mardi 30 avril 2019

Les jeunes ne sont plus ce qu'ils étaient

On ne cesse d'être surpris par l'être humain. Il est toujours là où on ne l'attend pas.
Dans un article sur le résultat des élections espagnoles, on lit la déception d'une électrice du parti d'extrême droite Vox (1). Elle regrette que le parti n'ait pas obtenu plus d'élus. Elle a vingt-deux ans et est étudiante en philosophie. On s'étonne: comment peut-on être jeune, étudier la philo - donc s'interroger sur le sens qu'on donne à la vie, à sa vie - et voter pour un parti anti-immigration, foncièrement antiféministe, ultranationaliste et opposé au mariage homosexuel? Comment peut-on à cet âge faire le choix d'une idéologie du repli, rance et nuisible? 
Elle n'est pas seule à surprendre. A la faculté de sociologie de l'Université de Lorraine, des étudiants échangeaient, via une messagerie, des vidéos et des propos racistes injuriant leurs condisciples et leurs enseignants noirs (2). Ils offrent à leurs formateurs une belle opportunité d'étudier ce qui mène certaines personnes à considérer en ce début de XXIe siècle qu'elles appartiennent à un groupe qui serait supérieur à d'autres. La prétention et la bêtise collectives doivent constituer d'intéressants objets d'étude en sociologie. Comme le rappelait un intervenant dans le Journal de France Inter (3), le terme université  indique la recherche d'universalisme. On y est dans un lieu qui cultive l'émancipation, la raison, l'esprit critique. 
On voit par là qu'on peut avoir un bac + 2, 3 ou 5 et être incapable de réfléchir intelligemment. On peut être étudiant et ne rien comprendre à ce qu'on étudie.
Résumons-nous: il ne faut jamais cesser d'étudier.

(1) https://www.lalibre.be/actu/international/decus-les-militants-d-extreme-droite-saluent-la-revolution-vox-en-espagne-5cc696b9d8ad586a5ad5ec1c




samedi 27 avril 2019

Grogne et élections

Le président Emmanuel Macron n'avait pas fini d'énumérer, il y a deux jours, la longue liste des réformes qu'il veut engager à la suite du Grand débat que les Gilets jaunes exprimaient déjà leur déception. Mais un Gilet jaune le serait-il encore s'il n'était pas mécontent, s'il ne restait un éternel insatisfait? C'est ce qui le caractérise: bougon, boudeur, grognon, râleur. Aucune annonce ne peut le contenter. France 3  (1) recueillait sur un rond-point les réactions de Gilets jaunes pendant la conférence de presse du président. Sans surprise, ils s'affirmaient très déçus. La mauvaise foi est érigée en vertu. On croirait voir des enfants qui, face aux remarques de leurs parents, se mettent les mains sur les oreilles en criant pour être sûrs de ne rien entendre. Ils pourraient se réjouir d'avoir été, au moins partiellement, entendus, mais ils préfèrent la posture du puriste ou du capricieux. Sans doute aucun président n'a-t-il jamais annoncé, dans l'histoire de la République française, autant de réformes en même temps pour répondre à la grogne, mais les Gilets jaunes avaient décidé, dès le départ, que quoi qu'il dise ils resteraient mécontents. Leur existence repose sur l'insatisfaction. Il n'est point de pire sourd que celui qui a attrapé la fièvre jaune.

Le Journal d'Arte (1) affirme qu'ils sont notamment déçus par les annonces du président en matière d'écologie, "un thème très cher aux Gilets jaunes". Voilà qui nous avait échappé: si une petite frange d'entre eux est inquiète pour l'avenir de la planète, la plupart est quand même faite d'automobilistes qui veulent rouler comme bon leur semble.
Les écologistes, eux, ne sont pas déçus, parce qu'ils n'attendaient rien de Macron, disent-ils (2). Ce qui ne les empêche pas de regretter que les réflexions sur l'avenir de la planète et les mesures à prendre soient confiées à un panel de citoyens tirés au sort. Mais quel élu a pris ou oserait prendre des mesures fortes et contraignantes en faveur de l'environnement et du climat? Aucun. Même chez les écologistes. On se souvient qu'il y a seize ans, suite à son cuisant échec aux élections fédérales, Ecolo avait décidé de non plus s'opposer mais s'abstenir sur le dossier dit de Francorchamps, estimant avoir été mal compris et injustement sanctionné par les électeurs. Plus récemment, ce sont les Verts allemands qui revenaient sur leur projet de taxer lourdement les carburants routiers. L'élection oblige à renoncer à ses propres objectifs, à sa cohérence. De qui espérer une avancée indispensable sinon de personnes qui ne sont pas liées à une élection?
Autre exemple à Limoges. Où le maire considère comme "une catastrophe" la décision de la compagnie aérienne Twin Jet de ne plus assurer la liaison Limoges-Paris depuis le 1er janvier dernier (3). En mai 2018, la Ministre des Transports avait fixé deux nouvelles obligations de service public sur les liaisons Limoges-Paris et Limoges-Lyon. "L'aéroport veut une desserte moderne, des avions plus grands, des toilettes à bord et des prix plus bas", soulignait le président de Limoges Métropole. La compagnie ne pouvant assurer un tel service avait annoncé en septembre qu'elle abandonnerait cette liaison. Comment peut-on parler de service public en parlant d'avion? Quel intérêt public y a-t-il à soutenir un mode de transport aussi polluant? Pourquoi faut-il une liaison aérienne entre Paris et Limoges (372 km)? Entre Limoges et Lyon (331 km)? Un élu est-il obligé de soutenir les positions les plus stupides? Ne peut-il plaider pour un abandon de ces lignes scandaleuses en accordant toute priorité au chemin de fer? Un élu, s'il veut survivre, doit plaire à son électorat et surtout ménager les grognons. Il doit assurer que tout va bien, que tout ira bien, que le confort ne fera que croître et que rien de ce qui le permet ne sera remis en question.

Pendant ce temps, la reine des grognons passe en tête des sondages pour l'élection européenne. La fille à papa peut remercier les Gilets jaunes, leurs analyses et leurs positions simplistes. On la croyait finie après le débat de l'entre-deux tours de l'élection présidentielle où elle avait démontré l'extrême limite de ses capacités intellectuelles. Le RN-ex-FN engrange les voix de ceux qui sont, par essence (dans tous les sens du terme), mécontents.

Post-scriptum: on ne sait que penser des revendications des G.J. Arte (voir ci-dessus) affirme que l'écologie est un "thème très cher aux G.J.". Mais le Huffpost (4) s'étonne que Macron n'ait pas répondu positivement à l'exigence des G.J. de supprimer la limitation de vitesse à 80 km/h sur les routes secondaires et d'abandonner tout projet de taxe carbone. Sont-ils pour ou contre l'écologie finalement? Faudrait savoir. Mais c'est sans doute qu'il y a Gilets jaunes et Gilets jaunes: ceux qui sont plus jaunes que jaunes, ceux qui sont verts de rage, ceux qui sont en colère, ceux qui sont le vrai peuple fâché, ceux qui sont le peuple vraiment fâché, ceux qui sont oh là là vous n'avez encore rien vu. Chaque samedi, lors de leur promenade traditionnelle, ils sont un peu moins nombreux. Ils ne lâchent rien, mais sont lâchés par tous les autres.

(1) 25.4.2019.
(2) https://www.nouvelobs.com/politique/20190425.OBS12118/les-ecologistes-n-attendaient-rien-de-macron-ils-n-ont-pas-ete-decus.html
(3) "Une surprise générale... qui surprend", La Montagne, 27.12.2018.
(Re)lire sur ce blog "En marche", 27.12.2018.


lundi 15 avril 2019

Le temps de la démocratie

Le Gouvernement français entend privatiser La Française des Jeux et la société Aéroports de Paris. Les partis non gouvernementaux y sont fermement opposés. Les Gilets jaunes aussi. Ces sociétés sont publiques, disent-ils tous. Donc, elles nous appartiennent. L'Etat ne peut s'en défaire en les revendant au privé. De nombreux parlementaires voudraient que ce projet fasse l'objet d'un R.I.P.: un référendum d'initiative partagée. Partagée entre les parlementaires et la population. Il faut, selon la loi, un certain nombre des uns et de l'autre pour qu'un référendum soit organisé sur la question en débat.
Il en fut question sur Arte au cours de l'émission 28 minutes de vendredi dernier. Encore une fois, la complexité du dossier apparaît rapidement. Quelle(s) question(s) poser? Une question large sur le principe de privatisation des biens de l'Etat (les bijoux de famille, comme on a l'habitude de les nommer)? Ou une question sur les deux privatisations en projet ou sur chacune d'entre d'elles, sachant que les enjeux sont très différents pour l'une ou pour l'autre? Et si l'Etat s'en défait, doit-il y conserver des parts? Et si oui, de combien? 20%? 33%? 49%? Ajoutons à cela qu'on peut s'interroger sur l'intérêt qu'il y a pour un Etat de posséder ces types de société d'une logique profondément capitaliste. On peut aussi se demander si l'Etat peut être juge et partie, s'il est capable de réguler, pour le bien des consommateurs, des citoyens, des riverains et de l'environnement des structures dont il est lui-même propriétaire? Si l'on veut que l'Etat protège d'eux-mêmes les gens qui pratiquent les jeux de hasard, peut-il, doit-il les organiser lui-même? Ou, au contraire, sera-t-il plus à même de fixer des règles strictes pour une société qui ne lui rapporte pas directement de l'argent? Et à l'heure de la nécessité, pour cause de réchauffement climatique galopant, d'une diminution des déplacements, notamment aériens, l'Etat doit-il être propriétaire de structures qui n'ont d'intérêt qu'à voir augmenter ces déplacements? On le voit, ces questions sont trop nombreuses pour être réduites à une seule posée lors d'un référendum auquel les citoyens répondront bien plus dans l'émotion que dans la raison. Le principe de celui-ci est aussi simple que son application est complexe.
Une assemblée d'élus ou de citoyens tirés au sort serait bien plus à même de débattre de ces questions fondamentales. Et surtout d'en prendre le temps.
Bonne nouvelle: voilà qu'on apprend (1) qu'un collectif a décidé de se lancer et de créer une assemblée de citoyens tirés au sort, représentatifs de la société française. Il y a trois mois, ses membres avaient accueilli avec enthousiasme le lancement du Grand débat mais déploraient notamment "la précipitation" du processus. Mais le président français, sous l'extrême pression des Gilets jaunes, pouvaient-ils attendre encore et en peaufiner l'organisation avant de le démarrer? La semaine dernière, le premier Ministre en a dégagé les premiers enseignements. Quelques jours après, on apprenait que tous les textes n'avaient pas encore été traités. Mais tant de gens, journalistes, citoyens, partis politiques, Gilets jaunes s'impatientaient, trouvaient que gouvernement et président traînaient trop avant d'annoncer des décisions. Le temps dit réel devient dictatorial. Il faut aller vite, décider vite. Et  même tout de suite. Quitte à se voir reprocher ensuite un excès de précipitation.
Les tenants du principe du référendum accepteront-ils celui d'assemblées citoyennes qui devront prendre le temps? Le temps de se former, de s'informer, d'examiner les causes d'un problème, d'envisager toutes les solutions possibles, de consulter, de débattre, de décider. Et ces assemblées citoyennes seront-elles vues comme légitimes, comme représentatives de tout un peuple? 
Car pour certains, désormais, seul le peuple, rien que le peuple, tout le peuple seul peut et doit décider. Parce que le peuple a toujours raison. C'est aussi le peuple qui a porté au pouvoir Orban, Salvini, Trump, Poutine, Erdogan et tant de nuisibles. Ce peuple admirable, tant admiré par les populistes de tous poils. C'est le peuple français qui pourrait bien amener au pouvoir, un jour proche, une des membres de la dynastie Le Pen. Ce peuple-là est effrayant. 
(Re)lire sur ce blog "Une fausse bonne idée", 6.1.2019.

vendredi 12 avril 2019

Nouveau coup de David à Goliath

Ne laissons pas passer les occasions de nous réjouir. Elles manquent en cette période où les nuisibles triomphent les uns après les autres (même si Bouteflika et Al-Bachir viennent de tomber – mais on est loin d’être sûr qu’ils entraînent leur régime dans leur chute).

Parlons de la terre. De notre Terre.
Paul François (que nous avons eu le plaisir de recevoir à Lignac le 1er mars) a remporté hier une nouvelle victoire contre Monsanto.
La Cour d’Appel de Lyon a, à nouveau, affirmé la responsabilité de la firme américaine dans la grave intoxication dont a été victime le paysan charentais en 2004 et dont il continue à souffrir des conséquences. C’est la troisième fois qu’un tribunal lui donne raison en condamnant Monsanto.
Reste que ce dernier peut encore former un pourvoi contre cette décision et que la question de l’indemnisation n’est toujours pas réglée (1). Mais ne boudons pas notre plaisir: cette condamnation est une victoire pour lui et pour toutes celles et tous ceux qui se battent contre les pesticides.

Paul François est un homme qui force le respect. Hier (entendez jusqu’en 2004), il était, dit-il « accro aux phyto ». Comme la majorité des producteurs de céréales, il pratiquait l’agriculture intensive, persuadé alors que c’était le seul moyen de s’assurer des revenus suffisants, d’accroître les rendements pour nourrir son pays et l’ensemble de la planète.
Chaque printemps, il passait plus de deux cents heures à « nourrir » consciencieusement ses champs avec des pesticides.
C’est ce qu’il avait appris à faire à l’école. Tous les enseignants de la filière agricole répétaient que les pesticides sont indispensables pour éliminer mauvaises herbes, insectes, champignons, etc. Tout ce qui était considéré comme un fléau, un nuisible (pestis) qu’il faut tuer (cide – cædere). Les ventes des pesticides ont doublé dans les années 1990.
Nous étions « tous de parfaits petits chimistes, pas des agronomes », dit-il aujourd’hui. Le sol était devenu un désastre : « comme si on donnait à quelqu’un la même boîte de conserve à manger tout au long de l’année ».

Aujourd’hui, il n’est plus le même homme. Il ne l’est plus depuis le 27 avril 2004, quand, ouvrant une cuve restée au soleil, il prend en pleine figure une bouffée de Lasso, un herbicide produit par Monsanto. Il ressent aussitôt une impression de chaleur intense au visage, puis dans tout le corps. Il ressent des vertiges, des nausées, des difficultés à avancer, sa respiration devient difficile. Son épouse, infirmière, l’emmène aux urgences de l’hôpital voisin, dans le nord de la Charente. Il perd connaissance et est placé sous oxygène.
A partir de ce jour fatal, il multipliera les problèmes de santé et les séjours en hôpital. Et sait que sa vie est à tout moment suspendue à un risque de développer une maladie telle que Parkinson, Alzheimer ou un cancer.
Mais  il faudra longtemps pour qu’un lien soit établi entre ses graves problèmes de santé et l’inhalation de Lasso. Le voilà forcé de se rendre compte que « les produits qui dopaient (son) maïs avaient bousillé (sa) santé », que cette toxicité était connue, mais dissimulée, que l’omerta régnait alors, tant dans le milieu agricole que dans le milieu médical, sur les dangers des pesticides.

Première victoire judiciaire : en novembre 2008 (quatre ans et demi après l’accident), sa rechute est liée à son accident de travail et doit être prise en charge « au titre de la législation professionnelle ». L’assureur doit prendre en charge cette rechute. Jugement confirmé en appel fin janvier 2010. Le lien de causalité est établi entre ses troubles et l’herbicide de Monsanto. Selon son avocat, François Lafforgue, c’est une première en France devant une Cour d’appel.  Avant, de rares atteintes par les pesticides avaient été reconnues comme maladies professionnelles chez des agriculteurs.

Décidé à poursuivre le combat, il dépose plainte contre Monsanto. Son avocat découvre que le Lasso est interdit au Canada depuis 1985 pour « risque inacceptable pour la santé de l’homme » et a été retiré du marché belge en 1991 : « une activité cancérigène chez l’homme de l’alchlore n’est pas formellement exclue ». Ce qui n’a pas empêché le producteur de pesticides de continuer à vendre ailleurs ce désherbant tout en niant sa dangerosité.
Le Lasso sera enfin retiré du marché français en avril 2017, suite au retrait d’autorisation de l’alachlore par l’U.E. : « l’exposition résultant de la manipulation de la substance et de son application représenterait un risque inacceptable pour les utilisateurs ».

En mars 2011, Paul François crée l’association Phyto-victimes, pour venir en aide aux professionnels victimes de pesticides et pour « donner un supplément de sens à nos épreuves ». Une forme de résilience collective. Il passe ainsi de son statut de malade à celui de victime engagée dans une quête de justice et un combat contre les pratiques déviantes des fabricants de phyto.
L’association offre un accompagnement moral et juridique aux agriculteurs, viticulteurs, jardiniers, etc. dans leurs démarches pour la reconnaissance d’une maladie professionnelle.

Février 2012, le tribunal de Lyon donne raison à Paul François face à Monsanto, constatant « la réalité d’une intoxication provoquée par l’inhalation de Lasso ». La présence du solvant n’est pas mentionnée sur l’étiquette  et les précautions d’utilisation et de dangers potentiels sont passées sous silence.
En 2015, un jugement de la Cour d’appel lui donne gain de cause : Monsanto a failli à l’obligation d’information sur les risques liés à l’utilisation du Lasso. Les juges reconnaissent le lien de causalité entre le non-respect de l’obligation d’information et le préjudice subi par Paul François. Cassée suite à un recours de Monsanto, cette décision a donc été confirmée hier.

Entretemps, Paul François a converti en bio ses 160 hectares de cultures et a pu se rendre compte que ses rendements sont bons.  Il avait déjà constaté que la réduction des pesticides ne nuit pas, au contraire, à la productivité (une étude le prouve).  De plus, ses revenus ont augmenté :  le maïs bio est vendu 280 € la tonne, soit deux fois le prix du conventionnel sans le coût des pesticides.
Il s’est aussi rendu compte que, passant au bio, ses champs revivent, la nature revient : coquelicots, bleuets, abeilles, lièvres, odeurs d’humus. Les plantes sont plus saines. Plus question de guérir mais de prévenir.

Aujourd’hui, il veut encore aller au-delà et formule des propositions :
-       Créer un fonds d’indemnisation des victimes des pesticides (comme pour l’amiante) qui serait alimenté par les fabricants.
-       Fédérer les victimes de la chimie (au-delà de la seule agriculture) et inventer à l’échelle internationale la notion de crime d’écocide, pour atteinte grave à l’environnement.
Selon lui, l’agriculture de demain  doit fonctionner avec une rotation des cultures, une diminution des dosages de pesticides ou – mieux – une conversion à l’agriculture biologique. Seules 32.000 fermes (7% des exploitants) le sont actuellement. Il appelle aussi à rééquilibrer au niveau européen les aides à l’agriculture en faveur du bio et à multiplier les aides à la conversion.
« Ce combat n’est plus seulement le mien, écrit-il. Puisse ma victoire donner aux paysans de tous pays le courage de s’organiser, de lutter, de relever la tête. »

Suite à la nouvelle condamnation de Monsanto hier, Paul François a appelé les politiques à prendre enfin leurs responsabilités par rapport aux pesticides, rappelant que le président Macron, contrairement à ses promesses, n’a toujours pas interdit le glyphosate (2). 
Au même moment, ce même glyphosate vient d'être interdit par le Vietnam à cause de la toxicité de ce produit et de son impact sur la santé et l’environnement. Ce pays connaît le coût pour la santé de ses habitants de l’usage massif de défoliants: cinquante ans après, plus de trois millions de Vietnamiens souffrent toujours des conséquences de l’utilisation par l’armée américaine de l’agent Orange, commercialisé par Monsanto (3).

Autre info toute récente: Greenpeace a identifié le cours d’eau le plus pollué d’Europe: un ruisseau de Belgique coulant dans une zone d'élevage intensif. La concentration en pesticides y est de 94 milligrammes par litre et on y trouve 70 sortes de pesticides (dont 20 aujourd’hui interdites en Europe) (4).
Oui, le combat doit continuer.

When these seeds rise
They're ready for the pesticide
Then Roundup comes and brings in the poison tide
From Monsanto, Monsanto
Neil Young, "Monsanto Years", 2015

La plupart des informations de ce billet sont tirées du livre de Paul François et Anne-Laure Barret, « Un paysan contre Monsanto », éd. Fayard.


mercredi 10 avril 2019

Brexit's Flying Circus

Comme l'écrit Gérard Biard dans Charlie Hebdo de ce jour (1), "le Brexit ressemble à un plagiat génial du 100 mètres des sportifs qui n'ont pas le sens de l'orientation, tiré du sketch Silly Olympics des Monthy Python". 
C'est le premier sketch qu'on peut voir dans cette suite de compétitions pour sportifs pas comme les autres: https://www.youtube.com/watch?v=qgSzGIkFq2A  Dans la même série, le concours de natation free style pour non nageurs peut tout aussi bien illustrer le Brexit. Chacun se jette à l'eau à sa manière. Et tout le monde coule.
Les parlementaires britanniques ont, par trois fois, refusé l'accord négocié par Theresa May avec l'U.E., mais ils ont aussi voté une loi interdisant un no deal et ils sont incapables de se mettre d'accord sur ce qu'ils veulent. C'est une autre forme de non sense que celui des Monthy Python. Qui provoque un rire un peu nerveux. Plus jaune. Mais quand même! Sacré sketch que nous jouent les Britanniques!

(1) "Supplique aux Anglais pour qu'ils restent dans l'Europe... et continuent à nous faire rire"
(Re)lire sur ce blog: "Un Brexit sans issue", 2.4.2019 et "Les impasses du yaka", 22.3.2019.

Dessin envoyé en commentaire par Gabrielle:

mardi 9 avril 2019

De la complexité des arches

La perspective de la démolition des trois arches du Pont des Trous à Tournai a scandalisé d’innombrables personnes. Qui toutes se déclarent amoureuses d’un patrimoine intangible et estimaient que les politiques avaient, comme toujours, pris une décision unilatérale, contre l’avis de la population. Bel exemple ici encore de notre époque où chacun se fait une opinion sur un sujet en ayant lu trois mots sur Internet, se fait justicier et  tempête et vitupère ayant entendu une vache braire. La réalité est plus complexe. 
A commencer par celle des trois arches : elles ont beau être considérées comme intangibles, elles n’en ont pas moins été déjà changées, puisqu’elles ne datent pas du XIIIe siècle, comme les solides piliers du pont auxquels on ne touchera pas, mais d’après la deuxième guerre mondiale au cours de laquelle elles ont été détruites lors d’un bombardement. Elles ont été reconstruites en 1947, elles ont donc un peu plus de septante ans et non huit siècles.
Le Pont des Trous est une ancienne porte militaire du XIIIe siècle sur l’Escaut. Aujourd’hui déjà, son passage pose problème aux péniches actuelles. Il est difficile à franchir du fait de son étroitesse et est extrêmement dangereux en cas de crue. Mais il sera demain trop étroit pour permettre le passage aisé de péniches de gros tonnage. Or l’Escaut doit être mis à gabarit dans le cadre du projet du canal Seine Nord-Europe. Peut-être le pont aurait-il pu être contourné. Mais ce n’est pas une option qui a été retenue. La Commune de Tournai a consulté sa population en 2015 à propos de la modification des arches. Les citoyens pouvaient choisir entre une rénovation en pierre ou une figuration en résille métallique de la porte actuelle. Mais en réalité le passage des péniches de gros tonnage entraîne de plus importantes modifications dans le centre de la ville où l’administration wallonne a décidé d’élargir le fleuve et de reconfigurer, de manière importante, les quais et certains ponts. Des associations et de nombreux citoyens ont dénoncé un assujettissement de ce projet à ce qu’il considèrent comme des politiques néo-libérales : une ville, ses commerces, son patrimoine, sa relative tranquillité doivent-ils se soumettre aux exigences du trafic international ? Par ailleurs, la voie d’eau, voie d’avenir dans le cadre de la transition écologique, doit-elle être adaptée à un gigantisme des bateaux présenté comme inévitable ? Sur ces questions-là, fondamentales et complexes, il n’y eut ni débat public réunissant élus et citoyens, ni consultation populaire. Juste un bref débat et un vote en conseil communal et le titanesque chantier est en cours en centre-ville depuis plus d’un an et pour un moment encore. La consultation populaire fut donc résumée à un point de détail par rapport à l’ensemble du dossier : pierre ou résille pour les arches redessinées ? C’est le choix qui était alors offert aux Tournaisiens. Comme si, dans une famille, les enfants étaient consultés sur la couleur des murs de la cuisine (jaune ou vert ?) quand les parents décidaient seuls de transformer en hôtel la maison familiale. 
Les Tournaisiens qui avaient participé à cette consultation populaire (un sur cinq) avaient opté très massivement  pour la pierre. Mais suite aux protestations de nombreux citoyens estimant la réflexion trop courte (pour ne pas dire inexistante), la Ville de Tournai avait cependant mis en place, sur injonction du Ministre wallon en charge des voies fluviales, une procédure de concertation avec tous les acteurs concernés pour définir l’aménagement souhaité pour et autour de ce Pont des trous. Les portes du comité de concertation mis en place étaient largement ouvertes à qui voulait s’y investir. Cent quinze personnes – simples citoyens, représentants d’associations, architectes, fonctionnaires et élus communaux - ont participé à une dizaine de réunions en deux mois et demis pour aboutir à un projet unanimement reconnu pour sa qualité et sa prise en compte de tout l’environnement de ce monument. Ce croisement de regards, d’expériences, d’envies, d’idées et de besoins divers a créé de l’intelligence collective. La qualité des échanges a notamment été rendue possible par l’intervention d’un organisme dont le rôle est précisément de « faciliter le contact humain pour la rencontre réelle et co-créative entre décideurs et utilisateurs à travers l’intelligence collective, la conscience systémique et la collaboration » (1). Ce processus participatif a cherché la transparence : les rapports de chacune des réunions ont été rapidement publiés sur le site de la ville et diffusés à la presse et via les réseaux sociaux, de manière à établir une confiance suffisante et à tenir informés tous les citoyens qui ne participaient pas activement au processus. Au terme de celui-ci, il revenait au pouvoir politique, maître d’œuvre, de prendre une décision. Forts de cette expérience fructueuse, de nombreux participants ont souhaité que celle-ci soit étendue à tous les grands projets publics futurs. Tout en s’interrogeant : comment permettre à tous les acteurs-citoyens de s’impliquer utilement et efficacement dans de multiples processus similaires, en connaissant les limites du bénévolat ? Et surtout comment faire en sorte que toutes les catégories de la population d’une commune participent à ce type d’assemblée, sans qu’en soient exclues les populations les plus défavorisées ? 
Bref, pour revenir au Pont des trous, le processus participatif aboutit à un projet riche, prenant en compte le nouvel aménagement du pont et son environnement et proposant, notamment, de nouvelles arches résolument contemporaines. Le Conseil communal avait promis de respecter les propositions qui sortiraient de ce groupe largement ouvert. Il vota donc pour ce projet.
Deux ans plus tard, c’est-à-dire tout récemment, à l’approche du chantier, les réseaux prétendument sociaux s’affolent : on va détruire le Pont des trous ! Stéphane Bern, fondus du moyen-âge, Gilets jaunes, journaux français, citoyens au fait du dossier ou en ignorant tout ont dit, chacun à sa manière, haut et fort leur indignation, certains venant même de loin manifester leur désaccord avec un projet qui avait fait l’objet d’une réflexion approfondie et qui avait pris forme à l’issue d’un processus complexe de consultation populaire.                            Et voilà qu’à deux mois des élections régionales, fédérales et européennes, un ministre régional CDH décide de jeter à l’eau le projet de nouvelles arches (2). On démolit les fausses vieilles et on reconstruira à l’identique. Et pas question d’approche actuelle, même en améliorant le projet caricaturalement baptisé McDonald. Tous les spécialistes, affirme-t-il, sont opposés au projet contemporain. Il faut donc comprendre qu’il n’y en avait aucun parmi les cent quinze personnes qui ont participé à la réflexion pendant deux mois et demis et que ce sont eux qui ont raison. « Un permis va être accordé en mai ou juin pour la partie élargissement et déconstruction », annonce le ministre. Puis, un autre permis le sera, plus tard, pour un projet qui reste à définir. Mais « le caractère médiéval du pont doit être totalement préservé », déclare martialement le ministre. Même s’il ne l’est plus depuis la seconde guerre mondiale. Va-t-on construire avec des pierres du Moyen-Age, avec des techniques de l’époque, avec des maçons habillés en tenue de l’époque ? Le temps doit-il s’arrêter ?, demandent les défenseurs d’une approche contemporaine (3) qui rappellent les exemples d’aménagement réussis tels que la pyramide du Louvre à Paris ou la bulle de verre au sommet du Reichstag à Berlin. On ne manque pas d’exemples de bâtiments anciens adaptés avec goût et talent aux matériaux et styles actuels. Faut-il faire semblant, faire du faux vieux ? Faut-il figer une ville dans une illusion de passé ?
Les questions que pose ce dossier passionnel sont nombreuses. Bien sûr, il est réjouissant que tant de gens se mobilisent pour défendre leur patrimoine,  mais les réseaux prétendument sociaux ne sont-ils pas, en la matière en tout cas, fondamentalement conservateurs ? Pour prendre une décision par rapport à un projet d’intérêt général, faut-il donner la préférence à une consultation populaire où chacun se positionne par rapport à son goût personnel ou à une réflexion collective via un processus participatif plus large, prenant en compte tous les aspects du dossier concerné ?                                                                                
Les référendums et consultations populaires se résument, trop souvent, à poser une question simple (ceci ou cela, oui ou non ?) à propos de problèmes complexes. On le voit par l’exemple du Pont des trous, on peut imaginer des processus de « co-construction » souples et créatifs qui permettent aux citoyens de prendre pleinement la place qui leur revient dans le jeu démocratique. Ce qui passe par une réflexion et une expression collectives de ces citoyens plutôt que par le recueil de la somme d’avis individuels, le plus souvent émotionnels. A l’heure où le Gouvernement français tire un premier bilan de son Grand débat, voici – par rapport à la réflexion sur les outils participatifs – ma pierre à l’édifice. Ou mon bout de résille.

(Pour l’anecdote, on notera que c’est le groupe politique communal qui s’appelait autrefois CDH et s’est rebaptisé Ensemble aux dernières élections communales qui s’est associé au ministre CDH pour annoncer cette décision. Sans doute vaut-il mieux qu’il assume son appartenance au CDH. Faire jeter à la poubelle un projet collectif et s’appeler  Ensemble est pour le moins contradictoire.)

(Re)lire sur ce blog: "Démocratie de l'esthétique", 22.10.2015.
(2) http://www.notele.be/it9-media63913-pont-des-trous-la-mort-du-projet-contemporain-actee-par-carlo-di-antonio.html
(3) http://www.notele.be/it12-media63998-samedi+-debat-citoyen-apres-la-mort-du-projet-contemporain-du-pont-des-trous.html


samedi 6 avril 2019

La dynamique du centre

Un peu partout, les centres des villes se vident. Les autorités communales, émoustillées par les perspectives de taxes, de création d'emplois et le caractère moderne de ces temples de la consommation, ont depuis quelques décennies maintenant délivré des permis à des centres commerciaux à leur périphérie. Et s'arrachent aujourd'hui les cheveux en voyant de plus en plus de boutiques vides dans leur centre. 
La Grande-Bretagne n'échappe à ce phénomène de désertification. Elle a vu depuis  2016 près de 10.000 magasins fermer leurs portes, soit un cinquième de ses commerces. Les causes: les achats en ligne, les conséquences de la crise financière de 2008 et l'austérité qui a amené les autorités communales à augmenter les impôts. 
A Ashford (1), à une demi-heure de Londres, le maire reste très volontaire à  quatre-vingts ans et refuse de voir sa ville se vider. La commune a racheté le marché couvert, appelé les commerçants à s'y installer avec un bail gratuit au début. Ils paient un petit loyer en fin d'année selon les bénéfices réalisés. "Le bail commence à 5 £ par semaine, donc le risque financier est très faible", témoigne une commerçante qui constate une fréquentation "dingue" et voit le centre ville à nouveau très animé. La mairie a aussi investi dans la culture en centre-ville où on trouve désormais des cinémas flambant neufs, des salles d'expo, une médiathèque, etc. Le doublement de surface du grand centre commercial a été autorisé à condition qu'il se rapproche de la ville, qu'il soit plus convivial et que les enseignes qui s'y installeront ne concurrencent pas les commerces du centre ville. Le succès est tel que le conseiller du maire chargé du commerce a été nommé à la tête d'une commission nationale chargée de trouver une solution à la crise des centres villes. Le gouvernement britannique a investi l'équivalent de 765 millions d'euros pour les redynamiser et d'un milliard d'euros pour diminuer les droits commerciaux que doivent payer les petits commerces.
En Belgique, en France, dans tant de pays, on paie aujourd'hui très cher ce laxisme (pour ne pas dire cette politique imbécile) qui a permis un déplacement à l'extérieur des villes de nombreuses activités. Tournai en est un exemple parmi trop d'autres, avec deux gigantesques quartiers commerciaux à l'ouest et au sud de la ville (dont un qui vient de doubler sa superficie), un centre culturel (en ce compris la bibliothèque) en dehors des boulevards périphériques. Ceux qui déplorent aujourd'hui la désertification des centres-villes en ayant eux-mêmes délivré des permis de bâtir à ces centres commerciaux ne peuvent être qualifiés autrement que d'hypocrites ou d'irresponsables.
De la cohérence, des idées et de la volonté, c'est ce qui manque sans doute à trop d'élus défaitistes.

(1) A voir sur https://www.arte.tv/fr/videos/085752-067-A/arte-journal/

vendredi 5 avril 2019

Un bruit qui court

Il est inquiet, le Donald. Depuis qu'on lui a dit que le bruit des éoliennes provoque le cancer (1), il ne dort plus. Doit-il les laisser tourner? Il s'interroge. Il a une lourde responsabilitité. Surtout s'il veut conserver le titre qu'il s'est décerné: celui de meilleur président de toute l'histoire des Etats-Unis. Mais il a du mal à réfléchir: le bruit de la construction du mur à la frontière mexicaine l'empêche de penser. Sa vie est un enfer. On ne voudrait pas ajouter de la confusion à celle qui est déjà la sienne, mais quand même, on se le demande: l'incessant gazouillis de ses tweets ne participe-t-il pas gravement au dépérissement de notre planète?

(1) https://www.lalibre.be/actu/international/il-parait-que-le-bruit-des-eoliennes-provoque-le-cancer-tempete-face-aux-propos-stupides-de-trump-5ca646f09978e263334456fe

mardi 2 avril 2019

Un Brexit sans issue

Où va la Grande-Bretagne? Qui le sait? Même pas la reine. Le pays dérive dans le smog. Le Parlement passe son temps à rejeter toute solution et les partis se déchirent. Depuis sa décision insensée de quitter l'Union européenne, suite au référendum lancé par le premier ministre David Cameron, le Royaume moins uni que jamais a perdu la tête.
"Imaginez la colère que je ressens, témoigne le chanteur Damon Albarn (1), à chaque fois que je vois Cameron, qui réside près d'ici, débouler avec son escouade de gardes du corps aux frais de l'Etat, lui qui a plongé ce pays dans le chaos et s'en lave les mains aujourd'hui. De même, j'aperçois régulièrement Michaël Gove, ex-secrétaire d'Etat à la Justice et principal artisan du Brexit, faire son jogging. Un jour, je l'ai apostrophé en le traitant de xénophobe. A mon étonnement, il est venu me voir, interloqué. On a discuté et il n'a pas été fichu de me donner une seule justification à cette boîte de Pandore qu'il a œuvré à ouvrir. En quoi le Royaume-Uni aurait-il regagné sa dignité et sa cohésion, alors que le pays n'a jamais été aussi déchiré? Aucune de ces conséquences dramatiques n'a été anticipée, réfléchie." (2)
On ne peut s'empêcher de se dire qu'il y a des failles dans le processus démocratique: il est possible que des responsables politiques prennent des décisions extrêmement lourdes de conséquences pour leur communauté, puis s'en aillent, juste après, les mains dans les poches en sifflotant (ce qu'a véritablement fait Cameron), devenus subitement totalement irresponsables. Et sans avoir jamais le moindre compte à rendre à qui que ce soit. Comme des capitaines d'industrie qui font sombrer leur entreprise et s'éjectent avec un parachute doré.
"La malhonnêteté, dit encore Damon Albarn, est d'avoir fait croire aux Britanniques que l'Europe était la cause de leur malheur et qu'il suffisait de la quitter pour que tout aille mieux. Et on ne leur a laissé que le choix de dire 'on reste' ou 'on quite'. La vraie question était de remettre en cause, non pas l'Europe, mais son fonctionnement, ses priorités: chercher à comprendre comment elle pourrait aider des communautés en train de périr en investissant davantage dans le local, en développant une éducation qui ne cesse de se désagréger, en valorisant toutes les identités au sein de la communauté. Le référendum aurait dû servir à ouvrir cette discussion."
L'Union européenne ne sait pas se vendre (le veut-elle vraiment ou est-elle devenue trop prétentieuse?) et n'est plus séduisante pour les jeunes générations. Dans le même numéro de Télérama qui interviewe longuement Damon Albarn, on peut lire dans ses Chroniques européennes un article décrivant des quartiers déshérités de Glasgow (3). "Ici (au sud de la rivière Clyde), le vote sur le Brexit s'est joué au niveau du langage, estime l'auteur Darren McGarvey. Les gens se sont fait leur idée en trois minutes: qui me parle, de quoi et avec quels mots? Incapable de raconter l'Europe en termes positifs, le camp du remain s'est fait laminer par les partisans du leave, des cyniques à la rhétorique grossière mais efficace. Résultat: des personnes en grande difficulté se sont tiré une balle dans le pied en votant pour sortir de l'Europe, dont les normes sociales sont pourtant plus protectrices que le libéralisme sauvage voulu par Theresa May et son camp." Deux lignes plus bas, on apprend que "le quartier a récemment fait l'objet d'une vaste réhabilitation en grande partie financée par l'Europe". Le directeur du centre social The Barn est très inquiet pour sa structure qui permet aux habitants du quartier de se retrouver, de se procurer vêtements et nourriture: comment garantir son fragile équilibre financier une fois que l'Ecosse ne touchera plus la moindre subvention de Bruxelles?
Mais est-ce là un argument pour rester dans l'U.E.? Un jeune du quartier explique qu'il a voté pour le leave: "Pourquoi? J'ai pas trop réfléchi. Ça m'a juste plu d'envoyer un doigt d'honneur à tous ces connards qui nous gouvernent. Et puis nous, on est déjà dans la merde de toute façon... alors ça va changer quoi?".
Choisir le Brexit, pour beaucoup, c'était comme voter pour les populistes: les discours simplistes et le rejet d'une idée qu'on se fait de l'élite l'emportent. Et tant pis si c'est finalement, comme le dit Darren McGarvey, pour faire le choix d'une solution pire.
"Comment peut-on prendre une décision aussi radicale alors que l'écart de voix était infime?, demande Damon Albarn. Voilà les limites d'une certaine forme de démocratie. Elle aussi doit être réinventée si on ne veut pas sombrer dans la démagogie... Les réseaux sociaux ont pris le pouvoir. En prétendant donner la parole à tous, ils n'ont fait que diluer la réflexion au profit de la désinformation. Il n'y a que l'éducation qui peut changer les choses." Il constate aussi que "aujourd'hui, des tas de jeunes en position de voter devraient subir le verdict d'une génération en bout de course!".

Pendant que les parlementaires britanniques rejettent systématiquement, les unes après les autres, toutes les solutions possibles et imaginables, en France, les Britanniques élus municipaux se désespèrent. S'ils perdent leur statut d'européen, ils ne pourront plus exercer un mandat qu'ils exercent avec passion, travaillant ainsi à leur propre intégration dans l'U.E. et à créer du lien entre Français et Britanniques établis en France. Nombre d'entre eux, pour rester européens, vont demander la nationalité française ou alors irlandaise, plus facile à obtenir (4).
Dans le même temps, des écologistes britanniques s'inquiètent (5): pendant que les parlementaires perdent leur temps à s'étriper autour du Brexit, le climat, dans l'indifférence générale, se dérègle. Plus encore que le Parlement de Westminster.

Note: voici ce qui arrivera en cas de "no deal": https://www.nouvelobs.com/monde/20190402.OBS10982/brexit-quelles-seraient-les-consequences-d-une-sortie-sans-accord.html

(1) Chanteur des groupes Blur, Gorillaz, The Good, The Bad and The Queen, auteur de Mali Music, etc.
(2) "Damon Albarn", Télérama, 20.3.2019.
(3) "Chroniques européennes", Télérama, 20.3.2019.
(4) France Inter, Journal de 9h, 2.4.2019.
(5) https://www.huffingtonpost.fr/entry/debat-brexit-militants-ecolo-nus-parlement_fr_5ca249ade4b09786986a924d?utm_hp_ref=fr-homepage