samedi 31 décembre 2011

En avant, y a pas d'avance

Quid novi sub sole en 2012? Quel mouvement nouveau va amener souffle et espoir dans un monde en manque ? On se dit que depuis quelque décennies on piétine. Dans le domaine artistique, plus aucun grand mouvement. Les impressionnistes, les expressionnistes, les dadaïstes, les futuristes, les symbolistes, les surréalistes, les hyper-réalistes (et on en passe) se sont succédé. Depuis, plus rien. Le mouvement s'est arrêté aux punks. Pour qui il n'y avait pas de futur. Mais peut-être a-t-on la mémoire courte ?
En politique, le dernier grand mouvement est celui de l'écologie, né au milieu des années '70, qui espère donner un futur à la planète et à ses habitants, du nord comme du sud, de l'est comme de l'ouest. Même s'il démontre un peu plus chaque jour sa pertinence, même s'il s'est imposé dans le programme de quasiment tous les partis politiques, il peine à forcer le changement, n'intervenant qu'à la marge du système. Aujourd'hui, le monde marche comme sifflent les agences de notation.
Domine aujourd'hui un mouvement qui n'a rien de neuf, un mouvement en marche arrière : celui du nationalisme. Chacun se réfugie sous sa tente. Le mur de Berlin est tombé il y a plus de vingt ans. On ne compte plus les murs, physiques ou symboliques, qui se dressent depuis. On nous annonce la fin de l'euro, celle de l'Europe. On brandit son identité comme un drapeau, comme une valeur. On est un imbécile même pas heureux qui est né quelque part.
La gauche a perdu le contact avec ce qu'il était convenu d'appeler "le peuple" qui préfère aujourd'hui voter pour les nationalistes ou l'extrême droite (qui se confondent souvent) qui rassurent avec leurs explications et leurs solutions simplistes et populistes.
La mode est à l'indignation face à l'hyper-capitalisme. C'est un début. Mais elle devrait être à l'invention. Celle d'un mouvement nouveau.

mardi 27 décembre 2011

Crétinisier

A quoi sert un bêtisier? A faire rire? On a du mal à le croire. On cherche en vain l'humour. Un bêtisier sert à bêtifier le téléspectateur et remplit parfaitement le rôle, le seul (ou presque) qui soit désormais attribué à la télé: crétiniser.
A quoi sert un JT? A informer? On a du mal à le croire. On cherche en vain l'info intéressante. Après une séquence sur les échanges de cadeaux de Noël par de grossiers personnages dans les commerces, François De Brigode nous propose une rétrospective des faits divers de l'année écoulée. Il a constamment un sourire en coin, visiblement heureux de nous rappeler ce que nous croyions avoir réussi à oublier. Avec Nora Kalefeeh qu'il accueille sur le plateau, les dialogues sont poussifs. Tout le monde s'ennuie, de part et d'autre de l'écran.
Allez, 2012, année sans télé. Ils nous ont convaincus.

lundi 26 décembre 2011

Un beau pays

Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front. Le nouveau gouvernement belge est de tendance judéo-chrétienne. Il vient, en deux temps, trois mouvements, prenant les syndicats par surprise, de reculer de deux ans l'âge de la pension anticipée. On vit plus longtemps, on doit donc travailler plus longtemps. Tout se mérite. Et il faut en baver autant que possible.
Le député Philippe Moureaux, vice-président du Ps, estime que "ces réformes sont totalement injustes, totalement déséquilibrées... mais totalement indispensables!" (1). Voilà pourquoi il les a votées. Nous voici donc dans une situation où un parti socialiste trouve indispensable l'injustice. Mais Pappy Moureaux trouve aussi "sage" que "l'âge réel de départ à la retraite se rapproche de l'âge légal de la pension". Il reste d'ailleurs l'exemple de l'homme actif, fait-il remarquer: à 72 ans, il est toujours député-bourgmestre. Les petits jeunes ne sont pas encore près de prendre sa place. On voit par là que si chacun se droguait au pouvoir, les caisses de pension seraient plus pleines.
Les socialistes ne voient pas le travail du même oeil que les situationnistes. Raoul Vaneigem estime que "le travail a été ce que l'homme a trouvé de mieux pour ne rien faire de sa vie. (...) Il a privilégié l'espèce aux dépens de l'individu comme s'il fallait, pour perpétuer le genre humain, renoncer à la jouissance de soi et du monde et produire sa propre inhumanité" (2). La retraite, c'est du temps libre. Du temps pour mener sa vie comme on l'entend. Pour en profiter enfin, disent certains qui mènent un travail abrutissant, dépourvu de sens. Mais ce temps-là coûte trop cher à la société, estiment les socialibéraux, menés par le bout du nez par les agences de notation.
Et si l'argent était trouvé ailleurs? Par exemple, en baissant beaucoup plus encore que prévu les fameux intérêts notionnels et en contraignant les entreprises qui en bénéficient à créer des emplois? Par exemple, en taxant beaucoup plus les opérations boursières ou le précompte mobilier? Ou encore en augmentant la rente nucléaire? C'est que préconisent Ecolo et Groen (1).
En attendant, la Belgique reste un paradis fiscal: Bernard Tapie, ce grand philanthrope, y place ses billes. Une banque d'affaires lui a conseillé d'y placer une partie de ses avoirs. Il vient d'injecter plus de 215 million d'euros dans un holding belge, "évitant ainsi un impôt de 30% sur la plus-value, non taxée en Belgique" (3). Et pour faire voyager cet argent, Nanard n'a pas payé d'exit tax. Un gain de 70 millions d'euros. En outre, en Belgique, les holdings sont peu taxés, leurs dividendes sont exonérés à 95%. Et grâce aux intérêts notionnels, Tapie pourra encore réduire son assiette fiscale. En clair, écrit le Vif, " Tapie utiliserait la Belgique comme base de développement, sans y investir réellement. Comme peut le faire tout autre exilé fiscal de luxe, en somme".
Pendant que certains voient reculer l'âge de leur retraite, d'autres ne doivent même pas travailler. C'est leur argent qui le fait pour eux. Avec l'aide complaisante de l'Etat belge.

(1) LLB, 23 décembre 2011
(2) Raoul Vaneigem, "Nous qui désirons sans fin", Le Cherche-Midi éditeur, 1996
(3) Le Vif, 16 décembre 2011

mardi 20 décembre 2011

Y a plus de vieillesse

On ne se méfie jamais assez des vieux. Des vieux barbus en particulier. Les "infos des régions" de France 3, ce soir, nous apprennent qu'une ville (laquelle est-ce? dans le sud, mais où? on a la mémoire qui flanche) est à la recherche d'un Père Noël. C'est un appel urgent. Le précédent a eu une altercation avec un commerçant qui lui reprochait de se balader avec son fusil de chasse. Même en France, ça fait mauvais genre. Le Père Noël s'est fait licencier. Vous avez plus de soixante-cinq ans (pardon, soixante-sept désormais en France), êtes rondouillard, blanchi sous le harnais? Vous pouvez faire l'affaire. Si vous laissez votre artillerie à la maison. Allez, paix sur la terre aux hommes sans trop de mauvaise volonté.

lundi 19 décembre 2011

Gardez-moi de mes amis

Qui sont ses amis, qui sont ses ennemis? La NVA ne s'y retrouve plus, elle a beaucoup de mal à faire la différence. Bart De Wever, son président, estime que "c'est la NVA qui a fait baisser le score de l'extrême droite. (...) Le grand ennemi du Vlaams Belang, c'est moi et moi seul", a-t-il déclaré (1).
Dans le même temps, Ben Weyts, député NVA, se faisait allumer à la Chambre par Gerolf Annemans du V.B.: le député d'extrême droite asticote la NVA sur ses positions. Il affirme qu'elle fut, un temps, prête aux concessions avec les francophones, que le Gouvernement flamand (dont est membre la NVA) soutient le programme fédéral, que l'accord institutionnel de ce dernier correspond au projet du Gouvernement flamand. Chaque fois, Ben Weyts lui a rétorqué qu'il se trompait d'ennemi: "M. Annemans, lui a-t-il dit, regardez autour de vous: votre ennemi n'est pas à la tribune!" (2). Pierre Bouillon (du Soir) estime que Wouter Beke, patron du CDV, n'avait peut-être pas tort "quand il déclarait que la NVA ressemblait de moins en moins à la Volksunie (dont elle est l'héritière) et de plus en plus au Vlaams Belang".
Le journaliste indépendant Guido Fonteyn pense de même: il estime qu'il y a "une prise de conscience croissante en Flandre - entre autres dans les milieux syndicaux - que la NVA n'est pas seulement un parti communautaire, mais qu'elle se situe aussi à l'extrême droite sur les plans social, économique et même culturel. Le groupe autour de De Wever (...) attend seulement le jour de la proclamation de la république flamande indépendante. Afin de pouvoir y servir (...) les intérêts d'une élite de fortunés. Certainement pas les intérêts du peuple (flamand)..." (3). La NVA n'a donc pas seulement des amis ou de faux ennemis. Elle sait aussi se faire des ennemis qui ne sont pas forcément là où on (et elle) le pense.
Et voilà maintenant que De Wever se découvre de nouveaux amis: ce sont les supporters d'Etienne Tshisekedi en Belgique. Ils manifestent à Bruxelles pour contester la victoire de Joseph Kabila. Ils considèrent que les partis belges francophones ont soutenu et soutiennent encore l'actuel président. Ils se drapent dès lors, avec une logique pour le moins particulière, dans le drapeau flamand, annonçant que désormais ils voteront pour Bart De Wever. Voilà donc le boutefeu de la Belgique consacré sauveur de la démocratie congolaise. Après tout, si Dewinter s'exile en Namibie, pourquoi pas Bart au Congo? La terre africaine va-t-elle réconcilier les frères ennemis? On se le demande. On se demande aussi si les Africains ont mérité ça?

(1) "De Wever condamne le oui des souris", Le Soir, 14 décembre 2011
(2) "Quand le Belang, à trois reprises, se trompe d'ennemi", Le Soir, 14 décembre 2011
(3) Le Vif, 16 décembre 2011

vendredi 16 décembre 2011

Maximes pour grands hommes

Jamais contents. Ces écolos ne sont jamais contents. Rudy Demotte annonce-t-il "un don" de 15.000 euros pour remettre en état trois géants tournaisiens? Ils râlent. Marie-Christine Lefebvre, cheffe de groupe Ecolo au Conseil communal tournaisien, estime que le ministre-président wallon confond les rôles. "En annonçant qu'il apportera des subventions à Tournai, Rudy Demotte se place hors cadre d'une élection communale, dit-elle, où l'on doit débattre d'un projet pour le futur de Tournai" (1). Elle invite le candidat bourgmestre de Tournai à cesser sa distribution de cadeaux: "qu'il décroche sa hotte de Père Noël et la range au placard, du moins lors de manifestations publiques". Ce disant, elle "ose exprimer ce que des élus de la majorité PS-CDH murmurent", écrit Laurent Dupuis, qui rappelle les épisodes de Rudy le maillot jaune (2) et de Rudy présentant le plan communal cyclable de Tournai (3). On pourrait y ajouter l'épisode de Rudy le meunier de Thimougies (4). Rudy Demotte se rend compte combien il est difficile d'être compris quand on est si gentil. Et il découvre ainsi tout doucement la culture de la ville où il s'est auto-parachuté et quasi auto-proclamé bourgmestre. "Faites du bien à ein baudet, i vous quie au nez", dit-on à Tournai. On y dit aussi: "él' bourgémète i f'ra pus facilemint nettier vo rigole si i-est d'vo ruache" (5). On dit aussi que nul n'est prophète en son pays. Un humoriste prétendait que "nul névropathe en son pays" (6).

Pendant ce temps-là, les Montois peuvent être rassurés: leur bourgmestre en titre, même s'il sera "empêché" maintenant qu'il est premier ministre, continuera à rester bourgmestre: "le contact est quotidien avec le Collège", assure Juliette Pécry, porte-parole du Collège communal (1). Et Marc Barvay, bourgmestre faisant fonction, confirme que Elio Di Rupo "continuera de lancer ou maintenir les impulsions pour les grands dossiers. Elio n'abandonne pas Mons. Ce serait mal le connaître!". Qui en doutait? Pas ceux qui croient en la Providence et aux hommes providentiels. Uniquement ceux qui pensent que les cimetières sont peuplés de gens indispensables.

(1) LLB, 13 décembre 2011
(2) voir le billet "L'arrivée du tour", 31 octobre 2011
(3) voir le billet "Des villes à vivre", 10 décembre 2011
(4) voir le billet "Monsieur Bricolage", 1er septembre 2011
(5) le bourgmestre fera plus facilement nettoyer votre rigole s'il habite votre ruelle (extrait des "Maximes èd' Pépère Hinri" de Paul Mahieu (Hors-Cadre, Scribande).
(6) si je me souviens bien, c'était un dessinateur du magazine Pilote (Matin, quel journal!).

jeudi 15 décembre 2011

Solidarité avec le Canada

Le Sommet de Durban a accouché d'une promesse d'accord. La négociation sur le climat se poursuivra et, oui, oui, bien sûr, il y aura un bon accord. Un jour. "On continue, depuis Copenhague, à sauver le processus de négociation, mais on ne sauve toujours pas le climat", déplore le député européen Yannick Jadot (1). Il constate le "conservatisme absolu de certains secteurs industriels - des grands de l'énergie fossile, de la chimie, de la sidérurgie - qui aujourd'hui refusent l'évolution et paralysent le système, une partie de l'économie et des gouvernements qui ont malheureusement plus tendance à les écouter qu'à écouter tous les secteurs créateurs d'emplois dans cette nouvelle économie".
En attendant, sous ces températures automnales, on peut skier dans les rues de Bruxelles. La neige y est artificielle, faut-il le préciser. La féérie de Noël n'a pas de prix. A Mouscron et ailleurs sans doute, la patinoire en plein air a été rebaptisée pataugeoire. On patauge en effet dans les contradictions, le ridicule et les pratiques désuètes.
Le Gouvernement canadien a décidé de quitter le Protocole de Kyoto. Il n'arrivera pas à tenir ses engagements, dit-il. Donc il préfère se retirer. Aidons-le à rester dans le Protocole. N'allons plus au Canada. Autant d'avions, de voitures, de chauffage en moins. Et donc d'économies de CO2. Yes, we can(ada)!

(1) LLB, 13 décembre 2011

mardi 13 décembre 2011

Comment dit-on lamentable en néerlandais?

Big Brother is hearing you. Ca se passe à Grimbergen. Si on y boit la bière locale (de fameuse réputation) en disant "santé" (en français dans le texte), on risque gros. C'est que désormais, dans cette commune de la périphérie bruxelloise, située en Région flamande, on ne pourra parler et écrire publiquement que le néerlandais. Les citoyens seront invités à signaler au point de contact pour plaintes linguistiques les entorses à cette règle. Ont-ils entendu parler français ou une autre langue? Ils sont priés de le faire savoir. Ont-ils vu une inscription en français? Hop! Une dénonciation. Toute publicité multilingue sera interdite. La délation, elle, sera encouragée.
Décidément, on le dit et le répète, la bêtise est à la mode. Et le ridicule n'a jamais tué personne.
Cette mesure est illégale, affirme Dirk Vanoverbeke (1): "l'article 30 de la Constitution consacre le principe du libre choix dans les relations autres qu'administratives et judiciaires". Et de rappeler que les relations commerciales sont d'ordre privé.
Le Syndicat neutre pour indépendants se permet de signaler, s'il le fallait (et apparemment il le faut), que le multilinguisme est un atout pour les commerçants et que ceux-ci vivent de leurs clients (2). On veut bien prendre les paris: ce protectionnisme linguistique risque de se retourner contre les commerces de Grimbergen. Quel non néerlandophone aurait encore envie de faire ses courses dans une commune où il risque d'être dénoncé pour son absence de connaissance du néerlandais ou de faire dénoncer, à son corps défendant, le commerçant qui a eu la gentillesse de lui parler dans sa langue?
Mais peut-être les acheteurs flamands y remplaceront-ils les allophones ? Dirk Vanoverbeke constate que "la seule personne qui s'est opposée à cette mesure, c'est un député Groen bruxellois. Et il s'est fait traiter par l'ensemble des parlementaires flamands de francophone de service. Donc, ça montre bien qu'en Flandre cette mesure est considérée comme normale".
Pendant ce temps-là, à la Chambre, Jan Jambon de la NVA fait très sérieusement la chasse aux erreurs de prononciation en néerlandais d'Elio Di Rupo. Et Jean-Marie Dedecker (qu'on avait oublié) reproche au premier ministre de citer Jacques Brel. Un chanteur à laisser aux oubliettes, lui qui eut le culot, dans une de ses chansons, de refuser "d'aboyer le flamand". Christian Laporte rappelle à JMDD (3) que la cible de Brel était les flamingants. Et pas les Flamands, et moins encore les Flamandes qu'il appréciait beaucoup.
Lamentable se dit jammerlijk.

(1) Le Soir, 9 décembre 2011
(2) LLB, 10 décembre 2011
(3) LLB, 12 décembre 2011
(Re)lire aussi sur ce blog "J'ai acheté des plantes à Mooieoog", 27.09.2007

Post-scriptum: Tout comme il ne faut pas confondre musulmans et islamistes, il ne faut pas confondre flamands et flamingants. Ce n'est pas parce qu'on a du respect pour les uns qu'on ne peut pas pourfendre les autres. Au contraire. Les distinctions sont utiles. On est bien au-delà de la nuance.
Pour Jean-Marie Dedecker, rappel de la chanson de Jacques Brel qui brocarde les flamingants.

Les Flamingants, chanson comique !

Messieurs les Flamingants
J'ai deux mots à vous rire
Il y a trop longtemps
Que vous me faites frire
À vous souffler dans le cul
Pour devenir autobus
Vous voilà acrobates
Mais vraiment rien de plus

Nazis durant les guerres
Et catholiques entre elles
Vous oscillez sans cesse
Du fusil au missel
Vos regards sont lointains
Votre humour est exsangue
Bien qu'y aient des rues à Gand
Qui pissent dans les deux langues
Tu vois quand j'pense à vous
J'aime que rien ne se perde
Messieurs les Flamingants
Je vous emmerde

Vous salissez la Flandre
Mais la Flandre vous juge.
Voyez la mer du nord
Elle s'est enfuie de Bruges.
Cessez de me gonfler
Mes vieilles roubignoles
Avec votre art flamand-italo-espagnol.
Vous êtes tellement tellement
Beaucoup trop lourds
Que quand les soirs d'orage
Des chinois cultivés
Me demandent d'où je suis,
Je réponds fatigué
Et les larmes aux dents :
"Ik ben van Luxembourg".
Et si aux jeunes femmes,
On ose un chant flamand,
Elle s'envolent en rêvant
Aux oiseaux roses et blancs

Et je vous interdis
D'espérer que jamais à Londres
Sous la pluie on puisse
Vous croire anglais
Et je vous interdis
À New-York ou Milan
D'éructer Messeigneurs
Autrement qu'en flamand
Vous n'aurez pas l'air cons
Vraiment pas cons du tout
Et moi je m'interdis
De dire que je m'en fous
Et je vous interdis
D'obliger nos enfants
Qui ne vous ont rien fait
À aboyer flamand
Et si mes frères se taisent
Et bien tant pis pour elles.
Je chante persiste et signe :
Je m'appelle Jacques Brel ....

lundi 12 décembre 2011

Tous frères?

On s'est déjà posé la question. On sait qu'on se la posera encore. L'islamisme, cette utilisation réactionnaire, conservatrice et souvent violente de l'islam, est-il compatible avec la démocratie? On pense connaître la réponse.
Jean-François Khan affirme que "demain, l'Internationale des Frères musulmans, ce socle de tous les islamismes politiques, dominera l'ensemble du monde arabe" (1). Il rappelle qu'ils ont remporté 40 % des suffrages en Tunisie, que leur section marocaine est devenu le premier parti du pays, qu'en Egypte, Frères musulmans et Salafistes dépassent les 60% des voix. Et d'autres pays suivront, pense-t-il: "en Palestine, le prochain scrutin, s'il a lieu, se soldera par un triomphe du Hamas, dont on oublie qu'il n'est, lui aussi, qu'une branche locale des Frères musulmans, et la Jordanie, si les élections y étaient vraiment libres, n'échapperait pas au phénomène". Il en ira de même en Libye. Et aussi en Syrie où "ce sont les islamistes sunnites les plus radicaux, aile immodérée cette fois des Frères musulmans, qui ont pris la tête de l'insurrection".

On peut espérer, comme Jean-François Khan, que l'islamisme connaisse la même évolution que celle qu'a vécue la religion catholique jusqu'à l'avènement de la démocratie chrétienne. Mais, à quel coût, en attendant, pour les citoyens - et surtout citoyennes - de tous ces pays?
Certains nous disent que l'islamisme modéré ne doit pas nous inquiéter, précisément parce qu'il est, ou en tous cas se déclare, modéré (2). En voici la preuve: "Les laïques veulent répandre le vice parmi ceux qui ont la foi. (...) Ils veulent que la perversion sexuelle se proclame publiquement. (...) Que celui qui porte en lui de telles immondices se cache, car s'il nous montre sa face, nous lui appliquerons les châtiments de Dieu." C'est Abdelilah Benkirane qui s'exprime ainsi modérément (3). Abdelilah Benkirane, leader du parti marocain Justice et Développement et futur premier ministre. C'est lui aussi qui pense que la monarchie parlementaire, réclamée par les jeunes Marocains, est "totalement inadaptée au royaume". Autre islamiste modéré: Rached Ghannouchi, le leader d'Ennahda, premier parti tunisien. Il est d'extrême droite, estime Mohamed Sifaoui (4), "parce qu'il est d'abord de ceux qui rêvent de purifier une société. Il ne cesse par exemple de répéter que les Tunisiens sont musulmans. Tous? (...) Oser affirmer d'autorité qu'un peuple est musulman, c'est déjà mauvais signe". Sifaoui rappelle aussi que le même Ghannouchi affirmait, il y a quelques années, "que le monde allait être gouverné par l'islam". Le même pense que la loi de Dieu doit supplanter celle des hommes. Le même veut interdire le mariage avec "les dévergondées, les athées et en général les ennemis de l'islam". Le même Ghannouchi, nous dit encore Sifaoui, "expliquait, en 1991 déjà, qu'il fallait combattre l'athéisme".

Voilà donc les produits du Printemps arabe. Il n'est pas de rose sans épine, paraît-il. Mais y a-t-il des roses?
Jean-François Khan (1) pointe la responsabilité considérable des Occidentaux qui, après la colonisation, ont "diabolisé le nationalisme arabo-musulman (...), pour ensuite tenter de contrer le progressisme marxisant en soutenant un peu partout les réactions intégristes et fondamentalistes, comme le fit Ariel Sharon lui-même en jouant, dans un premier temps, le Hamas contre le Fatah". Et de regretter que ces démocraties occidentales, tout en soutenant des tyrannies corrompues, n'aient pas fait de la résolution du conflit israëlo-palestinien une priorité.
La devise des pays gagnés par le Printemps arabe et dirigés par les Frères musulmans risque d'être "Liberté - Egalité - Fraternité". Mais sans la liberté et l'égalité.

(1) Le Soir, 9 décembre 2011
(2) lire sur ce blog "Modérons-nous" (3 novembre) et "Encore un modèle qui s'effondre" (8 novembre)
(3) citations extraites de "L'islamisme nouveau est arrivé", Zineb El Rhazoui, in Charlie Hebdo, 30 novembre 2011
(4) "Ennahda, l'extrême droite modérée", Mohamed Sifaoui, in Charlie Hebdo, 16 novembre 2011

samedi 10 décembre 2011

Des villes à vivre

Cette ville, on la qualifiera de moyenne, du moins en Belgique où elle est située. En France, elle serait petite. On la traverse à pied en 20 à 25 minutes. Elle vit au début des années 2010 comme elle vivait dans les années '80. Deux, trois artères sont piétonnières, mais les voitures y ont toujours, partout, droit de cité. Des centres commerciaux y ont poussé à ses portes, attirant le chaland qui peut s'y garer gratuitement et aussi longtemps qu'il le veut, à deux pas de boutiques sans charme ni originalité.
En ville, sitôt que les autorités locales entendent supprimer deux ou trois places de parking, les boucliers se lèvent. Ceux des fonctionnaires, des enseignants, des étudiants, des commerçants surtout et de leurs clients. Le client entend rester le roi, surtout s'il est automobiliste et même s'il préfère aller voir ailleurs. Les chantiers se multiplient, sans apparente concertation. Les commerces ferment. La Commune, voici quelques années, a organisé une navette qui circulait en centre ville les jours de marché. Elle ressemblait à un fourgon cellulaire orné de publicités. Elle resta vide. La ville se veut touristique. Elle a des ressources historiques, patrimoniales, culturelles, mais elles sont laissées au second rang. Le premier est occupé par la bagnole. Ainsi vit Tournai.
A Gand, l'une des grandes villes de Belgique, l'approche est tout autre. La ville a été réaménagée, la circulation repensée. Le piéton y a la priorité. Après lui vient le cycliste. Puis, les transports en commun. Et enfin, seulement, la voiture, avec un avantage aux véhicules partagés. Les aménagements urbains favorisent les usagers faibles, diminuent les vitesses et découragent l'utilisation de la voiture en centre-ville. Les parkings sont prévus pour dix mille vélos. Des places VIP sont offertes aux spectateurs qui se rendent à bicyclette au théâtre ou au concert. (1) Les piétons sont rois et légions en ville. D'autres villes vivent de la même manière: Freiburg im Breisgau, Berlin, Amsterdam et tant d'autres.
L'auto-proclamé maillot jaune tournaisien vient de présenter le Plan Communal Cycliste de la ville dont il est déjà maïeur avant même les élections. La Région investira deux millions d'euros, la Ville 600.000, pour favoriser l'utilisation du vélo. C'est un début, mais on se dit qu'il manque encore et toujours une vision, de l'audace, un peu de courage politique, pour que la ville de Tournai (re)devienne agréable à vivre. Des parkings de dissuasion, des navettes visibles et efficaces, des vélos en location, un réaménagement complet de la ville... L'Union européenne imposera une diminution de moitié des véhicules à moteur thermique en ville en 2030. Elle les interdira en 2050. Il suffirait juste d'oser être de son temps.

(1) lire "Le modèle gantois, transposable au BW?", in Espace-Vie, décembre 2011

jeudi 8 décembre 2011

Aller simple

Si Elio Di Rupo devient premier ministre, je m'exile en Namibie. Voilà en substance ce qu'a écrit le leader de l'extrême droite flamande Filip Dewinter il y a un an et demi. L'ex-président du Vlaams Blok est-il homme de parole? On n'en doute pas une seconde. C'est un homme, un vrai. On se permet de lui signaler que l'apartheid n'est plus le régime namibien et que des Noirs (oui, des hommes à la peau noire) gouvernent désormais le pays. Quoi qu'il en soit, on lui souhaite un bon voyage. Qu'il ne sente pas obligé de nous envoyer des cartes postales.

Conchoncetés

Les cons ont une grande qualité: ils sont toujours prompts à démontrer qu'ils le sont. Traitez-les comme tels, ils vous donneront très vite raison. L'humoriste Sophia Aram en fait l'amère expérience. En janvier 2011, après une chronique virulente à l'adresse de Jean-Marie Le Pen qui lui faisait face, elle reçoit une première salve de propos insultants et obscènes. En mars, au lendemain des élections cantonales qui ont traduit une poussée du Front national, elle en dénonçait les thèses simplistes et disait sur France Inter: "Je veux bien admettre qu'ils (les électeurs du FN) ont des raisons valables d'être en colère. (...) Mais entre quelqu'un qui penserait que tous ses malheurs sont dus à la présence d'étrangers en France et un gros con, j'ai du mal à faire la différence" (1). Depuis, elle est sous protection policière. Les affiches de ses spectacles sont régulièrement arrachées. Pendant une de ses représentations, près d'Annecy, le compteur électrique a été saboté, plongeant la salle dans le noir. C'est que les gros cons entendent bien lui donner raison, multipliant insultes et menaces de mort. Sur ce grand défouloir pour gros cons qu'est Internet, un courageux anonyme lui souhaite un cancer, un autre dénonce "la juive Sophia Aram qui se veut se faire passer pour une fille d'immigré". Elle a sûrement le grand tort d'être une femme, d'être fille d'immigré, d'être athée, de dénoncer le racisme et l'antisémitisme, de ne pas avoir sa langue dans sa poche. Ce qui est inacceptable aux yeux de certains. Résumons-nous: le gros con aime faire savoir qu'il l'est.

(1) "Sa verve les met en rage", Valérie Lehoux, Télérama, 7 décembre 2011
Lire aussi son interview sur www.telerama.fr et éviter les commentaires, anonymes comme il se doit, aussi affligeants que navrants, aussi stupides que lamentables.
On peut écouter Sophia Aram sur France les lundis et mercredis à 8h55.

lundi 5 décembre 2011

Etre une petite fille

Le niveau général d'éducation n'a jamais été aussi élevé. Cependant, la bêtise reste à la mode. Elle se manifeste de diverses manières. Notamment à travers le racisme et l'antisémitisme. L'hebdomadaire Le Vif (1) publie un dossier sur ce dernier. Des jeunes filles bruxelloises et anversoises témoignent des violences dont elles sont ou ont été l'objet parce qu'elles sont juives. La violence physique est exceptionnelle, mais les injures semblent devenir coutumières. Les Juifs sont porteurs de tous les péchés... d'Israël. Pour certains esprits étroits, Juifs = Israëliens = Sionistes = anti-Palestiniens. Ces raccourcis sont évidemment stupides. Ils témoignent d'un manque de connaissances. Et de réflexions. On ne réfléchit pas, on ne pense pas. Ou plutôt, on pense bas. Les réponses simples à des question complexes rassurent. Les coupables facilement désignés permettent l'expression d'une bêtise haineuse.
Si les origines de quelqu'un indiquent aussitôt ses opinions politiques, on suppose que les Allemands seraient alors tous des nazis, les musulmans des islamistes, tous les hommes seraient des va-t-en-guerre.
Qu'importe que quelqu'un soit juif, arabe, homosexuel, gitan, végétarien, noir ou handicapé ? Ces caractéristiques ne le déterminent pas. Ne l'enferment pas dans un tiroir. Franchement, on s'en fout que telle personne soit juive ou arabe ou homosexuelle, on ne se pose même pas la question. Ce qu'on peut attendre des autres, c'est qu'ils usent d'intelligence, de discernement, qu'ils prennent positivement leur place dans la société dans laquelle ils vivent. Les identités sont meurtrières, écrit Amin Maalouf, si elles sont restrictives, alors que "l'humanité entière n'est faite que de cas particuliers, la vie est créatrice de différences, et s'il y a "reproduction", ce n'est jamais à l'identique. Chaque personne, sans exception aucune, est dotée d'une identité composite; il lui suffirait de se poser quelques questions pour débusquer des fractures oubliées, des ramifications insoupçonnées, et pour se découvrir complexe, unique, irremplaçable" (2).
Jean-Paul Sartre disait que c'est l'antisémite qui fait le Juif. Frantz Fanon écrivait: "Je suis un nègre - mais naturellement, je ne le sais pas, puisque je le suis". Indiquant par là que c'est le regard des autres qui nous enferme dans une étiquette, que c'est le regard du Blanc qui voit le Noir (3).
On aimerait que chacun ouvre son regard, que chacun soit une petite fille qui "aime bien réfléchir" (4).

(1) Le Vif, 2 décembre 2011
(2) Amin Maalouf, "Les Identités meurtrières" (1998)
(3) lire Juliette Cerf: "Fanon, l'indépendance dans la chair", in Télérama, 30 novembre 2011
(3) voir le billet "Envolée" du 30 janvier 2011. Voir aussi "Portrait de la bêtise humaine", 27 janvier 2011.

dimanche 4 décembre 2011

Ornières

Les affaires sont les affaires. Elles ne s'arrêtent jamais. Voilà qu'Alain Mathot, député-bourgmestre de Seraing, est inculpé pour corruption et blanchiment d'argent. Stéphane Moreau, nouveau bourgmestre d'Ans, en lieu et place de Michel Daerden, a fait l'objet de perquisitions, à son bureau de l'hôtel de ville et au siège de l'intercommunale Tecteo qu'il dirige. Philippe Van Cauwenberghe, lui, conseiller communal de Charleroi, est renvoyé en correctionnelle pour faux et usages de faux (1).
La justice rendra, un jour, son verdict et condamnera ou innocentera ces hommes dans ces trois affaires qui n'ont pas de lien entre elles. Sauf qu'elles concernent des mandataires du Ps. Ce parti n'a décidément pas de chance, c'est encore sur lui que ça tombe. A l'heure où son président devient premier ministre - un événement dans l'histoire de la Belgique - voilà qu'il est rattrapé par les affaires.
"Il y a, dans les structures pyramidales du PS, estime Pascal Lorent, journaliste du Soir (2), quelque chose qui favorise, presque culturellement, l'émergence d'hommes forts. Il y a, par ailleurs, dans le fonctionnement du pouvoir, quelque chose qui fait que les hommes ont tendance à vouloir concentrer le pouvoir et à ne pas trop le partager. Là où les affaires ont tendance à éclater, c'est là où tout le monde se cache derrière l'homme fort et où personne n'ose le contredire."
On parle d'un collège plutôt que d'une seule personne pour remplacer Elio Di Rupo à la tête du Ps. Ils ne seront jamais trop nombreux pour (tenter d') en modifier la culture interne.

(1) LLB, 1er décembre 2011
(2) Le Soir, 2 décmbre 2011

vendredi 2 décembre 2011

Non sens

La Belgique sort enfin du tunnel. Peut-être faudrait-il dire d'un tunnel. Le gouvernement fédéral est enfin presque formé. L'accord est dégagé. Mais ce gouvernement gouvernera-t-il vraiment? On se pose la question. L'Europe, les marchés, les agences de notation l'ont contraint à nous proposer un régime minceur, un programme de gouvernement sans vision autre que celle de faire des économies, de serrer la vis. Qui a encore un projet pour nos sociétés? Dans le Soir (1), Yvon Toussaint relève cette impression, que nous sommes nombreux à partager, "que tout se détraque. Qu'on a égaré les codes et les modes d'emploi. Que plus personne, nulle part, n'a de vision structurante de nos sociétés. Que les marchés sont non seulement irrationnels mais pervertis. Que les tentatives d'explication se traduisent par une technicité décourageante. Et, en tout état de cause, que ce qui reste à espérer ce sont des pauses, pour respirer un peu et des attelles pour empêcher la dislocation du système. Rien de plus, hélas".
La manifestation syndicale d'aujourd'hui, à Bruxelles, fut un succès de foule. Mais n'indique rien d'autre qu'une crispation - logique et compréhensible - sur des acquis à défendre. Elle n'indique pas d'autre voie. Les discours syndicaux entendus ce matin sur Matin Première étaient juste flous et vaguement inquiets. L'époque est au vague et au ballotage.
"Nous en sommes là, écrit Gérard Biard (2): paumés au beau milieu d'un système qui s'est emballé et dont la peur est devenue le moteur - on n'agit plus que par crainte du marché. Et plus personne, pas plus ceux qui ont mis en place ce système que ceux qui en sont les acteurs, ne maîtrise quoi que ce soit. Ni les banques, prises à leur propre jeu de dupes, ni les spéculateurs, qui pédalent comme des hamsters dans une roue de la fortune virtuelle, ni les Bourses, qui paniquent en cascade, ni bien sûr les politiques, victimes d'un système absurde qu'ils ont voulu, qui les détruit, mais qu'ils s'obstinent à considérer comme le meilleur possible. Personne n'a pris le pouvoir, pour la bonne raison que plus personne ne le détient."
Yvon Toussaint cite cette phrase d'Yves Montand: " je continue d'espérer, je ne crois plus".

(1) "Ces crises qui nous décervellent", le Soir, 2 décembre 2011
(2) "Les hamsters qui nous gouvernent", Charlie Hebdo, 30 novembre 2011