samedi 26 juin 2021

Arrêtez le monde, je veux descendre

Voici quinze ans, le philosophe Yves Paccalet publiait "L'Humanité disparaitra, bon débarras!". Aujourd'hui, c'est le GIEC, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, qui annonce cette fin. “La vie sur terre peut se remettre d’un changement climatique majeur en évoluant vers de nouvelles espèces et en créant de nouveaux écosystèmes”, mais "l'humanité ne le peut pas". Pénurie d’eau et de nourriture, montée des eaux, canicules, extinction d’espèces, voilà autant de catastrophes qui ne sont plus des menaces mais une réalité qui va de plus en plus appartenir à notre quotidien. Selon le groupe de chercheurs de l’ONU, l’impact du réchauffement climatique va s’accélérer, menaçant fortement la vie humaine. Et cela bien avant 2050.

Pour se préserver de ces catastrophes, la majorité des gouvernements ont jusqu'à présent pris des mesurettes. Certains envisagent enfin des mesures plus radicales dans les années à venir. Même si elles auraient dû être adoptées depuis vingt ans. En Région bruxelloise (1), les véhicules diesel seront interdits à partir de 2030 et les véhicules à essence cinq ans plus tard. A Paris, ces mêmes interdictions auront lieu en 2024 et 2030. Rome interdira les diesel en 2024 et Lyon en 2036. Dès 2025, la Norvège interdira la vente de nouveaux véhicules essence et diesel. La Grande-Bretagne le fera en 2030 et la Californie, le Québec et le Japon en 2035. D'ici ces dates, la pollution suivra son cours ascendant. Bruxelles Environnement rappelle que le transport routier est responsable de 69% des émissions d'oxyde d'azote, de 35% des émissions de particule PM10 et de 30% des émissions de particules plus fines PM2,5. Le transport est également un des principaux émetteurs de gaz à effet de serre: 30% des émissions totales de dioxyde de carbone en 2017.

On se dit que d'autres mesures pourraient être prises dès aujourd'hui, sans attendre l'interdiction des véhicules thermiques dans les villes: diminuer drastiquement les vitesses sur routes et autoroutes, réduire le nombre de places de parking dans les villes et agglomérations, augmenter sensiblement les prix des carburants, interdire les SUV dans toute agglomération et la vente de véhicules qui consomment plus de x litres aux 100 kilomètres, cesser de construire le moindre kilomètre de route ou d'autoroute. Mais de telles mesures se heurteront immédiatement à la résistance au changement tant des citoyens que des partis politiques. A Bruxelles, le MR proteste contre les interdictions annoncées en 2030 et 2035: "cette communication est particulièrement anxiogène pour la population en l'absence d'alternatives concrètes", estime le parti de droite qui feint de croire que ces années-là vont arriver dans quelques mois. La fin annoncée de l'humanité perturbe moins le MR que la fin des véhicules à moteur thermique. Ce qui en dit long sur les priorités de ce parti.  

En Région wallonne, le Ministre de la Mobilité, de l'Energie et du Climat, Philippe Henry, annonce 2,6 milliards d'euros pour les axes environnement et climat du plan de relance et de transition. Il rappelle que la Région s'est fixé pour 2030 un objectif de réduction de 55% des gaz à effets de serre et pour 2050 la décarbonation. Il constate que "des choses inattendues se sont passées pendant la crise sanitaire: le télétravail, l'attrait pour des modes de déplacement actifs. Notre volonté, affirme-t-il, est de mettre les citoyens dans une situation où ils peuvent faire le choix, pas de sanctionner ou d'interdire." Mais le climat que nous avons tant malmené est en train, lui, de sanctionner la planète entière . A-t-on le choix de ne pas interdire ce qui nous tue? Philippe Henry reconnaît la difficulté à basculer ans la transition: "beaucoup de personnes sont d'accord que l'on fasse des choses en plus, mais ne sont pas d'accord qu'on arrête autre chose, qu'on réoriente autrement". 

Le Soir considère que, si les milliards nouveaux peuvent "booster certaines politiques, redresser des erreurs du passé dans des secteurs trop longtemps négligés: la mobilité active, l'efficacité énergétique, la restauration de la biodiversité, la recherche ou les transports en commun", ils n'auront qu'un effet limité si l'ensemble de la société ne suit pas le même mouvement: l'économie, la fiscalité, l'aménagement du territoire, la politique des villes, l'agriculture, les subventions et investissements publics. "Or, pour faire manœuvrer ces paquebots-là, il faut aller contre les intérêts particuliers, les arrangements séculaires, les pesanteurs, les traditions, la politique comme on l'a toujours faite. Il faudra oser l'impopularité." Qui l'osera? 

(1) "Bruxelles bannit les diesels en 2030 et l'essence en 2035", Le Soir, 25.6.2021.

(2) "Des budgets jamais vus et des enjeux inédits pour le climat", Le Soir, 25.6.2021.

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