mercredi 29 janvier 2020

Saint-Peuple

La défaite de la Liga, le parti de Salvini, en Emilie-Romagne dimanche dernier, est réjouissante. Sa victoire aurait été une mauvaise nouvelle pour la démocratie italienne et, au-delà, européenne, et, bien plus, aurait démontré l'impasse de cette dernière. La région Emilie-Romagne est une des plus prospères d'Italie avec un des taux de chômage parmi les plus bas. Les succès populistes se nourrissent de situations - ou de sentiments - d'abandon et de bouleversements subis. La mobilisation des Sardines qui se sont constituées pour faire barrage à l'extrême droite est sans doute pour beaucoup dans la défaite de cette dernière. Une partie du peuple lui a clairement dit non.

Le populisme, comme son nom l'indique, entend incarner le peuple. Mais qui constitue ce peuple présenté comme uniforme et monolithique? Les ouvriers (de moins en moins nombreux)? Les agriculteurs (qui ne représentent plus qu'un faible pourcentage de la population)? Les employés? Les fonctionnaires? Les retraités? Qui peut imaginer que les membres de toutes ces catégories sociales vivraient tous les mêmes problèmes, auraient tous les mêmes attentes, le même projet de société? Et qui peut prétendre que les membres des professions libérales, les entrepreneurs, les artistes, les enseignants, les élus politiques n'appartiendraient pas au peuple?
Les leaders populistes se présentent comme ceux qui ils savent ce qu'est le peuple, ce que veut le peuple, puisqu'ils sont le peuple.
Déjà, Napoléon III l'était. "L'empereur n'est pas un homme, c'est un peuple", écrivait Arthur de la Guéronnière, théoricien du second Empire. (1)

Aujourd'hui, le populisme est une espèce de bric-à-brac qui rassemble, comme l'écrit Marion Rousset  dans Télérama (2), "des nostalgiques du fascisme, des héritiers du marxisme, des descendants des droites nationalistes, des admirateurs des Lumières". Et qui s'incarne dans des personnalités aussi diverses que Salvini, Erdogan, Le Pen, Trump, Mélenchon, Orban, Iglesias, Chavez, Grillo ou Tsipras.

Dans deux jours, la Grande-Bretagne va quitter l'Union européenne, guidée par le gouvernement du peuple qu'a constitué Boris Johnson. En 2017, la fille à papa Le Pen avait mené sa campagne "Au nom du peuple". Avoir été rejetée par 66% du peuple ne l'empêche pas de continuer à affirmer qu'elle en est l'incarnation. "Nous sommes le peuple", affirme le président turc Erdogan. Ce nous, c'est lui.

L'homme ou la femme providentiel-le fusionne avec son peuple, sans avoir besoin de corps intermédiaires. Seules des assemblées constituantes, émanations de son cher peuple, ont le droit d'exister pour tracer les voies qui seront suivies sous la conduite du meneur du peuple. Etrangement (on l'a vu ces derniers temps en Amérique du Sud ou en Afrique), ce dernier est capable de modifier lui-même les règles adoptées par référendum si elles lui interdisent de se succéder à lui-même. C'est que, pour les populistes, il arrive que le peuple se trompe. Surtout quand il n'immortalise pas celui qui l'incarne.

En Grande-Bretagne, certains craignent que les hauts-fonctionnaires soient si pas limogés, du moins ignorés, parce qu'ils empêcheraient les gouvernements de prendre les décisions les plus favorables au bien-être du peuple.
Napoléon III s'était débarrassé des corps intermédiaires, il allait visiter en personne les quartiers pauvres, les fermes, les usines, les hôpitaux; il recevait lui-même des délégations d'ouvriers et de paysans. Dans le même temps, il supprimait les partis politiques et mettait la presse sous tutelle, sous prétexte qu'elle était incapable de témoigner de la volonté du peuple. 
"Le populisme de la France Insoumise est en train de tourner au bonapartisme", affirme Federico Tarragoni (2). Le sociologue (3) estime que quand, Mélenchon, s'opposant à une perquisition de ses locaux par l'Office central de lutte contre la corruption, a présenté sa personne comme sacrée, clamant "la République, c'est moi" et "c'est une attaque contre moi et donc contre la France", a révélé "une forme aiguë de personnalisation du pouvoir. Il a révélé sa propre vision du rôle du leader en politique". Federico Tarragoni constate encore que le parti espagnol Podemos a dérivé lui aussi vers une personnalisation du pouvoir: "sa démocratie interne s'affaiblit de jour en jour". Si son programme a été écrit par des cercles de débat réunissant les militants, le parti fonctionne aujourd'hui de manière centralisée, avec un leader qu'on ne peut contester. "C'est dire que face à l'épreuve du réel, écrit Marion Rousset, le populisme a bien du mal à ne pas perdre son âme émancipatrice. Dès lors que l'idée se cristallise dans un chef, rien ne va plus."

Les populistes aiment les référendums: ils donnent la parole à ce brave peuple qui peut alors témoigner du bon sens qui est le sien en répondant de manière on ne peut plus simpl(ist)e à une question complexe. "En accroissant l'intervention directe des citoyens, l'usage du référendum conduit à réduire et à dévaloriser le pouvoir législatif, estime l'historien Pierre Rosanvallon (4). Il contribue du même coup mécaniquement à renforcer le rôle de l'exécutif et à mettre en place un régime paradoxalement hyperprésidentiel. (...) Les populismes contemporains ont manifesté leur attirance pour cette conception immédiate de la démocratie. On peut à l'inverse estimer  que c'est dans l'extension des pratiques délibératives que doit surtout résider son renouvellement." L'invocation mystique du peuple ne suffit pas, selon lui, à construire une société démocratique. Pis, conclut Marion Rousset, "se draper dans la prétention à incarner le Bien peut déboucher sur son contraire".

Résumons-nous: le peuple, cette entité floue, ferait bien d'être extrêmement méfiant vis-à-vis de tous ceux qui affirment parler en son nom.

(1) cité par Pierre Ronsanvallon.
(2) Marion Rousset, "Le populisme cache son je", Télérama, 15.1.2020.
(3) auteur de "L'Esprit démocratique du populisme", éd. La découverte.
(4) auteur de "Le Siècle du populisme - Histoire, théorie, critique", éd. du Seuil.

vendredi 24 janvier 2020

Ceux qui m'aiment prendront le train

C'est la fête dans la région de Châteauroux: on annonce de nouveaux vols charters au départ de l'aéroport Marcel-Dassault de Déols, vers la Laponie, la Jordanie, l'Albanie, la Croatie, la Bulgarie et l'Autriche. Les vols vers la Laponie fin février sont déjà complets. Il paraît que c'est une bonne nouvelle pour la région. Dépêchons-nous d'aller visiter ces splendides pays avant que le réchauffement climatique ne les ait rendus invivables.
Le président de l'aéroport espère surtout rétablir des vols réguliers avec Nice et Londres. Ils ont  été supprimés voici quelques années, "frustrant ceux qui rêvaient d'ailleurs", écrit Bertrand Slézak en édito dans La Nouvelle République - Indre (1). Le grand titre en une de ce quotidien est d'ailleurs:  "Du rêve au départ de Châteauroux". Peut-on suggérer à ceux qui rêvent d'ailleurs de prendre le train? Et aux journalistes de prendre un peu de recul et de s'interroger sur les conséquences pour la planète de ces pratiques d'un autre âge?
La semaine dernière, le Courrier international publiait "Les destinations préférées du New York Times"? Parmi celles-ci, "Rurrenabaque, un joyau écolo à découvrir en Bolivie".  On trouve là, nous dit-on, des espaces luxuriants d'une beauté stupéfiante" et "un des plus beaux exemples de biodiversité de la planète". La Bolivie a reçu le prix de la meilleure destination verte des World Travel Awards. "Profitez-en dès à présent, avant que d'autres touristes n'y affluent", nous conseille le New York Times. La destination est peut-être verte, mais le moyen de transport pour y arriver est vraisemblablement noir et l'afflux de touristes aura inévitablement des conséquences catastrophiques sur la zone. Mais, qu'importe?, pourvu qu'on rêve.
Les rêves de certains risquent fort de générer les cauchemars de tous.


(1)  "Rêve d'ailleurs" et "Onze destinations au départ de l'aéroport", La Nouvelle République Indre, 23.1.2020.


jeudi 23 janvier 2020

D'un ex-idiot

Apprend-on de ses erreurs? Avoir été idiot dans une vie antérieure rend-il plus intelligent dans la suivante? Voilà les questions  que je me pose depuis j'ai lu dans Charlie Hebdo (1) que selon les anthroposophes "les taches de rousseur seraient le signe que vous avez été un idiot dans votre vie antérieure". Voilà: je suis un ancien idiot. Mieux vaut l'avoir été que l'être. Mais quand même, ça fait un choc de l'apprendre. Surtout à mon âge.
C'est un ancien adepte de l'anthroposophie, ce mouvement de plus en plus dénoncé, qui rapporte là ce qu'il a entendu. Les anthroposophes estiment aussi que "les femmes ne doivent pas se couper les cheveux trop court, car cela développerait leur agressivité".

Tout en se défendant d'être une religion, l'anthroposophie, basée sur les écrits de Rudolf Steiner qui l'a créée, considère que "la force du je en l'homme est conférée par une entité: le Christ" (2).
Ses adeptes considèrent qu'elle peut être "une aide précieuse dans les différents domaines de la vie". Par exemple, pour "soigner les hommes". Elle les soigne en les invitant à se passer de médicaments. Pas officiellement, mais ils sont proscrits dans les faits, explique Antonio Fischetti (1). "Les médecins anthroposophes croient en effet aux forces de l'autoguérison, ce qui signifie qu'il ne faut pas se soigner au sens classique du terme, c'est-à-dire intervenir sur la maladie pour la faire disparaître. Dans l'anthroposophie, la maladie est vue comme un message divin lié au karma." Vous tombez malade? Réjouissez-vous: vous arriverez ainsi à vaincre vos péchés. La maladie doit vous élever.
Un ancien adepte dénonce des traitements ineptes qu'il a vu prescrire autour de lui: des oignons frits dans l'oreille d'un enfant pour lutter contre une otite, des salades broyées dans une machine à 500 euros importée d'Allemagne pour soigner une dépression ou encore un massage des mollets pour faire disparaître des problèmes de dents. Et enfin, des injections de gui fermenté sur des tumeurs cancéreuses. Parce que le gui serait un être à la fois végétal et animal et qu'il peut agir sur le "corps éthérique" et le "corps astral" de chacun.
Tout ce gloubi-boulga anthroposophique serait risible s'il ne séduisait certains patients qui s'en remettent à ses solutions de druide aliéné.
Et on ne rit plus quand on apprend, toujours via Charlie Hebdo, que l'université de Strasbourg dispense des formations de médecine anthroposophique. Voilà qui "contribue à brouiller les repères entre raison et pensée magique", écrit Antonio Fischetti. On n'a pas besoin de ça, surtout dans le contexte actuel, où la pensée rationnelle recule de plus en plus devant les délires obscurantistes".

L'émission "Vox Pop" d'Arte de dimanche dernier (3) attirait, elle aussi, notre attention sur les dangers de l'anthroposophie. Plus précisément sur la diffusion de ses pratiques et rituels dans les écoles Steiner-Waldorf.
200.000 écoliers européens, 1% des écoliers allemands sont scolarisés dans ces écoles  qui prodiguent un enseignement alternatif. Elles entendent être des communautés de vie dans lesquelles s'impliquent enseignants, élèves et parents. Les activités manuelles y ont beaucoup d'importance. L'être est mis en avant, bien plus que le savoir. Jusque là, on applaudit. Mais on cesse de le faire quand on apprend que  ces écoles s'inscrivent dans la vision anthroposophique de Steiner, qu'un poème méditatif du maître est récité chaque matin par les élèves, que des rituels ponctuent la vie des enfants, telle la spirale, dans "une ambiance obscure et de chants liturgiques". 
En Angleterre, les écoles Steiner ont été mises sur la sellette récemment. L'une d'elles a été fermée et, suite à des inspections, les trois quarts ont été jugées inadaptées en termes de qualité de l'éducation, d'accueil des élèves handicapés et de sécurité. Dans certaines, des maltraitances physiques ont été constatées. Les témoignages s'accumulent, des parents dénoncent des dérives sectaires.
Une mère française explique que son enfant de trois ans a été invité à ne plus l'aimer pour, dit-il, "m'aider tout seul". Elle a été accusée par l'école "d'endommager le karma de (son) enfant pour l'avoir fait vacciner".
Cette doctrine, en lien direct avec les écrits ésotériques de Rudolf Steiner, n'est pas explicitée aux parents, constate Laurence Peyron, de la Miviludes, la Mission intergouvernentale française contre les dérives sectaires. Les enseignants reçoivent des formations avec des cours sur les anges, les démons, le Christ et le mal, le karma et la réincarnation. Quand on pénètre en Suisse, comme l'a fait "Vox Pop", dans le Gœtheanum, centre de l'anthroposophie, on est d'emblée confronté à une ambiance et des représentations d'un ésotérisme désarçonnant. La chambre mortuaire de Steiner, dont le visage est représenté sur une urne, est devenue un lieu de recueillement.
"Le professeur est là pour sauver les âmes des élèves, pas pour leur enseigner quelque chose, leur transmettre des connaissances ni leur apprendre à réfléchir", affirme un ancien adepte qui dénonce un embrigadement insidieux des élèves.
Bien au-delà de tout ce magma ésotérique, le reportage de "Vox Pop" fait apparaître combien l'anthroposophie est au centre d'une nébuleuse qui mêle écoles, fermes en biodynamie, cliniques, laboratoires pharmaceutiques et institutions financières.

Finalement, peut-être vaut-il mieux avoir été idiot dans une vie antérieure et ne pas se retrouver aujourd'hui dans "la race des bons". Il est vrai qu'on est alors dans "la race des méchants". Reste à assumer d'avoir été un idiot hier et d'être un méchant aujourd'hui.

(1) Antonio Fischetti, "Médecine anthroposophique - Esotérisme à la fac", Charlie Hebdo, 22.1.2020.
(2) https://anthroposophie.fr/anthroposophie/
(3) https://www.arte.tv/fr/videos/091151-002-A/vox-pop/




lundi 20 janvier 2020

La surdité du vieux monde

Le vieux monde est sourd et aveugle. Il entend poursuivre sa route sans voir les conséquences catastrophiques de son action. L'argent n'a pas de prix et l'emploi justifie tout. On continue donc à voir surgir des projets dignes des années '60, dévoreurs d'espace et de nature, consommateurs d'eau et d'énergie et générateurs de trafic routier. De beaux projet joyeusement insouciants. Et totalement inconscients.
A La Ferté Saint-Cyr, en Sologne, un vieux projet de luxueux village de vacances refait surface. Recalé en 2014 par le tribunal administratif, il a été revu et corrigé et bénéficie du soutien de nombreux élus locaux. Mais pas de nombreux habitants de la région ni du Conseil régional Centre - Val de Loire. Baptisé Chambord Country Club, il prévoit la construction de 565 maisons, un terrain de golf, une piscine, un centre équestre, des terrains de tennis, etc. Et tout cela en zone Natura 2000. "Toute la Sologne ou presque est en Natura 2000, est-ce que cela veut dire qu'on ne peut plus construire?", s'escaffle le porteur du projet (1). On s'escaffle avec lui, mais de lui. De ces propos d'un autre temps. "C'est le vieux monde, cette idée qu'en plein cœur de la Sologne, déjà mitée par de très nombreux projets, on puisse encore prendre sur des espaces de réserves naturelles pour des loisirs", affirme Charles Fournier, vice-président du Conseil régional et président du groupe écologiste.
En décembre, le Conseil régional a adopté un vœu pour s'opposer au projet, constatant également que le secteur compte déjà quatre golfs, des Center Parcs et le zoo de Beauval.
Oui, mais il faut rendre le territoire encore plus attractif, estime le président de la Communauté de communes. Qu'est-ce qui rend un territoire attractif? Son artificialisation ou son respect de l'environnement? Les promoteurs, la main sur le cœur - là où se cache le portefeuille - sont convaincus que sans leur intervention un territoire, un paysage n'a aucun d'intérêt.
L'enquête publique débutera dans les semaines à venir.

(1)  France Inter, Journal de 8h, 20.1.2020.
https://www.franceinter.fr/polemique-autour-d-un-projet-touristique-luxueux-pres-de-chambord
(Re)lire sur ce blog
"Yaourt Nature", 6.7.2015;
"Tant d'émotions si naturelles", 27.10.2014.

samedi 18 janvier 2020

Crise de gastro

Ce week-end, je fais la grève du saucission. Pas question de manger la moindre rondelle de rosette de Lyon. Je m'associe, de loin, au deuil régional du Lyonnais. Le restaurant "Monsieur Paul" de feu Paul Bocuse a perdu une étoile dans le Guide Michelin 2020. Il lui en reste deux, mais c'est si humiliant que "dans la région lyonnaise, c'est la tristesse qui prévaut alors que la capitale de la gastronomie traditionnelle française ne semble plus en odeur de sainteté chez Michelin", écrit La Montagne (1). Paul Bocuse se définissait, écrit encore le quotidien, comme "un adepte de la cuisine traditionnelle" qui aimait "le beurre, la crème, le vin", et surtout pas "les petits pois coupés en quatre". Le journal rapporte les propos du critique gastronomique Périco Legasse selon qui le Guide Michelin a commis là "l'irréparable". Les saints sont partout, même dans la cuisine et leur retirer une étoile, c'est blasphémer. On ne s'en prend pas à tradition, même "en mouvement".
La France va déjà si mal. Le Guide Michelin participe au marasme. La dépression s'aggrave. 

(1) 18.1.2020.

mercredi 15 janvier 2020

Show must go on

Une bonne partie de l'Australie est en feu et un nuage de fumée aussi large que la superficie de l'Europe plane sur le pays. A Melbourne, le niveau de pollution est classé "dangereux" à cause des fumées. On pourrait croire que l'Open de tennis qui doit y débuter lundi prochain serait annulé. Ce serait faire peu de cas des enjeux financiers en jeu, nous explique-t-on: les droits de retransmission vendus aux télés du monde entier se chiffrent en centaines de millions de dollars.
C'est donc des sportifs qu'on fait peu de cas. Une joueuse slovène a dû abandonner lors des épreuves de qualification, prise de quintes de toux, victime de détresse respiratoire. Le public, peu nombreux et masqué, l'a applaudie à sa sortie du court. Une joueuse colombienne a eu recours à un inhalateur pendant les pauses. "On a l'impression d'être dans un fumoir", déclare un coach. Une Française explique que de sa chambre elle ne peut voir les courts de tennis, noyés dans la fumée. (1)
On voit par là que l'argent n'a pas d'odeur, même pas celle d'un incendie, et que, même s'ils sont bien payés, les joueurs et joueuses de tennis sont des esclaves qui doivent assurer, coûte que coûte, le spectacle du cirque.

how can we dance when our earth is turning?
how can we sleep while our beds are burning?

the western desert lives and breathes
in forty five degrees

Midnight Oil, "Beds are burning" (1986)

(1) France Inter, Journal de 13h, 14.1.2020.

lundi 13 janvier 2020

Le simplisme peut rendre simplet

Les "anti", ceux à qui on ne la fait pas, qui ont tout compris, se retrouvent parfois coincés dans leur opposition et leur méfiance systématiques. Exemple vécu via une connaissance croisée récemment.
A l'extrême droite comme à l'extrême gauche, ils en sont convaincus: la presse est pourrie et les journalistes sont tous des vendus. Il faut s'en méfier comme de la peste. Ils sont les porte-voix de ce maudit "Système". Donc, il faut s'informer via Internet (qui, comme chacun le sait, n'a rien à voir avec le "Système") où on comprend combien les gestionnaires du monde emmènent à grande vitesse l'humanité dans le mur en défendant cet odieux système capitaliste destructeur de biodiversité et de vies.
Mais voilà que la presse nous appelle tant et plus à changer de mode de vie pour lutter contre le dérèglement climatique et sauver la planète. Pas un jour sans que des journalistes  ne nous enjoignent de modifier nos comportements dans un secteur ou dans un autre: mobilité, consommation, énergie, habitat, alimentation, etc. Ça cache quelque chose, se disent les" anti". Ils essaient de nous vendre une nouvelle manière de vivre prônée par le Système qui a une capacité d'adaptation sans limite. Il faut s'en méfier. C'est donc que le dérèglement climatique n'est pas la réalité qu'on essaie de nous vendre. Après tout, la planète a connu tant de changements climatiques dans son histoire. Cette phase n'en est qu'une de plus. Restons calmes et attendons. Mais n'obéissons pas aux injonctions du Système.
Que voit-on par là? Que le délire rend schizophrène.

vendredi 10 janvier 2020

C'est tout le monde

Il y a, dans ce film d'une petite heure qui ressemble à une vie, des souvenirs, des gens, connus ou non, qui se racontent, qui parlent de leur enfance, de leurs parents, de leur travail, d'amour, de chansons, de films. 
Il y a Jean Rochefort, Jean qui rit et Jean qui marche. Les dernières images de lui.
Il y a de la vie. Des gens qui se dévoilent, leurs mots et des chansons, des musiques, des silences aussi. Il y a des images, en mouvement ou non. Et des noirs aussi. Du temps dans des carnets, du temps retenu, du temps en suspension. 
Il y a de la nostalgie, de la tendresse, de la douceur, des envies, restées en l'état ou devenues réalités. Il y a nos vies en noir et blanc et en couleurs.
Il y a un enfant qui dort, des voitures qui roulent la nuit, quelques arbres, des plages, des pièces pas si vides qu'elles en ont l'air, des gens qui se jettent à l'eau.
Il y a tout cela dans Je ne sais pas si c'est tout le monde, le film de Vincent Delerm, des impressions, une mosaïque de sentiments, beaucoup de poésie. 
Et, oui, c'est tout le monde. C'est ce qu'on se dit.
C'est comme si on feuilletait les albums photos de famille des voisins et qu'on y trouvait des images qui résonnent en nous.
Alors, on a envie d'envoyer un message à chacun des gens qu'on aime, pour leur dire: regarde ce film, j'y suis, et toi aussi. Je t'ai reconnu. Me reconnaîtras-tu?

Je ne sais pas si c'est tout le monde à voir ici:
https://www.arte.tv/fr/videos/093673-000-A/je-ne-sais-pas-si-c-est-tout-le-monde/
On peut prolonger le plaisir du film en écoutant le dernier album de Vincent Delerm Panorama.

jeudi 9 janvier 2020

Ceux qui voient plus loin

Il y a les hommes du passé (voir billet précédent). Et il y a ceux qui voient plus loin. Ils voient à travers les arbres.
D'après une étude publiée par la revue Science, si 900 millions d'hectares de terres étaient replantés à travers le monde, les deux tiers des émissions de CO2 d'origine humaine seraient captés. Ce qui ne nous dispense évidemment pas de changer radicalement de mode de vie.
Au Pérou, le président Martin Vizcarra vient de lancer une campagne de plantation d'un million d'arbres autour du site archéologique du Machu Picchi, menacé par les glissements de terrain provoqués par les fortes pluies de l'hiver. 
(https://www.lalibre.be/international/amerique/perou-le-president-lance-une-campagne-de-reforestation-du-machu-picchu-5e17ab789978e272f9b99494)
Le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, annonce l'ambition de son gouvernement de planter, d'ici dix ans, "2 milliards d'arbres pour purifier l'air et rendre les communautés plus écologiques". Reste à trouver la place dans un pays déjà très boisé!
Le président indonésien, Joko Widodo, a lancé en 2014 un programme de forêts sociales: il veut restituer aux peuples coutumiers 12,7 millions d'hectares de terres qui leur ont été volés par les propriétaires de grandes plantations. Les communautés s'engagent à les reboiser et à y développer des cultures selon les principes de l'agroforesterie.
Au Sahel se développe la grande muraille verte: un projet de plantation de millions d'arbres du Sénégal jusqu'à Djibouti. Objectifs: stopper la progression du désert et changer la vie des habitants en leur permettant de pratiquer l'agriculture, d'avoir à manger et de connaître moins de conflits. Si le projet se réalise, dans dix ans, 250 millions de tonnes de dioxyde de carbone devraient avoir été absorbés.
"Un arbre peut être un chose très puissante", affirme Papp Sarr, responsable tchadien de la grande muraille verte.

(Le Courrier international, 19.12.2019 - dossier "Ce que les arbres ont à nous dire")










mercredi 8 janvier 2020

Les hommes du passé

En 2019, la France a connu quinze catastrophes, qu'on ne peut plus qualifier de naturelles, dont le coût est estimé à un milliard d'euros. (1) 
Si on est intelligent, on se dit qu'il y a urgence à changer de mode de vie. Mais nous avons sans doute cessé d'être intelligent. Et notre système démocratique basé sur les élections ne nous y aide pas. Les élus, de quelque bord qu'ils soient, souhaitent avant tout garder leur poste. Et sont, dès lors, très frileux quand il s'agit de prendre des décisions qui risquent de les rendre impopulaires.

L'Australie est en feu depuis août dernier. Déjà, une surface équivalente à celle de la Belgique a été ravagée par les flammes. Et le pire est à venir, selon des experts. Les morts sont nombreux chez les humains et innombrables chez les animaux. Le pays a connu des précipitations et des températures records (49,8°C le 19 décembre), engendrées, selon les spécialistes, par le dérèglement climatique qui est aussi la cause de vents violents.
Entre le 1er août et le 16 décembre 2019, "les feux de brousse qui ravagent l'Australie ont libéré 270 millions de tonnes de CO2 dans l'atmosphère, ce qui représente un peu moins de 10% des émissions globales du pays sur la même période". (2) 
Toute personne sensée se dirait qu'il faut prendre des mesures radicales et rapides pour diminuer les causes du réchauffement climatique. Fermer les mines de charbon notamment, l'Australie produisant un tiers des exportations mondiales de ce minerai. Cette hypothése est vue par le premier ministre comme "irresponsable" et "nuisible à l'économie". Le feu aussi est irresponsable et nuisible à l'économie. Mais le premier ministre a promis de "maintenir le cap d'une gestion responsable en abordant de manière responsable les changements du climat et en veillant de manière responsable à ce que nous puissions faire croître notre économie" (3). Des propos - tenus au retour de ses vacances à Hawaï - qu'on ne saurait qualifier autrement que d'irresponsables.

L'Australie n'est pas, loin s'en faut hélas, le seul pays touché par les incendies. "2019 fut le théâtre d'une activité exceptionnelle, tant en termes d'intensité des feux de forêts que d'émissions, avance le CAMS (service de surveillance de l'atmosphère du programme européen Copernicus). Entre le 1er janvier et le 30 novembre, environ 6.735 millions de tonnes de CO2 ont été relâchées dans l'atmosphère. Outre l'Australie, d'importants incendies ont touché l'Amazonie, l'Indonésie, mais également la Syrie, faisant peser des inquiétudes sur la sécurité alimentaire de ce pays déjà fragilisé. Et au mois de juin, les feux de forêts du Cercle polaire arctique ont également été sans précédent en termes d'emplacement, d'ampleur et de durée." (2)

Pendant que la Terre part en fumée, des parents d'élèves s'indignent que leurs enfants, lors d'un spectacle de Noël, puissent porter un message écologique. Ils produisent du pétrole et n'envisagent pas une seconde qu'on puisse ne pas en consommer. Suite à la représentation du spectacle Santa goes green par ses élèves, la directrice de cette école du Saskatchewan a présenté ses excuses aux parents: il ne faut y voir "aucun message hostile à l'industrie pétrolière ou gazière", importante dans cette région. Les industries devenues traditionnelles sont sacrées. Les habitants du Saskatchewan y croient plus qu'au réchauffement climatique. En 2016, 56% d'entre eux seulement croyaient que ce dernier  puisse être une réalité (4).

De l'autre côté du Canada, l'industrie du sapin de Noël se porte bien. Dubaï en achète en quantités industrielles. Ils y arrivent par bateau en conteneurs réfrigérés. Ils se vendent bien à New York aussi: jusqu'à 1.000 dollars pièce, alors qu'ils ne coûtent que 150 dollars à Montréal ou à Québec.
La province de Québec est un des principaux producteurs mondiaux de sapins de Noël: en 2018, 3,9 millions de sapins ont été exportés, pour un montant de 43 millions de dollars (5). Faire voyager à travers la planète des arbres en frigos, voilà une pratique qui donne envie d'en finir avec Noël. 

Dans l'Union européenne, selon sa Commission, le transport routier de marchandises devrait croître de 60 % d'ici 2050 (6). Où fera-t-on rouler tous ces véhicules qui augmenteront considérablement un niveau de pollution que l'Europe s'est engagée à juguler?

"L'avenir appartient à Greta Thunberg et à sa génération. Ces types actuellement au pouvoir aux Etats-Unis, en Angleterre, au Brésil, ne sont que des losers, des représentants d'un monde et d'un système en bout de course. Ils vivent dans le passé, croyant qu'ils peuvent arrêter la marche du temps. Il existe un décalage de plus en plus grand entre nos leaders et le peuple, surtout les jeunes. Ça ne peut plus durer." Neil Young (7).

(1) Journal de 13h, France Inter, 27.12.2019.
(2) "2019, une année exceptionnelle pour les feux de forêt", Le Soir, 20.12.2019.
(3) "Pour le Premier ministre australien, le charbon à tout prix", Le Soir, 24.12.2019.
(4) https://www.huffingtonpost.fr/entry/un-pere-noel-ecolo-lors-dun-concert-provoque-un-tolle-dans-une-ville-petroliere-canadienne_fr_5e029d15e4b0843d36020b01?utm_hp_ref=fr-homepage
(5) Ludovic Hirtzmann, "Les profits délirants des vendeurs de sapins québécois", Le Soir, 24.12.2019.
(6) Elodie Lamer, "L'accord sur le dumping social crée la polémique", Le Soir, 24.12.2019.
(7) Hugo Cassavetti, "L'Indompté", Télérama, 6.11.2019.

samedi 4 janvier 2020

Je système, moi non plus

Le Système, si honni, n'a pas beaucoup de souci à se faire. Le Système, qu'est-ce? Un magma indéfini, auquel - à notre corps défendant (parfois, mais pas toujours) - nous participons tous. Et allègrement.
La période des fêtes se termine. L'argent a bien circulé, les commerces ont bien vendu, les voitures ont bien roulé (il est vrai qu'il était assez difficile de circuler en train en France).
Le Système a de beaux jours devant lui. Il ne manque pas de soutiens.

Il vit grâce à ceux qui se persuadent qu'ils ont besoin de leur voiture pour le moindre déplacement;
ceux qui délaissent les petits commerces et préfèrent acheter dans les supermarchés et via Internet; ceux qui font le lit d'Amazon;
ceux qui achètent de la viande d'Argentine, des asperges du Pérou, des tomates et des fraises en plein hiver;
ceux qui prennent des vacances au minimum deux ou trois fois par an et, grâce aux vols low cost,  le plus loin possible;
ceux qui partent chaque hiver à l'autre bout de la terre pour trouver du soleil et de la chaleur parce que, vous comprenez, sans soleil ils dépriment;
ceux qui ont oublié qu'ils savent rouler à vélo;
ceux qui n'utilisent que Google et tous ses dérivés;
ceux qui savent que leur banque est nuisible à la planète mais trouvent que c'est compliqué d'en  changer;
ceux qui passent la moitié de leur vie sur leur smartphone et se jettent sur le dernier modèle de téléphone mobile et le dernier jeu video à la mode;
ceux qui réélisent des professionnels de la politique qui ont cessé de compter leurs mandats, parce qu'on sait qu'on peut compter sur eux pour un passe-droit ou une lettre de recommandation;
ceux qui font le choix d'un Trump, d'un Poutine, d'un Bolsonaro, d'une Le Pen, parce qu'ils les croient anti-système alors que personne n'en a profité et ne les incarnent plus qu'eux.

Le Système sait que si nous sommes nombreux à pester contre lui, nous le sommes beaucoup moins à  changer nos habitudes.
Qu'un responsable politique ait le courage de s'attaquer à la voiture, à son usage et à son coût et il sera aussitôt couvert de goudron et de plumes.
Le monde court à grande vitesse dans le mur du dérèglement climatique et on a vu circuler ces derniers jours une pétition appelant à s'opposer à l'augmentation du prix du carburant à la pompe.
Le lobby automobile n'a pas à dépenser d'argent pour se défendre. Nous le soutenons tous. Même s'il faudrait interdire la publicité pour les bagnoles. On l'a interdite pour le tabac, vu sa dangerosité pour la santé. On l'a limitée pour l'alcool. Pourquoi pas pour les voitures, nuisibles pour la planète? Parce que les voitures continuent à nous faire rêver. Comme l'ensemble de ce Système que nous maudissons.