samedi 8 décembre 2007

La révolution petite-bourgeoise est en marche... arrière

Il y a quelques jours, deux architectes, Eric Marchal et Quentin Wilbaux, présentaient aux habitants du quartier du Pic-au-Vent, à la sortie de Tournai, leur projet d'habitat groupé passif, soit 36 logements dont la contigüité même permet de travailler à une conception passive de ces habitations. La construction y est conçue pour répondre aux défis d'aujourd'hui: des besoins en chauffage quasi inexistants, la récupération et le traitement des eaux de pluie, une vision plus collective qu'individuelle de l'extérieur. Le coût annoncé de ces habitations économes s'avère particulièrement intéressant.
Le concept même a séduit tant les politiques et l'administration que les entrepreneurs en bâtiment. Mais pas les voisins qui ont sorti leurs fourches...
La presse nous apprend en effet que les futurs voisins sont venus à la réunion en très grand nombre, armés de fausses informations, d'a priori et de rumeurs difficilement démontables par les auteurs de projet eux-mêmes, tant l'ambiance n'était pas au dialogue, malgré les tentatives de médiation de l'animateur engagé dans ce but par les auteurs de projet.

Les attaques les plus délirantes et les plus inattendues ont surgi:
- il s'agira d'un ghetto de gens partageant la même philosophie, alors que les 80 maisons du quartier voisin constituent un "ensemble pluraliste" (sic);
- les enfants de ces habitations vont rouler à mobylette;
- l'accroissement du nombre de voitures va forcément engendrer des accidents;
- rien ne garantit que les nouveaux habitants se conduiront de manière civique;
- pourquoi ces nouveaux habitants paieraient-ils leur énergie moins chère que leurs voisins?
- il y aura des fêtes toutes les nuits dans la salle des fêtes des nouvelles habitations;
- j'ai payé cher ma maison, laissez-moi tranquille!
Bref, des arguments sidérants qui pourraient laisser croire que François L'Embrouille et ses complices avaient pris place dans la salle pour pertuber les architectes. Mais il n'y avait pas plus de caméra invisible qu'il n'y a de salle des fêtes dans le projet.

Cette attitude ahurissante, mesquine, égoïste et agressive (biffez les mentions inutiles s'il échet...) me rappelle un débat auquel j'ai participé il y a quelques années à Celles.
A l'époque, un promoteur envisageait d'implanter trois ou quatre éoliennes dans la campagne celloise. Les riverains (certains habitant parfois à quelques kilomètres du lieu d'implantation prévu) s'opposaient fermement à ce projet. Ecolo avait décidé d'organiser un débat sur les éoliennes et, bien au-delà, sur la nécessité d'investir dans les énergies alternatives et de modifier nos modes de vie. José Daras, Ministre de l'Energie, y avait participé, de même que la '"facilitatrice éolienne" et un représentant du bureau chargé de l'étude de ce projet.
Les arguments des opposants cellois étaient du même tonneau que ceux des piqués-au-vent: pourquoi certains auraient-ils le droit de s'approprier le paysage? pourquoi accepterions-nous un projet qui ne nous fera pas gagner d'argent? les éoliennes font du bruit, tuent les oiseaux, provoquent des migraines, ne sont pas belles... L'agressivité était incroyable, le dialogue quasi impossible. C'est là qu'à la suite du débat, un homme est venu me trouver pour me dire, pointant son index sur ma poitrine: "vous, quand vous étiez présentateur télé, je vous aimais bien, mais aujourd'hui, je vous déteste!" Sur le moment, j'ai éclaté de rire. Mais il y avait de quoi pleurer face à ce repli petit bourgeois et surtout à cette absence sidérale de la notion même de raison. On était dans l'émotion pure, dans le délire. La notion d'hystérie collective prenait tout son sens. Il n'était plus possible de raisonner, d'échanger des arguments "sensés".

A Celles comme au Pic-au-Vent, les opposants s'affirment bien sûr totalement favorables au principe même de ces projets. Bien sûr, disent-ils, il faut lutter contre le réchauffement climatique! Bien sûr, il faut investir dans les énergies climatiques, dans l'éco-construction! Bien sûr qu'elle est importante la conférence de Bali! Mais du balai! Pas de ça, près de chez moi. Dégagez! Vous dérangez mon petit confort. Il faut sans doute que tout change, mais pas que ça me dérange!
Le changement fait peur. Le collectif fait peur. Les enfants font peur (c'est qu'ils risquent fort de devenir des jeunes un jour!).
Ailleurs, ce sont des riverains qui s'opposent à une crèche près de chez eux: vous imaginez ces voitures qui vont s'arrêter pour déposer et reprendre les enfants! Certains voisins dénonçaient déjà les cris d'enfants dans le jardin...
Ailleurs encore, ce sont des riverains qui s'opposent à un casse-vitesse devant chez eux, à un arrêt de bus, à un panneau de prévention signalant l'école.
On n'est pas seulement dans la peur. On est dans le nombrilisme exacerbé. Dans l'individualisme forcené. Ce sont des gens de murs, de clôtures. Ce qui compte, c'est moi, ma tranquillité, ma petite maison quatre façades, mon petit garage, mon petit jardin, mon petit esprit. Ces gens-là se reconnaissent à des signes distinctifs: des panneaux "propriété privée" ou "ici, c'est moi qui monte la garde".
Ils ne se rendent évidemment pas compte qu'eux aussi se sont appropriés le paysage avec leurs maisons, leurs garages, leurs hangars. Ils ne se demandent pas si eux aussi auraient dû donner des gages de civisme à leurs voisins avant de s'installer dans un quartier. Ils ne se posent pas la question de l'empreinte écologique de leur maison quatre-façades, un mode de construction qui ne devrait plus être autorisé aujourd'hui.
Ils se retirent de la société, à l'abri de leurs murs, ne les quittent pour que pour les défendre. Même si ceux-ci ne sont pas menacés.
Ce sont les nimbies *.
Dans une carte blanche (publiée dans la Libre Belgique du 2 novembre 2007), Jean-François Viot, auteur dramatique et citoyen de la commune de Gesves, distingue les Nimbies et les Nin Biesses: il dénonce les "revendications partiales et les arguments partiels" des Nimbies, "arguments régulièrement déformés, amplifiés, arrangés". Les Nin Biesses, dit-il, "sans céder à la panique ou à l'égoïsme, choisissent sereinement de défendre la cause qui leur paraît, en humanistes, la plus juste. Ils se souviennent que le monde ne leur est que prêté, qu'ils ne sont eux-mêmes à peine plus que cet arbre ou cette fleur qu'ils admirent. Et ils en concluent: "please, in my backyard!"

*Nimby: Not In My BackYard: pas dans le fond de mon jardin