jeudi 29 septembre 2022

Ici et là

Les résultats des référendums organisés dans les territoires de l'est de l'Ukraine occupés par la Russie "font état, relève Le Monde (1), d’une victoire écrasante du « rattachement à la Fédération de Russie », terme retenu pour la consultation : 99 % dans la « république populaire » autoproclamée de Donetsk, 98 % dans celle de Louhansk, 93 % dans la partie contrôlée par Moscou pour la région de Zaporijia et 87 % dans celle de Kherson. Les chiffres de la participation sont à l’avenant, oscillant entre 77 % et 97 %. Sachant qu’une bonne moitié des habitants de ces régions ont choisi la fuite et l’exil, et qu’aucun recensement n’y a été conduit, cette participation « exceptionnelle » ne peut constituer un indicateur fiable des consultations."
Alors que ces référendums qui ressemblent à une (très mauvaise) blague veulent nous faire croire que l'avenir de ces Ukrainiens ne peut être que russe, les hommes russes fuient par milliers leur pays dans lequel il refuse de ne voir leur avenir que comme chair à canon.
Cherchez l'erreur. Ou l'horreur.

(1) https://www.lemonde.fr/international/article/2022/09/28/avec-des-referendums-sur-mesure-moscou-avance-vers-l-annexion-de-pans-du-territoire-ukrainien_6143504_3210.html

samedi 24 septembre 2022

Dans la tête du Tsar

Glaçant. Le récit de l'arrivée à la tête de l'Etat russe d'un officier du FSB (successeur du KGB) et de la manière brutale dont il a installé son pouvoir est glaçant.
Vadim Baranov est un personnage de fiction, mais tous les autres (Poutine, Elstine, Berezovski, Limonov, Prigogjine, Zaldostanov, etc.) sont bien réels dans « Le Mage du Kremlin », roman de Giuliano Da Empoli (1). Les experts ont vite reconnu dans Baranov la figure de Vladislav Sourkov qui fut conseiller de Vladimir Poutine pendant vingt ans et qui a disparu en 2020. Giuliano da Empoli, lui, fut conseiller de Matteo Renzi et connaît bien la Russie. Il mène une enquête imaginaire sur des faits réels. En exergue, le livre précise que "ce roman est inspiré de faits et de personnages réels, à qui l'auteur a prêté une vie privée et des propos imaginaires. Il s'agit néanmoins d'une véritable histoire russe". 

C'est Vadim Baranov qui raconte comment Poutine est devenu le Tsar, après qu'il l'ait convaincu que les Russes avaient un "besoin de verticalité".
"Poutine subit une métamorphose, enfle, devient « le Tsar », écrit Vincent Rémy dans Télérama (2), écarte les oligarques pour reprendre le contrôle des richesses du pays, galvanise le peuple en promettant de mettre fin à la désintégration de la Russie. Peu à peu, on entre dans la tête du Tsar, qu’exaspère la condescendance américaine, la perte de la Crimée, siège de la flotte militaire russe, et la « révolution orange » qui menace, par contagion, son propre pouvoir…"
On y découvre la brutalité d'un chef qui sait comment démontrer sa toute-puissance, on y croise ses terrifiants complices, on comprend pourquoi la Russie a agressé l'Ukraine. "Écrit avant l’invasion russe en Ukraine en février dernier, ce diablement romanesque Mage du Kremlin est tristement prémonitoire, énonçant que « la première règle du pouvoir est de persévérer dans les erreurs, de ne pas montrer la plus petite fissure dans le mur de l’autorité ». La fascination du chaos est omniprésente."

Après la lecture du "Mage", après être entré dans la tête du Tsar, on a peine à croire que Poutine ne soit pas prêt au pire pour se venger des erreurs qu'il a lui-même commises.

Extraits :

"S'appuyer sur les passions populaires en Russie ne sert à rien : à la fin celui qui gagne fonde toujours son pouvoir sur la Cour. C'est pourquoi le meilleur moyen est l'adulation, pas le talent, le silence, pas l'éloquence. (...) Pays de muets, pays de la belle endormie, merveilleux mais sans vie parce qu'y manque le souffle de la liberté. Aujourd'hui comme hier."

"Seul le privilège compte en Russie, la proximité du pouvoir. Tout le reste est accessoire. C'était comme ça du temps du tsar et pendant les années communistes encore plus. Le système soviétique était fondé sur le statut. L'argent ne comptait pas. Il y en avait peu en circulation et il était de toute façon inutile : personne n'aurait pensé évaluer une personne sur la base de l'argent qu'elle possédait. (...) Ce qui comptait, c'était le statut, pas le cash. Bien sûr, il s'agissait d'un piège. Le privilège est le contraire de la liberté, une forme d'esclavage plutôt."

"On n'échappe pas à son propre destin et celui des Russes est d'être gouverné par les descendants d'Ivan le Terrible. On peut inventer tout ce qu'on voudra : la révolution prolétaire, le libéralisme effréné, le résultat est toujours le même : au sommet, il y a les opritchniki, les chiens de garde du tsar. Aujourd'hui au moins un peu d'ordre est revenu, un minimum de respect. C'est déjà quelque chose, nous verrons combien de temps cela durera." 

C'est Poutine qui parle dans le roman : "Mets-toi une chose en tête, Vadia, les marchands n'ont jamais dirigé la Russie. Et tu sais pourquoi ? Parce qu'ils ne sont pas capables d'assurer les deux choses que les Russes demandent à l'Etat : l'ordre à l'intérieur et la puissance à l'extérieur."

"Il s'agissait de mobiliser toutes les ressources, tous les éléments de force de la Russie pour retrouver notre place sur la scène mondiale. Une démocratie souveraine, tel était l'objectif. Pour le réaliser, nous avions besoin d'hommes d'acier, capables d'assurer la fonction primordiale de tout Etat : être une arme de défense et d'attaque. Cette élite existait déjà. c'était les siloviki, les hommes des services de sécurité. Poutine était un des leurs. Le plus puissant, le plus avisé. Le plus dur. Mais toujours un des leurs. (...) Il les a placés un à un dans des positions de commandement. Au sommet de l'Etat, certes, mais aussi à la tête d'entreprise privées, qu'il a récupérées une à une des mains des affairistes des années quatre-vingt-dix. L'énergie, les matières premières, les transports, les communications. Les hommes de la force ont remplacé les oligarques dans tous les secteurs. C'est ainsi qu'en Russie l'Etat est redevenu la source de toute chose."

Conversation entre Berezovski (3) et Baranov.
Berezovski : "Il ne s'arrêtera jamais, n'est-ce pas ? Les gens comme lui ne le peuvent pas. C'est la première règle. Persévérer. Ne pas corriger ce qui a déjà fonctionné, mais surtout ne jamais admettre les erreurs." (...)
Baranov: "Ce n'est pas de la barbarie : ce sont les règles du jeu. La première règle du pouvoir est de persévérer dans les erreurs, de ne pas montrer la plus petite fissure dans le mur de l'autorité."

"Débarrassée de mes conjectures, la vérité apparaissait pour ce qu'elle était. L'Empire du tsar naissait de la guerre et il était logique qu'à la fin il retournât à la guerre. C'était cela la base inébranlable de notre pouvoir, son vice original. Au fond, si on y regardait de près, avions-nous jamais bougé de là ?"

"La gentillesse de l'Europe, ses lumières d'en bas qui dissimulent la cruauté du monde, le moment était venu d'y renoncer. Au fond de moi, j'avais toujours su que ce moment viendrait ; depuis la première fois que mes yeux avaient rencontré le regard du Tsar. Il n'y avait rien d'européen dans ce regard, rien de doux. Seulement la détermination d'une nécessité qui ne tolère pas d'entraves."

(1) Giuliano Da Empoli, "Le Mage du Kremlin", Gallimard, 2022.
(2)  https://www.telerama.fr/livres/le-mage-du-kremlin-3-16556746.php
(3) Boris Abramovitch Berezovsky est un homme d'affaires et homme politique russe, né à Moscou en 1946 et mort en 2013 (à 67 ans) à Ascot dans le Berkshire (Wikipedia).

mercredi 21 septembre 2022

Mahsa Amini

Dans "Islamophobie, mon œil !" (1), la politologue Djemila Benhabib (qui a dû fuir l'Algérie en 1994, pour aller vivre au Québec, puis en Belgique) dénonce l'attitude d'Unia, l'organisme interfédéral belge de promotion de l'égalité et de lutte contre les discriminations : "Concrètement, l'activisme juridique de Unia a servi à endosser les revendications du CCIB (2) qui tourne, essentiellement, autour du voile islamique et à asseoir dans l'espace public la figure de la femme voilée comme celle de LA musulmane à protéger, à visibiliser, à promouvoir." Elle pointe du doigt une école professionnelle à discrimination positive : "Dans cette institution bruxelloise de l'enseignement libre (catholique) qui a accueilli les premières enseignantes voilées, aujourd'hui, l'écrasante majorité des enseignantes musulmanes portent le voile et ce, quels que soient leurs champs de compétences disciplinaires. Par ailleurs, les non-voilées cheminent difficilement dans un climat tendu qui leur est farouchement hostile. Dans certaines classes, la majorité des élèves sont aussi voilées. Lorsque l'une d'entre elles, par exemple, a la malchance de laisser transparaître une mèche de cheveux, le rappel à l'ordre est immédiat. Systématique. Ce sont des enseignantes qui se chargent de faire appliquer ce qu'elles prétendent être la loi d'Allah : 'Arrange ton voile, c'est haram de montrer ses cheveux !'. Et gare à celles qui auraient la fâcheuse idée de se dévoiler lors d'une sortie scolaire." Ces enseignantes belges jouent le même rôle que la police des mœurs en Iran. 

En Iran, une jeune femme vient de mourir à cause de ce voile de plus en plus sacralisé chez nous. Elle s'appelait Mahsa Amini. Le 16 septembre, elle a été arrêtée par la police des mœurs dans une rue de Téhéran pour un foulard jugé « mal porté ». Visiblement tabassée par la police, elle en est morte et est devenue un symbole de la brutalité du régime iranien en particulier envers les femmes. Sa mort suscite la colère de très nombreux Iraniens et Iraniennes, Nombre d'entre elles ont arraché et même brûlé leur voile, certaines se coupent les cheveux. Un slogan se répand à travers le pays : "Femme - Vie - Liberté !". Les manifestantes et manifestants s'en prennent au régime et à ses fondements. "A commencer par le port obligatoire du voile, un dogme de la République islamique d’Iran", écrit Le Monde.

Il y a quelques jours, un article dans un journal belge laissait entendre qu'il fallait s'attendre à un assouplissement de la loi interdisant le port de la burqa en public. Chez nous, il pourrait donc être admis que des femmes soient, volontairement ou non, cachées à la vue des autres. En France aujourd'hui, tout homme soupçonné d'attitude machiste est aussitôt dénoncé sur la place publique, mais l'attitude brutale vis-à-vis des femmes des régimes théocratiques musulmans semble ignorée de la majorité des féministes borgnes. Leur silence par rapport aux Iraniennes (et aux Afghanes, aux Pakistanaises, aux Saoudiennes et à tant d'autres) est assourdissant. Ces dernières sont victimes du patriarcat le plus obscur et le plus violent. Où sont les femmes musulmanes de chez nous qui réclament de porter le voile en tous temps et en tous lieux ? Que pensent-elles de ce que vivent celles qui sont sous le joug des barbus obscurantistes ?

Djemila Benhabib : "Je continue d'être aujourd'hui le prolongement de ce que j'ai toujours été : une femme libre. Je refuse de mentir sur ce que j'ai vécu. Je sais que l'avancée des voiles islamiques, c'est le recul de la démocratie et la négation des femmes. Je sais que l'islam politique n'est pas un simple mouvement fondamentaliste, mais un mouvement politique totalitaire qui a pour visée d'engloutir le monde après avoir avalé la démocratie."

Ceux qui se mettent une muselière et qui choisissent de se taire renforcent le terrorisme.
Naguib Mahfouz (cité par D. Benhabib)

(1) éditions Kennes, 2022.
(2) Collectif contre l'islamophobie en Belgique, connu pour ses liens avec les Frères musulmans.
(3) https://www.lemonde.fr/international/article/2022/09/17/en-iran-la-mort-d-une-jeune-femme-arretee-par-la-police-des-m-urs-suscite-des-protestations_6142073_3210.html

Post-scriptum : 
Ci-dessous la position de Viv(r)e la République, mouvement citoyen, laïque et républicain.

Les iraniennes qui meurent parce qu’elles refusent de porter le voile rappellent ce que la gauche et les féministes dites intersectionnelles ont oublié : le voile est, a été et sera toujours un instrument de rabaissement et d’infériorisation de la femme. En parlant de la « liberté de porter le voile » une partie de nos leaders politiques et de nos grandes consciences intellectuelles ont servi les manipulations des islamistes tout en crachant au visage des femmes qui, comme les iraniennes, risquent leur vie pour que leur dignité humaine soit reconnue et que l’égalité en droit avec les hommes deviennent réalité.

En effet, voile n’est pas et n’a jamais été un simple vêtement. C’est un discours sur le statut de la femme, un signe qui envoie un message univoque à l’extérieur, quelles que soient les intentions de celle qui le porte. C’est un outil de contrôle social et une humiliation faite aux femmes. Le voile dit que la femme est inférieure à l’homme et que son corps, ses cheveux sont impurs et provocants.

A Viv(r)e la République nous avons toujours considéré le voile comme un instrument de soumission de la femme et nous avons toujours combattu ceux qui, par complaisance, lâcheté ou cynisme, tentent de faire passer le port du voile pour une liberté. Faire passer le port d’un symbole d’infériorité et d’impureté qui rabaisse la femme pour un combat féministe est choquant. Imaginerait-on proposer à un homme de porter volontairement des chaînes, en expliquant qu’elles ne sont pas le signe de l’esclavage mais le symbole de sa liberté de choisir la servitude ? La proposition ainsi formulée est grotesque, pourtant c’est bien ce qui est en jeu dans le cas du voile.

La femme voilée reste et restera toujours victime, consentante ou non, de ceux qui entendent dicter aux femmes ce qui est respectable et ce qui ne l’est pas.

Alors que des femmes luttent au péril de leur vie pour avoir le droit de se dévoiler en Iran, les revendications ici en Occident de porter librement le voile nous paraissent non seulement un non sens mais aussi une trahison vis à vis de celles qui sont en lutte. Le voile n’a nulle part sa place dans les pays démocratiques qui fondent leur contrat social sur l’égalité des êtres humains en droit, et assurément pas en France, pays qui a fait de l’émancipation des citoyens une des bases de la citoyenneté.

Les responsables politiques ont la charge de représenter et de défendre notre civilité. Ce qui se passe en Iran où des femmes meurent parce qu’elles osent retirer leur voile devrait rappeler à nos représentants l’immensité de leur rôle pour que vivent nos libertés. Mais pour être garant de l’égalité des femmes, encore faut-il avoir le courage d’être clair sur le refus du voile. On peut en douter et rien n’est plus instructif sur ce point que la réaction du ministre de l’éducation nationale. Celui-ci, placé face à la multiplication des incidents et aux incitations à porter le voile et des tenues islamiques à l’école, refuse de traiter le sujet et explique manquer d’informations.

Il est largement temps que nos dirigeants fassent la preuve de leur courage au service de la démocratie et de notre république laïque. Cela commence par porter un discours clair sur le voile et sur son incompatibilité avec une société politique fondée sur l’égalité en droit des êtres humains qui la constituent. Une réalité que le combat des iraniennes illustre tous les jours. Elles risquent leur vie pour cela. Il n’en est que plus insupportable de voir tous les hypocrites qui soutiennent la « liberté de porter le voile », soutenir aussi les femmes iraniennes « victimes du patriarcat » en occultant la dimension religieuse du voile et toute référence à l’islam et à l’islamisme.

dimanche 18 septembre 2022

Tontons flingueurs

Ouverture de la chasse ce week-end en France. Willy le grizzly a-t-il trouvé le temps d'y participer ? Il faudrait pour cela qu'il quitte le bistrot où il est installé et où il multiplie les propos de comptoir. Il est intarissable. Il pérore à toute heure du jour et de la nuit. Voilà maintenant qu'il vitupère (il est champion de France en la matière) contre le rapport sénatorial, publié le14 septembre, qui propose notamment « d'interdire l'alcool et l'usage de stupéfiants lors de la chasse », s'appuyant sur le fait que 9 % des accidents de chasse graves impliquent de l'alcool. "Un mec bourré sur un vélo, c'est dangereux aussi", fait remarquer avec la finesse qui est la sienne le président des chasseurs français. Que cherche-t-il à nous dire ? Qu'on a le droit de tirer bourré comme on aurait le droit de circuler dans le même état ? Un mec bourré sur un vélo est surtout dangereux pour lui-même, tandis qu'un chasseur bourré armé d'un fusil qui peut envoyer une balle à des kilomètres peut tuer sans même s'en rendre compte. 
"Une manière un peu rapide, estime le magazine Marianne (1), d'évacuer le fait qu'une munition de calibre .270, utilisée par exemple pour la chasse au chevreuil et au sanglier, est presque aussi rapide et puissante que les cartouches de 5,56, utilisés par les fusils d’assaut de l’armée française. Il ne paraît donc pas insensé de s'interroger sur les conditions dans lesquelles les chasseurs utilisent ces munitions, de surcroît s'ils sont ivres. Une facétie que la loi ne leur interdit pas aujourd'hui." Mais Willy le fat trouve "totalement exagérée" et "stigmatisante" cette proposition de réglementation de la chasse. Pour Willy, lui et les siens ont droit de vie et de mort sur les campagnes.  Il refuse de voir que la chasse "est aujourd'hui confrontée à un fort problème d'acceptabilité sociale. 84 % des Français jugent la pratique dangereuse pour eux, et 82 % réclament au moins un jour sans chasse dans la semaine, selon un sondage Ifop paru en 2018. Puisqu'un Français sur trois vit dans un territoire rural selon l'Insee, la crainte de la chasse, telle qu'elle se pratique aujourd'hui, ne relève pas d'un délire de néoruraux, comme voudraient le faire croire certains." (1) Mais Willy le Barbarin de Tarascon est incapable d'entendre les critiques et de se remettre en question. Les autres doivent le faire, mais pas les chasseurs qui ont tous les droits. Notamment de chasser tous les jours de la semaine. Des associations naturalistes avaient suggéré des dimanches et mercredis sans chasse ou encore des « distances de protection autour des zones d'habitation qui soient égales à la portée maximale des armes », mais ces demandes ont été refusées par le Sénat. Les sénateurs se contentent de préconiser de « permettre aux préfets de limiter les jours et horaires de chasse pour assurer la sécurité des personnes ». Se rangeant du côté des chasseurs, la mission sénatoriale propose de créer « un délit d’entrave au déroulement d’activités sportives ou de loisir légales », ce que revendiquent les chasseurs qui veulent faire condamner les militants qui tentent notamment d'empêcher les chasses à courre.
Mon conseil à Willy le Philistin : continuez à flinguer, au sens propre comme au figuré, comme vous le faites et on passera à 98 % d'opinions négatives sur la chasse.

Il y a mieux encore : voilà que les chasseurs demandent à l'Etat une aide financière pour racheter de nouveaux fusils. A partir de février prochain il leur sera interdit d'utiliser des balles à plomb "à moins de cent mètres de toute zone humide, permanente ou temporaire". Et qui dit changement de balle dit changement de fusil (2). 
Dès lors, voici ma liste : puisqu'il faut changer de mode d'énergie, je demande au gouvernement une voiture électrique (break de préférence - j'habite la campagne, j'ai des ballots de paille et des arbres à transporter), un vélo-cargo pour faire mes courses, un poêle à bois plus performant, une pompe à chaleur, l'isolation des mes combles et une petite éolienne dans mon jardin. Ce n'est pas grand-chose si on compare ces demandes avec les cadeaux qui ont déjà été offerts à ces assistés que sont les chasseurs. De 2017 à 2021, les aides publiques à la Fédération des chasseurs, présidée par Willy the Moocher, ont bondi de 27.000 euros à 6,3 millions (2). Il ne serait que justice que chacun d'entre nous bénéficie d'aides semblables.

Post-scriptum : à lire et surtout à écouter, la chronique de Guillaume Meurice qui a interviewé des chasseurs sur ce projet d'interdiction de l'alcool aux chasseurs. CQFD... https://www.huffingtonpost.fr/divertissement/article/cet-echange-entre-guillaume-meurice-et-des-chasseurs-est-digne-d-un-sketch-des-inconnus_208010.html

(1) https://www.marianne.net/societe/agriculture-et-ruralite/le-velo-bourre-cest-dangereux-aussi-nouvel-argument-du-patron-des-chasseurs-pour-esquiver-le-debat
(2) Charlie Hebdo, 14.9.2022. 

mardi 6 septembre 2022

L'ange de la route

Mon ange gardien s'appelle Willy. 
Willy Schraen, sans surprise, s'oppose à ceux qui pensent que, vu l'été meurtrier dont nous sortons à peine, il faudrait suspendre la chasse. Ce n'est pas aux chasseurs de s'adapter, mais à la faune. Le chasseur ne s'adapte pas. Il chasse, par tous les temps, même les temps de sécheresse et d'incendies.
Ce qui est totalement surprenant, c'est l'argument qu'invoque le président des chasseurs français pour justifier le maintien de la chasse. Il y a bientôt un an, il hurlait avec la délicatesse qu'on lui connaît : "j’en ai rien à fout' de réguler”, précisant que son truc, c'est “du plaisir dans l’acte de chasse” (1). 
Et voilà qu'aujourd'hui, il se présente comme l'ange de la route : "L'année passée, il y a eu 70.000 accidents de la route avec des animaux sauvages et 50 morts. Si on ne doit pas chasser cette année, est-ce qu'on est prêt à enterrer 1.000, 2.000 ou 3.000 Français ?" (2) Comprenons par là que Willy l'angélique régule pour nous protéger de tous ces méchants chevreuils, sangliers et autres renards qui agressent les automobilistes. Vous sortez le samedi soir  ? Au retour, embarquez Willy Schraen, il vous dégagera la route. 

(Une question que je me pose : est-ce son vrai nom, Willy Schraen, ou son nom de scène ? On a du mal à croire que ce ne soit pas un comédien. Il incarne à merveille la pire des caricatures du chasseur.)

(1) (Re)lire sur ce blog "L'élégance du sanglier", 12.11.2021.
(2) RMC, 23.8.2022, cité dans Charlie Hebdo, 31.8.2022.

dimanche 4 septembre 2022

Belles rencontres

C'est une rencontre touchante (dans tous les sens du terme) entre les journalistes du Papotin et leur invité, une personnalité du monde culturel. C'est une émission mensuelle de France 2, diffusée un samedi à 20h30 : Les Rencontres du Papotin. Les journalistes du Papotin sont tous atteints de troubles autistiques, certaines de leurs questions sont préparées, d'autres pas. Elles sont toutes claires et sincères, sans agressivité, sans piège et sans arrière-pensée.
Premier invité hier, le comédien Gilles Lellouche est entré avec beaucoup de sincérité dans un dialogue avec ces journalistes souvent surprenants par leur spontanéité. Cette rencontre, résumée en une émission de trente minutes, déborde d'émotion, d'humour et d'humanité.

Le journal Le Papotin existe depuis trente-trois ans et est rédigé par des patients  d'institutions parisiennes. Il publie des articles, des reportages, des interviews, des photos, et des dessins tous réalisés par cette équipe de journalistes hors-normes.

Emission à voir ici :  https://www.france.tv/france-2/les-rencontres-du-papotin/3839902-gilles-lellouche-sans-filtre.html
A lire : https://www.huffingtonpost.fr/life/article/dans-les-rencontres-du-papotin-une-redaction-de-journalistes-autistes-mene-des-interviews-de-celebrites_207121.html
https://www.telerama.fr/ecrans/les-rencontres-du-papotin-les-journalistes-autistes-prennent-l-antenne-sur-france-2-7011884.php

samedi 3 septembre 2022

Animal aveugle

Comment évolue l'Homme ? Mal. Il est incapable de tirer un bilan de sa lamentable expérience.
L'isolement auquel l'avait contraint un virus qu'il n'avait pas imaginé l'a amené à jurer qu'il allait changer de cap. Mais il a la mémoire aussi courte que sa capacité de changement.
L'été fut brûlant à plus d'un titre à cause du réchauffement climatique, mais dès que baisse le prix des carburants il se précipite dans les stations-service pour faire le plein de sa voiture. C'est que l'urgence pour lui, c'est de faire ses courses dans des zones commerciales gigantesques bâties loin des lieux d'habitation. L'homme est un animal aveugle et obstiné qui fonce tout droit, incapable de modifier sa trajectoire. Il se jette dans le gouffre parce que celui-ci est sur sa route.
Ici, il déboise des milliers d'hectares de forêts pour nourrir des animaux qu'il mange ensuite avec excès. Là, il bétonne à tout va des autoroutes et des pistes d'aéroports parce qu'il doit toujours être ailleurs, sans souci pour les terres où il vit et va.
Ailleurs, l'homme fait la guerre à ceux qui ne sont pas comme lui parce qu'ils devraient être comme lui. Cet homme-là est le pire de tous. Celui qui se range du côté de la destruction de l'humanité, de la faune, de la flore, de l'environnement, pour sa propre vanité. Cet homme-là est un fou furieux qui fait exploser les budgets militaires à travers la planète (1) et manie la faux sans discernement ni état d'âme.

Ici nous avons encore des jardins, des petits vergers, d'étroites vallées, des collines pauvres. Cette pauvreté nous sauve. Plus loin, dans les vastes plaines riches, les hommes plantent des lingots d'or, qu'ils arrosent de poisons avec des hélicoptères et de monstrueux insectes aux ailes de fer. Ils enferment dans des cages pas plus larges qu'une page de mon cahier, de la naissance à la mort, des peuples de lapins, ils passent au broyeur des milliards de poussins mâles. De longues files de veaux attendent en pleurant dans des couloirs de sang. Ils assassinent partout et on n'entend rien !...
Il faudrait oublier toutes ces terres chimiques, ces forêts en flammes, ces rivières mortes... Partout la main de l'homme, l'œuvre de l'homme. Comment oublier...
Je suis l'un de ces hommes. Je marche sur ces collines pauvres mais je suis l'un des leurs... Je me suis lentement écarté de leurs crimes. Ça ne changera rien aux jours terribles qui s'avancent...
(...)
Nous avons été les hôtes, ces derniers temps, d'un virus sorti de nulle part, il a fait plus de bruit que la chute de la Bastille. La mort a rôdé dans les rues, poussé des portes, escaladé à pas de loup des escaliers, s'est glissée sans bruit dans les maisons. Nous sommes comme ces animaux qui arrêtent leur course, dressent l'oreille, écoutent... Nous percevons les lointains galops des cataclysmes qui s'approchent. Nous sommes désormais une espèce anxieuse, aux aguets, fragile. Nous venons de comprendre que le merveilleux paquebot sur lequel nous voguons va bientôt être englouti et nous poursuivons, malgré tout, notre croisière vers l'abîme.
René Frégni, Minuit dans la ville des songes, Gallimard, 2022.

En attendant que l'humanité s'éclaire et se ravise, gardons nos forêts, respectons nos grands arbres. (...)  Quand la terre sera dévastée et mutilée, nos productions et nos idées seront à l'avenant des choses pauvres et laides qui frapperont nos yeux à toute heure. Les idées rétrécies réfléchissent sur les sentiments qui s'appauvrissent et se faussent. L'homme a besoin de l'Eden pour horizon. Je sais bien que beaucoup disent : "Après nous la fin du monde !" C'est le plus hideux et le plus funeste blasphème que l'homme puisse proférer. C'est la formule de sa démission d'homme, car c'est la rupture du lien qui unit les générations et qui les rend solidaires les unes des autres.
George Sand, Impressions et souvenirs, paru dans Le Temps, 13.11.1872 (in "Sand - Ecrits sur la nature - présentation par Patrick Scheyder, éd. Le Pommier, 2022)

(1) Lire à ce sujet le dossier du Courrier international de cette semaine : "Armement - La course folle".

jeudi 1 septembre 2022

Crime d'incompétence

Il a connu Vladimir Poutine qui fut son collègue au KGB. Sergueï Jirnov en dresse un portrait sans concession dans un livre : "L'Engrenage" que viennent de publier les éditions Albin Michel.
Il l'a notamment rencontré à l'Institut Andropov, l'école d'espionnage, mais Poutine, dit-il, en a été viré après un an, le KGB le jugeant trop dangereux.
Il le décrit (1) comme un homme n'ayant "aucune idéologie, ni le communisme, ni la démocratie", juste un homme vénal, devenu un oligarque, un milliardaire pendant les années de corruption : "la seule chose qu'il aime, c'est le fric et le pouvoir qui va avec".
Jirnov voit Poutine comme "un mec sans génie, mais terriblement machiavélique dans la gestion du pouvoir. Il a su organiser les guerres de palais pour mieux régner. C'est un type rusé comme le serait un chef de mafia venu des bas-fonds."
La guerre qu'il mène à l'Ukraine pourrait signer sa fin, selon Jirnov : "Cette guerre, c'est LA grande faute de sa vie. Il ne s'en relèvera pas. Le pays non plus sans doute, qui risque de basculer dans la guerre civile par la suite. Il a cru les bobards de son entourage, que son armée était forte, qu'il allait gagner la guerre en trois jours, que l'Occident ne bougerait pas, que les Ukrainiens l'accueilleraient avec des fleurs. Il s'est trompé sur toute la ligne. Maintenant, il se ment à lui-même pour ne pas perdre la face."

"Poutine peut théoriquement rester au pouvoir jusqu'à la prochaine décennie, écrit The Times (2), mais ce sera difficile si ses organes de propagande eux-mêmes n'arrivent pas à détourner l'attention de son incompétence et s'il n'a plus la haute main sur les agences de renseignements qui l'ont porté au pouvoir." De nombreux observateurs voient les services secrets derrière l'attentat à la voiture piégée qui a coûté la vie à Daria Douguina, la fille du propagandiste Alexandre Douguine. Celui qui, lors de l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014, s'écriait : "Je pense que nous devons tuer, tuer, tuer des Ukrainiens, il n'y a rien d'autre à dire." Qui a provoqué l'explosion de cette voiture ? "On peine à voir ce que les Ukrainiens retireraient de l'élimination de Douguine ou de celle de sa fille, écrit encore The Times. En revanche, la Russie, elle, est secouée par de nombreuse luttes de pouvoir, et c'est de ce panier de crabes qu'a pu venir la tentative d'assassinat." L'hypothèse de l'auteur de l'article est que l'objectif de cet attentat pourrait être de mettre le président russe en difficulté, de radicaliser l'intervention russe en Ukraine et d'éviter que Poutine n'accepte une solution diplomatique.
Le politologue Jean-Yves Camus pense aussi  (3) que "l'hypothèse d'un règlement de compte interne aux cercles, idéologiquement plus divers qu'on ne pense, qui existent autour du Kremlin, qui ne les contrôle pas totalement, est assez probable."

Entre ceux qui exigent des victoires à tout prix et le contrôle définitif de l'est et du sud de l'Ukraine et ceux qui commencent à trouver totalement excessif le coût humain de cette guerre qui ne peut dire son nomVladimir Poutine occupe aujourd'hui encore une position stable, mais pour combien de temps encore ?

(1) "Vladimir Poutine s'est trompé sur toute la ligne", propos recueillis par Pascal Landré, La Nouvelle République, 25.8.2022.
(2) "Russie. L'heure des purges ?", The Times, 22.8.2022, in Le Courrier international, 25.8.2022.
(3) Jean-Yves Camus, "Voiture piégée et théories fumeuses", Charlie Hebdo, 31.8.2022.