mardi 26 mai 2020

Intrigue

Voilà plus de deux mois qu'on ne voyait ni n'entendait d'avions. On ne s'en plaignait pas, loin s'en faut. On peut même dire qu'on s'en réjouissait.
Et puis, ce soir, un étrange ballet, intrigant, inédit. Quatre avions au coude-à-coude, à très haute altitude, volant en parallèle, venus du sud-est et se dirigeant vers le nord-ouest, avant de virer de conserve.


lundi 25 mai 2020

L'heure du vélo

La voiture arrive à très grande vitesse sur cette petite route de campagne, entre Haute-Vienne et Creuse. Elle dépasse celle qui est derrière nous, mais reste collée à notre pare-chocs, à cause de véhicules qui arrivent en face, à cause d'une ligne blanche, d'un stop. Son conducteur porte un grand chapeau de chasseur, son gilet jaune fièrement posé sur le tableau de bord. Enfin, il peut nous dépasser. Il tapote ostensiblement son index sur sa tempe. Pour nous indiquer que nous sommes fous de ne rouler qu'à 80 km/h, suppose-on. Il disparaît très vite au loin. On est toujours le fou d'un autre. Ce type de conduite automobile nous apparaît comme une pratique d'un autre âge. Du temps d'avant.

Avant la pandémie qui a fait chuter drastiquement le trafic automobile, l'utilisation de la voiture était déjà en baisse en Belgique (1), au contraire de celle de la bicyclette et des transports en commun et de la pratique de la marche à pied. Même si la voiture reste le moyen de transport principal. Mais les tendances étaient encourageantes et le sont plus que jamais.

En France, l'usage du vélo a augmenté de 44% la première semaine du déconfinement.
En Colombie (2), la bicyclette est plus utilisée que jamais. Un médecin de Medellin, ville habituée aux pics de pollution, circule à vélo trouvant la qualité de l'air différente grâce à la forte diminution du trafic causée par le coronavirus. Une piste cyclable temporaire a été aménagée par la ville, d'une longueur d'une vingtaine de kilomètres qui s'ajoutent aux 120 déjà existants. Dans l'est de la ville, une rue a été réduite de moitié pour donner de la place aux vélos tout autant qu'aux voitures. Un cuisinier s'en réjouit: à vélo, grâce à ces pistes, il met maintenant deux fois moins de temps qu'avant pour parcourir les 15 km qui sépare sa maison de son lieu de travail
Madrid a interdit le week-end le trafic de voitures sur ses principaux axes de circulation.
A Barcelone (3), les rues ont été réorganisées pour faire la part belle aux piétons et aux cyclistes. Dans l'urgence, mais avec des perspectives de pérennité et même d'améliorations.
Quarante-quatre rues sont devenues provisoirement piétonnes, des trottoirs ont été élargis pour que les piétons puissent se croiser sans se toucher et 21 km de pistes cyclables supplémentaires ont été créés.
"Cela fait plusieurs années que nous avons un plan de transformation de l'espace public pour que les citoyens puissent se le réapproprier, c'est leur droit", explique l'architecte de la mairie. "C'est un bon moment pour accélérer la transformation de l'espace public vers cette nouvelle mobilité. Cela nous pousse aussi à repenser l'espace public, à prendre des mesures pour que la voiture individuelle ne soit pas la première option pour se déplacer. C'est pour cela qu'on donne plus d'espace aux piétons et aux cyclistes et qu'on va moderniser les transports en commun" Avec une circulation automobile quasi nulle pendant les deux mois de confinement, la pollution a chuté de 60% à Barcelone.
"Barcelone est une ville qui a été conçue pour la voiture, déplore un responsable de Greenpeace, et la répartition de l'espace est injuste: 40% des déplacements se font à pied ou à vélo, 40% en transports en commun et seulement 20% ou moins en voiture ou à moto. Ce qui signifie qu'on offre tout l'espace public au mode de mobilité le moins utilisé par les habitants, alors que la voiture reste la première source de gaz à effet de serre et qu'on est en pleine urgence climatique."
Le patronat catalan, lui, a demandé à la mairie de faciliter l'accès des voitures individuelles au centre-ville. "C'est absurde d'exclure les voitures pour des raisons purement idéologiques", affirme un responsable de l'association Foment del Trebal qui estime que la population âgée a besoin de sa voiture. Le climat fait-il de l'idéologie?

Il faudra bien qu'un jour prochain on change nos critères d'évaluation, qu'on mesure la bonne santé d'une société au nombre de ses cyclistes, de ses trotinetteurs et ses marcheurs et non aux ventes de voitures neuves. Ce jour-là, on aura avancé...

Post-scriptum du 27 mai.
Ne crions pas victoire trop vite. La Ville de Marseille vient de fermer une piste cyclable qu'elle venait d'ouvrir il y a cinq jours. Oui, 5 jours. Motif : pas assez de fréquentation. Les cyclistes pointent du doigt le lobby automobile qui ne supporte pas de devoir faire de la place à d'autres moyens de mobilité. (France Inter, Journal de 13h, ce jour)

lundi 18 mai 2020

Je balance

Je l'ai connue autrefois, fréquentée dans des débats politiques. C'était il y a plus de quinze ans. Nous n'étions pas du même bord, loin s'en faut. Juste de la même ville.
Elle avait le chic d'arriver la dernière, histoire d'être vue et de montrer qu'elle était très occupée.
Un jour, elle arrive, s'assied à mes côtés, me demande un bic, une feuille de papier. Elle n'avait jamais aucun document avec elle. Les artisans de la politique ont leurs outils. Les professionnels n'en ont pas besoin. Elle parle, elle pérore, elle dit ce qui lui passe par la tête à ce moment-là.
Une autre fois, elle arrive, la dernière évidemment, s'assied à mes côtés, me demande sur quoi porte le débat. Sur la coopération au développement, lui dis-je. Elle s'esclaffe: "coopération au développement!?, je n'y connais rien!". Ce qui ne l'a pas empêchée de parler. A tort et à travers comme toujours.
Un jour, interrogée par un journaliste sur sa capacité à assurer à la fois son mandat de parlementaire, celui d'échevine et son travail d'avocate, elle avait feint de s'étonner. Elle avait, disait-elle, une énorme capacité de travail. (1)
Lors des élections communales de 2018, elle avait choisi pour slogan "Tournai, rien d'autre".  Ce qui en disait long sur l'intérêt qu'elle portait à son portefeuille ministériel de l'énergie (2).
Ministre au mandat interminable et au bilan lamentable (connue pour ne pas connaître ses dossiers), elle vient de traiter les soignants de l'hôpital St-Pierre, qui ont tourné le dos à la Première ministre, d' "enfants qui n'ont pas eu ce qu'ils voulaient" et qualifié leur protestation de "ridicule et politisée" (3).
Sait-elle, cette femme dont j'ai oublié le nom, que les gens méprisants sont méprisables?
Le MCC (4) vient de se la choisir comme présidente. On n'a que le mal qu'on se donne.

(1) (Re)lire sur ce blog "De la difficulté d'être à la fois au four et au moulin", 30.9.2016.
(2) (Re)lire sur ce blog "La chute des papillons", 17.10.2018.
(3) https://www.lalibre.be/belgique/politique-belge/haie-de-deshonneur-au-chu-saint-pierre-georges-louis-bouchez-recadre-marie-christine-marghem-5ec19cfdd8ad581c54f053af
(4) Mouvement des Citoyens pour le Changement, parti des chrétiens de droite associé au MR, Mouvement réformateur.


dimanche 17 mai 2020

Ce fléau qui nous éloigne

On le sent bien, on le redoute, on le sait, on va devoir s'habituer à vivre, pendant longtemps, éloignés les uns des autres, à voir sa famille, ses amis à distance respectable. Par respect pour eux comme pour soi-même. Pour les protéger, pour se protéger. La peste, c'est les autres. Et nous sommes tous, les autres.
Mais est-ce cela la vie? Ne pas pouvoir se toucher, s'embrasser, se prendre dans les bras? Une telle perspective est déprimante, voire désespérante.
Allons-nous devoir vivre longtemps masqués comme si on portait une burqa? Ne pas voir que l'autre sourit? Ne pas être sûr de reconnaître telle ou telle personne qu'on aurait tant de plaisir à voir? Nous dirigeons-nous vers une société d'anonymes qui s'évitent?
Et tous ces moments si forts en émotions collectives générées par des spectacles, des concerts, des films, des représentations qui nous font vibrer en commun, rire, frissonner, pleurer, devons-nous en faire le deuil?
Dans son dernier film Last Words sur lequel il a travaillé ces six dernières années, le cinéaste américain Jonathan Nossiter évoque l'humanité mourante de 2086 qui redécouvre la joie d'être ensemble dans une séance de cinéma improvisée. "Je montre un futur où tout contact physique  et toute tendresse sont oubliés, et subitement redécouverts grâce au cinéma. J'imaginais 2086, pas 2020! Je suis sûr que, en ce moment, chacun sur Terre pense à ce manque de contact, aux regards fuyants et méfiants qu'engendre l'épidémie. On verra si ce désir de tendresse est perdu ou si, au contraire, il revient avec une force énorme." (1)

La chaîne Mezzo Live ce samedi soir diffusait un concert enregistré le 1er mai dernier et interprété par l'Orchestre philarmonique de Berlin dans ses locaux. Au programme, des œuvres de Lygeti, Part, Mahler et Barber, adaptées à un ensemble de musique de chambre. Les 1180 places de la salle de musique de chambre étaient vides. Pas de public pour cause de coronavirus. Le chef, Kirill Petrenko, salue face caméra. Sur scène, une douzaine de musiciens à un mètre les uns des autres. Pas de public, donc pas d'applaudissements. Très beau, mais si triste.

Comment la culture vivante va-t-elle survivre à ce fléau? "Je crains que la situation ne se prolonge, affirme le comédien et réalisateur Gustave Kervern. Parce que, franchement, aller dans une salle de spectacle en étant espacé, un masque sur le visage, en guettant le moindre mec qui tousse, est voué à l'échec." (2)
La metteuse en scène Ariane Mnouchkine est du même avis: "la distance physique ne sera pas tenable au théâtre. Ni sur la scène, ni même dans la salle. C'est impossible. Pas seulement pour des raisons financières, mais parce que c'est le contraire de la joie" (3).
L'Etat français s'est heureusement engagé à ce que les droits des intermittents du spectacle soient prolongés jusque fin août 2021. Il aimerait en profiter pour renforcer les dispositifs d'accès de l'art et de la culture à l'école. Au moins, pourrait-on en profiter pour avancer dans ce secteur.
"Je n'attendais pas de l'Etat qu'il me sauve, affirme le metteur en scène Thomas Jolly. Ce n'est pas son rôle. En revanche, j'ai besoin qu'il m'accompagne dans mes idées nouvelles. Le président de la République nous a donné ce feu vert: inventer malgré tout. Fin mai, je saurai comment me mettre au travail, et plonger dans cet inconnu. La protection des intermittents qui vont bénéficier d'une année blanche ajoutée à la piste de création qui s'ouvre me rassure et me stimule. Ces expériences vont servir à renouveler le monde d'après, j'en suis convaincu." (2)

Le monde d'après, on aimerait déjà y être, pouvoir nous retrouver au coude-à-coude dans des salles de concert, dans les rues, à table, partageant ce sentiment de fraternité qu'apporte la culture.

(1) "J'ai fait un film apocalyptique plein de tendresse", Télérama, 29.4.2020.
(2) "Les artistes regardent déjà vers demain", Télérama, 13.5.2020.
(3) Télérama, 13.5.2020.

mardi 12 mai 2020

Surtout pas de relance

Le MEDEF n'a pas pour fonction de réfléchir, ni de comprendre. Il veut juste que l'économie tourne comme avant. Et même plus et mieux. Il faut que l'argent rentre dans les poches des patrons. Le MEDEF réclame au gouvernement "une relance".
Or, une relance, c'est précisément ce qu'il faut éviter.
Avant cette crise du coronavirus, écrit Muhammad Yunus, économiste, prix Nobel de la Paix (1), "l'humanité se préparait à une avalanche de tragédies. La catastrophe climatique allait rendre la planète impropre à la vie humaine, le compte à rebours avait commencé; l'intelligence artificielle nous conduisait tout droit vers le chômage de masse; la concentration des richesses atteignait des niveaux explosifs". 
Et voilà que des autruches nous disent qu'il faut relancer cette économie assassine sans se poser de questions. "Avant de la relancer, nous devons d'abord nous mettre d'accord sur l'économie à laquelle nous aspirons. Nous devons avant tout convenir que l'économie n'est qu'un moyen, celui d'atteindre des objectifs que nous nous fixons."
A nous donc, à la société toute entière de définir ses objectifs, et, en fonction, d'organiser son économie. Elle n'est qu'un outil de notre propre création, rappelle l'économiste bangladais. "Un outil que nous devons penser et repenser sans cesse jusqu'à ce qu'il nous conduise au plus grand bien-être commun possible."
Le moment est inattendu et  idéal. "C'est la grande nouvelle de cette période: la crise due au coronavirus nous ouvre des horizons pour ainsi dire illimités pour tout reprendre de zéro. La possibilité de faire table rase pour concevoir matériel et logiciel, à neuf".
Muhammad Yunus appelle non pas à relancer mais à reconstruire l'économie autour d'un pilier central: la conscience sociale et environnementale. "Que pas un seul dollar n'aille à des entités ou projets qui n'œuvrent pas, avant toute chose, à l'intérêt social et écologique de la société."
Il propose de donner un rôle central au social business, à des entreprises dont le seul objet est de résoudre les problèmes des individus, sans but lucratif pour les investisseurs autre que celui de récupérer leur mise.
C'est l'économie sociale et solidaire qui sauvera le monde, pas l'économie capitaliste. "Tant que l'économie restera une science vouée à la maximisation des profits, nous ne pourrons nous appuyer sur elle pour une reconstruction sociale et écologique." Aux Etats d'assurer l'offre de santé, de remettre en marche les services essentiels, mais aussi de favoriser l'émergence d'initiatives d'entrepreunariat social. Qui sont l'affaire de tous les citoyens.
"Du désespoir et de l'urgence de l'après-coronavirus, un Etat adoptant la bonne attitude pourra faire émerger un foisonnement d'activités comme on n'en a jamais vu. C'est à cette aune qu'on mesurera la qualité des dirigeants: montrer la voie d'une renaissance radicale du monde, par des moyens inédits, en fédérant tous les citoyens."
C'est maintenant que nous devons passer d'une économie insensée à une économie qui a et qui donne du sens. 

(1) "La crise due au coronavirus nous offre la possibilité de tout reprendre de zéro", Le Monde, 6.5.2020.
  

samedi 9 mai 2020

Et après?

Voici le temps de sortir de chez nous. Pour aller où? Nous précipiter, comme d'autres, dans les supermarchés, les magasins Ikea et de piscines et les files menant au drive des Mc Do? Ou nous organiser pour bâtir une autre société, de la sobriété, de la solidarité, de la justice sociale?
A nous tous de transformer en chance cette crise du coronavirus, de faire de cette crise sanitaire une crise salutaire, comme le suggère Nicolas Hulot. Aux responsables politiques de l'être plus que jamais, responsables, de prendre les mesures indispensables à la survie de l'humanité et de la biodiversité. C'est maintenant, plus que jamais, qu'on appréciera l'intelligence et le courage des uns et des autres.
Des actes pour engager un vrai changement de société, c'est ce que réclament dans un appel (1) quelque deux cents personnalités des milieux culturels et scientifique. "Le consumérisme nous a conduits à nier la vie en elle-même: celle des végétaux, celle des animaux et celle d'un grand nombre d'humains. La pollution, le réchauffement et la destruction des espaces naturels mènent le monde à un point de rupture. Pour ces raisons, jointes aux inégalités sociales toujours croissantes, il nous semble inenvisageable de revenir à la normale. La transformation radicale qui s'impose - à tous les niveaux - exige audace et courage. Elle n'aura pas lieu sans un engagement massif et déterminé. A quand les actes? C'est une question de survie, autant que de dignité et de cohérence."
Pas question de revenir à la normale. D'autant qu'on pourrait plutôt qualifier la situation d'avant d'anormale. Tellement contraire à nos propres intérêts, à ce qu'il serait normal de faire pour nous sauver, nous et la planète.

Des aides publiques pour éviter la catastrophe pour tant de secteurs d'activités sont évidemment indispensables. Mais ni pour tous, ni à n'importe quelles conditions.
Il serait inacceptable d'aider les entreprises qui ont versé, en cette période difficile, des dividendes à leurs actionnaires, qui fraudent le fisc, qui placent leurs bénéfices dans des paradis fiscaux, qui polluent sans vergogne (oui, c'est plus compliqué). Voici le temps de cesser de soutenir les secteurs de l'automobile, du trafic aérien, de la chimie et tant d'autres qui nous mènent dans le mur à grande vitesse. Au contraire, il y a urgence à accélérer le projet de sortie d'une production carbonée, notamment en taxant les produits aux kilomètres parcourus. C'est le moment de mettre fin aux accords de libre échange, pour les remplacer comme le suggère Nicolas Hulot, par des accords de juste échange (2).
Le bien-être de nos sociétés ne doit plus se mesurer à l'aune du PIB. Notre mode de vie nécessite trois planètes. Cessons de nous réjouir de voir augmenter les ventes de voitures, de viande,  d'appareils électro-ménagers, d'objets connectés. "La croissance n'est pas la solution, mais LE problème", rappelle Jacques Littauer (3) Les prix des produits doivent intégrer leur coût environnemental. Un véhicule, même électrique, coûte infiniment plus cher à la planète, et donc à l'humanité, que son prix au consommateur, en termes de sécurité routière, de dégâts environnementaux, de création et de maintien d'infrastructures, etc. Idem pour les voyages en avion, en paquebots, pour les téléphones mobiles et les ordinateurs, pour les légumes produits avec des pesticides.
Ce sont les productions locales et respectueuses de l'environnement qu'il faut soutenir, les commerces de proximité, les achats groupés, la mobilité et le tourisme doux, les produits et les processus économes en eau, en espace et en énergie.
La crise actuelle a fait redécouvrir à quantité d'urbains les avantages de la campagne. Allez, hop, retour à la campagne, surtout dans ces régions oubliées où les maisons coûtent deux sous et ne demandent qu'à revivre. L'impact sera important sur les commerces locaux, les producteurs locaux, les structures hospitalières, les écoles, les activités socioculturelles. Relocalisons les services publics, soutenons les initiatives de solidarité, de covoiturage, d'achats groupés, les artistes et la culture.

Nicolas Hulot appelle aussi les esprits procureurs à céder la place aux esprits éclaireurs (4). Il en appelle à la radicalité et à l'investissement de chacun. Partout en Europe. Et bien au-delà.
Y a du travail, mais aussi beaucoup de gens prêts à se retrousser les manches. Oui, le temps est venu.

Un appel à l'Union européenne, une pétition à signer:
https://secure.avaaz.org/campaign/fr/green_recovery_loc/?aaluBfb&post_action=1&cid=42046&lang=fr&_checksum=af526b0c773011b0c32e7c22d7caaed8b997546b17ad6690dfe0ee9b6398a1b7&fbogname=Michel&fbogname=Michel

(1) https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/06/non-a-un-retour-a-la-normale-de-robert-de-niro-a-juliette-binoche-de-joaquin-phoenix-a-angele-l-appel-de-200-artistes-et-scientifiques_6038775_3232.html
(2) https://www.franceinter.fr/societe/le-temps-est-venu-decouvrez-la-tribune-de-nicolas-hulot
(3) "Le PIB nous rend aveugles", Charlie Hebdo, 15.4.2020.
(4) https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-06-mai-2020

mardi 5 mai 2020

Le sauveur

Le temps du coronavirus est aussi celui d'une logorrhée insupportable. L'armée des gloseurs est partout, lançant des imprécations, jugeant les politiques menées, délivrant leurs sentences, envoyant aux enfers les imprévoyants.
Ils savaient ce qu'il arriverait, ils ont compris dès le début ce qu'il aurait fallu faire, ils semoncent les ministres qui n'ont rien vu venir.
En ces temps de coronavirus, la parole est rarement d'argent, plus souvent du métal le plus grossier qui soit. Le silence, lui, est bien d'or.
Il n'est pas dans les habitudes de ce blog de publier les textes d'autrui. Mais celui-ci a autant de pertinence que d'humour. Autant le partager.

Il a été publié dans l'Obs le 31 mars dernier et est signé d'un de ses journalistes, David Caviglioli (lauréat du Prix Hennessy du Journalisme littéraire 2017).

SCÈNES DE LA VIE CONFINÉE : CE QU’IL AURAIT FALLU FAIRE
Chaque jour mes amis Facebook découvrent une nouvelle impéritie gouvernementale. Impréparation, hésitation, communication confuse, dissimulation. « Bande d’amateurs », dit l’une qui travaille dans l’événementiel musical. « À ce niveau, ce n’est plus de la stupidité, c’est de la trahison », confirme l’autre, journaliste pour un site de paris hippiques, qui songe à porter plainte contre le gouvernement pour homicide.
Comme eux j’ai la certitude que j’aurais bien mieux anticipé l’épidémie que les autorités. Voici le plan d’action que j’aurais mis en place contre le Covid-19.
• 2009 : j’aurais résolu beaucoup plus vite la crise budgétaire et l’effondrement monétaire européen, puis j’aurais quintuplé le budget de l’hôpital public.
• 2010 : j’aurais immédiatement compris qu’il n’y avait rien à craindre du virus H1N1 ; grâce à quelques lectures bien sélectionnées, j’aurais acquis la certitude que la vraie menace viendrait d’un coronavirus qui causerait chez ses victimes des troubles respiratoires. J’en aurais tiré deux conclusions :
1) la France doit se doter d’un stock colossal de masques et de respirateurs ;
2) la France doit mettre le paquet sur la recherche contre les coronavirus.
• 2012 : j’aurais graduellement augmenté le nombre de lits de réanimation, pour atteindre le nombre de 180.000 lits disponibles à l’horizon 2020.
• 2013-2014 : anticipant une pénurie de masques, et plutôt que de me contenter de simples masques FFP2, j’aurais lancé la fabrication de 700 millions de masques FFP3 ; j’aurais en outre créé RespiFrance, une agence publique aux fonds illimités dont la fonction aurait été de produire des respirateurs.
• 2016 : RespiFrance aurait doté le pays de 600.000 respirateurs. Satisfait, je les aurais stockés dans le Doubs.
• 2016-2017 : j’aurais mobilisé nos meilleurs savants pour étudier la transmissibilité des virus entre l’homme et divers animaux, dont bien évidemment le pangolin ; je les aurais envoyés pour la plupart en Asie et leur aurais demandé des rapports hebdomadaires sur l’évolution de la situation. J’aurais engagé des savants de seconde zone, mais tout de même doués, pour lire ces rapports et me les synthétiser à l’oral.
• 2018 : synthèse après synthèse, mon soupçon se serait porté sur le pangolin, animal qui a toujours suscité chez moi une perplexité teintée de méfiance. J’aurais demandé aux meilleurs spécialistes mondiaux de « réfléchir à ce que pourrait être un syndrome respiratoire transmis par le pangolin » et de « commencer dès maintenant à travailler sur un vaccin ».
• début décembre 2019 : grâce à cette veille sanitaire anticipatrice, j’aurais été alerté des premiers cas à Wuhan. Je me serais tourné vers mon Premier ministre, Michel Cymes, et lui aurais dit : « Michel, c’est parti. » À partir de là, tout serait allé très vite.
• fin décembre 2019 : l’élite de la science française est envoyée en Chine ; grâce au travail préparatoire remarquable de mon équipe de spécialistes mondiaux, un vaccin est prêt en quelques jours.
• 2 janvier 2020 : test du vaccin sur des souris : il est redoutablement efficace ; test sur des humains : il l’est encore plus. « T’as eu du flair, sur le pangolin », me dit Michel Cymes. On se tape dans les mains.
• 3 janvier 2020 : appel téléphonique à Xi Jinping : « Cher Xi, écoutez-moi, vous ne vous rendez pas compte de ce qui est en train de se passer. » Xi Jinping aurait d’abord réagi froidement. « Pour qui vous prenez-vous ? », m’aurait-il dit. « Pour quelqu’un qui va sauver votre cul, Jinping », aurais-je répondu du tac au tac. Après un silence, il m’aurait dit : « OK. Que dois-je faire ? »
• 5 janvier 2020 : les militaires français envahissent le Hubei, accueillis en héros ; les Chinois prennent goût à la démocratie.
• 16 janvier 2020 : la population chinoise est entièrement vaccinée. « Nous l’avons échappé belle », dis-je à Michel Cymes. Ce que nous ignorons, c’est que des premiers cas de Covid-19 ont été enregistrés en Thaïlande et au Japon.
• 23 janvier 2020 : des cas ont été déclarés en Corée du Sud, aux Etats-Unis, à Taïwan et Singapour. « Nous avons péché par excès d’optimisme », me dit Michel Cymes. Je lui dis de ne pas s’inquiéter. Nous allons faire face, lui et moi. Michel Cymes plonge ses yeux dans les miens. Nous nous regardons longuement, troublés.
• 24 janvier 2020 : premiers cas en France ; sans attendre, réunion des meilleurs experts français ; beaucoup de points de vue s’affrontent, la controverse entre scientifiques est féroce, mais j’identifie sans difficulté la bonne marche à suivre : fermeture des frontières, suspension des lignes aériennes, confinement de la population, vaccination de l’intégralité de la population, annulation de toutes les élections à venir, suspension du parlement.
• 25 janvier 2020 : la population acclame les mesures que j’ai mises en place et les respecte scrupuleusement ; personne ne les trouve excessives, bien qu’il y ait eu très peu de cas ; l’ensemble des partis politiques accepte l’annulation des élections et salue mon sens de l’anticipation ; ma communication est unanimement louée pour sa clarté ; tous les soirs, à 20h, les soignants sortent sur leur balcon pour m’applaudir.
• 26 janvier 2020 : le virus est vaincu ; partout dans le monde, les commerces rouvrent, les villes se repeuplent, les familles séparées se réunissent en pleurant, les femmes et les hommes s’embrassent ; au milieu de la foule en liesse, j’échange avec Michel Cymes une poignée de main lourde de non-dit ; considérant que ma tâche est accomplie, je retourne à l’anonymat.

David Caviglioli
Publié le 31 mars 2020 dans l’Obs


Post-scriptum; un dessin de Xavier Gorce, publié dans Le Monde:
https://www.lemonde.fr/blog/xaviergorce/2020/05/08/bla-bla-deconfines/

vendredi 1 mai 2020

La crise? Quelle crise?

Leur activité à l'arrêt depuis des semaines, nombre de PME ont déjà été forcées de mettre la clé sous la porte. Mais d'autres entreprises ne connaissent pas la crise. Au contraire, elles en profitent largement. Les librairies sont fermées, certaines craignent que ce soit définitivement. Mais Amazon continue à distribuer, contre toute logique, des livres. Amazon va bien. Très bien.
"En France, Amazon a pu continuer longtemps à expédier des marchandises non essentielles et continue à le faire dans la plupart de ses entrepôts européens", affirme le journaliste Jean-Baptiste Malet (1). Il s'était fait engager dans la firme il y a plusieurs années pour en vivre le fonctionnement. C'est notamment à partir de cette expérience qu'il a écrit "En Amazonie" (éd. Pluriel).
Difficile, dans ces gigantesques entrepôts, d'appliquer les règles de sécurité et les distances indispensables pour éviter la propagation du Covid-19. Ce qui explique que des travailleurs français ont fait valoir leur droit de retrait. Qu'à cela ne tienne; Amazon les a mis en congé, sans leur payer le moindre salaire. Une plainte a été déposée aux prudhommes; la décision est attendue d'ici peu. La situation est identique partout dans le monde. Un mouvement de grève a démarré dans les entrepôts américains d'Amazon la semaine dernière. Plus de dix salariés de l'entrepôt de Madrid sont malades du coronavirus, mais tout va bien, businness as usual, ou presque.
Pour éviter une concurrence déloyale, le tribunal de Nanterre a ordonné à Amazon de ne plus distribuer que des produits essentiels. L'entreprise n'a plus le droit de distribuer que de l'alimentation, des masques, du gel hydroalcoolique ou des outils qui permettent de travailler à domicile. "Amazon a fait le choix de fermer ses entrepôts français pour permettre à ses autres sièges européens de livrer en France des tondeuses à gazon et autres marchandises non essentielles", constate Jean-Baptiste Malet. Amazon n'est en rien une entreprise de services. Juste une affaire d'argent. Son action a gagné 30% depuis le début de l'année et la fortune de Jeff Bezos, son patron, est passée de 116 à 145 milliards de dollars en un mois.
Commander sur Amazon est, plus que jamais, un acte politique. On ne peut à la fois défendre le commerce de proximité et les droits des travailleurs et acheter sur cette plateforme anthropophage. 

(1) https://www.arte.tv/fr/videos/088472-176-A/28-minutes/