dimanche 31 décembre 2023

Résister aux sinistres (et à la sinistrose)

On voudrait aller de l'avant, vers des temps sobres et intelligents, respectueux de la vie. Mais les nuisibles nous poussent vers l'arrière. Poutine revient au stalinisme, le Hamas à la barbarie. Ici, là et dans tant de coins de la planète, à Gaza, en Ukraine, au Yemen, au Soudan, en Syrie, en Libye, au Tigré, au Kivu, les guerres ont cessé de compter leurs morts et ceux qui les mènent ne cherchent plus à se justifier. D'autres menacent d'en commencer. Maduro bande ses muscles, Kim Yong-Un aussi. 
Les producteurs de gaz et de pétrole ont de grandes ambitions pour leurs actionnaires, quoi qu'il en coûte à la planète, quoi qu'anonnent les COP successives.
Les religions reviennent en force, le respect de leurs délires doit primer sur les sciences, et les femmes doivent rester à leur place, silencieusement. Les populistes bombent le torse, même s'ils n'ont aucun souffle, se contentant d'annoncer que demain on rasera gratis parce qu'on fermera les frontières. C'est le temps des imbéciles heureux accrochés à leur drapeau. L'Union européenne, cette lente construction de la paix et de la solidarité, commence à vaciller.
On n'arrive plus à se souhaiter le meilleur. On ose espérer le moins pire. On arrive cependant encore à croire en l'humanité. Parce qu'on n'a pas le choix.



mardi 26 décembre 2023

Humour extrême

On était sans nouvelles d'Alexeï Navalny. On en a enfin. Il est loin, dans l'Arctique. Détenu dans « l’une des colonies les plus septentrionales et les plus éloignées » de Russie, où les conditions de vie sont « difficiles ». Il y est pour purger sa peine (une de plus) de dix-neuf ans de prison, condamné pour "extrémisme". Lutter contre la corruption en Russie est une attitude extrême. Il est vrai qu'on comprend mal comment on peut s'opposer à Vladimir Poutine, cet humaniste qui force le respect, l'incarnation de la retenue, de la modération et de la probité. L'idée même d'extrémisme lui est totalement étrangère.
On voit par là que l'humour russe est particulier. 

dimanche 24 décembre 2023

Aux hommes de bonne volonté...

Lire ou relire Apeirogon de Colum McCann (1) permet d'apercevoir un peu de lumière dans le drame qui se joue entre Israéliens et Palestiniens. 
Rami Elhanan est israélien, Bassam Aramin palestinien. Tous deux ne sont pas des personnages de fiction. On pouvait, il y a quelques jours encore, les voir et entendre témoigner dans un reportage télévisé. Tous deux ont perdu, il y a de nombreuses années, une fille. L'une avait dix ans, l'autre treize. Elles ont été tuées par le conflit fratricide qui oppose leurs deux communautés. 
Les deux hommes avaient tout pour se haïr. Ils sont devenus amis. « Nous ne parlons pas de la paix, nous la faisons », affirment-ils lors de rencontres dans des salles de classe.
C'est un livre exceptionnel (à tous points de vue, dans sa forme comme dans ses dimensions multiples) qui raconte une histoire qui ne devrait pas l'être. Un récit qui nous laisse imaginer, dans le chaos actuel où le désespoir domine et où chacun est sommé de choisir son camp contre l'autre, que la paix est possible si on est capable de se parler, de se comprendre, d'échanger, d'imaginer un futur lavé de la peur et de la haine.
Ne laissez pas le rameau d'olivier tomber de ma main.

(1) éd. Belfond, 2020.


jeudi 21 décembre 2023

Indignations sélectives

L'ONU Femmes (UN Women) dénonce à raison les violences sexuelles dont les femmes sont victimes dans les conflits. Ce fut le cas le 25 novembre encore, lors de la Journée internationale pour l'élimination de la violence faite aux femmes. Ces dernières années, le mouvement #MeToo appelait à croire les femmes sur parole quand elles se disent victimes de violences sexuelles et à mettre fin au "silence complice". Et voilà que tant de femmes elles-mêmes se taisent face à l'horreur. 

Le viol, rappelle Inna Shevchenko (1), est défini par la Cour pénale internationale comme un crime de guerre à part entière. "Et pourtant, tout ce que nous avons pu entendre d'ONU Femmes jusqu'à présent, ce sont deux déclarations sur la situation humanitaire à Gaza, laissant les femmes victimes du Hamas dans l'oubli. Cette douloureuse décadence est confirmée par le silence quasi absolu de la plupart des mouvements féministes de premier plan, partout dans le monde." Pour Feminist, un compte Instagram suivi par six millions de personnes, l'attaque du Hamas n'est que "une riposte à l'occupation israélienne" (message supprimé ensuite). Et pour beaucoup de soutiens à la cause palestinienne, ce que les Israéliennes et les Israéliens ont vécu le 7 octobre n'est que normal, attendu, inévitable. Comme si une femme violée, dépecée, massacrée n'existait pas si elle est juive.  "Jamais auparavant, écrit encore Inna Shevchenko,  nous n'avions vu des féministes contextualiser des crimes de viol. Aussi juste que soit la défense des Palestiniens, victimes des bombardements impitoyables d'Israël et du pouvoir du Hamas, elle est devenue une justification pour négliger les femmes victimes du 7 octobre."
Les Juifs, écrit-elle encore, sont "devenus le vieil homme blanc du féminisme occidental. Donc, circulez, il n'y a rien à voir que des actes tragiques sans doute mais logiques. "La convergence des luttes n'a abouti qu'à une divergence croissante entre les femmes. L'occupation est une raison suffisante pour beaucoup de se détourner des femmes victimes israéliennes ; le soutien impérialiste des Etats-Unis en a conduit autant à négliger les filles et les femmes ukrainiennes violées et torturées ; et bien sûr l'islamophobie des manifestations contre le hijab justifie l'abandon des femmes iraniennes violées dans les prisons et tuées par le régime islamique. Et pourtant, il s'agit toujours de nous, les femmes, et non de nous, la gauche, les woke, les anti-impérialistes, les anti-Israël... Nous les femmes, où sommes-nous aujourd'hui ?"

Hala Abou Hassira, ambassadrice en France de l'Autorité palestinienne, est, semble-t-il, aveugle et sourde : "je n'ai pas entendu les témoignages et je n'ai pas vu les images", a-t-elle déclaré, interrogée sur ce qu'elle pensait "comme femme" des viols commis par le Hamas (2). 
Cette cécité et cette surdité volontaires poussent au négationnisme. Ces indignations sélectives démontrent les limites des combats dits intersectionnels, elles desservent la cause féministe et indiquent que les woke ne sont pas toujours aussi éveillés qu'ils ou elles veulent le (faire) croire. Femmes juives, femmes iraniennes, femmes ukrainiennes, femmes afghanes, vos existences et vos combats dérangent les analyses binaires. Donc, vous n'existez pas. 

Les victimes d'agressions sexuelles ne semblent pas exister non plus aux yeux du président de la République française. En tout cas si elles sont victimes d'un grand comédien. Hier soir, il s'est dit "grand admirateur de Gérard Depardieu (...), un immense acteur" qui "a fait connaître la France, nos grands auteurs, nos grands personnages dans le monde entier" et qui "rend fier la France". Pas de chasse à l'homme, a-t-il dit. Ou plutôt pas de chasse au chasseur ? 
Au pays des aveugles, les violeurs sont rois.

(1) Inna Shevchenko, "Viols du Hamas - L'insoutenable silence des féministes", Charlie Hebdo, 22.11.2023.
(2) Raphaël Enthoven, "La cécité volontaire", Franc-Tireur, 13.12.2023.

mardi 19 décembre 2023

Une vieille affaire

On n'entend plus parler de dégagisme.
Vladimir Poutine vient d'annoncer qu'il sera l'an prochain candidat à sa propre succession à la tête de l'empire russe. Le tsar est au pouvoir - à la tête du pays ou du gouvernement - depuis 1999, vingt-quatre ans donc, et il a annoncé il y a quelques années qu'il entendait y rester jusqu'en 2036. On s'interroge : est-ce un signe de faiblesse ? On est déçu. On aurait aimé qu'il y reste jusqu'en 2052, l'année où il fêtera ses cent ans. Il est immortel, si puissant si viril. Les années n'ont pas prise sur lui. Et il a tant de guerres à mener encore. Voilà qu'il montre ses muscles à présent face à la Finlande qui rejoint l'OTAN. En attendant, il sera donc candidat à la présidence russe l'an prochain. Il aura alors 72 ans. Visiblement, il est dans la force de l'âge. De l'âge politique si l'on en croit ce qu'on lit un peu partout.
Dans un an, les Etats-Unis éliront un nouveau président. Il aura 78 ans (Trump) ou 82 ans (Biden).
A 69 ans, Abdel Fattah Al-Sissi vient d'être réélu ce dimanche à un troisième mandat présidentiel à la tête de l'Egypte. Paul Bya a 90 ans. Dans un mois, il fêtera ses quarante ans à la présidence du Cameroun.
A 88 ans, Mahmoud Abbas préside encore et toujours l'Autorité palestinienne. Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a 78 ans, le même âge que son collègue brésilien Luiz Inácio Lula da Silva. Xi Jinping en a 70, Denis Sassou-Nguesso, président du Congo Brazzaville, a 80 ans. Ali Hossaini Khamenei préside l'Iran depuis 34 ans, il en a 84. Benyamin Netanyahou a 74 ans.
En Belgique aussi, on est convaincu que l'expérience seule peut faire un bon élu et que plus on en a, plus on est indispensable. 
Elio Di Rupo a occupé depuis 1987 toutes les fonctions parlementaires et ministérielles imaginables. Il sera tête de liste du PS aux élections européennes de 2024. Il aura alors 73 ans.
Richard Miller, ancien parlementaire, ancien ministre, sera peut-être candidat aux régionales de juin, il le sera en tout cas aux élections communales d'Anderlecht sur la liste MR à l'automne prochain. Il aura alors 70 ans.
Didier Reynders, lui, est un jeunot. Après la fin de son mandat de commissaire européen, l'an prochain, il se verrait bien reprendre la présidence de son parti, le MR. Il n'aura que 66 ans.
En France, de nombreux observateurs pensent que Jean-Luc Mélenchon ne pourra s'empêcher de se porter candidat à l'élection présidentielle de 2027. Il sera alors âgé de près de 76 ans. 
Les jeunes croient de moins en moins en la politique, nous dit-on. Etonnant, non ?

Post-scriptum (20.12) : Le conseil d'administration de l'Institut du Monde arabe à Paris a décidé que son président, Jack Lang, effectuerait un nouveau mandat à sa tête : le quatrième. Le président de la République doit encore se prononcer. L'ancien ministre de la Culture, âgé de 84 ans, attend la décision "avec un mélange de flegme et d'inquiétude", écrit Le Figaro. «Être renouvelé pour trois ans, ce n'est pas grand-chose et permettrait d'achever ce que j'ai à faire.» L'argument de tous les politiques accros au pouvoir, incapables de décrocher. 

dimanche 17 décembre 2023

Fuite en avant

La population de Gaza est doublement victime : du Hamas et de l'armée israélienne. Cette dernière, après avoir fait fuir les Gazaouis vers le sud, bombarde cette zone, provoquant quantité de morts civils. Sa volonté de détruire totalement le Hamas se mue en destruction de Gaza et de sa population. Quel est finalement l'objectif du gouvernement Netanyhaou ?, demande Jean-Pierre Filiu, professeur des universités à Sciences Po (1). 
Comme d'autres, il constate que "Nétanyahou s’est précipité, tête baissée, dans le piège que lui tendait le Hamas à Gaza, avec les carnages terroristes du 7 octobre 2023" et que soixante-dix jours après le début de cette guerre qui vise à éradiquer le Hamas, Israël n’est parvenu à éliminer qu’un seul responsable islamiste d’importance : Ahmed Al-Ghandour, commandant militaire pour le nord de Gaza.  Et pour cela, "la ville de Gaza est à moitié détruite (et) le rouleau compresseur israélien continue de semer la destruction et la mort dans le centre et le sud de l’enclave palestinienne". (...) "Ce sont aujourd’hui près de deux millions des 2,3 millions d’habitants du territoire palestinien qui ont été contraints par une violence extrême à abandonner leur foyer, parfois à plusieurs reprises."
Jean-Pierre Filiu estime que "la pensée militaire est restée figée en Israël dans un déni de la réalité humaine" du territoire de Gaza. "Non seulement les frappes sont bien plus meurtrières à l’encontre de la population que lors des offensives précédentes, mais Israël accepte par avance de tuer des dizaines de civils en vue d’éliminer un seul responsable du Hamas, même de rang intermédiaire."
Il constate aussi que "le recours systématique à l’intelligence artificielle amplifie cet effroyable bilan humain, puisqu’il suffit que la présence de telle ou telle « cible » soit signalée, sans même être vérifiée, pour qu’un bâtiment, voire un quartier, soit bombardé sans merci. La propagande israélienne a beau marteler la légitimité de telles frappes, elles ne s’appuient que sur des sources de renseignement, par définition invérifiables, alors même que le renseignement israélien n’a pas été capable d’anticiper, sans même parler d’empêcher, les massacres perpétrés le 7 octobre 2023 par le Hamas."
Quel est le véritable objectif du gouvernement Netanyahou ? Eliminer à tout prix les principaux chefs du Hamas et ses structures ou la bande de Gaza en tant que telle ? "Benyamin Nétanyahou se borne pour l’heure à envisager une « réduction de la densité » de la bande de Gaza, qui serait amputée de vastes « zones tampons »." Ce qui passerait par le déplacement forcé de Gazaouis, et donc plus encore de réfugiés palestiniens, en Egypte et en Jordanie notamment. Ce qui susciterait dans ces pays "des risques d’escalade régionale sans aucun précédent. Il n’est peut-être pas trop tard pour enrayer un tel scénario du pire."
Répond-on à la barbarie par une violence de plus en plus aveugle ?

(1) https://www.lemonde.fr/un-si-proche-orient/article/2023/12/17/detruire-le-hamas-ou-detruire-gaza_6206279_6116995.html

jeudi 14 décembre 2023

Tous dans le même sac

"Les Françaises et les Français veulent plus de fermeté". C'est ce qu'affirmait tout récemment (1) le député de droite Nicolas Forissier qui fut l'un des rares élus LR à avoir rejeté la motion qui refusait de débattre du projet de loi sur l'immigration proposé par le ministre de l'Intérieur.
Ce qui est important ici, c'est l'article défini : les. Pour Forissier, toutes les Françaises et tous les Français pensent comme lui : il faut être ferme en matière d'immigration. Comme beaucoup d'élus, il sait ce que pensent tous les Français et il est convaincu que ces derniers n'ont qu'une seule et même opinion : la sienne.
On les entend régulièrement ces élus, de tous bords politiques, qui déclarent que "les Français veulent" ceci ou cela, pensent ainsi ou comme cela, comme s'ils étaient soixante-sept millions à vouloir exactement la même chose ou à penser de la même manière. 
Au niveau local aussi, on les entend ces maires, ces conseillers qui rejettent les idées un tant soit peu novatrices, sous prétexte que "les gens" n'en voudront pas.
Il faut se méfier de ces élus qui vous embarquent avec eux, balancent des généralités et n'ont aucun sens de la nuance. Il nous donnent l'impression que nous ne pouvons pas penser différemment, qu'ils nous volent nos opinions.
Personnellement, je me permets de signaler à Monsieur Forissier que je fais partie de ceux qui ne veulent pas plus de fermeté en matière d'immigration. Plutôt plus d'humanité. 

(1) Journal, France 3 CVDL, 12.12.2023, 19h15.



mercredi 6 décembre 2023

L'ayatollah du bonheur

L'humoriste Willy Schraen vient de lancer son nouveau spectacle : Willy Bonheur. L'histoire est drôle : celle du grand chef des chasseurs français qui s'est mis à rêver de devenir député européen. Il a créé son parti : Alliance rurale (1). Ce sera celui du bonheur, dit-il. Son projet : rester heureux à la campagne. Et pour y arriver, il a un sacré programme : la chasse et la pêche, « la pétanque et le barbecue, l’apéro et les cochonnailles ». Il faut croire qu'il vise donc les inactifs, pas les travailleurs.
Lui qui vit dans un des pays européens les plus laxistes en matière de chasse et dont la fédération de chasseurs a touché des montagnes de subventions pour parfois n'en faire rien ou n'importe quoi (2) se plaint. Il tempête même. 
Ce grand écologiste qui déteste les« ayatollahs de l’écologie » dénonce les « élites déconnectées de la vraie vie ». Parce que la vraie vie, lui la connaît bien sûr , celle où on fait des barbecues, on boit des coups, on tire sur ce qu'on veut et on injurie qui n'est pas d'accord avec nous.
Il espère être élu au Parlement européen pour s'opposer à l'Union européenne, ce « mastodonte administratif » qui produit des « normes qui nous étouffent » et « entrave les libertés individuelles ». Il est très inquiet. Il dort mal. Tout ce qu'il demande, c'est « qu’on lui foute la paix ». Il se pose de graves questions sur l'évolution de la planète. "Si on laisse les choses se faire, est-ce qu'on pourra encore transpercer un ver de terre au bout d'un hameçon ? Est-ce qu'on pourra encore griller une côte de bœuf à cause des particules fines ? Est-ce qu'on pourra encore monter à cheval, chasser ou faire un feu de cheminée ? J'en suis pas sûr. Nous, on est la liste du bonheur." (3) La liste du bonheur qu'il faut pas faire chier. Ce qu'il pourra en tout cas encore faire, c'est sûr, c'est continuer à parler comme un âne (ce qui est  injurieux pour les ânes, convenons-en) (4). Il se dit apolitique. Quelqu'un pourrait-il lui dire qu'au Parlement européen on ne fait que discuter politique et qu'il ferait mieux de se présenter au Café du Commerce où il sera élu par acclamation ? Et il l'annonce : "je ne ferai aucun compromis" (3). On n'est pas surpris. Seuls les démocrates sont capables de faire des compromis.
Résumons-nous : la politique française est fascinante.

(2) https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/secrets-d-info/secrets-d-info-du-samedi-25-novembre-2023-2016580
(3) Le Point, 30.11.2023 (cité dans Charlie Hebdo, 6.12.2023). 
(4) (Re)lire sur ce blog : 
https://moeursethumeurs.blogspot.com/2022/09/lange-de-la-route.html
https://moeursethumeurs.blogspot.com/2022/06/lavis-de-lexpert.html
https://moeursethumeurs.blogspot.com/2022/05/les-proprietaires-de-la-nature.html
https://moeursethumeurs.blogspot.com/2021/11/lapin-chasseur.html
https://moeursethumeurs.blogspot.com/2021/11/un-chasseur-sachant.html
https://moeursethumeurs.blogspot.com/2021/09/chasse-punitive.html

lundi 4 décembre 2023

Eternels parias sans homme d'Etat

Réflexions intéressantes d'un lecteur (Christian E.) de Charlie Hebdo (édition du 15.11) sur l'abandon des Palestiniens par leurs voisins.  
On dénonce, remarque-t-il, l'occupation que subissent les Palestiniens depuis soixante-quinze ans. Or, jusqu'en 1967, Israël n'occupait ni Gaza ni la Cisjordanie, ces territoires avaient été annexés après la guerre de 1948 par l'Egypte et la Jordanie. Ces derniers avaient promis aux Palestiniens de les leur rendre une fois qu'ils auraient rejeté les Juifs à la mer. "En définitive, depuis soixante-quinze ans, tout le monde se fout des Palestiniens, et les pays arabes les premiers. Parce que, après avoir abandonné leurs prérogatives sur les territoires occupés, la création d'un Etat palestinien laïque, et peut-être socialiste, était vraiment la dernière chose dont avaient besoin les monarchies rétrogrades et les dictatures militaires de la région. Un très mauvais exemple pour leurs peuples. Les Palestiniens, on les aime opprimés, misérables, mais on ne lèvera pas le petit doigt pour les aider et, au besoin, on les enfoncera un peu plus."

Aujourd'hui, on a du mal à prendre au sérieux les larmes de crocodiles que versent les dirigeants des pays arabes sur le sort des Gazaouis.
Deux semaines auparavant, dans le même Charlie Hebdo, Philippe Lançon écrivait (1) : "Les Pals étaient et restent les cocus de l'Histoire : les dépossédés, les perdants. Refaits aussi bien par Israël et les pays occidentaux que par les pays arabes, dotés de régimes criminels et pourris qui les soutenaient comme la corde le pendu". (...) "Des confrères disaient alors (en 1990-1991) en riant que rien ne ressemblait plus à un Juif qu'un Palestinien : le sentiment d'être chez soi nulle part, la culture en diaspora, l'humour, le débat, la critique et l'autocritique, les intellectuels et artistes qui vont avec ; bref, un air minoritaire de liberté comprimée." Philippe Lançon évoque le poète palestinien Mahmoud Darwich - qui fut membre de l'OLP et s'inquiétait de "la violence folle et islamisée qui montait". "En sortant du coma, écrivit Darwich en 2007, nous nous sommes rendu compte qu'un drapeau unicolore (celui du Hamas) avait chassé le drapeau à quatre couleurs (celui de la Palestine)". Réflexion de Philippe Lançon : "Quatre couleurs valent mieux qu'une, qu'il s'agisse d'une existence, d'une œuvre ou d'une nation. (...) "Et nous voilà quinze ans après, dans un monde aux drapeaux unicolores. La couleur qui finit par s'imposer à toutes est généralement celle du sang."

Ce qui fait aujourd'hui défaut aux deux camps, c'est un homme ou une femme d'Etat. Dans Charlie toujours (2), Riss rappelle que Sadat et Rabin ont été capables de quitter leurs positions guerrières pour envisager la paix. On sait ce que ça a leur coûté : la vie. Mais ils ont osé briser leur image de dur pour sortir de l'ornière, ils ont été capables de mettre de côté leur parcours personnel pour servir l'intérêt commun. Qui aujourd'hui a cette capacité ou cette ambition ? "Ce qui est nouveau, c'est qu'aujourd'hui on ne voit pas de figure ayant la stature d'un homme d'Etat, capable de prendre des décisions courageuses, de les imposer à son propre camp, afin de mettre un terme à ce conflit sanglant. Netanyahou est un misérable politicard magouilleur et menteur qui n'a pas hésité à tenter de trafiquer la Constitution de son pays pour échapper à la prison. Mahmoud Abbas n'a de chef de l'Autorité palestinienne que le nom, discrédité par la corruption et les compromissions. Pas l'ombre d'un homme d'Etat à l'horizon, pour deux peuples qui revendiquent pourtant d'être un Etat ou d'en avoir un." Ceux qui mènent le jeu sont les extrémistes. "Que nous reste-t-il sur les bras ? Des milices islamistes comme le Hamas, ou des colons juifs suprémacistes dans les territoires occupés, qui ont pour point commun d'être hors de contrôle". Personne n'est en mesure de les arrêter. D'autant qu'ils sont au pouvoir des deux côtés. L'extrême droite israélienne est représentée - et très active - dans le gouvernement de Netanyahou. Et le Hamas, qui tenait d'une main de fer la bande de Gaza et est à l'origine de cette guerre-ci, semble redevenir un mouvement héroïque aux yeux d'une partie de la population palestinienne. "Ce conflit est depuis longtemps pris en otage par des extrémistes que nul ne semble capable de mettre hors d'état de nuire. Un conflit qui ressemble de moins en moins à une guerre entre un Etat et une Autorité, mais de plus en plus à une guérilla entre factions, entre milices, dirigées par des chefs de guerre qui n'obéissent plus à quiconque." 

Jean-Pierre Filiu, professeur des Universités à Sciences Po, évoque une hypothèse "par défaut" (3) : "il s’agirait de la libération de Marwan Barghouti, détenu depuis 2002 en Israël où il est condamné à cinq peines de prison à perpétuité pour terrorisme". En 2011, quand il avait accepté de libérer 1.027 prisonniers palestiniens en échange d'un militaire franco-israélien détenu par le Hamas, Netanyahou avait refusé que Barghouti en soit. Par contre, il avait autorisé la libération de Yahya Sinouar, l’actuel chef du Hamas à Gaza, très impliqué dans les massacres du 7 octobre. Selon Jean-Pierre Filiu, "Barghouti est aujourd’hui la personnalité la plus populaire dans l’opinion palestinienne, où ce sexagénaire incarne, face à l’octogénaire Abbas, une nouvelle génération du Fatah et de l’Organisation de libération de la Palestine". Il rappelle que Barghouti, élu député du Fatah à Ramallah en 1996, s’était mobilisé contre les abus au sein de l’Autorité palestinienne et qu'en 2002, pendant la deuxième Intifada, il avait rappelé son engagement en faveur de la « coexistence pacifique » entre Israël et la Palestine, et avait condamné les attentats contre les civils en Israël. En 2006, il avait, depuis sa cellule, contribué à l’élaboration du « document des prisonniers » sur l’établissement d’un Etat palestinien en Cisjordanie et à Gaza, document qu'avaient endossé le Hamas et le Djihad islamique. "La popularité de Barghouti, aussi bien à Gaza qu’en Cisjordanie, représente sans doute le seul barrage à la montée en puissance du Hamas, sur fond d’escalade sans fin de la violence. Sa libération et sa promotion susciteraient à l’évidence de très fortes oppositions en Israël comme au sein de l’AP. Cette hypothèse mérite néanmoins d’être étudiée, ne serait-ce que pour ne pas céder à la fatalité de la guerre et de la mort."

Elie Barnavi, historien et ancien ambassadeur israélien à Paris, est convaincu que la négociation autour d'un État palestinien reste la solution la plus appropriée, mais qu'il faudra qu'elle soit imposée de l'extérieur.  "C'est la seule possibilité de sortir par le haut de cette tragédie. La "beauté" de cette nouvelle situation si j'ose dire, c'est qu'on a moins besoin des interlocuteurs locaux : je plaide depuis des années pour une solution imposée. Peu importe qui négociera pour les deux parties, il faudra qu'ils le fassent parce que ça aura été imposé par la coalition internationale".

(1) Philippe Lançon, "Le supplice des Pals", Charlie Hebdo, 1.11.2023.
(2) Riss, "Cherche homme d'Etat et plus si affinités", Charlie Hebdo, 22.11.2023.
(3) https://www.lemonde.fr/un-si-proche-orient/article/2023/11/12/le-jour-d-apres-a-gaza_6199614_6116995.html

dimanche 3 décembre 2023

Inconfortable

Sortir de sa zone de confort, voilà une expression à la mode depuis quelques années. Elle est même souvent injonction. Il faut sortir de sa zone de confort. Pourquoi ? Allez savoir, pour changer ses habitudes, pour faire des choses qu'on n'a jamais faites, pour suivre l'air du temps.

Une enseignante française retraitée avait décidé, dit-elle, de sortir de sa zone de confort en embarquant pour trois ans de croisière sur un monstre des mers. C'est la compagnie turque Miray Cruises qui proposait à ses clients d'embarquer ainsi autour du globe pour  210.000 kilomètres de traversée, 382 escales, près de 140 pays visités, le tout pour 36.000 euros par an. Elle laissait même entendre que les voyageurs pourraient poursuivre l'aventure ad vitam æternam. Comme les autres croisiéristes, l'ex-enseignante a vendu sa maison et tout laissé derrière elle pour aller attendre le bateau dans le port d'Istanbul. Elle attendra longtemps. L'agence de voyage a annulé en dernière minute cette croisière de luxe, faute.. de bateau. Et voilà les croisiéristes sans domicile. Totalement sortis de leur zone de confort. On voit par là qu'il faut se méfier de l'air du temps. Surtout quand il souffle à rebrousse-poil de la raison qui nous encourage plutôt à faire des économies d'énergie tout en restant dans notre zone de confort.

vendredi 1 décembre 2023

Le parti du patriarcat

Les Verts, belges comme français, sont plus verts que jamais. Au vert de la nature ils ont ajouté celui de l'islam. Depuis longtemps (1), on les voyait soutenir les revendications des musulmans les plus conquérants, les plus radicaux. A Anderlecht, en région bruxelloise, ils veulent autoriser le port du voile dans l'administration, au nom de la lutte contre les discriminations (2). Y a-t-il vêtement plus discriminant que ce voile qui est signe de soumission des femmes ? Qu'ils en parlent avec les femmes iraniennes, afghanes, saoudiennes, pakistanaises, avec toutes ces femmes qui sont contraintes de se voiler dès qu'elles sont en public. Et qui risquent la prison, le viol, la torture, la mort, si elles ne se soumettent pas. Le voile est la marque de l'impureté et de la soumission féminines. Qui prétend le contraire (se) ment. Lisez, relisez les témoignages, les livres, les cris et les écrits de toutes ces femmes qui ont fui - si elles l'ont pu - ces pays dominés par l'islam où elles étaient ou sont encore empêchées de vivre : Abnousse Shalmani, Djemila Benhabib, Chadortt Djavann, Naëm Bestandji, Taslima Nasreen, Narges Mohammadi, Nasrin Sotoudeh et tant d'autres, mais aussi des hommes tels que Omar Youssef Souleiman. (3). Défendre le voile, c'est cracher à la mémoire de Mahsa Amini, jeune iranienne assassinée pour un voile mal ajusté. Défendre le voile, c'est obéir aux Frères musulmans dont l'objectif est d'imposer l'islam et ses lois (leurs lois) rigoristes partout où vivent des musulmans. 

Avec de telles positions, Ecolo se range du côté de l'obscurantisme et soutient le patriarcat le plus réactionnaire. Le féminisme fondateur d'Ecolo est piétiné au profit de positions misogynes pour des raisons de clientélisme. Ecolo a perdu la raison (sauf celle-là). La France prétendument insoumise est dans le même cas, soumise aux électeurs qu'elle drague et qu'importe le sort des femmes.
"L’obsession communautariste d’Ecolo détruit méthodiquement notre modèle universaliste de société et crée une autoroute à l’extrême droite et aux islamistes. Il est temps d’arrêter cette folie qui disloque et antagonise les populations de notre pays", vient d'écrire le député Les Engagés Georges Dallemagne. 

J'ai été parlementaire Ecolo il y a vingt ans. Je l'ai été fièrement. Aujourd'hui, je ne voterai pas pour ce parti rétrograde qu'est devenu Ecolo.
Rallumez la lumière !

(1) https://moeursethumeurs.blogspot.com/2019/05/fache-tres.html
https://moeursethumeurs.blogspot.com/2021/06/le-voile-en-face.html
(2) https://www.lalibre.be/belgique/2023/11/30/a-anderlecht-alors-que-la-commune-se-dechire-sur-le-port-du-voile-ecolo-propose-un-ultime-compromis-on-na-pas-envie-de-faire-peter-la-majorite-YM2EHXJT3BE7NJYYVSHRCTQMQY/
(3) https://moeursethumeurs.blogspot.com/2018/07/djemila-benhabib.htm
https://moeursethumeurs.blogspot.com/2022/01/le-soft-power-de-lislamisme.html
https://moeursethumeurs.blogspot.com/2021/11/leurope-du-sexisme.html
https://moeursethumeurs.blogspot.com/2022/05/talibans-et-bonnes-ames.html

lundi 27 novembre 2023

Les assassins d'Allah

C'est devenu un cri de criminels. Ils tuent en criant Allahou Akbar. Allah est le plus grand, disent-ils, en tirant, en poignardant, en violant. C'est le cas de la plupart des auteurs d'attentats dans nos pays (et dans d'autres sûrement), comme ce fut le cas des terroristes du Hamas lors du pogrom du 7 octobre.
Il y a quelques jours, le député belge Georges Dallemagne a visionné, avec quelques confrères, le film de 43 minutes sur ce massacre. "Barbarie des actes, écrit-il, chasse aux hommes, aux femmes, aux enfants abattus et déchiquetés par les grenades dans leurs caches, jouissance des assaillants, jeu et décapitation de cadavres. Comme médecin humanitaire, j'ai été témoin dans ma vie de crimes épouvantables : Cambodge, Rwanda, Congo, Arménie, Srebrenica, Ukraine... Ce qui frappe ici, c'est l'excitation morbide, le plaisir de tuer, la profanation des cadavres et ce cri permanent des assaillants, même lors de la décapitation au couteau de cadavres : Allahou Akbar ! Document essentiel pour comprendre la gravité de ce crime contre l'humanité."

Leur dieu n'est pas le plus grand, il est petit, rendu minable par ces fous furieux qui disent tuer en son nom. Mieux vaut ne pas croire que croire en un dieu qui vous ordonne de massacrer ceux qui ne pensent pas comme vous. Leur dieu est mort. Ils l'ont tué.
Mais ils crient son nom dans les rues de nos villes, de leurs villes qu'ils rêvent de soumettre un jour à la charia. La guerre provoquée par le Hamas est pain bénit pour les islamistes. Ils défilent dans les rues d'Allemagne ou du Danemark, mais aussi de France, de Belgique ou de Grande-Bretagne, en poussant leur cri de guerre.
Ils étaient trois mille à Essen, en Allemagne, le 3 novembre, hommes et femmes soigneusement séparés affichant clairement leur slogan : "Eine Ummah, Eine Einheit, Ein Losung : Khilafah" (une Umma (1), une unité, une solution : le califat). Les femmes, portant tchador ou niqab, levaient l'index vers le ciel, le signe de ralliement des djihadistes de l'Etat islamique. Leurs drapeaux noirs ou blancs, portant des inscriptions en arabe, rappelaient ceux du même Etat. Derrière tous ces signes, un groupe : Hizb Ut-Tahrir, une organisation qui juge l'islam incompatible avec la démocratie - mais qui profite bien sûr du système démocratique pour se faire largement entendre - et qui entend appliquer la charia comme base et norme de l'action de l'Etat au sein d'un califat. 
"Outre-Rhin, écrit Charlie Hebdo (2), Seyran Ates, avocate et imame allemande, a vu la frange islamiste radicale grossir d'année en année, jusqu'à se sentir autorisée à descendre dans la rue. Cette frange était déjà présente, et s'est particulièrement développée depuis le 11 septembre. Les islamistes contrôlent déjà de nombreuses rues et quartiers dans le pays, explique-t-elle."

Le même 3 novembre, l'appel au Djihad résonnait dans les rues de Copenhague. "Il y a des gens au Danemark qui n'adhèrent pas à nos valeurs", constatait inquiète la première Ministre Mette Frederiksen. Les manifestants étaient, eux aussi, réunis par Hizb Ut-Tahrir. En France, en Belgique, en Grande-Bretagne et ailleurs, des "Allah Akbar" ponctuent régulièrement les manifestations appelant à la fin de la guerre entre Israël et le Hamas. 

Deux enseignants français, Samuel Paty il y a trois ans et Dominique Bernard en octobre dernier, ont été tués au nom d'Allah.
"Nous voulons dire (...) à tous les terroristes qui se réclament de l’islam, que le meurtre, quelles que soient les circonstances, est injustifiable, écrivaient récemment huit universitaires, chercheurs et intellectuels musulmans (3). La vie, toute vie, est sacrée. Rien ne donne le droit d’ôter la vie, de briser des familles. (...) 
Au meurtrier barbare qui prétend parler au nom de notre religion, nous rétorquons ce que dit le Coran sur la valeur de la vie : « N’attentez pas à la vie de votre semblable, que Dieu a rendue sacrée… » (Coran, 17.33). Et encore : « Quiconque tue un être humain non convaincu de meurtre… est considéré comme le meurtrier de l’humanité tout entière. Quiconque sauve la vie d’un seul être humain est considéré comme ayant sauvé la vie de l’humanité tout entière ! » (Coran, 5.32). (...) 
A tous les terroristes qui se réclament de l’islam, nous voulons aussi dire que même la guerre, le désespoir et l’injustice ne justifient pas le massacre de civils. Peu importe la nationalité, la religion, le sexe, l’âge du civil. Un civil est un civil, et cela s’applique aussi au conflit israélo-palestinien. Dans le Coran, la violence guerrière n’est permise que contre des attaquants en arme directement menaçants, donc uniquement en cas de « légitime défense » (Coran, 2.190 ; 4.75 ; 8.19 ; 9.12-13). Tuer des gens en dehors de ce cas précis relève du meurtre (Coran, 5.32). (...)
Nous voulons enfin dire aux terroristes que Dieu se suffit à lui-même (Coran, 14.8, 57.24). Ce n’est pas à l’être humain de prendre la place de Dieu et de s’autoproclamer justicier divin. Dieu est le seul capable de juger, car nul n’est son égal (Coran, 3.128 ; 22.69 ; 45.14)."

Moustapha Barry est demandeur d'asile, hébergé à Buzançais dans l'Indre. Il a fui la Guinée en 2022 "pour échapper à la chape de plomb religieuse que faisait peser sa communauté sur sa famille". Il dénonce l’idéologie religieuse, l’intégrisme et le terrorisme (4). « L’intégrisme religieux se manifeste par une interprétation étroite et dogmatique de la foi, dans laquelle la diversité d’opinions est souvent rejetée au profit d’une seule vérité absolue. Cette idéologie extrémiste peut mener à des actes de violence, à la suppression des droits individuels et à la répression des voix dissidentes, ce qui a des conséquences dévastatrices sur la liberté et le bien-être des citoyens.  (...) Ma religion, c’est l’humanité. L’objectif de toute religion, c’est le vivre ensemble et pas la pensée unique. La religion relève de la sphère privée et ne peut pas s’imposer à tous comme on ne peut pas venger quiconque au nom de Dieu. »

Ces voix-là semblent peu - voire pas du tout - écoutées par une part importante de la gauche, terrorisée, elle, à l'idée d'être traitée d'islamophobe parce qu'elle critiquerait des musulmans, même pour leur violence. Elle préfère en faire par principe des victimes et fermer les yeux sur leurs horreurs, au mépris de toutes celles et tous ceux qui en sont les véritables victimes, à commencer par les musulmans eux-mêmes et surtout les musulmanes. Mélenchon a défilé, il y a plusieurs années, dans une manifestation contre l'islamophobie où résonnaient les cris Allah Akbar. Il a marché ainsi sur le cadavre de celui qu'il présentait comme son ami : Charb, directeur de Charlie Hebdo, massacré au nom du Prophète. Il a marché sur celui de Marx qui affirmait que la religion est l'opium du peuple.
Le jour où la gauche acceptera d'ouvrir - enfin ! - les yeux, de défendre à nouveau le libre arbitre et la laïcité et de dénoncer toute violence, peut-être enfin nos sociétés pourront-elles se préserver de ce mal qui progresse de moins en moins sournoisement, de plus en plus ouvertement. Et se préserver de l'extrême droite que le silence et la lâcheté de cette gauche non laïque font prospérer.

Post-scriptum à écouter : le billet de Sophia Aram du 4 décembre :

(1) "L'oumma, ou uma, est la communauté des musulmans, indépendamment de leur nationalité, de leurs liens sanguins et des pouvoirs politiques qui les gouvernent. Le terme est synonyme de umma islamiyya, « la nation islamique »." (Wikipedia)
(2) Jean-Loup Adénor et Yovan Simovic, "Conflit israélo-palestinien - Allemagne, Danemark, France... la flambée islamiste", Charlie Hebdo, 15.11.2023.
(3) https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/22/le-coran-ne-donne-aucun-blanc-seing-pour-la-violence_6195978_3232.html
(4) https://www.lanouvellerepublique.fr/indre/dans-l-indre-ce-demandeur-d-asile-de-buzancais-combat-l-endoctrinement-religieux?queryId%5Bquery1%5D=57cd2206459a452f008b4594&queryId%5Bquery2%5D=57c95b34479a452f008b459d&page=21&pageId=57da5ce5459a4552008b469a

jeudi 23 novembre 2023

Le temps des aboyeurs

C'est un rouleau compresseur. L'extrême droite est en marche, elle progresse à grandes enjambées un peu partout à travers la planète. Voilà que l'Argentine sera présidée par un bûcheron qui s'aidera de sa tronçonneuse pour faire son travail de sape de l'Etat. Et voici que les Pays-Bas choisissent prioritairement Geert Wilders et son parti trompeusement appelé "de la liberté" pour les diriger (1).
On entend ceux qui minimisent, qui rappellent que Trump et Bolsonaro n'ont fait qu'un mandat, puis ont été battus, qui estiment qu'il faut cesser de vouloir à tout prix empêcher l'extrême droite d'accéder au pouvoir, qu'on en fait ainsi une victime et que, si elle devait diriger leur pays ou leur région, elle montrerait rapidement son incompétence. C'est oublier, ou minimiser, les dégâts qu'elle peut faire.
En Argentine, on a entendu ce fou furieux de surexcité de Millei (cet homme est inqualifiable) annoncer qu'il compte supprimer les ministères de l'éducation, de l'environnement, de la culture, qu'il interdira l'avortement, qu'il privatisera tout ce qui peut l'être, qu’il abrogera la loi encadrant les loyers.  
En Italie, la présidente du Conseil, Giorgia Meloni, a certes été obligée de mettre de l'eau dans son vin dans son rapport à l'Union européenne, notamment pour ce qui concerne l'accueil des migrants qu'elle avait promis d'interdire totalement, mais elle inquiète particulièrement dans le domaine culturel. Elle vient de nommer à la tête de la Biennale de Venise et de la Mostra l'ex-journaliste d'extrême-droite Pietrangelo Buttafuoco. Et depuis un an, des membres de Fratelli d'Italia, le parti de Meloni, ont été nommés à la direction de la RAI et du Musée international des Arts du XXIe siècle, le Maxxi. Voilà qui ressemble à une mise au pas (2).
Un peu partout dans le monde, le racisme et l'antisémitisme augmentent de plus en plus, considérés comme une opinion comme une autre. Il en va de même du sexisme ou de l'homophobie. L'accession au pouvoir de l'extrême droite va plus encore libérer les aboyeurs, voire les agresseurs qui se sentent légitimés dans leur expression une fois que leur parti est au pouvoir. Après tout, une des bases de ces partis d'extrême droite est le rejet de l'autre. Mais il arrive toujours que l'on soit un autre...

(1) Lui reste à former une majorité, ce qui n'est heureusement pas acquis.
(2) Franc-Tireur, 15.11.2023.

dimanche 19 novembre 2023

Un gouvernement contre son peuple

La guerre entre Israël et le Hamas a tendance à nous faire oublier les autres conflits, ceux qui opposent un pays à un autre, une population à une autre ou un gouvernement à son peuple. 
La dictature iranienne - qui aide militairement, financièrement, politiquement le Hamas - fait partie de ces criminels qui se réjouissent que l'attention internationale se détourne d'eux. Les démocrates iraniens qui subissent la charia ont besoin d'être soutenus et se trouvent trop souvent ignorés par ceux qui craignent de se faire traiter d'islamophobes s'ils s'opposaient aux théocrates brutaux.
Un remarquable ouvrage illustré, initié et coordonné par Marjane Satrapi, participe à ce soutien : "Femme - Vie - Liberté" (1) retrace les évènements récents de la révolte qui secoue l'Iran, décrit les manifestations, l'enfer de la prison d'Evin, les exécutions de jeunes qui aspiraient uniquement à vivre libres, l'empoisonnement des écolières, la jeunesse dorée du régime qui vit à l'écart des  règles infernales du régime, l'exercice de la censure, les interdictions faites aux femmes, etc.
Les auteurs et autrices sont pour la plupart d'origine iranienne et les dessinateurs et dessinatrices sont iraniens, français ou espagnols.

L'ouvrage se termine par un échange entre Abbas Malekzadeh Milani, Jean-Pierre Perrin, Farid Vahid, Marjane Satrapi et Joann Sfar (et est illustré par ce dernier). Ensemble, ils imaginent l'avenir de l'Iran. Il sera forcément libre. A les entendre parler du régime des barbus, on pense à l'attitude du Hamas. Tant le régime chiite que les dirigeants du Hamas n'ont que mépris pour le peuple qu'ils sont censés représenter et protéger.

Le professeur Abbas Malekzadeh Milani est un historien irano-américain, il a enseigné à l'Université de Téhéran, puis a été prisonnier politique, interdit d'exercer après la révolution iranienne et a quitté l'Iran en 1989 : "Khomeini n'était pas révolutionnaire, au contraire ! Khomeini, c'était la contre-révolution. Pour une révolution, il faut une citoyenneté, des humains qui prennent en main leur futur et en sont capables. La révolution islamique, ce fut l'inverse."
"Ou bien ce fut une révolution qui visait à islamiser le monde et qui se fichait que cela désintègre l'Iran", ajoute Jean-Pierre Perrin, correspondant de guerre, spécialiste du monde arabe. 

A.M.M.  encore : "Les pays de l'ouest ont voulu trop longtemps croire les mensonges de ce régime. Ils ne sont ni anti-impérialistes, ni anti-sionistes. Ce sont des racistes et anti-juifs. Cette dissimulation marche encore aujourd'hui sur une frange des opinions publique occidentales. Cela explique le manque d'adhésion de certains au mouvement Femme-Vie-Liberté. On leur a fait croire que s'ils défendaient la liberté ils étaient islamophobes. Khomeini disait : je peux mentir sur tout si c'est au nom de Dieu."

Farid Vahid, politologue iranien, qui vit aujourd'hui à Paris : "Quatre décennies de fanatisme et de religion obligatoire ont paradoxalement sécularisé la société  iranienne, qui rejette aujourd'hui massivement le religieux. Les mollahs ont juste réussi à faire naître une passion pour la laïcité."

Marjane Satrapi, dessinatrice et réalisatrice : "Les intellectuels que tu entends tous les jours à la moindre connerie, au sujet de l'Iran, c'est le monde du silence. Le commandant Cousteau. C'est choquant. Ils aiment les Iraniens avec un âne sur une colline. Et leurs femmes avec un voile. C'est une folie ! Persepolis (2) est interdit dans plusieurs écoles américaines pour cause d'islamophobie ! Il a fallu que l'imam de Philadelphie vienne dire qu'il adorait mon livre et que je me battais contre le fanatisme et pas contre la spiritualité pour que les dames blondes et athées acceptent d'ouvrir l'album !"

En Iran, la population se bat pour sa liberté et surtout pour une amélioration de la situation socio-économique du pays.  Un Iranien a posté une vidéo de son frigo vide et on l'entend dire : “C’est mon réfrigérateur, et j’ai trois enfants. Le régime de la République islamique dépense notre argent pour Gaza et le Liban.”
Le 7 novembre, l’ancien chef de la diplomatie iranienne, Mohammad Javad Zarif, s’est exprimé lors d’une conférence à Téhéran sur le thème de la guerre qui oppose Israël au Hamas. “Le peuple en a assez de subir les conséquences de la politique iranienne” sur la question palestinienne, dont le régime se fait le parangon, a notamment déclaré l’ancien ministre appartenant au camp des modérés. Il a ajouté que la population avait “raison” de penser que l’Iran ne devait pas “faire la guerre” pour les Palestiniens.
"Ces propos illustrent une véritable tendance au sein de la société iranienne, dont une grande partie n’hésite plus à exprimer son mécontentement à l’égard de la politique de la République islamique vis-à-vis de la Palestine", écrit Le Courrier international (3). En soutenant coûte que coûte le Hamas et le Hezbollah libanais, les dirigeants chiites confirment que les priorités pour eux sont l'islamisation du monde et la destruction d'Israël. Et certains pas le bien de leur population. 

(1) "Femme - Vie - Liberté", divers auteurs, sous la direction de Marjane Satrapi, L'Iconoclaste, 2023.
(2) Bande dessinée autobiographique de Marjane Satrapi, publiée par L'Association, en quatre volumes de 2000 à 2003.
(3) https://www.courrierinternational.com/article/vu-de-teheran-en-iran-la-population-desapprouve-le-soutien-du-regime-au-hamas


jeudi 16 novembre 2023

Insupportable censure bienveillante

Il ne faut choquer personne. Ainsi le veut (ou le rêve) l'époque. Les inclusifs veulent - exigent parfois - qu'aucune personne ne puisse être heurtée par un nom de rue, d'école ou de bibliothèque, qu'aucune statue ne rappelle de sinistres actes ou une période noire. Du passé faisons table rase.
Voilà qu'on apprend qu'en Allemagne, une crèche portant le nom d'Anne Frank devrait être débaptisée et adopter, au nom de l'inclusion, un nom "plus ouvert". On se pince. C'est ce que propose la directrice de cette crèche de Tangerhütte, petite commune proche de Magdebourg. Le maire la soutient dans son projet de "ne pas choquer les enfants et les parents issus de l'immigration" (1). En quoi pourraient-ils être choqués ? Que dit le nom, mondialement connu, d'Anne Frank  ? Il rappelle le sort d'une jeune fille juive allemande dont la famille s'était installée aux Pays-Bas pour fuir le nazisme. Réfugiée avec celle-ci pendant deux ans dans un minuscule appartement secret à Amsterdam, elle a tenu un journal de cette vie cachée, avant d'être arrêtée, envoyée à Auschwitz, puis à Bergen-Belsen où elle mourra à l'âge de seize ans.
Qui peut être choqué par le nom d'Anne Frank, sinon des antisémites ou des nostalgiques du nazisme ? Faudrait-il effacer le nom de Nelson Mandela qui doit déranger les nostalgiques de l'apartheid ?
On hésite à qualifier une telle démarche qui n'a absolument rien d'ouverte : stupide ? lâche ? infecte ? Un peu de tout cela. Une espèce de fausse bienveillance abjecte.
Dans un documentaire sur Simon and Garfunkel, récemment diffusé sur Arte, Paul Simon expliquait qu'un de leurs amis avait mis en images leur chanson "Sound of silence". On y voyait notamment des images de la guerre du Vietnam. Ce ne sont pas elles qui ont choqué le producteur qui s'opposait à la diffusion de ce qu'on n'appelait pas encore un clip, mais une image d'enfants blancs et noirs ensemble à l'école. Elle allait choquer les Américains du sud, farouches partisans de la ségrégation.
Demain, pour ne choquer personne, il faudra cacher les églises, les synagogues, les mosquées Leur visibilité risque d'exclure les croyants d'une autre religion. 

(1) "Cancel Jewish Culture", Franc-Tireur, 15.11.2023.

mardi 14 novembre 2023

Femmes de paix

Un jour ou l'autre - mais quand ? - la paix s'imposera entre Israéliens et Palestiniens. Ou plutôt grâce aux Palestiniens et aux Israéliens. Et peut-être plus précisément grâce aux Israéliennes et aux Palestiniennes.
Le mouvement pacifiste et féministe israélien Women Wage for Peace (WWP), créé il y a une dizaine d'années, est allié à son équivalent palestinien Women of the Sun, créé plus récemment. Le premier rassemble quelque quarante-cinq mille adhérentes, le second deux mille (1).
Quelques jours avant le 7 octobre, les deux mouvements lançaient ensemble un nouvel appel à un accord entre les deux peuples.
En 2022, les femmes des deux communautés avaient adressé aux dirigeants palestiniens et israéliens "L'appel des mères" : "Nous, femmes palestiniennes et israéliennes de tous horizons, sommes unies dans le désir humain d'un avenir de paix, de liberté, d'égalité, de droits et de sécurité pour nos enfants et les générations futures. (...) Nous appelons nos dirigeants à faire preuve de courage et de vision pour provoquer ce changement historique auquel nous aspirons tous."
"Ce n'était pas simple de rédiger un appel acceptable par les deux parties, leurs sociétés et leurs dirigeants, constate Pascale Chen, militante de WWP. Les Palestiniennes de WOS ont surtout une légitimité à s'exprimer en tant que mères. Elles (...) sont courageuses, c'est bien plus difficile pour elles, qui subissent un patriarcat puissant. Notre mouvement peut, lui, tenir des propos plus politiques, plus féministes." 

Pascale Chen déplore que parmi les otages du Hamas figurent deux membres de WWP : Vivian Silver, 74 ans, et Ditza Heyman, 84 ans. On vient d'apprendre que Vivian Silver, qui fut l'une des fondatrices de WWP,  a en fait été tuée lors du massacre du 7 octobre. "Originaire de Winnipeg, au Manitoba, Vivian Silver s’était installée en Israël il y a une cinquantaine d’années, rappelle Le Devoir (2). Au fil du temps, elle s’est impliquée dans de nombreux groupes communautaires, notamment afin d’offrir du soutien aux résidents de la bande de Gaza, sous blocus israélien depuis 2007. « Une autre personne éprise de paix, qui a consacré sa vie à rapprocher les Israéliens et les Palestiniens, a été massacrée par l’ennemi des Israéliens et des Palestiniens, et par l’ennemi de la paix », a écrit sur Facebook l’écrivain et militant israélien Hen Mazzig, qui a décrit Vivian Silver comme l’une des militantes « les plus connues pour la paix avec les Palestiniens »."
"Nous ne faisons pas l'amalgame, affirme encore Pascale Chen. C'est bien le Hamas qui est l'auteur de cette attaque terroriste, non le peuple palestinien, qui connaît une réelle tragédie lui aussi... et en premier lieu, ce sont les femmes et les enfants qui en paient le prix. Il va falloir à présent reconstruire ce qui a été détruit. (...) Et les femmes, israéliennes comme palestiniennes, ont un rôle essentiel à jouer, parce que les hommes, qui nous gouvernent depuis tant d'années, n'ont pas fait leurs preuves. Il est temps de penser différemment."
Les guerriers s'enorgueillissent de voir leurs enfants transformés en martyrs quand les femmes n'en peuvent plus de voir leurs enfants mourir à cause de la haine entretenue par ceux qui y trouvent leur intérêt.

Dans une résolution d'octobre 2000, l'ONU soulignait que 80% des victimes des conflits modernes sont des femmes et des enfants et réaffirmait "le rôle important que les femmes jouent dans la prévention et le règlement des conflits et dans la consolidation de la paix". Et l'ONU insistait pour "qu'elles participent sur un pied d'égalité à tous les efforts visant à maintenir et à promouvoir la paix et la sécurité". 
Les deux mouvements pacifistes s'appuient sur l'exemple nord-irlandais : "un conflit tout aussi dévastateur que le conflit israélo-palestinien, très sanglant, empli de haine, d'actes terroristes, de destructions et de deuils. Et qui semblait sans fin ! Il a pourtant cessé avec le Good Friday Agreement, l'accord du Vendredi saint du 10 Avril 1998. Et les femmes des deux camps n'y ont pas été étrangères : pendant des années, elles ont continué à dialoguer entre elles, en catimini, pour leurs jeunes, pour leur sécurité, œuvrant au rapprochement des communautés. Ce travail souterrain a contribué à ce que les sociétés civiles finissent par adhérer aux initiatives de paix des politiques, lorsqu'ils s'y sont décidés. Les femmes ont formé un parti intercommunautaire, la Nothern Ireland Women's Coalition. Et si les Irlandaises y sont arrivées, pourquoi pas nous ?"

Et puis ces mots (3) de l'écrivaine libanaise Dominique Eddé. Engagée auprès de réfugiés palestiniens depuis 1971, elle a ensuite pris ses distances avec le mouvements de la résistance, puis a rencontré des militants israéliens "en lutte contre la politique de leur pays, contre la répression, l'oppression, l'apartheid".
"La religion a perdu Dieu de vue, dit-elle ; la plupart des régimes arabes qui tiennent tête aux intégristes sont des monstres habillés autrement ; l'actuel régime israélien est un régime barbare ; la défaite est totale ; les sociétés sont divisées, Israël inclus, le nord et le sud fracturés. Les enfants de Gaza nous demandent, nous supplient d'arrêter le massacre, de libérer les enfants israéliens, et notre reste d'humanité nous supplie de libérer tous les otages israéliens, de reconnaître l'injustice faite aux Palestiniens, de leur donner une patrie, de rendre Jérusalem aux trois monothéismes, d'en faire une capitale ouverte, neutre, cosmopolite, de protéger l'avenir de son passé mortifère, de l'ancrer dans son passé de vie commune, de rester humain, de comprendre avant d'avoir raison et de vouloir vraiment la paix."

(1) "Les femmes israéliennes et palestiniennes ont un rôle essentiel à jouer", propos recueillis par Lorraine Rossignol, Télérama, 25.10.2023.
(2) https://www.ledevoir.com/societe/801887/guerre-israel-hamas-activiste-canado-israelienne-vivian-silver-ete-tuee-pendant-attaques-hamas
(3) https://www.arte.tv/fr/videos/117555-000-A/proche-orient-penser-l-apres/

dimanche 12 novembre 2023

Le bal des hypocrites

La guerre entre le Hamas et Israël est l'occasion pour les pires régimes de la planète de se faire passer pour des colombes. On avait déjà bien ri en entendant Poutine et Erdogan (1). Le président russe réclame la paix, se propose comme médiateur et appelle à épargner les civils. Et le sultan turc considère que "le Hamas n’est pas un groupe terroriste, c’est un groupe de libérateurs qui protègent leur terre ». Quand on sait tout ce que ces hommes ont de sang sur les mains et comment ils traitent ceux qui tentent de se libérer de leur emprise, on sait que penser de leur compassion pour le sort des Palestiniens.

Hier, les dirigeants arabes et musulmans se sont réunis à Riyad en un sommet extraordinaire conjoint de la Ligue arabe et de l’Organisation de la conférence islamique. C'est le prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salman (MBS) qui présidait la rencontre. Comme l'écrit Le Monde (2), il "a endossé son rôle de leader du monde arabo-musulman en conviant ses alliés – le roi Abdallah II de Jordanie, le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, ou encore le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi – et ses rivaux – le président iranien Ebrahim Raïssi, le président turc Recep Tayyip Erdogan, et l’émir du Qatar, cheikh Tamim Ben Hamad Al Thani – à se mobiliser pour Gaza". Tous condamnent  "l’agression israélienne contre la bande de Gaza, les crimes de guerre et les massacres barbares et inhumains perpétrés par le gouvernement d’occupation". "Ils appellent, écrit encore Le Monde, à un cessez-le-feu immédiat, à la levée du siège de Gaza et à un accès sans entrave de l’aide humanitaire. Tous rejettent le déplacement forcé des Palestiniens de l’enclave vers l’Egypte ou de Cisjordanie vers la Jordanie et réclament l’arrêt des exportations d’armes vers l’Etat hébreu. Ils appellent à une relance du processus de paix pour permettre l’établissement d’un Etat palestinien, aux côtés d’Israël."

Passons sur les déclarations du président iranien qui écrase brutalement chez lui les femmes, toute personne un peu critique et son peuple en général. "Nous baisons les mains du Hamas", a déclaré le dictateur qui doit ainsi ressembler à un vampire, avec du sang plein les lèvres
Les gentilles déclarations de MBS semblent, elles, accueillies avec estime. Il a dit toute la tristesse qu'il éprouvait pour ses "frères palestiniens" et a dénoncé la "guerre barbare" que leur mène Israël. Le monde entier a vite oublié le meurtre, en 2018, du journaliste Jamal Khashoggi dans le consulat d'Arabie saoudite en Turquie. Tout indique que c'était sur ordre de MBS. Oubliée aussi la répression brutale des voix dissidentes et l’emprisonnement des militants des droits de l'homme en Arabie saoudite. Plus récemment, les crimes commis par les gardes-frontières saoudiens ont été quasiment ignorés : de mars 2022 à juin 2023, ils ont tué un à un, à bout portant ou à l'arme explosive, des centaines - voire plus - de demandeurs d'asile éthiopiens, dont des enfants. Ces migrants espéraient pouvoir être accueillis si pas comme des frères, au moins comme des êtres humains dans la dix-huitième plus grande économie du monde. Mais l'Etat saoudien les a abattus froidement. Télérama (3) rappelait récemment que ce régime considère les femmes comme inférieures aux hommes, les couples adultères, les athées, les homosexuels et les toxicomanes passibles de la peine de mort. MBS, dans son opération de séduction, fait venir chez lui quantité d'artistes qu'il rémunère grassement. Ainsi, Jean Nouvel, appelé à construire un centre touristique, Isabelle Adjani, invitée à un festival de cinéma, ou encore Maïwenn qui a obtenu de ce même festival une aide pour la production de son dernier film. Versent-ils, eux aussi, des larmes de crocodile sur le sort de leurs frères et sœurs palestiniens ?

(2)  https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/12/les-etats-arabes-et-musulmans-a-l-unisson-pour-demander-un-cessez-le-feu-a-gaza_6199580_3210.html
(3) Yasmine Youssi, "Un encombrant soutien", Télérama, 30.8.2023.

samedi 11 novembre 2023

Jean-Pierre Verheggen

Il y avait du Rabelais en lui, du Jarry, du Rimbaud, du Queneau, du Norge, du Tardieu. Mais surtout du Verheggen, dans sa manière unique de bousculer la langue française, de la réinventer constamment. Il appelait cela langagement
Jean-Pierre Verheggen est mort le 8 novembre.

Le mort de la fin ?

Je ne sais pas, moi. Gné-gné-gné.
Peut-être bien. Gné-gné-gné.
Heu. Laissez-moi réfléchir. Gné-gné-gné.
Accordez-moi une minute. Gné-gné-gné.
Je ne peux pas décider en deux temps, trois mouvements. Gné-gné-gné.
Je vous dirai quoi demain. Gné-gné-gné.
Donnez-moi le temps de me retourner. Gné-gné-gné.
Ça ne se fait pas comme ça. Gné-gné-gné.
Faut voir. Gné-gné-gné.
Vous me prenez au mot. Gné-gné-gné.
Attendez encore un peu. Gné-gné-gné.
Vous allez vite en besogne. Gné-gné-gné.
Ce n'est pas si simple. Gné-gné-gné.
Qu'est-ce que vous croyez. Gné-gné-gné.
Je ne suis pas à pièce. Gné-gné-gné.
Il faut que je souffle un peu. Gné-gné-gné.
Hé. Gné-gné-gné.
Laissez venir. Gné-gné-gné.

Non ! Il faut te décéder tout de suite, Verheggen !

Jean-Pierre Verheggen, extrait de "Le degré zorro de l'écriture", 1978.


vendredi 10 novembre 2023

Cette odeur nauséabonde

"Je suis Charlie". C'est ce qu'avaient affiché, en solidarité, tant de gens un peu partout après le massacre de l'équipe de Charlie Hebdo en janvier 2015 par deux terroristes islamistes. Aujourd'hui, personne n'oserait, de crainte d'être violemment agressé ou même tué, exprimer "Je suis Israélien" et moins encore "Je suis Juif". Même après le pogrom du 7 octobre dernier perpétré par d'autres islamistes. Un de plus dans l'interminable liste des pogroms qu'ont subis les Juifs parce qu'ils sont Juifs.
Dans le Courrier international de cette semaine, on peut lire dans un article de The New Statesman (1) cette définition que Léon Trotski (né Lev Bronstein) donnait du pogrom : "Le moindre misérable devient maître de la situation. Tout à l'heure encore esclave tremblant, pourchassé par la police, mourant de faim, il sent qu'à présent aucune barrière ne pourrait s'opposer à son despotisme. Tout lui est permis, il dispose de l'honneur comme des biens des citoyens, il a droit de vie et de mort. Si cela lui convient, il jettera dans la rue une vieille femme par la fenêtre d'un troisième étage. (...) Il peut tout, il ose tout." C'est ce qui s'est passé, et bien pire encore, il y a un mois. Et c'est comme si ce n'était pas arrivé. Ou alors, c'est de la faute des victimes rapidement transformées en coupables.

L'antisémitisme revient en force, comme une épidémie inguérissable. Depuis la Shoah, on se croyait vacciné. Il n'en est rien hélas. Tant de gens ont besoin de haïr. Et il semble que les Juifs soient les meilleurs dépositaires de leur haine.  Les esprits simples pensent que soutenir la cause palestinienne les oblige à haïr les Juifs.
Cette semaine, Charlie Hebdo et le Courrier international consacrent tous deux leur une et un dossier à l'antisémitisme. 

Der Spiegel relève (2) qu'en Allemagne "jamais les débordements antisémites et israélophobes n'avaient été aussi massifs et si nombreux qu'aujourd'hui. Depuis que le Hamas a attaqué Israël, la police a recensé quelque 1.800 délits à caractère politique". Juste après le massacre, des sympathisants des terroristes palestiniens ont distribué des baklavas dans un quartier de Berlin, tandis qu'un snack diminuait ses prix de moitié. C'était la fête. Ailleurs dans Berlin, des cocktails molotov ont été envoyés contre une synagogue. Dans le nord du pays, la police a arrêté un islamiste qui s'apprêtait à jeter un camion contre une manifestation de soutien aux Israéliens. 
En France, depuis un mois (3), on dénombre un millier de délits à caractère antisémite. Les tags rivalisent de haine simpliste mais claire : "Tuer les Juifs est un devoir", "Un bon Juif est un Juif mort", "A mort Israël", "Sales Juifs"... Dans le Gard, un imam a publié sur Facebook des propos attribués à Mahomet appelant à "combattre" et "tuer" les Juifs.
Aux Etats-Unis, des étudiants se retrouvent en première ligne du combat antisémite. Dans une université, des étudiants juifs se sont réfugiés dans la bibliothèque pour échapper aux menaces de leurs camarades. Un étudiant de 21 ans a été présenté à la justice pour avoir appelé à "poignarder et trancher la gorge de tous les hommes juifs sur le campus, de violer et de jeter du haut d'une falaise toutes les femmes juives et de décapiter tous les bébés juifs". Bref, à imiter dans leurs actes les plus abjects, les plus inhumains, les terroristes du Hamas. 

Entre 1979 et 2021, au moins 48.035 attentats islamistes ont été commis dans le monde, tuant au minimum  210.138 personnes et en blessant beaucoup plus (4). Tous ces crimes ont été commis au nom du Prophète et peu de gens les ont reprochés aux musulmans, quoi qu'affirment ceux qui hurlent à l'islamophobie à la moindre critique. Ici, c'est aux Juifs un peu partout sur la planète que s'en prennent avec virulence les militants propalestiniens, leur reprochant la guerre que mène l'armée israélienne aux terroristes auteurs d'un pogrom qui a tué 1.400 personnes (pas toutes juives d'ailleurs).

Comment expliquer ce mélange de bêtise, de fureur et de haine ? Les bombardements de Gaza par l'armée israélienne n'expliquent pas tout. Cette recrudescence de l'antisémitisme était visible bien avant le 7 octobre, un peu partout. Comme s'il fallait se venger sur les Juifs de ce monde qui va à vau l'eau.
Dans Charlie Hebdo, Riss constate (3) que bien peu de personnes à travers le monde se sont souciées du sort des Syriens ou des Yéménites tués, blessés, torturés, déplacés dans les guerres civiles qui déchirent toujours ces deux pays. "Ce sont des Arabes, des musulmans, massacrés par d'autres Arabes et d'autres musulmans. Par un phénomène assez curieux, quand les peuples arabes se massacrent entre eux, les militants propalestiniens et les experts de crimes de guerre se font discrets. 200.000 civils arabes massacrés par des soldats arabes, ce sera toujours moins grave que 2.000 civils tués dans des bombardements par les soldats juifs de Tsahal. Avec des conflits comme ceux du Yemen et de la Syrie, le militant propalestinien-anticolonialiste ne peut pas nous servir sa soupe antioccidentale puisque aucun ancien pays colonisateur n'y a joué un rôle déterminant et qu'aucun Israélien, aucun Juif, n'y a participé." Impossible, écrit encore Riss, de crier "mort aux Juifs !" à propos de ces conflits. "Donc, les femmes et les enfants massacrés, gazés, décapités par des soldats arabes pendant ces conflits seront balayés sous le tapis car ils n'ont pas d'utilité idéologique pour les militants woke." Comme toutes celles et tous ceux qui en appellent à la paix et à la mesure et qui dénoncent l'antisémitsime, Riss affirme qu' "il ne s'agit pas de signer un chèque en blanc à l'armée israélienne et de passer sous silence les exactions qu'elle aurait pu commettre, mais on constate qu'il y a des civils tués pendant certains conflits qui sont utiles et d'autres qui ne le sont pas. Est-ce que votre mort sous les bombes servira la destruction d'Israël ou pas ? De cela dépendra votre postérité dans l'Histoire".

En Allemagne, Ivar Buterfas-Frankenthal est un survivant de l'Holocauste. A 90 ans, il a donné 1.563 conférences dans des écoles, des universités, des mairies, des théâtres, pour raconter ce qu'il a vécu, pour mettre en garde contre l'antisémitisme et la xénophobie. Aujourd'hui, sa femme et lui vivent dans leur maison blindée, tant ils ont reçu de menaces de mort. "Nous, les Juifs, on est une fois de plus la petite gourmandise de tous les bas du front qui se promènent dans nos rues." (2)
Le problème, c'est que ces bas du front sont à nouveau très nombreux, ne se cachent plus, s'expriment partout. On n'en trouve de plus en plus parmi les élus de la gauche extrême.
Dans une lettre ouverte adressée à la Présidente de l’Assemblée nationale, le Printemps républicain dénonce les propos de la députée LFI, Ersilia Soudais qui est vice-présidente du Groupe d'études sur l’antisémitisme. Elle a réclamé la libération d’Ahed Tamini, icône de la lutte palestinienne, interpellée par les autorités israéliennes parce qu'elle est soupçonnée d’avoir publié ce message sur ses réseaux sociaux : « Nous vous attendons dans toutes les villes de Cisjordanie, de Hébron à Jénine. Nous vous massacrerons et vous direz que ce qu’Hitler vous a fait était une blague. Nous allons boire votre sang et manger vos crânes. Allez, nous vous attendons ». La même députée française avait, en septembre 2022, rendu hommage à Jean-Luc Godard par ces termes : « il refusait qu’un drame en masque un autre, tel que la Shoah pour la Palestine ». C’est elle encore qui, en décembre 2022, a accueilli à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle Salah Hamouri, condamné pour complicité d’attentat contre un rabbin, en qualifiant son expulsion d’Israël de « déportation ». Et c’est elle toujours qui le 7 octobre 2023, jour du massacre par le Hamas, n’a pas eu un mot pour les morts israéliens et a minimisé ce pogrom : « #Gaza est une prison à ciel ouvert depuis bien longtemps, dans l'indifférence générale ! La haine attire la haine, et certains semblent découvrir que ce sont toujours les civils qui payent le prix de la guerre ».
Elle ne participera évidemment pas à la marche contre l'antisémitisme organisée ce dimanche à Paris. Le grand gourou de LFI a décidé que son parti n'en serait pas, pour dénoncer la présence du Rassemblement national dont on connaît effectivement le passé lourdement antisémite. 
"Dans un tweet publié mardi, Jean-Luc Mélenchon est allé beaucoup plus loin, invoquant une autre raison, écrit Cécile Prieur, directrice de la Rédaction de L'Obs (5). Il a condamné l’esprit même de la manifestation contre l’antisémitisme, l’assimilant à un « soutien inconditionnel » aux bombardements de l’armée israélienne sur Gaza et recherchant une nouvelle fois le clivage. Cette lecture est non seulement absurde mais dangereuse. Elle revient à communautariser la société en reproduisant l’antagonisme entre Juifs et Arabes et en assimilant les Français juifs au gouvernement israélien. Elle aboutit par ricochet à relativiser la lutte contre l’antisémitisme, puisque les valeurs de citoyenneté et de fraternité ne sont plus convoquées. En ces temps brouillés, le défilé du 12 novembre apparaît comme une indispensable piqûre de rappel : le rejet de l’antisémitisme n’est pas négociable."

Plus jamais ça ? Avec tous ces bas du front, on n'est guère optimiste...

(1) Tanya Gold, "Le silence assourdissant de mes amis progressistes", The New Stateman, 18.10.2023, in Le Courrier international, 9.11.2023.
(2) Divers auteurs, "Ce qu'on vit en ce moment marque un tournant", Der Spiegel, 28.10.2023, in Le Courrier international, 9.11.2023.
(3) Charlie Hebdo, 5 pages de dossier, 8.11.2023.
(4) Source : Fondapol (cité par Florence Bergeaud-Blackler in "Le frérisme et ses réseaux - L'enquête", éd. Odile Jacob, 2023.
(5) https://www.nouvelobs.com/edito/20231108.OBS80586/edito-l-antisemitisme-nous-concerne-tous.html


mercredi 8 novembre 2023

Une guerre sans fin ?

Quand et comment cette satanée guerre entre Israël et le Hamas pourra-t-elle prendre fin ? 
Le quotidien israélien de gauche Ha'Aretz s'interroge (1) : "Qu'entendent précisément l'armée et le gouvernement israéliens en affirmant vouloir éradiquer le Hamas ? Assassiner seulement les dirigeants politiques et militaires de cette organisation ou démobiliser de force plusieurs dizaines de milliers de miliciens islamistes et de simples fonctionnaires ?" Le journal rappelle qu'on ne pourra se passer de l'administration civile (non partisane) constituée par le Hamas après qu'il a expulsé, en 2007, l'Autorité palestinienne de la bande de Gaza. Une administration qui rassemble quelque 40.000 fonctionnaires qui répondent aux besoins quotidiens des habitants : enseignants, médecins, policiers, ingénieurs, etc. C'est ce qui s'est passé en Irak après la chute du dictateur : un grand nettoyage qui a occasionné "un échec colossal et retentissant". Des milliers de fonctionnaires furent licenciés parce que membres du parti Baas de Saddam Hussein. Beaucoup avaient été contraints à faire allégeance au parti et, renvoyés, rejoignirent les rangs d'Al-Qaida ou de Daech, tandis que l'Etat irakien ne pouvait plus fonctionner.
Ha'Aretz fait remarquer que le Hamas a des partisans dans presque tous les pays arabo-musulmans, qu'il dispose de forces armées au Liban qui ont prouvé leur capacité de nuisance et qu'il pourrait trouver en Syrie une base d'opération supplémentaire. Par ailleurs, le Qatar héberge une partie de la direction du Hamas, mais on imagine difficilement Israël entrer en guerre avec ce pays. Donc, vaincre le Hamas à Gaza ne le tuera pas. "Il faut soupeser les nouvelles menaces que cette campagne militaire risque d'engendrer." La plus grave : le Hamas pourrait passer du statut de mouvement politico-militaire, cherchant à stabiliser son pouvoir sur la bande de Gaza et à mener la guerre contre Israël, au statut d'organisation coopérant avec d'autres groupes terroristes à travers le monde. Déjà les milices chiites en Irak et les houthistes au Yemen - "mandataires iraniens dans la région" - menacent de frapper des cibles américaines au nom de la guerre en Palestine. 
De plus, écrit encore Ha'Aretz "la guerre contre le Hamas ne pourra se terminer sur une absence de plan de sortie censé garantir un nouvel ordre dans la bande de Gaza". Il faudra pour cela un nouveau gouvernement israélien, débarrassé de ses membres d'extrême droite, tel son ministre chargé des Territoires, "un pyromane qui (...) n'a démontré d'autre compétence que celle d'embraser les territoires palestiniens en Cisjordanie". Et il faudra "rapidement se mettre d'accord sur qui contrôlera Gaza, de préférence en se fondant sur une source d'autorité considérée comme légitime par la majorité de la population palestinienne. Sans cela, le Hamas récupèrera rapidement sa capacité de nuisance, à Gaza et sur de nouveaux théâtres. Et Israël s'embourbera durablement, comme au Liban entre 1982 et 2000."

Pendant ce temps, en Israël, le camp de la paix est décimé. Parmi les 1.400 tués lors du massacre perpétré par le Hamas le 7 octobre, on compte de nombreux militants de la paix. Les habitants des kibboutz attaqués, les jeunes fêtards du festival de musique étaient, dans leur majorité, engagés à gauche. Certains entretenaient de bonnes relations, parfois d'entraide, avec des Gazouis. La plupart de leurs proches ont cessé de croire en la paix. Un reportage dans le Journal de 20h de France 2 hier l'indiquait. Le NewYork Times a également recueilli des témoignages (2). 
J’ai toujours cru qu’une mère d’un côté de la frontière voulait exactement la même chose qu’une mère de l’autre côté, témoigne l’une des rescapées. Que nos enfants aillent à l’école, qu’ils rient, mangent une glace. Les choses simples du quotidien. Je ne sais pas si j’arriverai encore à y croire.” Cette femme explique avoir “vraiment élevé [ses] enfants à voir l’être humain en tout un chacun” et raconte que sa voiture a même souvent été utilisée par des habitants du kibboutz pour “emmener bénévolement des patients de Gaza jusqu’à des hôpitaux israéliens”.
Je suis profondément de gauche, pose une autre jeune femme interrogée. Pendant les autres conflits, quand je voyais des vidéos de mères et d’enfants [à Gaza], je pleurais. Ça me brisait vraiment le cœur. Maintenant, je les vois, et je n’ai plus cette compassion. Je ne l’ai plus en moi, elle est partie.

Pendant ce temps, le directeur de la rédaction du quotidien libanais Al-Akhbar (qui est également l’un des porte-voix officieux de l’Axe de la résistance, qui lie notamment les milices pro-iraniennes de la région, le Hamas palestinien, le Hezbollah libanais et les houthistes du Yémen) relativise les pertes humaines dans la bande de Gaza : les mères palestiniennes feront d'autres enfants...
"Pour le Hamas, écrit le Courrier international (3), la situation militaire “n’est pas si mauvaise”, et il n’est pour l’heure pas question de faire des concessions, estime Ibrahim Al-Amine. La raison, selon lui, c’est “qu’environ 50 000 femmes sont enceintes à Gaza” et que celles sur le point d’accoucher “vont donner naissance à 5 500 enfants en un mois”, a-t-il affirmé sur la chaîne de télévision libanaise Al-Jadeed, le dimanche 5 novembre. “Dans deux mois, si Dieu le veut, les Palestiniennes auront compensé la perte de tous les martyrs”, à savoir les personnes mortes sous les bombes israéliennes.
Choquée, la journaliste et romancière libanaise Najwa Barakat dénonce les “Ibrahim Al-Amine et consorts”, pour lesquels la mort d’enfants et d’innocents n’est qu’un “dégât collatéral” dans la bataille inévitable de “la résistance contre l’ennemi”, écrit-elle sur le site qatari Al-Araby Al-Jadeed."
De tels propos démontrent, dit-elle, "une insensibilité aux souffrances des Gazaouis". “On dirait qu’ils assistent en spectateurs aux drames de la population de la bande de Gaza", voire “applaudissent la hausse du nombre de morts”. “Ils ne diffèrent pas beaucoup de l’ennemi en ce qu’ils minimisent” l’importance des morts et n’y voient que “des nombres qu’il est possible de remplacer par d’autres nombres”. “Les Palestiniennes donneront naissance à d’autres enfants, certes, mais ce n’est pas pour qu’ils soient [à la disposition] de ceux qui leur brisent le cœur”, ajoute-t-elle, en déplorant que la vie de ces femmes ressemble à un chemin de croix sans fin.
La situation de ces femmes enceintes est particulièrement difficile et les accouchements se font dans les pires conditions, les hôpitaux étant détruits, surpeuplés ou en manque d’électricité, d’eau et d’équipements, rappelle CNN. Le site de la chaîne américaine rapporte les paroles de l’une de ces femmes, Reham Ahmed Al-Sadi, enceinte de neuf mois : “La guerre a détruit la joie que devait être ma grossesse.”
Selon le Hamas, écrit encore le Courrier international, le bilan aurait dépassé les 10 000 morts. Parmi ces victimes, près de 40 % – quelque 3 900 personnes – seraient des enfants, selon une estimation onusienne.

(1) Zvi Barel, "En finir avec le Hamas à Gaza, et après ?", Ha'Aretz, 17.10.2023, in Le Courrier international, 2.11.2023.
(2) https://www.courrierinternational.com/video/video-ils-croyaient-en-la-paix-le-hamas-leur-a-ote-leur-empathie-des-rescapes-israeliens-temoignent
(3) https://www.courrierinternational.com/article/polemique-les-femmes-de-gaza-ne-sont-pas-des-uterus-au-service-de-la-resistance

lundi 6 novembre 2023

En deux mots

Je serai bref cette fois.
Ceux qui relativisent le massacre du 7 octobre ou ne veulent tout simplement pas en parler, ceux qui pensent que "après tout, ils l'ont bien cherché", ceux qui estiment que en cinquante ans de conflit la balance est déséquilibrée en nombre de morts du côté palestinien, ceux-là sont dans la même logique que Netanyahou : la vengeance.
La paix ne viendra pas le jour où la balance sera équilibrée, mais le jour où un dialogue aura été établi.

A écouter ou à lire, le billet de Sophia Aram ce matin :

A lire :
Sur Telos, "Des crimes de guerre des deux côtés ?", par l'historien Jean-Louis Margolin
Sur Telos également, "Des indignés sans boussole", par Ricardo Perrisich

dimanche 5 novembre 2023

Si proches, si loin

Cette guerre entre Israël et le Hamas s'est déjà transformée en un immense merdier. Y a-t-il un autre mot ? Erreur, drame, gâchis ou échec seraient des euphémismes. Les radicalisés des deux camps, par leurs actions violentes, sont parvenus à radicaliser une bonne partie de la planète. Un peu partout en Europe, aux Etats-Unis, au Proche-Orient, au Maghreb, l'antisémitisme monte, les appels aux meurtres s'expriment ouvertement. Il faut être d'un camp, contre l'autre, ajouter de la fureur à la furie. On s'invective, on s'injurie, on se menace. On perd en humanité. On se perd.

L'Obs de la semaine dernière (1) a organisé une rencontre entre deux esprits éclairés : la rabbine française Delphine Horvilleur et l'écrivain algérien Kamel Daoud (installé depuis peu en France pour échapper aux pressions subies en Algérie). En sept pages d'interview, tous deux en appellent à la réaffirmation de notre humanité. En voici quelques extraits.

"Je suis en manque d'un dialogue humain sensé, empathique, au milieu de cette déferlante de haine et de rage, dit Delphine Horvilleur. Je suis en réalité très blessée de trouver si difficilement des interlocuteurs. J'avoue, j'attendais les paroles d'intellectuels musulmans avec qui je dialogue habituellement. Il y en a quelques-unes, si essentielles, mais si rares. (...)  J'ai l'impression que le monde est en train d'être détruit par un mélange de haine et de rage et que moi, je voudrais construire une arche." (...)

"Je ressens aussi le besoin de dialoguer, lui répond Kamel Daoud, pour réaffirmer quelque chose de banal qui est l'humanité, face à cette déferlante d'inhumanité qui s'est infiltrée en chacun, dans chaque camp, dans chaque famille. Mais j'ai aussi une colère (...). Je suis en colère parce que je suis musulman de culture et que dans ma géographie on me refuse le droit à l'expression et à la nuance, parce qu'on voudrait me forcer à une unanimité monstrueuse qui n'est pas la mienne. Je ressens également cette solitude profonde, incomparable avec celle de ceux qui ont perdu des vies, parce que j'ai pris la parole pour dire qu'une cause doit garder sa supériorité morale, qu'elle s'effondre si elle choisit la barbarie et trouve des gens qui la justifient." (...)
"Je reste stupéfait devant l'effondrement moral de ce qu'on appelle la société arabe. Je ne parle pas de ceux qu'on manipule par les propagandes dans mon pays d'origine, je parle de ceux qui sont censés être porteurs de conscience, les intellectuels. Je suis en train de découvrir la limite où ils s'arrêtent de réfléchir. Je ne pensais pas qu'il y avait un tel abîme de la lucidité. Parce que ce qui se passe à Gaza en ce moment n'hypothèque pas seulement la paix dans cette région-là, elle hypothèque nos libertés quotidiennes, notre droit à penser, notre singularité." (...)

D.H. : "La lucidité vient du mot lumière, mais c'est l'éloge de l'obscurité qui prime aujourd'hui." (...)
Cela fait des années que je m'emploie à dénoncer le gouvernement de Netanayahou, l'horreur de l'occupation, la dérive de la société, son hubris, etc., et j'ai été sidérée de ne pas trouver de voix palestinienne en France pour dire "notre cause est juste, les Palestiniens ont le droit d'avoir une terre, mais pas par ces moyens-là". (...) Ce silence ne trouve pas de place dans mon schéma mental."

K.D. : "Malheureusement, ça ne m'étonne pas, j'ai toujours connu ce on et ce off dans le discours des intellectuels du Sud. Mais ce qui me frappe, c'est qu'en Algérie ou en Egypte, et dans bien d'autres pays, nous connaissons les méthodes des islamistes, et leur but. (...) On le sait que le but des islamistes n'a jamais été de fonder un Etat palestinien ; le but des islamistes, c'est de précipiter la fin du monde, ils veulent un messianisme qui a abouti, c'est une vision judéophobe dont la finalité est la disparition du peuple juif. Et le Palestinien, dans cette mythologie, est un destin des plus tragiques. Il lui est dit que la fin du monde adviendra le jour où tous les Juifs seront tués et le Palestinien libéré. Mais quelle arnaque ! On lui promet en même temps un pays et la mort (...).

Delphine Horveilleur a lu la lettre des artistes français qui déplorent les morts des deux côtés, mais pour aussitôt en renvoyer la responsabilité à l'occupation israélienne. "Mais est-ce aussi à leurs yeux l'origine de la violence au Bataclan, en Algérie ? Le mot islamisme n'apparaît nulle part, l'idéologie de l'assassin est effacée. Et je ne suis pas en train de dédouaner Israël de la problématique de l'occupation, mais ce renvoi dos-à-dos m'est intolérable." (...)

K.D. : "Je suis pour un Etat palestinien et je crois que l'existence d'un tel Etat est nécessaire non seulement pour les Palestiniens mais aussi pour ma propre liberté dans mon propre pays, parce que ce problème hypothèque tous nos projets de démocratisation. Mais je ne peux pas adhérer à un projet d'extermination qui refuse l'humanité à chacun. S'il s'agit d'une cause de colonisation et de décolonisation, là je suis solidaire. S'il s'agit d'une cause raciale, arabe, ou confessionnelle, musulmane, je ne peux pas l'être. Ce ne serait pas rendre justice à cette cause et à la volonté de ce peuple d'avoir une terre et une histoire. Ce 7 octobre est une véritable défaite, parce que ce qu'il disait, c'est on veut la terre pour les Palestiniens avec la noyade pour les Israéliens." (...)

Israéliens et Palestiniens ne seraient-ils pas deux peuples sur lesquels tant d'instances à travers la planète exercent leurs fantasmes et qu'elles instrumentalisent, positivement ou négativement, au service de leurs propres projets ? Avant l'ignoble attaque du Hamas le 7 octobre qui a volontairement provoqué cette guerre, qui se souciait encore du sort des Palestiniens ? Ni le gouvernement israélien qui poursuivait à marche forcée sa politique de colonisation de la Cisjordanie, ni les Etats arabes dont certains étaient en train de normaliser leurs relations avec l'Etat israélien (2), ni même ceux qui sont censés représenter les intérêts palestiniens : l'Autorité palestinienne en Cisjordanie, totalement hors-jeu et corrompue, et le Hamas, on l'a vu, avant tout soucieux de rejeter les Juifs à la mer. Et le reste du monde regardait ailleurs.

K.D. : "Je sais qu'autour de moi, dans ce monde dit arabe, dans cette armée de libérateurs imaginaires, tout le monde trouve son compte sur le cadavre du Palestinien. Le Palestinien, on l'aime mort, on l'aime saignant, on ne l'aime pas vivant, dans sa complexité, ni dans son autonomie ou son désir de liberté." (...)
D.H. : "Je me dis qu'on adore les juifs qui souffrent. On les aime en noir et blanc, avec la célèbre photo du petit garçon qui lève les mains dans le ghetto de Varsovie. Mais dès qu'ils ont une armée, qu'on imagine une souveraineté juive, dans sa moralité et son immoralité que crée toute souveraineté, tout à coup, c'est insupportable. C'est le gros problème d'Israël aujourd'hui, qui s'est construit sur le narratif que le manque de force avait tué les juifs et qu'il était aujourd'hui invincible. Israël est tombé malade de ce narratif, de ce qu'on appelle aujourd'hui l'arrogance israélienne, d'être la terre des juifs forts. (...)
Aujourd'hui, je me dis qu'il y a quelque chose à explorer, qui n'est pas du tout propre au monde arabe, qui a été tellement partagé dans l'histoire, de la haine du juif et de la volonté de s'en débarrasser pour ce qu'il représente."
K.D. : "Oui, mais ça en dit énormément sur la pathologie de l'altérité dans le monde qu'on appelle arabe. Parce que le juif, c'est l'autre, c'est la partie qu'on rejette. Sais-tu qu'on traite de juif tout Arabe qui veut s'émanciper  et avoir une pensée autonome ? Ce qu'on veut tuer en vous c'est la partie la plus vivante et la plus refusée en nous aussi. C'est pour ça que ça nous convoque tous. Qu'est-ce qu'on fait de l'autre ? (...) Le juif est inconnu. Et il est maudit aussi dans nos mythologies religieuses. (...) C'est cette charge de méconnaissance qui autorise à soutenir l'inhumanité de celui qui tue et massacre." (...)
D.H. : On peut démultiplier les moments dans l'histoire où le juif n'a servi qu'à raconter notre faillite humaine. Quand une société est en faillite, le juif devient le nom de son incapacité à se relever." (...)

Après la population israélienne, c'est celle de Gaza qui est en plein drame. Et il faut le rappeler.
D.H. : "Non seulement, il le faut, mais on le doit. Ce que je dis n'est pas une façon d'éluder la responsabilité énorme des gouvernements israéliens non seulement dans le développement de la colonisation mais aussi dans le fait qu'on sait très bien qu'il y avait un intérêt politique à faire grandir le Hamas, à affaiblir l'Autorité palestinienne. Israël a un problème de leadership et un problème moral. C'est évident et j'espère, au milieu de cette horreur, un réveil des consciences en Israël. Mais cela n'innocente en rien l'assassin. Les chiffres, on les connaît, c'est dix Bataclan en une matinée. Cette guerre contre le Hamas est légitime, et c'est difficile à dire sans que cela apparaisse comme une relativisation des morts de Gaza. Mais moi je ne relativise rien, je cauchemarde à l'idée de ce que vivent ces mères, ces enfants..." (...)
K.D. : "L'intellectuel arabe est toujours soumis au décompte, comme si moi, je tenais le registre des mort ! Mais je ne suis pas comptable. La logique des équivalences entraîne la logique de l'inhumain. Il y a un vrai problème palestinien face à Israël, politique, historique. Mais ce match Shoah contre Nakba qu'on voudrait nous faire jouer dans nos pays et qui arrange les islamistes est une mise en scène aussi. C'est la cristallisation d'une histoire qu'on voudrait figer. Personne au fond n'a envie que ça bouge, parce que ça alimente nos obsessions  et qu'on y greffe nos propres histoires. " (...)
"La guerre que mène à présent Israël, elle est certes justifiée, mais elle n'est pas juste. Aucun crime ne répare un autre crime." Et puis, dit encore l'écrivain, c'est un cycle sans fin : "la guerre fabrique le tueur de demain". (...)

(1) Propos recueillis par Marie Lemonnier, L'Obs, 26.10.2023.
(2) K.D. : "Combien de bourses d'études sont données aux Palestiniens au Maghreb ? Combien de familles y accueillent des réfugiés ? C'est le grand bug dans le narratif arabe de la solidarité."