mardi 29 juin 2021

Prévert à l'index

Je suis allé au marché aux oiseaux / Et j'ai acheté des oiseaux / Pour toi / Mon amour / Je suis allé au marché aux fleurs / Et j'ai acheté des fleurs / Pour toi / Mon amour / Je suis allé au marché à la ferraille / Et j'ai acheté des chaînes, de lourdes chaînes / Pour toi / Mon amour / Et puis, je suis allé au marché aux esclaves / Et je t'ai cherchée / Mais je ne t'ai pas trouvée / Mon amour

On connaît ce poème de Jacques Prévert. On le croyait facile à comprendre. Ce n'est pas le cas. Une élève de 16 ans d'un cours de français d'une école de Toronto a été "choquée" d'avoir à analyser ce poème "raciste" qui fait "l'apologie de l'esclavage". La plainte qu'elle a déposée auprès de la direction a été entendue et transmise à ce qui correspond au rectorat. Visiblement, ni la direction de l'école, ni le rectorat n'ont compris, plus qu'elle, le poème. Ils ont suspendu pendant quelques semaines Nadine Couvreux, la prof de français, l'ont sanctionnée en conseil de discipline et ont menacé de la congédier "si de tels événements devaient se reproduire". Ce poème de Prévert ne pourra plus être étudié. 

On croit à un mauvais rêve, à un cauchemar. On y est. La cancel culture fait des ravages aux plus hauts niveaux. "Qu’une jeune personne soit incapable de comprendre un texte, surtout s’il est d’une autre culture que la sienne, est compréhensible : elle est justement là pour apprendre. Mais que des adultes occupant des postes d’autorité en éducation en soient incapables est terrifiant", écrit le quotidien québécois Le Devoir  (1). La cancel culture rend visiblement stupide. On en vient à se demander à quoi sert une école: à soutenir la bêtise?

Note: ci-dessous pour la direction de l'école et le rectorat, trouvée sur Internet, une brève et assez simple analyse de ce poème : "M Prévert nous raconte la dureté émotionnelle qui vient avec tomber amoureux: Il a trouvé une femme qu'il aime, et il lui achète de belles choses. Mais il aimerait aussi la garder sous clé pour qu'elle ne puisse pas le quitter et pour que personne ne la vole, comme un objet. Mais à la fin, il se rend compte qu'elle n'est pas un objet, mais plutôt une personne libre, et qu'il ne peut pas la contrôler comme il veut." C'est si compliqué à comprendre?

Il n'y a pas de problème, il n'y a que des professeurs. Jacques Prévert

https://www.courrierinternational.com/article/cancel-culture-une-enseignante-canadienne-sanctionnee-pour-un-poeme-de-prevert

samedi 26 juin 2021

Arrêtez le monde, je veux descendre

Voici quinze ans, le philosophe Yves Paccalet publiait "L'Humanité disparaitra, bon débarras!". Aujourd'hui, c'est le GIEC, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, qui annonce cette fin. “La vie sur terre peut se remettre d’un changement climatique majeur en évoluant vers de nouvelles espèces et en créant de nouveaux écosystèmes”, mais "l'humanité ne le peut pas". Pénurie d’eau et de nourriture, montée des eaux, canicules, extinction d’espèces, voilà autant de catastrophes qui ne sont plus des menaces mais une réalité qui va de plus en plus appartenir à notre quotidien. Selon le groupe de chercheurs de l’ONU, l’impact du réchauffement climatique va s’accélérer, menaçant fortement la vie humaine. Et cela bien avant 2050.

Pour se préserver de ces catastrophes, la majorité des gouvernements ont jusqu'à présent pris des mesurettes. Certains envisagent enfin des mesures plus radicales dans les années à venir. Même si elles auraient dû être adoptées depuis vingt ans. En Région bruxelloise (1), les véhicules diesel seront interdits à partir de 2030 et les véhicules à essence cinq ans plus tard. A Paris, ces mêmes interdictions auront lieu en 2024 et 2030. Rome interdira les diesel en 2024 et Lyon en 2036. Dès 2025, la Norvège interdira la vente de nouveaux véhicules essence et diesel. La Grande-Bretagne le fera en 2030 et la Californie, le Québec et le Japon en 2035. D'ici ces dates, la pollution suivra son cours ascendant. Bruxelles Environnement rappelle que le transport routier est responsable de 69% des émissions d'oxyde d'azote, de 35% des émissions de particule PM10 et de 30% des émissions de particules plus fines PM2,5. Le transport est également un des principaux émetteurs de gaz à effet de serre: 30% des émissions totales de dioxyde de carbone en 2017.

On se dit que d'autres mesures pourraient être prises dès aujourd'hui, sans attendre l'interdiction des véhicules thermiques dans les villes: diminuer drastiquement les vitesses sur routes et autoroutes, réduire le nombre de places de parking dans les villes et agglomérations, augmenter sensiblement les prix des carburants, interdire les SUV dans toute agglomération et la vente de véhicules qui consomment plus de x litres aux 100 kilomètres, cesser de construire le moindre kilomètre de route ou d'autoroute. Mais de telles mesures se heurteront immédiatement à la résistance au changement tant des citoyens que des partis politiques. A Bruxelles, le MR proteste contre les interdictions annoncées en 2030 et 2035: "cette communication est particulièrement anxiogène pour la population en l'absence d'alternatives concrètes", estime le parti de droite qui feint de croire que ces années-là vont arriver dans quelques mois. La fin annoncée de l'humanité perturbe moins le MR que la fin des véhicules à moteur thermique. Ce qui en dit long sur les priorités de ce parti.  

En Région wallonne, le Ministre de la Mobilité, de l'Energie et du Climat, Philippe Henry, annonce 2,6 milliards d'euros pour les axes environnement et climat du plan de relance et de transition. Il rappelle que la Région s'est fixé pour 2030 un objectif de réduction de 55% des gaz à effets de serre et pour 2050 la décarbonation. Il constate que "des choses inattendues se sont passées pendant la crise sanitaire: le télétravail, l'attrait pour des modes de déplacement actifs. Notre volonté, affirme-t-il, est de mettre les citoyens dans une situation où ils peuvent faire le choix, pas de sanctionner ou d'interdire." Mais le climat que nous avons tant malmené est en train, lui, de sanctionner la planète entière . A-t-on le choix de ne pas interdire ce qui nous tue? Philippe Henry reconnaît la difficulté à basculer ans la transition: "beaucoup de personnes sont d'accord que l'on fasse des choses en plus, mais ne sont pas d'accord qu'on arrête autre chose, qu'on réoriente autrement". 

Le Soir considère que, si les milliards nouveaux peuvent "booster certaines politiques, redresser des erreurs du passé dans des secteurs trop longtemps négligés: la mobilité active, l'efficacité énergétique, la restauration de la biodiversité, la recherche ou les transports en commun", ils n'auront qu'un effet limité si l'ensemble de la société ne suit pas le même mouvement: l'économie, la fiscalité, l'aménagement du territoire, la politique des villes, l'agriculture, les subventions et investissements publics. "Or, pour faire manœuvrer ces paquebots-là, il faut aller contre les intérêts particuliers, les arrangements séculaires, les pesanteurs, les traditions, la politique comme on l'a toujours faite. Il faudra oser l'impopularité." Qui l'osera? 

(1) "Bruxelles bannit les diesels en 2030 et l'essence en 2035", Le Soir, 25.6.2021.

(2) "Des budgets jamais vus et des enjeux inédits pour le climat", Le Soir, 25.6.2021.

lundi 21 juin 2021

Flop démocratique

Le premier tour des élections régionales et départementales a été boudé par la grande majorité des électeurs français. L'abstention y a atteint le record de 66,73%, soit 31 millions d'électeurs qui ont préféré rester chez eux plutôt que d'aller voter. Seul un électeur sur trois s'est donc déplacé. 87% des 18-24 ans se sont abstenus, 83% des 25-34 ans. Des enfants gâtés de la démocratie? 

"Ce désengagement démocratique est d’autant plus préoccupant, écrit Le Monde (1), qu’il prolonge, en l’amplifiant, un cycle qui s’est ouvert depuis quelques années déjà et qui va de pair avec la montée de la violence et des invectives dans le débat public : plus les élus sont mal élus et moins les citoyens sont incités à respecter leur parole et à valider leur action. L’abstention est une fabrique à contestation." Et ce ne sont pas seulement les électeurs qui sont aux abonnés absents, mais aussi les assesseurs, au point que certains bureaux de vote ont ouvert tardivement leurs portes par manque de personnel. C'est donc bien un problème de citoyenneté qui se pose. Sur France Inter, un jeune justifie son abstention en affirmant que ces élections n'offrent aucune alternative. Quand on voit le nombre de listes en présence, d'un extrême à l'autre, on se demande où il vit et comment il s'informe. Dans les dictatures, les citoyens enragent de ne pouvoir voter librement. Dans les démocraties, les non citoyens, de plus en plus nombreux, font la fine bouche, estimant, avec la finesse d'analyse d'un Gilet jaune, qu'aucun candidat ne correspond à leurs choix.

Etre assesseur dans un bureau de vote permet de constater que des électeurs ignorent qu'ils sont invités à participer à deux élections: départementale et régionale. Certains découvrent, très surpris, qu'ils doivent voter deux fois et font visiblement leur choix à la toute dernière seconde. Participer au dépouillement, c'est aussi se rendre compte que les électeurs aiment les vieilles casseroles - pas forcément celles avec lesquelles on fait les meilleure soupes. Ceux qui pensent que ce sont toujours les mêmes qui sont élus ont plutôt raison, mais la responsabilité en incombe aux abstentionnistes qui auraient pu faire le choix d'élus nouveaux et novateurs.

Ceci dit, ceux qui participent aux élections aiment déjouer les pronostics des instituts de sondage. Ce fut encore le cas hier où on a vu, avec une satisfaction qu'on n'a aucune raison de cacher, le RN-ex-FN bien en-deçà des scores qu'on lui annonçait. La mine défaite de la fille à papa est toujours un spectacle réjouissant. On a les plaisirs qu'on peut. 

(1) https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/06/21/elections-regionales-le-desengagement-democratique_6085002_3232.html

A propos des précédentes élections régionales, (re)lire sur ce blog "Au boulot!", 15.12.2015.

dimanche 13 juin 2021

Une sale odeur dans l'air

En cette période printanière, c'est le parfum des roses, des pivoines et du chèvrefeuille qui devrait dominer, mais il traîne dans l'air comme une odeur d'égout. Les temps sont inquiets. Les débats ont cédé la place à l'invective. Sur les réseaux aussi sociaux qu'antisociaux, on balance entre nombrilisme et insulte. On doit adorer ou détester. On doit dire blanc ou noir, envoyer des baisers ou cracher. La nuance est une notion qui semble appartenir au passé.

"Nous étouffons parmi des gens qui pensent avoir absolument raison", écrivait Albert Camus. Jean Birnbaum le cite dans "Le Courage de la nuance" (1) et constate que "les réseaux sociaux sont devenus une arène où le débat est remplacé par le combat: chacun, craignant d'y rencontrer un contradicteur, préfère traquer cent ennemis. Au-delà de Twitter ou de Facebook, le champ intellectuel et médiatique se confond avec un champ de bataille où tous les coups sont permis. Partout de féroces prêcheurs préfèrent attiser les haines qu'éclairer les esprits."

Une chaîne comme C-News ne délivre plus d'informations, mais uniquement des commentaires, quasiment tous de droite et le plus souvent d'extrême droite. Il faut bien donner la parole "aux ploucs, aux gens qui roulent en diesel, qui pètent à table", comme le laisse entendre un des éructeurs de la chaîne (2). Draculine Le Pen invite Eric Zemmour à ne pas se présenter à l'élection présidentielle de 2022 pour ne pas disperser ce qu'elle appelle "le "vote national". Elle n'envisage évidemment pas une seconde de se retirer, elle. Elle qui a déjà perdu face à Macron, faisant l'éclatante démonstration de son indigence intellectuelle. Ce qui n'enlève rien à son succès: elle est en tête des sondages, même si elle change d'avis tous les trois jours et ne parvient pas à expliquer la politique qu'elle entend mener notamment sur les plans budgétaire et monétaire.  En France comme en Belgique, des études révèlent que l'armée est gangrénée par l'extrême droite. Des militaires se déclarent prêts à "prendre leurs responsabilités" pour sauver leur pays. Ce qui ressemble fort à une menace de putsch. De l'autre côté de l'échiquier, une partie importante de la gauche cire les bottes des islamistes, au mépris de tous ceux et toutes celles - surtout toutes celles - qui crèvent sous ces bottes. Ce qui est tout bénéfice pour l'extrême droite. MélenChe, lui, balance entre immonde et stupide. Son complotisme a scandalisé tout le monde, y compris ses affidés qui peinent à tenter d'expliquer la subtilité des analyses de leur leader maximo (3). Et voilà l'irresponsable qui s'indigne ensuite d'être enfariné dans la rue. Le président de la République se fait gifler par un partisan des Gilets jaunes qui s'est dit dégouté par son regard sympathique. On cherche en vain dans tout cela de l'intelligence, des réflexions, de la rationalité, des échanges d'arguments, des débats, une hauteur de vue. 

Hier, un peu partout en France, des manifestants ont marché contre la banalisation de l'extrême droite. Il ne faut à aucun prix la laisser passer. Une manifestante anti-extrême droite se vante d'avoir voté blanc à la présidentielle de 2017 (4). Elle ne veut plus d'un front républicain comme en 2002 quand il a fallu choisir Chirac pour éviter le pire, le père Le Pen. Une autre annonce, péremptoire, qu'elle ne votera "certainement pas au deuxième tour". Pour un jeune manifestant, "lorsque le front républicain se construit avec des partis qui ont des valeurs en partie communes avec l'extrême droite, on est sur la peste et le choléra". Donc, si on comprend ces manifestants, il faut empêcher que l'extrême droite arrive au pouvoir, mais il ne faut pas compter sur eux pour cela. Eux se contentent de manifester, pas de voter. Un autre jeune affirme ne pas voir de différence entre l'extrême droite et d'autres partis. Inquiétants citoyens qui ont jeté aux orties tout sens de la nuance et semblent ne pas comprendre leurs propres revendications. Heureusement, l'un d'eux pense le contraire: "être de gauche, c'est penser à l'autre avant de penser à soi". Il ajoute que, s'il l'avait fallu, il aurait voté Fillon pour faire barrage à Le Pen pour protéger ceux qui en auraient, les premiers, payé le prix. Mais beaucoup d'autres sont prêts à voir la France salie, pourvu qu'eux gardent les mains propres.

Jean Birbaum encore: "Faire droit au point de vue d'autrui, admettre qu'il peut avoir raison, ne pas hésiter, non plus, à lui signifier vertement un désaccord: on est très loin, ici, de cette mentalité de guerre civile qu'on voit s'imposer à chaque regain des tensions idéologiques, et qui a tendance à s'installer à nouveau aujourd'hui. Au point de produire des esprits vitrifiés, qui rechignent d'autant plus à formuler leurs divergences avec tel ami, tel soutien, qu'ils mobilisent toutes leurs forces contre un grand Ennemi principal. Or c'est précisément dans les périodes de montée aux extrêmes, quand les consciences se durcissent et que tout dialogue menace de se rompre, qu'il faut protéger l'espace d'une frontalité honnête, le seul qui permet véritablement de penser."

(1) Jean Birnbaum, "Le Courage de la nuance", Seuil, 2021. 

(2) https://www.franceinter.fr/emissions/le-billet-de-sophia-aram/le-billet-de-sophia-aram-07-juin-202

(3) https://www.nouvelobs.com/politique/20210607.OBS44983/des-propos-complotistes-de-melenchon-a-sa-plainte-contre-un-youtubeur-d-extreme-droite-retour-sur-une-polemique-en-cinq-actes.html

(4) https://www.huffingtonpost.fr/entry/le-front-republicain-ne-fait-plus-recette-a-la-marche-des-libertes_fr_60c4c849e4b0daf882b7eb3e

(Re)lire sur ce blog "Le paradoxe de la gauche", 21.3.2021.

mercredi 2 juin 2021

Le voile en face

En Belgique comme en France, le communautarisme gagne chaque jour du terrain. Les islamistes sourient dans leur barbe. Ils sont en train de gagner, avec l'aide active de la gauche. Où est l'internationalisme et l'universalisme des partis de gauche? Les voilà plus catholiques que le pape, aussi prudes qu'un ayatollah. La religion musulmane a désormais pour eux tous les droits et ses (pseudo) règles doivent avoir droit de cité. Au nom du décolonialisme, il faut soutenir les pratiques islamiques, même s'il n'y a pas plus colonisateur des esprits qu'une religion. 

En Belgique, voilà qu'Ecolo - par provocation? - désigne comme commissaire du gouvernement à l'égalité entre les hommes et les femmes une femme voilée. Faut-il pleurer, faut-il en rire? Le voile, vêtement politique, est précisément l'expression de l'inégalité hommes - femmes. 

Que diraient les bonnes âmes qui aujourd'hui défendent le port du voile et les accommodements dits raisonnables si demain les chrétiens obligeaient les femmes à se couvrir la tête, interdisaient que qui ce soit consomme de la viande le vendredi et pendant le Carême et qu'on vende et consomme de l'alcool dans les quartiers où ils vivent, revendiquaient des horaires différents pour les hommes et les femmes dans les piscines? Et s'ils élevaient les filles à faire des enfants et gérer le foyer? S'ils se montraient menaçants dès qu'on critique leur religion? S'ils pourchassaient l'adultère et l'homosexualité? N'y aurait-il pas du racisme à accepter pour d'autres des contraintes, des règles et des châtiments que soi-même on combattrait furieusement ? Qu'est-ce qui pousse Ecolo et d'autres partis de gauche, en Belgique comme en France - partis qu'on a connus féministes - à défendre le voile? L'électoralisme? Le paternalisme? Un sentiment très judéo-chrétien de culpabilité? Un peu de tout cela? La religion est l'opium du peuple et le carburant de trop de partis de gauche.

Nombreuses sont les femmes de culture musulmane qui rejettent le voile, ici comme dans les pays où l'islam est majoritaire.

Djemila Benhabib (qui a fui l'Algérie): " Je suis contre tous les foulards, qu'ils soient portés à Téhéran, Kaboul, Alger, La Courneuve, Lille ou Marseille, qu'ils recouvrent une partie du corps ou totalement, car les foulards du monde entier expriment une même chose: la soumission forcée des femmes à un programme d'oppression." (...) "Cet apprentissage du foulard se fait sous la pression de l'entourage, pour amener la fillette à revendiquer son foulard vers 14 ans, en affrontant ses professeurs et en clamant c'est mon choix. Cette recherche ethnico-identitaire des adolescentes se fait sur le dos des femmes et il se trouve de ses défenseurs pour crier au racisme."

Seyran Ates, imame de la mosquée Ibn Rushd-Gœthe à Berlin (qui vit sous protection policière): elle considère le voile comme "un marqueur qui désigne les femmes en tant que telles". Ce sont, selon elle, les Occidentaux qui soutiennent l'idée que le hijab serait pour les femmes un signe de dignité ou un symbole d'empowerment. "Je suis avocate, j'ai travaillé pendant plus de trente ans avec ces femmes qui tentent d'avoir une vraie vie: 80% d'entre elles n'ont pas le moindre choix. Ça va bien au-delà du voile, elles n'ont aucun choix dans aucun domaine, aucune autodétermination."
"Quand une femme se couvre, ce sont les pulsions sexuelles de l'homme qu'elle protège. Elle ne se protège pas elle-même, elle protège le pauvre homme qui ne peut plus se concentrer sur sa foi en Dieu et sa pratique de la religion."
Elle défend la loi interdisant aux professeures, aux juges, aux policières de porter le voile. "Et je veux faire interdire le voile dans les écoles".
Aux féministes occidentales qui refusent de s'opposer au voile, voire le soutiennent, au nom de la lutte anti-colonialiste, elle répond que "c'est leur position qui est colonialiste. Ça ne tient pas debout: Je ne veux pas être colonialiste, mais je défends le foulard. Il est là, le colonialisme. C'est positivement raciste. Et arrogant. Il ne faut pas imposer nos valeurs occidentales aux autres pays, donc nous acceptons que les droits de l'homme ne s'appliquent pas aux pays musulmans? Pardon? Je croyais que les droits de l'homme étaient universels... J'aimerais bien voir ces dames faire du bénévolat en Iran. Elles devraient emmener leurs familles et passer six mois là-bas. (...) Quand je vois les conditions d'existence des femmes en Iran, je pourrais en pleurer. Elle se battent contre le voile depuis 1979. Ces féministes ne les écoutent pas. Parce que ce ne sont pas des victimes. Or elles aiment bien quand nous restons à notre place de victimes. Elles peuvent alors nous aider, nous apprendre à lire et à écrire, aller au Pakistan et en Afghanistan... Mais pas en Iran, parce que, justement, les femmes iraniennes se débrouillent très bien toutes seules, vont à l'université, ont un vaste savoir. Elles ne sont pas victimes des pays occidentaux. Elles sont victimes des mollahs. Ces féministes ne veulent pas l'entendre. Elles préfèrent se voir comme des dissidentes de prétendues dictatures occidentales".

Abnousse Shalmani, journaliste d'origine iranienne: "Le voile, c'est l'islam politique. C'est la frontière Privé-Public portée à son paroxysme." (...)
"Il existe un vrai rapport, un rapport simple entre le foulard et la modernité: ils ne vont pas ensemble. Le foulard est l'anathème de la modernité. Présentez-moi mille femmes voilées de tous âges et faites-leur répéter qu'elles se sentent libres, qu'elles se sentent heureuses sous le voile. Je ne les croirai pas. Elles peuvent être chefs d'entreprise, féministes, politiciennes, biologistes, écrivains, ingénieurs, nobélisables, elles n'en demeurent pas moins des femmes marquées par la honte d'être femmes. Elles trimbalent avec leur voile des millénaires d'abus, d'infériorité, de mépris. Elles se couvrent pour cacher leur honte." (...) "Qu'un homme viole une femme sans voile, il n'est pas coupable. La femme sans voile est une provocation. Elle n'a pas besoin d'en rajouter en jupe et en décolleté, elle est provocation quand elle est dé-couverte. Riez, riez sous mon nez d'enfant prisonnière du voile islamique, l'Histoire vous donnera tort: le voile n'est pas seulement un voile."

Soheib Bencheick, mufti de la mosquée de Marseille: "Le voile est une fausse route pour les jeunes filles. Rien dans le Coran ne leur impose d'afficher ainsi leur foi. Le voile conduit trop souvent à des comportements inquiétants, comme le refus de la mixité, de l'égalité des sexes, des cours de biologie ou de sport." 

Maya Ksouri, avocate tunisienne: "Lisez les mémoires d'un des plus éminents dirigeants de la Nahda (le parti islamiste tunisien Ennahdha, vendu comme le parangon de l'islam modéré), Abdelhamid Jelassi (...) et vous verrez que le voile et ses pendants ne sont pas des vêtements comme les autres. Il le dit clairement. Le voile et la volonté insidieuse de sa généralisation, sous toutes ses formes, dans l'espace public, est aujourd'hui, dans un contexte d'islam politique florissant, un élément de propagande, de démonstration de force et de victoire... Victoire remportée sur le modèle social caractérisé par la libération des femmes arabes et leur émancipation à partir des années 30 sous l'impulsion d'Atatürk, Bourguiba et Nasser."

Fawzia Zouari, écrivaine et journaliste tunisienne, fustige "ces gourdes qui se voilent et se courbent au lieu de flairer le piège, qui revendiquent le statut de coépouse, de complémentaire, de moins que rien! Et ces niqabées qui, en Europe, prennent un malin plaisir à choquer le bon Gaulois ou le bon Belge comme si c'était une prouesse de sortir en scaphandrier! Comme si c'était une manière de grandir l'islam que de le présenter dans ses atours les plus rétrogrades". 

Rappelons enfin que l'avocate iranienne Nasrin Sotoudeh a été condamnée, en mars 2019, à trente-huit ans de prison et cent quarante-huit coups de fouet. Son crime: avoir défendu des femmes qui ne portaient pas le voile et en revendiquaient le droit. Bien sûr, le tribunal islamique a invoqué d'autres raisons, toutes plus invraisemblables les unes que les autres: "incitation à la corruption et à la prostitution", "insulte au Guide suprême", "incitation à la débauche", "propagande contre l'Etat" et on en passe tant ces accusations sont ridicules. Ce qu'on lui reproche, c'est de s'être opposée au port du hijab, d'avoir retiré celui-ci lors de visites de ses clientes en prison, d'avoir accordé des interviews aux médias à propos de l'arrestation violente et de la détention de femmes qui contestent l'obligation du port du voile islamique. Ce qu'on leur reproche, à elle et à ses clientes, c'est de vouloir être des femmes simplement libres. Et se montrer la tête libre lui coûte donc trente-huit ans de prison et cent quarante-huit coups de fouet. Ainsi va la vie pour les femmes dans ce pays de vieux barbus obsédés qui les haïssent.

Existent-elles ces femmes aux yeux des bonnes âmes de gauche qui défendent le voile?

A (re)lire sur ce blog: "Ecriture voilée", 9.5.2021; "Djemila Benhabib et les islamistes", 19.1.2021; "Enfin!", 4.10.2020; "Ces mollahs malades", 12.12.2019; "Moments de dévoilement", 2.12.2019; "Vivement le temps des femmes", 25.9.2019; "Mauvaise foi", 28.5.2018; "Cachez cette femme que je ne saurais voir", 24.10.2016; et bien d'autres billets encore (cliquez sur le libellé voile).