent désormais rouler sur les routes secondaires à plus de 80 km/h plutôt que 90. Ils ont peur de s'ennuyer et d'arriver trop tard à leur lieu de villégiature. Ils sont convaincus que cette mesure ne servira à rien.  Même pas à diminuer le nombre de morts sur les routes, objectif poursuivi par le Gouvernement Philippe. La finesse des arguments de ceux qui s'opposent à cette mesure laisse pantois: "c'est juste pour emmerder les gens!" ou "c'est juste pour remplir les caisses de l'Etat". Les piliers du Café du Commerce n'en pensent pas moins.
Quand on circule sur les routes françaises en respectant la limitation à 90 km/h, on est sans cesse dépassé par des conducteurs qui roulent, au moins, entre 95 et 100 km/h. Avec une vitesse limitée à 80, on peut imaginer qu'ils rouleront plutôt à 90. Imposer une limitation à 80 pourrait donc être vu comme une manière de tenter de faire respecter la limitation à 90.
Moins de morts en baissant les vitesses, quelle blague!, disent ceux qui roulent et pensent avec leur pied et contestent les études des experts. Au volant, chacun est un expert et sait mieux qu'un spécialiste ce qu'il faut faire. Ainsi, cet homme qui défendait devant moi la liberté de rouler à la vitesse que l'on veut. "Je n'ai jamais eu d'accident", se vantait-il. Je lui avais dit que j'avais remarqué qu'avant leur premier accident, beaucoup d'automobilistes n'en avaient jamais eu. Depuis, il en a eu un, dont il s'est sorti assez miraculeusement.

"Ma voiture, c'est ma liberté", voilà un vieux slogan totalement obsolète. Les routes, les villes, les villages même sont de plus en plus embouteillés et les riverains suffoquent sous les gaz d'échappement. Ma liberté s'arrête au pare-choc de la voiture qui me précède.
Qu'on le veuille ou non, les réductions de vitesse deviendront de plus en plus la règle. De nombreuses villes ont déjà imposé les 30 km/h maximum en leur centre. Certaines y ont même interdit totalement ou partiellement les voitures. Les places de parking se font et se feront plus rares. La limitation à 80 km/h sur les routes secondaires procède de la même tendance inéluctable. Chacun veut prendre sa voiture pour le moindre déplacement et tout le monde se plaint qu'il y a trop de véhicules sur les routes. Tout le monde se plaint de la sécheresse, des inondations, de la perte de biodiversité, des divers effets du dérèglement climatique et aussi de l'augmentation du prix du carburant. Et tout le monde rêve d'une vie plus sereine, de courir moins, de dépenser moins, de prendre le temps. Mais rouler plus léger, moins stressé, consommer moins, polluer moins, provoquer moins d'accidents semble être la moindre des envies d'une majorité d'automobilistes. Cherchez l'erreur. Slow food, oui. Slow drive, non.
Le lobby automobile multiplie les arguments de mauvaise foi pour tenter de nous convaincre que rouler moins vite ne sert à rien. Ce lobby semble avoir des adeptes et des relais dans chaque véhicule. Et même à la tête de certains départements. Ainsi la présidente (LR) du Conseil départemental de la Creuse qui a sorti l'argument le plus sidérant des "anti-80": cette réduction de vitesse va "contribuer à l'enclavement de son département" (2) (*). On ne sait d'où vient Valérie Simonet, mais elle ne semble pas bien connaître son département: une route express (la RN145), non concernée par la limitation à 80 km/h, dessert La Souterraine, Saint-Vaury et Guéret. Et qui voudrait parcourir à 90 km/h les routes secondaires, très sinueuses, de la Creuse serait totalement suicidaire. Son président de parti, Laurent Wauquiez, parle de la nouvelle règle comme d'une "absurdité, coupée des Français". Visiblement, la présidente du Conseil départemental de la Creuse est très coupée des réalités de terrain, elle connaît mal la topographie de son département et voudrait envoyer au fossé ses habitants. Une étude de l'Observatoire national interministériel de la Sécurité routière indique d'ailleurs que les départements ayant la proportion la plus importante de tués sur les routes secondaires sont précisément - qui peut s'en étonner, sinon elle? - des départements ruraux. La Creuse fait partie de ces quelques départements où plus de 70% des tués sur les routes le sont sur des routes secondaires. 

On aimerait entendre le lobby automobile et ceux qui se font ses chantres se manifester par rapport aux tricheries que ce même lobby a honteusement pratiquées pour maquiller les chiffres des émissions de gaz et de particules produites par ses voitures.
Les moteurs à explosion "crachent près du quart des émissions mondiales de CO2 et font environ 1,3 million de morts par an", rappelle Cotten Seiler dans The Guardian (1). Il constate que les automobilistes londoniens ont perdu, en 2017, l'équivalent de trois jours dans les embouteillages; que ceux de Los Angeles ont passé cent deux heures dans les bouchons (4,25 jours). Mais il relève aussi que les jeunes un peu partout se désintéressent de la voiture individuelle. En 1984, 92% des jeunes Américains possédaient un permis de conduire. Ils ne sont plus que 77% aujourd'hui. On observe la même tendance au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. A Amsterdam, "sept habitants sur dix voudraient bouter la voiture hors du centre ville".
Certains esprits avisés font remarquer que les efforts que nous pouvons fournir ici pour diminuer la pollution seront anéantis par celle qu'engendrent et engendreront les Chinois, de plus en plus nombreux à s'équiper de voitures. Ces esprits-là sont mal avisés. "En fait, après être tombées dans le piège du tout-voiture en transformant les rues en autoroutes (à partir des années 1990), les municipalités chinoises commencent à se rendre compte que la ville doit offrir un cadre de vie agréable à ses habitants. Cette prise de conscience a débouché sur un mouvement concerté vers un aménagement urbain qui remet la personne au cœur de la ville." (3) Aujourd'hui, la Chine mise sur les bus express et le vélo. "En 2014, l'empire du Milieu comptait plus de 200 millions de vélos électriques, qui sont devenus le premier moyen de déplacement pour beaucoup de foyers. En mai 2015, plus de 10 millions de vélos étaient à la disposition des usagers en Chine, proposés par des services de VLS (vélos en libre-service) qui ont séduit plus de 100 millions d'abonnés, pour un total de plus de 1 milliard de trajets. Avec à la clé une réduction notable des émissions de gaz carbonique, se félicitent les entreprises du secteur et l'Etat."

Certains analystes estiment qu'à un terme relativement court, la possession d'une voiture individuelle disparaîtra. La voiture intelligente sera à la disposition de qui en a besoin sans qu'il doive en être le possesseur et l'utilisateur n'aura aucunement le choix de régler la vitesse de ces voitures sans chauffeur. Ces véhicules seront dès lors moins nombreux et, en dehors de la nuit, n'auront pas besoin d'être garés. Actuellement, on estime que les voitures passent 95% de leur temps à l'arrêt, donc non utilisées. Il va falloir accepter de quitter notre religion de la voiture. Oui, même si cela semble incroyable, on va pouvoir vivre sans avoir sa propre voiture garée devant chez soi et, oui, on va devoir circuler à des vitesses dites raisonnables. O the times, they are a changin'.

On voit par là que ceux qui continuent à défendre l'usage de la voiture, des vitesses élevées et des places de parking en ville et devant chez eux mènent des combats d'arrière-garde. C'est sans doute difficile à admettre: les années '60 sont finies et aucune nostalgie ne nous les ramènera. Il faut passer à autre chose. Les années 2020. Par exemple.

(*) Finalement, les "anti-80" et la présidente creusoise sont du même niveau que Pierre Billon quand il chantait "Même si je n'atteins jamais la Creuse". Un sommet. Dans le genre:
Même si je n'atteins jamais la Creuse
Il serait bon que l'on se creuse
Pour faire comprendre à certains
Que même si je n'atteins jamais la Creuse
Je courrai toujours la gueuse
Ma guitare nouée à mes mains
etc.  
http://www.ina.fr/video/I07117141

Voir le dossier du Courrier international de cette semaine (n° 1443, 28.6.2018): "Ciao la voiture!"
(1) Cotten Seiler, "Sommes-nous proches du divorce?", The Guardian, 1.3.2018, in  Le Courrier international, 28.6.2018.
(2) https://www.nouvelobs.com/societe/20180629.OBS8965/vitesse-a-80-km-h-7-questions-sur-la-nouvelle-limitation-qui-fait-polemique.html
(3) Liu Shaokun, "Les villes chinoises misent sur l'innovation", Chinadialogue, 14.5.2018, in  Le Courrier international, 28.6.2018.