mardi 30 juin 2020

Bêtise artificielle

Au moyen de votre téléphone mobile, vous téléphonez à votre opérateur téléphonique parce que vous êtes victime d'une panne sur votre ligne fixe.
Evidemment, modernité oblige, votre correspondant est un ordinateur avec une voix enregistrée qui vous demande de répondre par oui ou par non aux questions qu'il vous pose.
Il vous demande d'abord si vous téléphonez à propos de tel numéro: "oui ou non?". "Oui", répondez-vous en pensant être clair. "Je n'ai pas compris votre réponse, dit-il. Appelez-vous pour tel numéro? Oui ou non?". "Oui", répondez-vous en faisant attention à votre articulation. "Je n'ai pas compris votre réponse, répète-t-il. Appelez-vous pour tel numéro? Oui ou non?". "Oui", répondez-vous en augmentant le volume de votre voix. Il vous repose encore la même question. "Ja, yes, da, si", lui répondez-vous, excédé.
Cette incapacité de la machine à comprendre nos mots les plus simples inquiète. Il paraît qu'on appelle ce type de technologe l'intelligence artificielle. Le niveau baisse.

dimanche 28 juin 2020

En avant, citoyens!

En France, la Convention citoyenne pour le climat (1), expérience inédite et jugée passionnante par les 150 citoyens, de 16 à 80 ans, tirés au sort qui y ont participé, a remis ses propositions au gouvernement. Sa mission: définir des mesures permettant d'atteindre une baisse d'au moins 40% des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 (par rapport à 1990), et ce dans un esprit de justice sociale.
Ces citoyens ont auditionné quantité d'acteurs et d'experts et débattu pendant huit mois et, partant de constats dans les domaines des déplacements, du logement, de la consommation, de la production, du travail, de l'alimentation, ont défini des objectifs et formulé 150 propositions concrètes pour les atteindre. Toutes semblent marquées du sceau du bon sens et devraient être adoptées si l'humanité veut se sauver de la catastrophe annoncée. "Les citoyens bien informés vont plus loin et plus vite que leurs élus", estime une membre de la Convention.
Tous les regards se tournent à présent vers le président de la République pour connaître ses réactions à ces propositions. Parce qu'en France, on le sait, il n'est de salut en dehors du président. Même si les communes, les communautés de communes, les départements, les régions, les entreprises, les associations et les citoyens pourraient tous et toutes se saisir de ces propositions et les concrétiser, chacune et chacun à son niveau. C'est d'ailleurs ce qu'espèrent "Les 150" (le nom de l'association qu'ils ont formée pour donner des suites à leur travail): "ces propositions ne nous appartiennent plus. Nous vous les remettons à vous, Françaises et Français, et vous invitons tous et toutes, voisins, parents, amis, collègues, à vous en saisir, à les critiquer, à débattre, et à envisager l'avenir avec autant de responsabilité, d'esprit critique, d'investissement et de passion que nous avons eu l'honneur et le plaisir de le faire", disent-ils (2).
Emmanuel Macron recevra ce lundi les participants à la Convention et leur fera part des suites qu'il compte donner à leur conséquent et ambitieux travail. Enverra-t-il ces propositions au parlement? Les soumettra-t-il à référendum? Et si oui, quelles propositions et avec quelle formulation? Le gouvernement adoptera-t-il lui-même les mesures réglementaires qui peuvent l'être?

"Aujourd'hui, on mobilise d'importants moyens financiers pour des plans d'urgence et de relance. Il faut en profiter pour orienter l'économie française dans une autre direction. (...) Nous vivons un moment de bascule. Donc oui, c'est un tournant et il faut le prendre", affirme Laurence Tubiana (3), présidente de la Fondation européenne pour le Climat, qui a coprésidé le Comité de gouvernance de la Convention.
La question de la pédagogie sera centrale, le rôle des médias aussi. D'autres expériences de forums citoyens ont échoué à engendrer, au-delà de leurs intéressantes et parfois ambitieuses propositions, des résultats concrets (comme le montre David Van Reybrouck dans "Contre les élections" (4))  parce que les référendums donnent rarement des résultats progressistes et parce que de nombreux médias, surtout privés, se sont montrés méprisants et caricaturaux vis-à-vis de ces expériences démocratiques. 
Une des propositions de la Convention a été mise en avant par certains médias, "comme si on voulait cristalliser l'opinion", dénonce Cyril Dion (5), un des promoteurs de la Convention. C'est celle de la limitation de vitesse à 110 km/h sur autoroute. Un institut de sondage s'est dépêché de prendre l'avis de la population française et en conclut que les trois quarts des Français sont opposés à cette mesure et que 66% la considèrent comme "une mesure technocrate" déconnectée de leur quotidien. Ces grognons qui pensent que seuls les autres doivent changer sont-ils déconnectés du dérèglement climatique qui perturbe gravement notre quotidien et nous oblige, que nous le voulions ou non, à changer notre mode de vie? 
"Quand on sera face au mur climatique, il faudra prendre ces mesures. Donc, est-ce qu'il vaut mieux les prendre maintenant (...) dans un procesus démocratique (...) ou être obliigé de prendre des mesures radicales, comme ça a été le cas pour le confinement?, demande Cyril Dion.

Post-scriptum: dans la soirée électorale, ce soir, sur France 2, Laurent Delahousse demande aux représentants de partis présents sur le plateau de donner rapidement leur avis sur la limitation à 110 km/h. Pas sur les 149 autres mesures, juste sur celle-là. Cet homme est-il journaliste?

(1) https://www.conventioncitoyennepourleclimat.fr
(2) https://www.huffingtonpost.fr/entry/convention-citoyenne-pour-le-climat-macron-doit-faire-son-job-comme-on-fait-le-notre_fr_5eef6aa9c5b66598b235f760?utm_hp_ref=fr-homepage
(3) https://www.nouvelobs.com/planete/20200628.OBS30583/la-convention-citoyenne-pour-le-climat-doit-recevoir-une-reponse-serieuse-previent-laurence-tubiana.html
(4) Babel essai, 2014.
(5) https://www.huffingtonpost.fr/entry/les-110-kmh-sur-autoroute-rebutent-les-trois-quarts-des-francais_fr_5ef59447c5b612083c4b8056?utm_hp_ref=fr-homepage

EU et Canada: 100

lundi 22 juin 2020

Plus dure sera la chute

Quelques réflexions sur le déboulonnage des statues, en suite du billet précédent publié sur ce blog.

Dans The Spectator (1), Matthew Parris revient sur la statue d'Edward Colston, sir Edward Colston, jetée à l'eau dans le port de Bristol. Eriger en 1890 cette sculpture dans l'espace public "ne relevait pas d'une volonté historique ou biographique: il s'agissait ni plus ni moins d'une célébration". Celle, rappelle-t-il, d'un négrier connu pour avoir jeté à la mer les esclaves malades qui n'avaient plus de valeur marchande".
Et il pose cette question: "s'il y a du sens à ériger des monuments aux hommes et aux femmes que nous admirons, pourquoi n'y en aurait-il pas à abattre les monuments à ceux que nous n'admirons pas?". "Cette statue, ajoute-t-il, ne relevait pas de l'histoire, mais de l'opinion. Notre époque a le droit d'exprimer la sienne. Loin d'une volonté d'effacer l'histoire, le déboulonnage est une inscription dans l'histoire. L'histoire, c'est ce qui arrive."
Il rappelle que c'est ainsi qu'ont fini en Espagne les monuments à Franco ou à Bagdad les statues de Saddam Hussein. "Sans susciter de regrets". On pense aussi à ces magnifiques images de cette statue déboulonnée de Lénine descendant le Danube sur une barge, dans le film d'Angelopoulos Le Regard d'Ulysse.

Dans De Morgen (2), Jonathan Holslag, professeur de droit international à la VUB, estime "important d'étudier l'histoire de la décolonisation et de l'esclavage, mais dans ce cas il faut l'étudier dans sa totalité, sans limitation géographique, et en remontant le plus loin possible dans le temps". Et il fait remarquer que si le recours à l'esclavage dans la construction de monuments devient le critère pour décider ce qu'on en fait, il risque de ne plus rester grand-chose du patrimoine mondial, du Taj Mahal aux pyramides de Gizeh.

Media Congo (3) rapporte l'avis d'un habitant de Kinshasa qui estime que la statue de Léopold II qui trône dans la capitale aurait dû être déboulonnée depuis longtemps, "car c'est un homme qui a fait souffrir les Congolais pendant l'esclavage". Un directeur du Musée national du Mont Ngaliema, José Bateke, pense au contraire que cette statue doit garder sa place: "ça reflète une histoire, ça devient une mémoire, une référence à nos enfants. Donc, l'histoire, qu'elle soit mauvaise ou bonne, reste une histoire".

Au Sénégal, de nombreuses personnes exigent le déboulonnage de la statue du général Faidherbe à Saint-Louis. "On n'efface pas l'histoire en déboulonnant une statue héritée de la colonisation et qui représente une figure coloniale symbole de l'assimilation aliénante et de méthodes sanguinaires, écrit Sénéplus (3).  Mais ajoute que "cette statue signifie (...) le bourreau honoré et glorifié. Elle consacre, aux yeux des enfants qui la voient tous les jours, l'humiliation et l'asservissement subis par leurs ancêtres".

Dans The Guardian (3), le politologue sud-africain Eusebius McKaiser trouve que "la vérité est aussi simple que difficile à admettre: il est nécessaire d'abattre les statues des racistes, mais ce n'est pas cela qui donnera naissance à une société antiraciste".

(1) "Tant mieux si les statues tombent", The Spectator (Londres), 13.6.2020, in Le Courrier international, 18.6.2020.
(2) "Il faut s'emparer de l'histoire", Le Courrier international, 18.6.2020.
(3) "Cela ne donnera naissance pas à une société antiraciste",  Le Courrier international, 18.6.2020.

vendredi 19 juin 2020

Iconoclaste

On en parle et il faut en parler. Les Noirs américains restent victimes de discrimination et de racisme. Il reste du chemin à faire, un long chemin, pour arriver à l'égalité.
"Quatre cents ans après le début de l'esclavage, plus de cinquante ans après l'adoption de la loi sur les droits civiques, les Noirs américains ont toujours deux fois et demie plus de risques d'être tués par la police que les Blancs, rappelle Elaine Godfrey dans The Atlantic (1). Ils sont trois fois plus nombreux à mourir du Covid-19. Et ils sont plus nombreux que les Blancs à avoir perdu leur emploi pendant la pandémie." Et le fossé économique entre Noirs et Blancs est toujours aussi important aujourd'hui qu'il y a cinquante ans. 74% des Blancs sont propriétaires de leur logement, 44% des Noirs seulement. Le patrimoine d'un ménage noir de la classe moyenne est de 13.000 dollars, celui d'un ménage blanc de 150.000. Tous les indicateurs socio-économiques montrent un fossé de cet ordre.
Comment ne pas comprendre la colère qui s'exprime aujourd'hui aux Etats-Unis? Elle fait des vagues en France et en Belgique.

On peut ainsi comprendre le déboulonnage de statues de personnalités qui ont concouru au colonialisme. Mais on a du mal à suivre certaines actions et déclarations qui font une soupe peu ragoutante, mélangeant allègrement passé et présent, confondant racisme, esclavagisme, colonialisme et violence policière, faisant un amalgame entre les colons et ceux qui ont accepté l'indépendance des colonies, voire qui l'ont favorisée. Certains antiracistes mettent dans le même sac Léopold II et Baudouin, Colbert et de Gaulle, Churchill et Botha. Et veulent croire qu'il y a en Europe une ségrégation comme elle existe encore aux Etats-Unis.  L'attitude violente et inacceptable de certains membres de la police serait liée à la qualité intrinsèquement raciste de nos Etats. Oubliée, une fois encore, tout sens de la mesure et de la nuance, toute analyse rationnelle. Oubliée, l'Histoire au profit du ressenti et de la colère de chacun. "J'ai l'impression que beaucoup de nos contemporains oublient que l'Histoire n'a pas commencé avec eux!", écrit Etienne Hubin, prof d'histoire à Bruxelles, qui invite à regarder l'Histoire en face (2).

S'attaquer aux statues?  D'accord pour le symbole, mais lesquelles? S'attaque-t-on à tous les symboles? En ce cas, détruisons les châteaux des seigneurs qui ont asservi leurs populations, qui ont participé aux croisades, qui ont soutenu l'Inquisition. Saccageons les églises qui ont participé activement à la colonisation. Et les mosquées aussi pour le rôle qu'ont joué tant de musulmans dans la politique esclavagiste en capturant des Noirs qu'ils ont vendus aux colons blancs.
Et, tant qu'à faire, attaquons-nous aux religions, outils de soumission, qui pratiquent aujourd'hui le pire colonialisme qui soit: celui des esprits. Et faisons tomber de leur piédestal tous ces héros de la décolonisation et de l'indépendance de leur pays qui se sont ensuite transformés en dictateurs. Et faisons tomber de son socle Che Guevara, statufié par l'extrême-gauche, même s'il fut extrêmement violent.
Et une fois qu'on aura fait tomber tous les symboles, quand on aura gommé une partie de l'Histoire,  quand on aura bien battu notre coulpe, que fera-t-on? On se fera fait plaisir, mais n'y aura-t-il plus de racisme pour autant? Plus de violence? Plus d'esclavagisme ? Plus d'enfants qui travaillent? De domestiques non payés, prisonniers de leurs patrons (notamment dans les pays du Golfe, qui étrangement échappent toujours à toute critique malgré leurs pratiques esclavagistes actuelles)?

"Il faut se méfier des symboles, écrit Gérard Biard, Ils sont toujours à manier avec prudence, car ils peuvent se retourner comme une chaussette. (...) Mettre un genou à terre peut signifier beaucoup de choses. C'est reproduire la scène du crime, c'est aussi symboliquement endosser la culpabilité du policier de Minneapolis, mais c'est également adopter la position dans laquelle sont censés se trouver les citoyens victimes de racisme. S'agenouiller à leur côté ou face à eux, ce n'est pas seulement s'associer à leur combat ou leur demander pardon, c'est considérer qu'ils ne vivront jamais autrement. Qu'ils seront toujours une minorité, les victimes éternelles des fléaux de l'esclavage et de la colonisation. Et rien que cela. Soit le contraire de la lutte contre le racisme et pour l'égalité, dont la finalité n'est pas que tout le monde soit à genoux, ni que l'on soit à genou à tour de rôle, mais que tout le monde vive debout."

A écouter: Sophia Aram, "Table rase",
https://www.franceinter.fr/emissions/le-billet-de-sophia-aram/le-billet-de-sophia-aram-15-juin-2020

(1) "Entre Noirs et Blancs, une mobilistion capitale", The Atlantic, 7.6.2020, in Le Courrier international, 11.6.2020.
(2) https://www.lalibre.be/debats/opinions/un-petit-point-bleu-pale-5ee9cf337b50a66a59841530
(3) "Les Blancs ne savent pas mourir", Charlie Hebdo, 17.6.2020.

dimanche 14 juin 2020

Monarchie française

Ce soir, le président français va, une nouvelle fois, s'exprimer. Ce sera sa quatrième allocution depuis le début de la crise du Coronavirus. Emmanuel Macron va apparaître assis à son bureau de l'Elysée, précédé d'un extrait de la Marseillaise. Le moment sera solennel. Des millions de Français vont suivre son allocution. Pour aussitôt l'applaudir ou le conspuer. Les Français ont toujours eu un rapport très particulier à leur président, quel qu'il soit. Ils adorent l'élire et le détester.  
Dans les autres pays européens, c'est le premier ministre qui s'exprime, en général dans une conférence de presse, entouré d'autres ministres, voire d'experts. En France, le président est seul. Au sommet de sa pyramide.
Ci-dessous un extrait, à ce sujet, d'un projet de livre que j'avais écrit sur la démocratie.

« Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement  un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. La Terreur a créé un vide émotionnel. »[1] C’est Emmanuel Macron qui s’exprimait ainsi en 2015. Et, écrivait alors le journaliste espagnol Enric Gonzalez, « le retour du monarque républicain semble plaire aux Français ». François Hollande, en président normal, n’a pas plus convaincu que Nicolas Sarkozy, président énervé. De très nombreux observateurs de la vie politique française le constatent : la France ne s’est jamais remise de sa révolution et cultive une nostalgie de la monarchie. Les Français restent en attente, tous les cinq ans maintenant, de l’homme providentiel. Le président français est un roi élu. « La France, selon le journaliste allemand Thomas Schmid, est « une démocratie particulière : une espèce de monarchie élective républicaine. Cela s’explique en partie par le rôle que Charles de Gaulle, fondateur de la Ve République, a conféré au président, qui doit être le père, à la fois sévère et bienveillant, de la nation.. Il lui a ainsi octroyé une stature surdimensionnée, on pourrait même dire surhumaine. (…) Un président français doit être le plus haut représentant d’une collectivité démocratique et en même temps le roi de la République. C’est trop pour tout titulaire de la fonction. Le lien qui unit la démocratie et l’autocratie ne correspond plus à notre époque. Si la France profonde est aussi réfractaire au changement, c’est notamment à cause de l’illusion soigneusement entretenue qu’un bon président peut protéger ses citoyens des tempêtes du monde. »[2] 
Les Français attendent tout de leur président et d’abord qu’il les protége : qu’il préserve les commerces de proximité en milieu rural, qu’il soutienne les PME, qu’il améliore le taux de réussite à l’université, qu’il empêche les fermetures ou les délocalisations d’entreprises, qu’il redonne sa grandeur internationale à la France, qu’il lutte contre le terrorisme, qu’il soutienne les productions françaises, qu’il change tout en douceur…
Thomas Legrand , dans son ouvrage « Arrêtons d’élire des présidents », estime que « notre mode d’élection présidentielle abaisse le débat et infantilise la scène politique ». Il démontre combien les campagnes électorales présidentielles ne sont que combats de coqs qui ne font que cliver le pays, pousser des candidats à des promesses insensées et maintenir les citoyens dans l’illusion qu’une seule personne a la capacité de changer un pays. « L’élection présidentielle, écrit-il, devenait un mensonge, une supercherie, un déni de la réalité, un moment de fantasme de puissance. »[3]
L’éditorialiste de France Inter propose de continuer à élire le président au suffrage direct, mais en ne lui confiant plus qu’un rôle de représentation et de gestion de la politique étrangère et de la défense. Ce ne serait plus à lui de nommer le gouvernement qui procèderait dès lors du parlement.

Dans de nombreuses républiques, le président n’a qu’un rôle protocolaire, de sage au-dessus de la mêlée, de représentant de l’Etat auprès d’autres instances étrangères, de garant de l’unité nationale.
En Italie, le président a un rôle honorifique. Cette personnalité, au prestige reconnu, est élue par la Chambre des Représentants, le Sénat et des représentants des régions.
En Suisse, le président de la Confédération exerce des fonctions purement représentatives, et ce uniquement pendant une année au terme de laquelle il est remplacé par son vice-président.
En Allemagne, le président fédéral fait figure de pouvoir neutre, de gardien des valeurs morales, exerçant une charge essentiellement honorifique.[4]
En fait, ces présidents exercent quasiment le même rôle que la plupart des souverains des monarchies constitutionnelles d’Europe. A la différence notable que c’est à partir de leurs mérites et de leur expérience et non de leur sang qu’ils se retrouvent à exercer cette fonction et que celle-ci est limitée dans le temps.
(...)
Le système français, majoritaire à deux tours, amène les électeurs à un choix par défaut au second tour. Aujourd’hui, ce système semble avoir atteint ses limites.
« Les gens ne votent plus pour aux élections, ils votent contre, écrivait Paul Jorion un mois avant l’élection présidentielle de 2017. Et si l’on additionne l’extrême droite et l’extrême gauche, cela fait du monde. Je reçois des mails qui me disent :  si Jean-Luc Mélenchon n’est pas au deuxième tour, je vote Marine Le Pen. Ce drainage de la gauche vers l’extrême droite n’est pas terminé, et je ne suis pas sûr que ceux qui hésitent entre Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon se reporteront sur Emmanuel Macron, qui représente l’ultralibéralisme à visage humain. Il faudrait aussi que les politiques arrêtent de manier un langage séditieux, pas si éloigné de celui des années 1930. »[6]
Effectivement, ils furent nombreux, les Français à déclarer refuser de voter contre, mais, étrangement, on n’a entendu personne réclamer un changement du système. Un ancien élu Vert me disait que retirer aux Français  l’élection de leur président serait s’attaquer à la base de leur démocratie

Si les Français décident de conserver le principe de l’élection et de la fonction présidentielle actuelle, ils pourraient néanmoins changer radicalement le système : actuellement, il est arrivé que les électeurs éliminent dès le premier tour un candidat qui, de l’avis général (en tout cas majoritaire), avait des chances de l‘emporter au deuxième. On pense, par exemple, à Lionel Jospin en 2002. Absurde, n’est-il pas ? David Louapre, créateur de la chaîne Youtube « Les statistiques expliquées à mon chat », en fait la brillante démonstration dans une vidéo intitulée « Réformons l’élection présidentielle ! » et propose d’adopter la méthode du « jugement majoritaire » en attribuant à chaque candidat une mention sur une échelle qui en compte sept (de « à rejeter » à « excellent »). Celui qui obtiendrait la meilleure mention majoritaire gagnerait l’élection.[7] On peut penser que le président élu par ce système bénéficierait ainsi d‘un soutien beaucoup plus large des citoyens et que les candidats les plus populistes seraient rejetés.
Mais les Français peuvent-ils envisager d'abandonner le système actuel d'élection de leur roi? Ils adorent l'élire, puis le guillotiner.


[1]  Emmanuel Macron, dans un entretien en 2015, cité par Enric Gonzalez, El Mundo, 30.5.2017, in Le Courrier international, 8.6.2017.
[2]  « Un chantier titanesque attend le futur président », Thomas Schmid, Die Welt, 24.4.2017, in le Courrier international, 27.4.2017.
[3] Thomas Legrand, op. cit., p. 71.
[4]  http://www.arte.tv/guide/fr/072310-006-A/karambolage
[5] France Inter, 2 avril 2016, 7h55.
[6]  Télérama, 22.3.2017.

(Re)lire sur ce blog: "Donnez-nous un sauveur", 22.11.2019.
A voir dans Karambolage sur Arte, une séquence sur la conférence de presse présidentielle, un rite bien français: https://www.arte.tv/fr/videos/091140-015-A/karambolage/

vendredi 5 juin 2020

Ceux qui n'ont rien compris

On la regrette déjà, cette période de confinement. On avait pris plaisir au calme, à la lenteur, à des déplacements mesurés. Le nombre de morts sur les routes a baissé de près de 56% en avril en France. Le nombre d'accidents corporels, des trois quarts.
"Le déconfinement nous l'avait démontré: la vitesse est dépassée, elle appartient au passé, écrit Denis Baumain dans La Nouvelle République (1). Nous reprenions mentalement la maîtrise de nos vies absurdes et précipitées, nous faisions l'éloge de la lenteur apprivoisée, nous étions confiants. Et naïfs."
Oui, naïfs, parce que le peu d'usagers sur les routes avaient la prétention de se croire seuls au monde et les grands excès de vitesse (50 km/h et + au-delà de la limite fixée) ont augmenté de 16%. Toujours en avril.
Et depuis que la voie est redevenue libre avec le déconfinement, certains ont pris l'habitude de se lâcher et les grands excès de vitesse semblent s'installer dans la pratique automobile. 2500 de ces grands excès ont été constatés durant le week-end de l'Ascension. Les déconfinés sont débridés. Le nombre de morts a bondi. Dès lors, écrit Denis Baumain, "l'hypothèse du rétablissement d'un plafond à 90 km/h envisagé dès juin dans de nombreux départements appelle un réexamen sérieux. Et serein."
A la fin de ce mois, le département de l'Indre compte réinstaurer une limitation à 90 km/h plutôt qu'à 80 sur 220 kilomètres de ses routes. Tant pis pour les morts, tant pis pour l'insécurité, tant pis pour les consommations, tant pis pour la pollution. Gardons la tête dans le sable. Vivons comme avant. Mourons comme avant.

(1) "Sécurité routière: le compteur s'affole", NR, 1.6.2020


mercredi 3 juin 2020

Descendant de Néron et d'Attila

Il est pire qu'Ubu. Ubu est prétentieux, bouffi, cupide, pillard, grossier, grotesque. Lui est, en plus, abject.
Il n'a rien dit sur la mort de George Floyd, étranglé par un policier. Il n'a même pas appelé à ce que la justice fasse son travail, pas demandé qu'une enquête rigoureuse soit menée et que les responsables soient condamnés. Il se contente d'appeler à la violence contre ceux qui veulent mettre fin aux violences.
Trump ne sera jamais un homme d'Etat. Il semble qu'il ait décidé de terminer son mandat en une apothéose dans son style. Après avoir démantelé systématiquement tout ce que son prédecesseur avait mis en place, il s'est donné pour rôle de diviser un peu plus encore les Etats-Unis, de soutenir les blancs réactionnaires et de cracher sur tous les autres. De ne laisser derrière lui que des cendres.
C'est Néron et Attila en une seule personne. Attiser le feu, ne rien laisser de digne derrière lui.
Et faire des Etats-Unis, non pas un pays great again, mais un Etat worse than never. Sa lamentable gestion de la crise du coronavirus l'a encore montré. "Les Etats-Unis ont réagi comme le Pakistan ou la Biélorussie - comme un pays aux infrastructures insuffisantes, au gouvernement incompétent et corrompu", écrit le journaliste et romancier George Packer (1). "Le président nous a abreuvés de boucs émissaires, de vantardises, de mensonges, de théories de la conspiration et de traitements miracles." Il a envisagé cette crise "presque entièrement en termes personnels et politiques" et "abandonné son pays à une catastrophe de longue durée".
Dès le début de son mandat, les enjeux étaient clairs, les jeux étaient faits. "La classe politique conservatrice et le nouveau président, écrit encore Packer, sont rapidement parvenus à un accord. Ils partageaient un objectif fondamental: exploiter les ressources publiques au profit d'intérêts privés.  Les élus et donateurs républicains qui voulaient que le gouvernement en fasse le moins possible pour l'intérêt général pouvaient parfaitement s'accomoder d'un régime sachant à peine gouverner. Ils sont devenus les valets de Trump. Celui-ci s'est mis à détruire ce qu'il restait de la vie civique. Il n'a jamais prétendu être le président de tout le pays et nous a dressés les uns contre les autres en fonction de notre race, notre religion, notre sexe, notre éducation. Son principal instrument de gouvernement, c'était le mensonge."
L'essayiste américain fustige le président Trump qui détruit la fonction publique pour servir ses intérêts. "Sa grande loi, l'une des plus grandes réductions d'impôts de l'histoire, a fait gagner des centaines de millions de dollars aux entreprises et aux riches. Ils lui remplissent aujourd'hui les poches pour le faire réélire. Si le mensonge était le moyen de son pouvoir, la corruption en était la fin."
George Packer dénonce "un gouvernement vide dirigé par un escroc" et "une administration qui érige l'amateurisme, le népotisme et la corruption en principes de gouvernement". Ce qui aboutit à faire des Etats-Unis "un pays de second ordre". 

Trump ne craint pas le Covid-19, une invention des Chinois, des Démocrates, des gouverneurs et de tous ceux qu'il hait. Il est plus fort - pire peut-être - que tous les virus.
Attila, après avoir dévasté une partie de la plaine du Pô, a dû faire demi-tour, craignant que ses troupes soient ravagées par une épidémie.
Trump n'a jamais tort, ce sont tous les autres qui se trompent, qui font des erreurs, qui sont dans l'ignorance. Ce sont les autres qui mentent, jamais lui.
En se suicidant, après avoir été démis par le Sénat, Néron a déclaré: "Quel grand artiste périt avec moi!".

Père Ubu. - (...) J'ai changé le gouvernement et j'ai fait mettre dans le journal qu'on paierait deux fois tous les impôts et trois fois ceux qui pourront être désignés ultérieurement. Avec ce système, j'aurai vite fait fortune, alors je tuerai tout le monde et je m'en irai. (...) Payez! ou je vous mets dans ma poche avec supplice ou décollation du cou et de la tête! Cornegidouille, je suis le roi peut-être!
Alfred Jarry, Ubu roi.

(1) George Packer, "L'insoutenable vulnérabilité de l'Amérique de Trump", The Atlantic, juin 2020, in  Le Courrier international, 20.5.2020.
A lire sur le même sujet, un billet de Philippe Dutilleul:
http://blogandcrocs.blogspot.com/2020/06/le-vrai-visage-de-lamerique.html

lundi 1 juin 2020

La prétention en orbite

Comme Elon Musk, je suis submergé par l’émotion. 
Son émotion à lui, c'est le bonheur d'avoir assité à la mise en orbite d'une capsule habitée, créée et lancée par sa société SpaceX vers la Station spatiale internationale (1).
Mon émotion à moi, c'est la colère de voir de tels princes de la prétention poursuivre leurs rêves de grandeur en polluant aussi fièrement qu'allègrement la Terre et l'espace, à une époque où tous les indicateurs sont dans le rouge et où l'étouffement de notre planète ne nous invite qu'à la sobriété.
Ce vol habité est pour Musk la première étape vers la colonisation de Mars et une vie multiplanétaire au départ d'une base sur la Lune.
Comment peut-on être fier de jouer les colons (ou les Colomb), de conquérir l'espace ou quoi que ce soit d'autre? Elon Musk est convaincu d'avoir de l'avance sur son temps. Il a des siècles de retard sur une Histoire qu'il refuse de comprendre.