mardi 19 juillet 2022

Confusion entre opposition et bêtise

On s'est déjà posé la question ici : à quoi est donc insoumise cette France qui se qualifie de la sorte ? A la décence ? A la dignité ? A l'intelligence ? A la nuance ?
Sa cheffe de groupe à l'Assemblée nationale vient une fois encore de s'illustrer par son insoumission au sens de la mesure. Alors que le président Macron s'apprêtait à commémorer le 80e anniversaire de la rafle du Vél d’Hiv, Mathilde Panot publiait un tweet appelant à "Ne pas oublier ces crimes, aujourd'hui plus que jamais, avec un président de la République qui rend honneur à Pétain et 89 députés RN". Un mélange de bêtise crasse, d'agressivité et de mauvaise foi.
"Je ne fais aucun raccourci mais je n'occulte aucune page de l'Histoire, et le maréchal Pétain a été, pendant la Première Guerre mondiale, aussi, un grand soldat. C'est une réalité de notre pays », avait déclaré Emmanuel Macron en novembre 2018. C'est ce que Mathilde Panot lui reproche. Wikipedia définit Pétain de la sorte : "Chef militaire à l'action importante, il est généralement présenté comme le vainqueur de la bataille de Verdun et, avec Georges Clemenceau, comme l'artisan du redressement du moral des troupes après les mutineries de 1917. (...)  Auréolé d'un immense prestige au lendemain de la guerre, il est le chef de l'armée d'après-guerre." Ce qui ne l'a pas empêché de devenir ensuite, lors de la Seconde guerre mondiale, un infect personnage. Mais visiblement Mathilde Panot aime les situations faciles à comprendre, les films avec des bons et des méchants. Ainsi va la vie pour elle. Elle déteste Emmanuel Macron qui est un méchant et tout - même les moments où il conviendrait d'être particulièrement digne, elle n'a d'ailleurs pas fait allusion aux juifs (1) - est prétexte à l'attaquer. 
D'autres partenaires de LFI au sein de la Nupes sont dans le même état d'esprit. Ainsi, un élu communiste affirmait récemment que son rôle est de "s'opposer à Macron". C'est pour cela qu'il a été élu, dit-il. L'avenir de la France et des Français n'est pas un objectif pour lui. Son but : faire tomber le gouvernement et toutes les occasions sont bonnes à prendre.

Récemment, la Nupes a déposé une motion de censure contre le gouvernement, avant même le discours de la première ministre. "A un moment où les urgences s'accumulent (inflation, pouvoir d'achat, sanitaire, climatique), où les divisions s'accroissent (sociales, identitaires, politiques), la mascarade du débat de lundi a révélé une forme d'irresponsabilité des parlementaires de la Nupes, écrit Eric Decouty dans Franc-Tireur. En s'opposant par principe, selon une posture dictée par LFI bien avant le discours de politique générale d'Elisabeth Borne, cette gauche choisit délibérément la voie de l'obstruction et de l'affrontement." Le journaliste relève que, selon un récent sondage, les trois quarts des Français sont favorables à la recherche d'un compromis entre le pouvoir et les oppositions, mais la Nupes préfère jouer les schtroumpfs grognons. On peut reprocher au gouvernement de manquer du sens des priorités, mais il serait bon de l'avoir soi-même. LFI apparaît plutôt comme une bande d'ados qui font de l'opposition un principe et trouvent que tous les autres sont de gros nuls. 

(1) https://www.marianne.net/agora/les-signatures-de-marianne/rafle-du-vel-dhiv-ils-etaient-juifs-madame-mathilde-panot-juifs

jeudi 14 juillet 2022

Nos têtes immobiles

On s'était dit qu'on allait changer radicalement et le système et notre façon de vivre et de consommer. C'était il y a moins de deux et demi, au début du premier confinement (1). On s'était dit que cette occasion-là, il ne fallait surtout pas la laisser passer. On était nombreux à croire que le changement nécessaire s'amorçait enfin, qu'on allait sortir de ce fonctionnement suicidaire. On s'était dit : c'est maintenant ou jamais. Ce sera jamais.

Tous les responsables politiques n'ont aujourd'hui qu'un souci : améliorer le pouvoir d'achat. Qui dit pouvoir d'achat dit consommation. Qui dit consommation dit production. Qui dit production dit pollution. Apparemment, personne ou presque ne se soucie de l'impact de la consommation sur l'état de la planète. Les canicules se succèdent autant que les incendies, les inondations et les divers phénomènes qui n'ont plus grand-chose de naturel. Mais l'urgence est d'acheter. Bien sûr, il va de soi que chacun doit pouvoir vivre dans des conditions décentes, payer son logement, acheter des produits de première nécessité, s'habiller, bref, assurer ses besoins basiques. Mais pour autant on ne remet pas en question nos besoins de confort, comme s'ils étaient acquis et devaient à jamais être assouvis.
Les aéroports débordent de vacanciers et les autoroutes de voitures individuelles. C'est que nous avons tant "besoin de soleil" et de "lâcher prise", entend-on un peu partout, alors que le soleil partout nous écrase et qu'on implore la pluie. 
Au moment d'écrire ces lignes, je reçois une publicité d'un supermarché du bricolage : canicule annoncée ? Qu'importe ? : achetez un ventilateur, un climatiseur, une piscine. Autrement dit : pour lutter contre le réchauffement climatique, augmentons-le. L'homme est un triste sire, figé, incapable de changer ses habitudes et qui reportera toujours sur les autres - sur celles et ceux qui gouvernent surtout - la responsabilité de ce qui (lui) arrive.

Quel responsable politique oserait conditionner l'augmentation du pouvoir d'achat à l'obtention de produits neutres en carbone ? Alors qu'on sait - que tout le monde sait - qu'il n'y a pas d'autre issue. Lequel oserait affirmer qu'il ne faut pas augmenter le pouvoir d'achat mais le pouvoir d'agir pour réduire nos consommations ? Nous nous croyons de notre temps, alors que nous restons coincés dans le logiciel des golden sixties.
A partir de 2035, il sera interdit de vendre des voitures thermiques dans l'Union européenne. Ainsi en a décidé le Parlement européen. Très bien, se dit-on. Dès lors, les voitures électriques apparaissent comme la solution. L'est-elle vraiment ? Une telle décision implique un renouvellement total du parc automobile, le fonctionnement d'aciéries, d'usines de plastique et de peintures, la circulation de cargos à travers la planète, avec leur lot - immense - de pollution. La volonté de quitter les énergies fossiles devrait être l'occasion de changer notre rapport à la mobilité. Elle ne l'est pas. La notion même de voiture individuelle est insensée. L'immense majorité des voitures est très peu utilisée. Elles nécessitent des infrastructures énormes et très coûteuses, occupent beaucoup trop de place dans les villes et les bourgs et grèvent lourdement le budget des familles. Nous n'avons pas besoin de voitures électriques, mais de transports en commun nombreux et peu coûteux, d'une politique qui chasse les voitures des villes pour laisser toute la place aux modes de déplacement doux. 

L'heure est à l'intelligence, à l'innovation, à l'audace. Sortons de nos vieux schémas, de nos habitudes mortifères, de nos façons de penser et de rouler démodées. Certains s'y sont déjà mis, tel Midipile Mobility (2) et son petit  quadricycle à assistance électrique qui permet des transports en ville de lourdes charges dans de très petits volumes. Ou encore les triporteurs de l'association Skylett à Lorient (3) qui transportent en ville les personnes âgées. L'Ademe (l'Agence française de transition écologique) lance un appel à projet d'objet roulant (4). "Soyons ambitieux, en rupture. Créons une catégorie de véhicules sobres et efficaces, peu coûteux, interopérables au sein d'un écosystème local cohérent. Simples à assembler, utilisant des composants standards, recyclables, optimisés pour chaque usage, ils ouvriront des espaces de créativité aux urbanistes, aux maires, aux aménageurs pour faire évoluer l’espace public. Faisons ainsi émerger de nouvelles industries, de nouveaux métiers." 

Résumons-nous : il est urgent de devenir intelligent.

(2) https://midipile.eu/
(3) https://www.huffingtonpost.fr/entry/a-lorient-des-velos-triporteurs-pour-aider-gratuitement-les-personnes-agees_fr_62556face4b0be72bfeec942
(4) https://xd.ademe.fr/

A lire : Numéro spécial de Charlie Hebdo : "Voiture électrique - dernière arnaque avant l'apocalypse"

Post-scriptum : à lire aussi : 
https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/07/16/on-trottine-lentement-derriere-un-climat-qui-change-vite_6135018_3244.html

lundi 4 juillet 2022

Poutine et la triade d'Ouvarov

Si on a du mal à comprendre la logique et l'attitude d'un Vladimir Poutine et de son régime tsaro-soviéto-russe, on peut se référer au court texte (à peine 50 pages) d'André Markowicz "Et si l'Ukraine libérait la Russie ?" (1). Markowicz a traduit pour les éditions Actes Sud toutes les œuvres de fiction de Dostoïevski, le théâtre complet de Tchekhov ou encore des œuvres de Pouchkine ou Boulgakov.
Français "élevé dans la culture russe", il a passé les toute premières années de sa vie à Moscou où travaillait son père, journaliste communiste. En 1964 (André avait quatre ans), son père a décidé de rentrer en France "parce qu'il ne supportait plus la violence de la vie quotidienne, l'alcoolisme, la violence des rapports entre les citoyens de ce pays qu'il aurait rêvé de voir comme la patrie du socialisme, c'est-à-dire le paradis sur terre". Ce paradis s'est vite avéré invivable, même pour lui, un privilégié. Ce qui ne l'a pas empêché de revenir régulièrement à Leningrad avec sa famille. "J'ai vu l'URSS de l'intérieur", écrit son fils. Ce qu'il a vu, c'est que personne n'était dupe. "Chacun - du moins, les gens que nous voyions autour de nous - savait qu'il vivait dans le mensonge, que rien de ce qu'on lisait dans la presse ou de ce qu'on entendait à la radio n'était vrai." Et puis, il y eut la perestroïka et la catastrophe de Tchernobyl. Tout s'écroulait "dans l'horreur de l'incompétence et du mensonge". Et l'aspiration à la liberté et à la vérité se mêlait à la monstruosité du gâchis et à la honte.
Le régime soviétique ne fut jamais jugé. "Il n'y a pas eu de procès du stalinisme. parce que les assassins n'ont pas été vaincus. Les hommes de l'appareil soviétique se sont reconvertis en hommes d'affaires, en mafieux. Mais des mafieux qui prenaient le pouvoir réel. (...) Le KGB est resté le même, et les structures de l'Etat, finalement, n'ont pas bougé."
La démocratie, la Russie des temps nouveaux ne la connut pas vraiment, elle ne fut qu'une "espèce de bouffonnade pathétique" avec Elstine. 
En 1999, "l'alcoolique titubant était remplacé par quelqu'un qui, lui, ne buvait pas - du moins en public. Mais qui, pour arriver au pouvoir, ou se garder au pouvoir, n'allait pas hésiter à faire sauter des immeubles à Moscou, en accuser les Tchétchènes et provoquer une guerre impitoyable - une guerre qui, aujourd'hui, apparaît comme prémonitoire". Avec les mêmes méthodes : massacres systématiques de civils, destruction de toutes les infrastructures, ruine de la capitale, instauration d'un régime de terreur.

On aura reconnu en ce "quelqu'un" Vladimir Poutine qu'André Markowicz présente, en outre, comme un assoiffé "de fric". Il dénonce "la mainmise réelle de la mafia poutinienne sur l'ensemble de l'appareil d'Etat, et l'incroyable, l'indécente richesse des oligarques et de l'oligarque en chef, Poutine lui-même". Poutine qui a fait la jonction entre le KGB et la mafia "s'est installé au pouvoir par la mise en scène des attentats et le déclenchement de la guerre. C'est sous le signe de la guerre qu'il a toujours régné." De la deuxième guerre de Tchétchénie à celle d'Ukraine en passant par les interventions dans le Donbass ou en Géorgie et le soutien au régime sanguinaire de Damas. "D'un coup, dans une Russie en pleine décomposition, on entendait la voix d'un chef, un vrai chef, vulgaire et apparemment fort, et prêt à tout." Un chef qui élimine sans état d'âme quiconque se trouve sur son chemin, médias ou opposants politiques. 

Vladimir Poutine gouverne selon les règles du KGB et de la mafia, mais aussi selon un principe qui fut la doctrine officielle du tsarisme après 1830, appelée la triade d'Ouvarov: orthodoxie - autocratie - principe national, sauf que Poutine a inversé les deux premiers, mettant en avant l'autocratie, "verticalité absolue du pouvoir et refus, par conséquent, de toute forme de démocratie. Avec le culte du chef qui en découle". Au point qu'on a pu entendre le président de la Douma affirmer sans rire que la véritable richesse naturelle de la Russie n'est ni le gaz ni le pétrole mais Poutine.
Deuxième principe : l'orthodoxie. "Poutine se réclame explicitement de l'onction divine - avec l'aide de l'appareil de l'Eglise, aussi corrompue que tous les autres corps de l'Etat." (2)
Et enfin, le principe national ou l'identité, avec une "mythologisation d'une histoire russe recomposée et donnée pour seule légitime" (3), ce qui passe par une falsification de l'histoire réelle, la fermeture des archives des répressions staliniennes ou encore les persécutions quotidiennes de Memorial International (4). Le principe national implique aussi qu'il n'y a qu'une seule et unique nation slave, "la triade d'Ouvarov implique la nationalisme panslaviste".

"La guerre lancée par Poutine est une conséquence de la triade d'Ouvarov", affirme André Markowicz. Elle laisse la Russie face au miroir où se lit une triple monstruosité, une triple faillite." La faillite engendrée par l'idéologie panslaviste, la faillite de l'Eglise orthodoxe russe et la faillite engendrée par la violence endémique qui régit les rapports humains. Cette violence est le fait des "seigneurs de la guerre, de chefs de mafias" à qui Poutine a livré le pays. C'est aussi celle de l'armée, "une des armes essentielles du grand décervelage".
"La réalité fissure la propagande. Il faudra bien que la Russie se retrouve face à elle. Qu'elle se retrouve, d'une façon ou d'une autre, face à une défaite militaire due essentiellement à la corruption." Car, derrière cette "mythologisation" et cette glorification de la Russie se cache une réalité sordide avec une corruption généralisée à tous les étages du régime (même Choïgou, ministre de la Défense, a escroqué son propre ministère "pour quelque chose comme un milliard de dollars sur des contrats d'intendance") et une armée qui commet quotidiennement des crimes. 

"Le régime de Poutine est la honte de la Russie". Il "a fait de la Russie un pays non pas seulement craint, mais haï. Il a sali, au nom de la défense du peuple russe, l'image de la Russie et de sa culture". Il est indispensable, écrit encore André Markowicz, que les criminels soient jugés, que la Russie répare. 
"Dans cette guerre, comme dans tout le reste, conclut-il, les Russes doivent passer de Dostoïevski à Tchekhov : voir la réalité concrète, humaine, quotidienne de ce qui se passe. Rejeter le mensonge de l'épopée. Eh oui, donc, commencer à se voir , tels qu'ils sont. C'est alors, et alors seulement, que l'Ukraine - au prix de quelle catastrophe, de quelles tragédies - aura libéré la Russie."

(1) Seuil Libelle, avril 2022.
(2) (Re)lire sur ce blog : "Dieu de sang", 21.3.2022.
(3) (Re)lire sur ce blog : "Récents délires", 29.1.2022.
(4) (Re)lire sur ce blog : "Que se taisent les morts", 29.12.2022.