jeudi 9 juillet 2020

Je ne suis pas tout blanc

Je suis un salaud. Je suis un salaud. Je suis un salaud. Je suis un salaud. Je suis un salaud. Je suis un salaud. Je suis un salaud. Je suis un salaud. Je suis un salaud. Je suis un salaud. Je suis un salaud. 
Je ne le dirai jamais assez.
Je suis blanc, je suis un homme, j'ai fait des études supérieures, je suis retraité. Bref, je suis un salaud, un exploiteur, un raciste, un macho, un profiteur.

L'antiracisme bon teint qui se répand actuellement comme une injonction à mettre les deux genoux en terre fait de chaque Blanc un raciste. Qu'il le veuille ou non. C'est sa couleur de peau qui le veut. Qui est blanc est raciste. Le Blanc a beau penser ce qu'il veut, avoir l'attitude qu'il veut, il n'y pourra rien, il sera toujours raciste. Et plus encore s'il l'ignore. Salaud de moi! Chaque matin, je cueille un bouquet d'orties et m'en fouette nu dans le fond du jardin en le parcourant à genoux sur des chardons. Et la nuit, parfois, sur des charbons ardents. Grâce à l'antiracisme d'aujourd'hui, le judéo-christianisme, qui perdait du terrain ces derniers temps, reprend du poil de la bête. Je suis coupable de la colonisation, de l'esclavage, du racisme. Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa!

Un livre de 2018 de la sociologue américaine Robin DiAngelo, best-seller aux Etats-Unis, vient de sortir en français: "La fragilité blanche - Ce racisme que les blancs ne voient pas". Une bonne partie de la gauche française l'encense. Cette fragilité blanche désigne pour DiAngelo l'impossibilité dans laquelle nous sommes, nous Blancs, de réaliser que nous sommes tous racistes. Nous devons nous penser comme Blancs, assumer notre identité blanche. Parler d'identité blanche, demande Laure Daussy dans Charlie Hebdo (1), "n'est-ce pas le plus beau cadeau que la gauche peut offrir à l'extrême droite?". 
Dans la même édition de Charlie Hebdo, Tania de Montaigne (dont le nom n'indique pas qu'elle est Noire - oui, c'est compliqué) place ce livre dans la veine des livres de développement contritionnel: "genre littéraire basé sur l'idée d'associer développement personnel et contrition. La particularité de ces ouvrages, c'est qu'ils sont écrits par des intellectuels blancs qui envisagent le racisme comme s'il était le péché originel et l'antiracisme comme un acte de pénitence. Principe dont la conséquence directe est de faire de toute personne non blanche un prêtre en puissance. Pardonnez-moi, ma sœur, car j'ai pêché! D'ailleurs, mon emploi du temps commence à devenir un peu chargé puisque, en plus de mes activités quotidiennes, je dois aussi donner l'absolution."
Tania de Montaigne constate que les concepts de cette littérature baigne dans le religieux: on y parle de faute, de honte, de culpabilité, de bien et de mal. "Ce qui conduit tous ces auteurs à considérer que toute personne non blanche a forcément raison et que toute personne blanche a naturellement tort."
On se dit alors que, lors du génocide rwandais, Hutus comme Tutsis devaient tous avoir raison. Qu'on ne peut condamner les Khmers rouges qui ont fait périr un tiers de la population de leur pays. Qu'Idi Amin Dada ne pouvait être critiqué. Pas plus que les Incas qui ont asservi les peuples autour d'eux.
Tania de Montaigne estime que "ces ouvrages n'ont absolument pas pour but de faire en sorte que les choses changent. Bien au contraire. Tout y est organisé pour que le racisme continue à être perçu comme un problème de noirs, de jaunes, de rouges... mais certainement pas le problème de tous. Les non-blancs y sont présentés comme des êtres à part, spéciaux, incompréhensibles pour qui n'est pas comme eux, définis uniquement au regard de ce qu'ils subissent". 
Les Blancs, eux, selon Robin DiAngelo, doivent se rééduquer. Le maoïsme n'est pas mort. 

"Sous couvert de disruption et de prise de conscience radicale, écrit encore Tania de Montaigne, ces livres proposent, en fait, une philosophie de l'immobilité. En résumé: agir, c'est ne rien faire. Le travail du blanc, c'est la culpabilité et le retrait. Un rêve de moine. Totalement basés sur l'individualisme, ces ouvrages n'offrent aucun outil pratique de lutte collective mais permettent simplement à ceux qui les lisent de se sentir mal, donc bien. Un rêve SM. (...) Chacun est à nouveau essentialisé et réduit à une nature indépassable. Tout cela permettant d'oublier complètement le sujet de départ, à savoir lutter pour que chacun accède à l'égalité et au plein exercice de sa liberté. Le racisme peut donc tranquillement continuer sa route, comme si de rien n'était."
Et d'ajouter que "la lutte contre le racisme commence là, dans notre capacité à sortir de ce collage persistant qui voudrait que le noir dise qui est le blanc et le blanc dise qui est le noir". 

Je n'ai pas choisi d'être blanc, ni de sexe masculin. Etre chauve, myope et de taille très moyenne diminue-t-il un peu ma culpabilité vis-à-vis des Noirs et/ou des femmes qui sont grand-e-s et ont des cheveux et de bons yeux? J'espére que les malfaçons dont je suis victime m'expédieront plutôt au purgatoire qu'en enfer. 

(1) "La fragilité blanche", le rêve sadomaso du nouvel antiracisme, Charlie Hebdo, 8.7.2020.


5 commentaires:

Bernard De Backer a dit…

Hé oui, il y a quelque chose de très religieux dans cet antiracisme essentialiste. En 2006, déjà, Pascal Bruckner publiait "La tyrannie de la pénitence : Essai sur le masochisme occidental". Un excellent bouquin d'un auteur dont je ne partage pas toutes les analyses, notamment sur l'écologie, mais là il avait vu juste.

gabrielle a dit…

Que tu aies pêché ou péché, je te pardonne. ;-)

Bernard De Backer a dit…

Une tribune intéressante de l'avocate (féministe) Noëlle Lenoir dans Le Monde d'aujourd'hui : « Certains mouvements féministes sont révélateurs d’une évolution vers un radicalisme teinté de communautarisme » L’avocate Noëlle Lenoir voit dans les manifestations contre les nominations au gouvernement de Gérald Darmanin et d’Eric Dupond-Moretti la marque d’une dérive à l’américaine du mouvement féministe. (intro du Monde)

Michel GUILBERT a dit…

Et Régis Debray dénonce les "racialistes" dans un court essai sur les dérives du "progressisme" identitaire venu des Etats-Unis. Son titre: "Alignez-vous!".
https://www.lexpress.fr/actualite/societe/regis-debray-face-aux-racialistes-le-cri-du-coeur-d-un-progressiste-desenchante_2130430.html

Bernard De Backer a dit…

Il y a également ceci : "Le « décolonialisme », une stratégie hégémonique : l'appel de 80 intellectuels." Facile à trouver en ligne. C'est vrai que cela commence à ressembler à une religion. Séculière bien entendu, mais certainement manichéenne.