jeudi 31 octobre 2013

Malaises

Bêtise ou perfidie? La fille à papa Le Pen a le rare talent de combiner les deux. L'allure des otages français rentrés du Niger a créé chez elle "un malaise". Et un étonnement sans borne: "j'ai trouvé ces images étonnantes, a-t-elle déclaré ce matin sur Europe 1, cette extrême réserve étonnante, leur habillement étonnant". Les barbes et les chèches l'ont beaucoup dérangée. Marine Le Pen découvre la vie: chez un homme, en trois ans, la barbe peut pousser abondamment, et le chèche a une utilité certaine dans le désert. Serait-elle cependant consciente de ses limites intellectuelles? "Je ne suis pas psychologue", a-t-elle reconnu. Mais elle est convaincue que ce qu'elle a ressenti, "c'est ce qu'ont ressenti beaucoup de Français". On voit par là qu'on peut ne pas être psychologue tout en étant capable de savoir ce que pensent les autres. (1)

On se réjouit de la libération de ces otages et on espère que tous les otages dans le monde, français ou autres, connaîtront rapidement le même sort heureux. Mais il est d'autres otages qu'il faudrait se soucier de libérer, c'est l'avenir de l'humanité qui en dépend. On veut parler de l'environnement et du climat. Pris en otage par le grand capital, le patronat, les lobbies du transport et du pétrole et une bonne partie des syndicats, ils ne font visiblement pas partie du souci premier (et même secondaire) de la plupart des gouvernements. La démission du gouvernement français sur les écotaxes en est une preuve de plus. Une démission d'autant plus stupide que ces écotaxes allaient permettre de réinvestir dans d'autres moyens de transport moins nuisibles et qu'elles étaient attendues impatiemment dans certaines régions. Ainsi, en Alsace, tous les élus, tous partis confondus, les réclament depuis 2005. Elles auraient pu décourager les poids lourds de passer par l'Alsace pour éviter la Suisse et l'Allemagne qui, depuis 2004, appliquent ce type de taxes (2).

Les Bretons (certains d'entre eux du moins) pensent avoir gagné une bataille, mais pas encore la guerre (3). Mais ils se trompent totalement de guerre. On attend désespérément des appels de Bretons invitant à un changement radical de cap. Les Bretons sont en colère et l'expriment main dans la main avec un patronat responsable de la crise. On se permet de penser qu'un peu de réflexion ne nuirait pas à l'affaire.

P.S.: on entend avec soulagement la Confédération Paysanne prendre ses distances avec ce mouvement de grogne et l'un de ses représentants parler du "pseudo-problème des écotaxes". Ouf!

(1) lire http://tempsreel.nouvelobs.com/vu-sur-le-web/20131031.OBS3533/otages-marine-le-pen-devient-la-risee-de-twitter.html
Et, toujours à propos du F.N., mais concernant ses fantasmes sur l'immigration, on écoutera avec grand intérêt les faits et les réflexions apportés par Edwy Plenel et surtout par l'excellent François Gemenne, dans une étrange émission d'Ardisson (où se mêlent visiblement sujets people dépourvus du moindre intérêt et réflexions politiques):
www.rue89.com/zapnet/2013/10/30/soudain-chez-ardisson-discours-fn-limmigration-secroule-247074
(2) www.liberation.fr/politiques/2013/10/30/ecotaxe-quand-les-alsaciens-manifestent-ils-sont-moins-entendus_943448
(3) Journal de France Inter, 31 octobre 2013, 13h.

mardi 29 octobre 2013

Fort minables

Qui sort gagnant, qui sort grandi de la décision du gouvernement français de report des "écotaxes" ? A ce jeu-là, tout le monde a perdu. Et seule l'extrême droite et l'ultra libéralisme risquent de gagner une fois encore.  Les agriculteurs français, et bretons en particulier, sont perdants, quoi qu'ils croient, autant que les politiques, de gauche comme de droite qui, hors le ridicule et le consternant, n'ont rien gagné. 
Le P.S. et le gouvernement, avec cette xième reculade face à l'obstacle, font le jeu de la droite et surtout de sa nuisible extrémité. 
L'U.M.P., qui est elle-même à l'origine de ces écotaxes (une des décisions d'un "Grenelle de l'environnement" qui en prit si peu), se couvre de ridicule, en reprochant au gouvernement à la fois l'application et la non-application de cet "impôt Borloo".
Les écologistes ne devraient plus avoir d'autre choix que de quitter ce gouvernement sans gouvernail.
On trouve d'autres gagnants du côté du MEDEF et de la FNSEA. Ce ne sont pas les agriculteurs, bretons ou autres, qui ont été entendus, mais le secteur agro-alimentaire, un des fleurons de ce capitalisme absurde et destructeur qui fait circuler des porcs, du maïs et des tomates d'un bout à l'autre de l'Europe. Les écotaxes avaient pour ambition d'essayer de changer, un peu, la tendance, d'aider à un transfert modal de la route vers la voie d'eau et le chemin de fer, d'éviter les déplacements idiots et inutiles, de relocaliser l'activité agro-alimentaire.
"Trop de marchandises transitent par camion en France", rappelait voici quelques jours Pascal Riché, directeur de la rédaction du Rue89 (1): "c'est polluant, cela émet des gaz à effet de serre, cela congestionne les routes. L'idée de l'écotaxe est de remédier à ces problèmes, en favorisant le fret ferroviaire, le fret fluvial et en favorisant, par de nouveaux investissements, une relocalisation de l'économie: est-il logique qu'un porc breton parte en Allemagne pour revenir sous forme de tranches de jambon dans les grandes surfaces? Ne serait-il pas plus malin d'investir localement dans la salaisonnerie?"
Défendant cet "impôt intelligent", Pascal Riché constate que "l'écotaxe doit conduire à une majoration moyenne de l'ordre de 4,1% du coût du transport. Pour un camembert, cela représente un centime".
Les Bretons allaient devoir payer des écotaxes "aménagées" en fonction de leur position excentrée. Mais c'était toujours trop pour le puissant secteur de l'agro-alimentaire.  "Avec cinq fois plus de cochons que de Bretons, conclut Pascal Riché, la région est bien avancée. Du porc bas de gamme, des poulets bas de gamme et des flots de lisier qui viennent polluer la nappe phréatique et bloquent le développement du tourisme: est-ce là le modèle de développement que désirent les Bretons?"
En attendant, ces Bretons ont eu raison, pour un temps ou pour longtemps, des écotaxes.

A ce jeu fort minable, personne n'est formidable. Sinon au sens étymologique du mot : "qui inspire ou est de nature à inspirer une grande crainte" (2). On éprouve effectivement une grande crainte pour la politique et l'environnement. Que nous disent les politiques de tous bords (les écologistes mis à part, du moins José Bové (3) et Noël Mamère (4))? Ne changeons surtout rien à nos pratiques et ne nous mettons personne à dos, les voix à gagner aux prochaines municipales le valent bien. Et allons donc tous dans le mur. Pas en chantant, mais en pleurnichant.

(1) www.rue89.com/2013/10/27/bretagne-pourquoi-hollande-doit-tenir-bon-lecotaxe-246971
(2) le petit Robert
(3) Journal de France Inter, 28 octobre 2013, 13h.
(4) Journal de France Inter, 29 octobre 2013, 13h.

jeudi 24 octobre 2013

De l'humour lepenien

On a beau avoir, croit-on, de l'humour, on a beaucoup de mal à saisir celui de Marine Le Pen. Réagissant aux propos d'un journaliste qui affirme qu'historiquement le F.N. a été constitué par des militants d'extrême droite, elle s'offusque, elle feint l'indignation. Le F.N. est un parti créé par des résistants, dit-elle. La séquence (1) démontre qu'il s'agissait de membres de l'Action française, de collabos et de nazis; quelques réels résistants y firent brièvement de la figuration. Il est vrai qu'elle n'a pas précisé à quoi résistaient les résistants dont elle parle. A la solidarité? Au progrès? A l'internationalisme? A l'antiracisme? A l'intelligence?
La fille à papa Le Pen menace de procès quiconque classera le F.N. à l'extrême droite. Les procédés d'extrême droite font peu de cas de l'intelligence psychologique. Ils ignorent qu'il ne faut pas chatouiller le rebelle qui ne demande qu'à s'exprimer chez quantité de démocrates peu - ou trop - sensibles aux ordres. Elle devrait actuellement mener un procès contre des centaines, si pas des milliers de journalistes et d'internautes qui s'obstinent à la classer à l'extrême droite. 
Aujourd'hui, elle se concertait avec Geert Wilders et d'autres partis d'extrême droite pour former un groupe politique au Parlement européen (2). Son père et Bruno Golnisch y sont déjà proches, entre autres, des néo-nazis grecs. Elle leur demande de prendre leurs distances. Il ne faudrait pas confondre extrême droite et extrême droite. On évitera donc de le faire.

(1) Dernière séquence du "28 minutes" d'Arte, 23 octobre 2013.
(2) Arte Journal, 23 octobre 2013.

P.S.: Marine Le Pen se positionne contre l'élite, avec le peuple. Le Canard Enchaîné de ce mercredi révèle que la présidente du F.N. s'est vu refuser, par la Commission nationale des comptes de campagne, le remboursement de près de 700.000 euros de dépenses liées à sa dernière campagne présidentielle, dont des hôtels luxueux, des soirées mondaines ou des agents de sécurité. La fille à papa Le Pen confond visiblement "mondain" et "populaire". 

mercredi 23 octobre 2013

Tintin et le lac aux requins

Il y a quatre ans, j'exprimais ici mon dégout pour l'attitude des ayants-tous-les-droits d'Hergé (1). Je terminais mon billet par les mots suivants: "vivement 2053. 70  ans après la mort de l'auteur, les ayants droit n'en ont plus". Eh bien, c'est - sans doute - raté. Le crabe aux pinces d'or a encore frappé. Nick Rodwell, qui gère au centime près l'héritage de feu le mari de sa femme, envisage de publier en 2052 un nouvel album de Tintin. Histoire de repousser le plus loin possible - voire à jamais - le moment où l'œuvre d'Hergé tombera dans le domaine public. Les règles ne seront pas simples à changer ou à contourner (2), mais on peut faire confiance au Rastapopoulos de Moulinsart pour trouver la combine qui lui permettra de mourir la main sur son portefeuille, confiant en son avenir.
La liste des injures du capitaine Haddock ne suffira jamais à cerner ce personnage de série Z.

(1) Le Musée Hergé? Ils peuvent faire tintin, 27 mai 2009.
(2) http://blogs.rue89.com/les-coulisses-de-wikipedia/2013/10/23/tintin-les-droits-dauteurs-peuvent-ils-etre-eternels-231470

lundi 21 octobre 2013

De l'indignation

"Il faut savoir contrôler ses nerfs quand on est ministre", voilà ce que dit Florian Philippot, numéro deux du F.N. à Christiane Taubira (1). Une tête de liste frontiste traite la Garde des Sceaux de singe et de sauvage, mais celle-ci doit rester digne et sans doute courber l'échine. Il ne viendrait pas à l'esprit du F.N. et de sa présidente de s'excuser auprès de la ministre. Ce n'est pas le genre de la maison. On a sa dignité. Alors quand la ministre qualifie le parti d'extrême droite de "mortifère", celui-ci riposte en déposant plainte contre elle en justice. Pas question de faire profil bas. L'indignation au F.N. est à géométrie variable. Ce qui est amusant avec lui, c'est que chaque fois qu'il veut démontrer qu'il n'est pas d'extrême droite, il use de méthodes qui prouvent qu'il l'est. Dès qu'il essaie de se composer un visage avenant, il ne peut s'empêcher de laisser s'échapper un rictus. On ne se refait pas.

Sur "l'affaire" Leonarda, qui fait les gorges chaudes de la presse et d'une bonne partie de la gauche, j'ai ressenti, comme beaucoup sans doute, un malaise. Je me suis réjoui qu'en ces temps pollués par la montée de l'extrême droite, les lycéens manifestent leur solidarité avec d'autres jeunes, quelles que soient leur nationalité et leur origine. Mais, découvrant comme tout le monde, que la famille n'aurait pas, loin s'en faut, suivi la voie de l'intégration et que les règles d'expulsion auraient été respectées, je ne peux que m'incliner. Les âmes vertueuses peuvent s'indigner, la main sur le cœur, les règles sont ce qu'elles sont et c'est précisément parce qu'il y a des règles - qui doivent être respectées par toutes les parties - qu'on évitera l'arbitraire. La position qu'a adoptée le président Hollande me paraît humaine. Quel autre choix aurait-il? Laisser revenir une famille qui se moque de la main que la République lui a déjà  tendue?
Sur ce sujet, un point de vue, qui m'apparaît assez équilibré et à contre courant de la "bien-pensance": celui  de Jean Matouk, économiste. Il est publié sur son blog, relayé par rue89:

Le Conseil constitutionnel a refusé le droit aux maires d'invoquer une clause de conscience pour refuser de célébrer un mariage homosexuel. On respire. Quelles auraient été les limites d'une clause de conscience? Aurait-on vu des maires refuser d'enregistrer la naissance d'un enfant parce que ses parents veulent lui donner un prénom qui ne serait pas traditionnellement français? Pas d'Ilan, d'Ibrahim, d'Amel ou de Leïla, mais uniquement des Albert, des Gaston, des Jeanne et des Chantal? Aurait-on vu des maires refuser un permis de bâtir sous prétexte que la maison ne serait pas construite en pierre de pays et selon des méthodes traditionnelles? Il est logique qui si on est incapable d'être de son temps et de respecter les lois de la République, on ne puisse être maire.

(1) JT de France 3, 20 octobre 2013, 19h30.

P.S. Toujours sur ce qu'on appelle "l'affaire Leonarda, ce billet de Daniel Schneidermann:
www.rue89.com/2013/10/22/leonarda-quand-pen-denonce-lepenisation-tele-246832

vendredi 18 octobre 2013

Avec un N comme Haine

La vie est difficile pour les militants frontistes aujourd'hui. Leur parti devient le premier de France dans les sondages. Le voilà devenu quasi normal. Mais eux ne peuvent s'exprimer normalement. Ils ne savent plus que dire et que taire. Ils éprouvent quelques difficultés à  faire la part des choses entre ce qu'ils pensent (voire doivent penser)  et ce qu'ils disent (peuvent dire). Ce qui se partage en réunion interne ne peut visiblement pas être exprimé à l'extérieur. Voilà qui est particulièrement complexe pour eux. La tête de liste de Rethel pour les prochaines municipales vient d'en faire les frais. Anne-Sophie Leclere avait comparé Christiane Taubira à un singe. Sur Facebook, elle montre Christiane Taubira "à 18 mois": l'image d'un singe. Et "maintenant": une photo actuelle de la Garde des Sceaux. Elle se défend face aux caméras de France 2 (Envoyé Spécial): "c'est une sauvage" avec "un sourire de diable". Diable! On se demande si la candidate du parti qui essaie de se dédiaboliser a un jour écouté parler Christiane Taubira, reine de la rhétorique à l'intelligence incontestée. On se demande où sont les sauvages, où est la civilisation.
D'autres candidats du F.N. se sont fait allumer aujourd'hui pour la bêtise de leurs propos (1).
Sans doute ne comprennent-ils pas pourquoi ils sont l'objet de ces attaques, voire de ces rejets. A.S. Leclere devra s'expliquer devant le conseil de discipline de son parti. Même ce bas-parleur de Le Pen père fait semblant de s'offusquer des propos de la candidate, lui qui n'est jamais avare d'un jeu de mots lamentable et de propos racistes. Mais explique-t-on la bêtise, surtout quand elle est le ciment entre militants?
Tous ces candidats vont bien finir par comprendre - à leur rythme - que ce qui se dit entre amis ne peut être écrit sur Facebook ou exprimé dans les médias. Même dans un parti normal. "Le mouvement étant soi-disant devenu un parti comme un autre, ne pas aimer les Noirs, les étrangers ou les musulmans est donc devenu une opinion comme les autres", écrit Claire Checcaglini dans "Bienvenue au Front - Journal d'une infiltrée" (2 - p. 218)). Dans ce livre rédigé, comme l'indique son sous-titre, par une journaliste infiltrée au F.N. en fausse militante, on voit combien, de la tête du parti aux plus obscurs militants, les opinions volent bas, entre antisémitisme, racisme, sexisme et homophobie.
Après quelques sorties sur les Juifs, sur les femmes et sur les S.D.F., un secrétaire départemental du F.N. reconnaît: "je suis un vrai salaud en fait, c'est pour ça que j'ai vraiment ma place au Front national (2 - p. 193). Des militants relaient des positions de négationnistes ou de l'ancien leader du Ku Klux Klan (2 - p. 262). D'autres sourient de ce que racontent leurs collègues sur des meurtres d'Arabes ou des abominations sur la négation de la Shoah. (2 - p. 109).
Marie-Christine Arnautu, vice-présidente du F.N., n'est pas la dernière à rire des blagues de caniveau. Mais elle est de bon conseil  avec ses militants: "je sais que personne ne dit de bêtises. Mais ayez toujours en tête: je suis enregistrée. faites très attention y compris avec des gens que vous connaissez" (2 - p. 254). Les candidats du F.N. aujourd'hui pointés du doigt n'ont pas dit de bêtise, ils ont juste oublié d'être prudents.

La vie est difficile pour les affidés du F.N. aujourd'hui, y compris pour de vieux militants qui croyaient leur heure venue aux municipales. A Brignolles, le FN " a débarqué le candidat local, jugé incompétent pour affronter la presse nationale, a parachuté le Marseillais Laurent Lopez que Marine Le Pen est venue soutenir en personne" (3). "T'as envie de voter pour un type qui fait des salades?", demande un secrétaire départemental du F.N, considérant qu'il serait contre-productif de mettre un maraîcher sur ses listes. (2 - p. 195). "Au racisme antimusulman, s'ajoute donc un racisme social développé au sein même d'un parti prônant depuis  des années le rejet des élites", constate Claire Checcaglini. 
Le F.N., un parti normal?

Si l'on veut voir des fascistes qui s'assument, des hommes, des vrais, au parler franc, agressif et vulgaire, on regardera la vidéo suivante:
www.rue89.com/rue89-culture/zapnet/2013/10/17/proces-neonazi-norvegien-varg-vikernes-ferme-merde-246716
Ames sensible s'abstenir.

Face au vent d'hiver que fait souffler le F.N., les manifestations des lycéens en soutien aux jeunes expulsés sont rafraichissantes et printanières.

(1) voir le Grand Journal sur Canal + ce jour.
(2) éditions Jacob-Duvernet, 2012.
(3) Le Monde, 15 octobre 2013.

mardi 15 octobre 2013

Triomphe du café du commerce

Il est de bon ton de dire qu'on ne l'aime pas, qu'il déçoit. Ou plutôt qu'il a déçu. On en parle déjà au passé. François Hollande ne fait plus illusion, si tant est qu'il l'ait fait. Ce fut, en mai 2012, un choix par défaut dont aujourd'hui la plupart des électeurs français se défaussent. Ils ne voulaient plus du "teigneux monarque" (1) qu'était Nicolas Sarkozy, de son attitude rogue et suffisante, de sa vulgarité. Aujourd'hui, de  quoi rêvent-ils? D'un chef, un vrai, un fort un gueule? En tout cas pas d'un président trop normal, voire bonhomme. Avec Sarkozy, c'était "Au théâtre ce soir" tous les jours, le spectacle était permanent. Avec Hollande, c'est "Faut pas rêver".
Hollande perd des points dans les sondages chaque jour. Et les sondages mènent la France. Ils font la part belle à la fille à papa Le Pen.
Opinion publique (?) et médias s'accordent à dire que ce président est mou, que rien ne change, sauf l'espoir qui se désespère. Les Français sont grincheux et on ne le sait pas assez. Au point que le Journal télévisé de France 2 se sent obligé de leur donner la parole: "on va les écouter, cette France qui en a ras le bol, qui s'exprime. On ne les entend pas toujours", disait Laurent Delahousse le 22 septembre dernier dans le "13h15" (2). Et de donner la parole à  des réacs qui font le café du commerce à domicile. Dans son édition de demain, Charlie Hebdo exprime son "ras l'bol de la France qui en a ras l'bol". Ils râlent sur les impôts, sur l'insécurité, sur les jeunes, sur les Roms, sur les autres, sur le temps qu'il fait ou qu'il va faire. 
Et pourtant, même si on n'est pas hollandiste, on peut reconnaître au président normal et à son équipe quelques belles avancées. Le droit au mariage pour les couples homosexuels, malgré la résistance de réactionnaires particulièrement excités; la réforme annoncée du système pénitentiaire, qui tente de remplacer pour les peines les plus légères, la prison criminogène par une réparation qui ferait plus sens; les contrats de génération; les emplois d'avenir (des "emplois aidés" par les pouvoirs publics, critique l'opposition de droite, qui ne veut pas voir que c'est presque la seule solution en ces temps où le capitalisme, qu'elle défend, les supprime par milliers); le départ à la retraite facilité pour les carrières longues ou pénibles; l'interdiction du cumul des mandats; la création de huit mille nouveaux postes dans l'éducation (au déficit du secteur de la Défense qui perdra autant d'emplois); la garantie universelle des loyers. Bien sûr, il reste des motifs d'insatisfaction: une politique environnementale et énergétique à la traîne, le report sine die du droit de vote des étrangers, le redressement de l'économie, des projets aberrants comme celui de l'aéroport nantais...
Mais les avancées du gouvernement sont passées au bleu et le président est présenté comme inactif. Plantu, en première page du Monde de ce jour, le montre dormant sur ses dossiers. Une analyse populiste en quelques traits qui renforcent l'image. Car on est ici dans l'image, et presque uniquement dans l'image.
"La question principale, estime Denis Pingaud, conseil en stratégie d'opinion et de communication, auteur du livre L'homme sans com' (Seuil), est que les Français, particulièrement défiants vis-à-vis de leurs élites politiques, se mobilisent aujourd'hui autour de ceux qui leur paraissent les plus proches de leurs préoccupations par-delà même la pertinence de leurs propositions." (3) Derrière "ceux, il faut surtout voir "celle" qui  "paraît" ne pas appartenir à une élite qu'elle dénonce, elle qui est née avec une cuillère d'argent dans la bouche et qui sait, mieux que beaucoup d'autres, profiter d'un système qu'elle dénonce.
La politique est art du compromis et du dépassement de la complexité. Pour trop d'électeurs, elle est simple, voire simpliste, dans une société qui veut des réponses immédiates aux effets directement vérifiables. "Pour le gouvernement, dit Denis Pingaud, l'enjeu est désormais de faire comprendre le lien qui existe entre des décisions apparemment lointaines, macroéconomiques, souvent peu compréhensibles, et un quotidien proche marqué par l'angoisse du chômage et la peur du déclassement. C'est un exercice difficile qui suppose de quitter le seul registre de l'explication et de la pédagogie pour aborder celui de l'écoute et de la relation."


(1) expression de Patrick Rambaud dans "Tombeau de Nicolas Ier et avènement de François IV", Grasset, 2013.
(2) cité par Luz, dans Charlie Hebdo, 2 octobre 2013.
(3) La Nouvelle République, 15 octobre 2013.

samedi 12 octobre 2013

Ravages du temps

A quoi reconnaît-on un grand homme? A ses réflexions. Alain Delon, cet Immense Acteur que les moins de trente ans ne doivent pas connaître, a fait savoir qu'il approuve et comprend fort bien la place très importante du FN en France. "Il faut vivre avec son temps", a-t-il affirmé. Faut-il en comprendre que si le temps est à la haine, il faut en prendre son... parti? Il a toujours été à droite, voilà qu'il a fait un pas de côté.
Son fils Anthony a trouvé "consternantes" les déclarations de son père. Ce à quoi celui-ci, témoignant de son incroyable capacité à argumenter et assurant ainsi que sa place est bien dans un parti d'extrême droite qui ne tolère pas la critique, a répliqué que "il ferait mieux de la fermer". Quel talent!

jeudi 10 octobre 2013

Ne dites pas extrême droite, dites droite extrême

Qu'y a-t-il à droite de la droite? Le premier quidam venu pense que c'est l'extrême droite. Pas Marine Le Pen à qui on ne la fait pas. Elle interdit à quiconque et aux journalistes en particulier de classer le Front National à l'extrême droite. Elle menace de procès. Une forme de terrorisme intellectuel typique de l'extrême droite. "Le FN surfe sur le trop-plein de politiquement correct, estime Jean-Yves Camus. Et il voudrait faire encadrer par les tribunaux ce qu'on a le droit de dire? Quelle blague!" (1).
Qu'est-ce donc que le Front National? Un rassemblement d'ultra-conservateurs, de jamais contents, d'égoïstes, de perdus, de vieux et néo-nazis, de racistes et d'antisémites qui ne peuvent plus dire qu'ils le sont mais n'en pensent pas moins, d'homophobes, de catholiques intégristes, de "braves" gens qui ont peur de leur ombre, de populistes et on en oublie sûrement. 
Tous ces gens-là savent-ils que leur cheffe bien aimée est étrangère? Etrangère aux valeurs républicaines d'accueil et de fraternité, à la diversité, au progrès, à la solidarité, à la foi en l'homme. Au-delà du positionnement, que le F.N. soit "sur Mars ou totalement à l'ouest", écrit Jean-Yves Camus, "l'important n'est pas d'où on parle, mais ce qu'on dit". Et de rappeler le programme du F.N.: octroi des aides sociales aux seuls citoyens français, priorité aux Français dans l'emploi et le logement, arrêt de l'immigration, rétablissement de la peine de mort, sortie de l'Europe. Avec le F.N., c'est la fuite en arrière.
"Le F.N. ne se veut ni de gauche ni droite", écrit J.Y. Camus, et voudrait faire du référendum permanent son mode de gouvernement. "Et là, dit-il, on est bien loin de l'extrême droite, mais on aboutit toujours au totalitarisme, au culte du chef et au Parti-Etat".
Ceci dit, lutter contre cette extrême droite qui essaie de faire un pas de côté vers la droite extrême ne suffit pas. Reste aux partis républicains à se distancer du virus F.N., à faire preuve d'imagination, de détermination et d'audace.
Heureusement, il y a Christiane Taubira. On en rêve comme présidente.


(1) Charlie Hebdo, 9 octobre 2013.