mardi 6 juin 2023

Indomptable

Il est de ces hommes qui ne plient pas. Malgré les menaces de goulag, il continue à dénoncer haut et fort la dérive fasciste du régime de Poutine. Fin avril 2022, au pied du Kremlin, il brandissait une pancarte qui disait : « URSS 1945 : le pays vainqueur du fascisme. Russie 2022 : le pays du fascisme victorieux ». (1) Peu avant, il avait déjà affiché la phrase suivante : « Notre refus de savoir la vérité et notre silence font de nous les complices de crimes ». Oleg Orlov, l'un des fondateurs de Memorial, sera alors arrêté, pour la cinquième fois en un peu plus d'un an. Après-demain, il sera jugé, soupçonné à la fois de "réhabilitation du nazisme" et de discrédit de l'armée russe pour avoir désigné la Russie comme un Etat fasciste. Donc, si on comprend bien, pour soutenir le fascisme et pour le dénoncer. Le régime poutinien est aussi orwellien. Les contradictions font partie de son ADN. Elles existent et n'existent pas.

"La Russie peut-elle aujourd’hui être considérée comme un Etat fasciste ?, se demande Jonathan Littell (2). Pour ma part, la réponse ne fait pas de doute." L'écrivain s'appuie, comme le fait Orlov dans un texte qu'a notamment publié Mediapart, sur la définition du fascisme élaborée en 1995, sur demande du président Eltsine, par la très officielle Académie des sciences de Russie : « Le fascisme est une idéologie et une pratique qui affirment la supériorité et l’exclusivité d’une nation ou d’une race particulière et qui visent à inciter à l’intolérance ethnique, à justifier la discrimination à l’encontre des membres d’autres peuples, à nier la démocratie, à établir le culte du leader national, à utiliser la violence et la terreur pour supprimer les opposants politiques et toute forme de dissidence, à justifier la guerre comme moyen de résoudre les conflits interétatiques. »
"Difficile, en lisant cette définition, estime Jonathan Littell, de ne pas l’appliquer à Poutine, qui nie jusqu’à l’existence même de l’Ukraine ou de gens se considérant comme Ukrainiens, qui a lancé une atroce guerre d’agression au nom d’une idéologie impériale et ethnique, qui a détruit avec méthode la démocratie péniblement établie dans son pays dans les années 1990 et qui emprisonne aujourd’hui les moindres de ses opposants, y compris des adolescents ayant « liké » un post antiguerre ou des parents d’enfants ayant montré à l’école un dessin en faveur de la paix."

Après-demain, Oleg Orlov sera selon toute vraisemblance condamné et rejoindra en prison d'autres opposants qui, comme lui, ont refusé de quitter leur pays. "Des hommes comme Orlov et les autres, profondément imbus d’un amour de leur pays indissociable du sens de la justice, se battent pour ce que ce pays devrait être, et non pas pour ce qu’il est. Ils reconnaissent que c’est à eux, les Russes, et à personne d’autre, de transformer leur pays, de le nettoyer du virus fasciste pour en faire un pays libre et démocratique. Et, dans une logique parfaitement russe, ils pensent – à tort ou à raison – que ce combat ne peut pas être mené en désertant, et que si certains doivent être emprisonnés, ou même mourir, c’est le prix à payer pour la liberté de tous. Et aussi pour prouver au reste du monde que les crimes commis en Ukraine, comme en Tchétchénie, en Syrie et ailleurs, ne le sont pas par « les Russes » mais par « des Russes » précis, le régime fasciste qui a capté le pouvoir et les richesses du pays et les millions de ceux qui le suivent, par haine de l’autre, par avidité, par bêtise, par paresse, par peur.
Aller en prison, pour un homme comme Orlov, c’est aller là où il doit être : le seul endroit, dans son pays enfermé, où peut se trouver un homme libre." 
Ces opposants comme Orlov, conclut Jonathan Littell, le régime de Poutine, "un régime de mafieux enivrés de gloriole impériale",  "peut les emprisonner ou les tuer, mais il ne peut pas les faire taire".

(1) ou autre traduction : L’URSS de 1945, un pays qui a vaincu le fascisme. La Russie de 2022, un pays vaincu par le fascisme. 
(2) https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/06/jonathan-littell-des-hommes-comme-oleg-orlov-se-battent-pour-ce-que-la-russie-devrait-etre_6176335_3232.html
Portrait d'Oleg Orlov : https://www.la-croix.com/Monde/Oleg-Orlov-pacifiste-russe-indomptable-2022-07-14-1201224878

Post-scriptum :

Perpétuer la mémoire historique
des victimes des répressions
en URSS et la transmettre
aux générations futures, 
pour défendre les droits humains 
dans les régimes autoritaires.
UNE OPINION N’EST PAS UN CRIME !
SOUTENEZ OLEG ORLOV !

Aujourd'hui, jeudi 8 juin à 14h30 (heure de Moscou) commencent les audiences du procès contre Oleg Orlov pour « discrédit répété de l'armée (russe) ».

Le coprésident du Centre « Mémorial » est poursuivi pour avoir condamné la guerre en Ukraine.

Il risque trois ans de prison. Oleg Orlov est âgé de 70 ans.

Depuis 1990, il travaille pour Memorial dans des zones de conflits armés, au péril de sa vie. Pendant les guerres en Tchétchénie, il a lutté contre les « camps de filtration » et a enquêté sur les meurtres de civils.

En juin 1995, en tant que membre du groupe Kovalev, il s'est volontairement échangé contre 1 500 otages à Boudionnovsk.

Orlov a documenté les violations des droits de l'homme en Géorgie à la suite de l'agression russe et en 2014-2016 dans la zone de conflit dans l'est de l'Ukraine. 

En 2022, Memorial a été l'un des lauréats du prix Nobel de la paix.

Aujourd'hui, Memorial, qui s'est battu pour la paix pendant de nombreuses années, est persécuté, à travers lui, pour ses opinions anti-guerre.

Signez la pétition de soutien à Oleg Orlov !

Mémorial-France

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3 commentaires:

Bernard De Backer a dit…

Il y a aussi cette citation dans la tribune de Littell : « Quand nous nous regardons, affirme Liss, nous ne regardons pas seulement un visage haï, nous regardons dans un miroir. (…) Si c’est vous qui gagnez [cette guerre], nous périrons, mais nous continuerons à vivre dans votre victoire. C’est un paradoxe : si nous perdons la guerre, nous la gagnerons, nous continuerons à nous développer sous une autre forme mais en conservant notre essence. (…) N’en doutez pas, ceux qui nous regardent avec horreur vous regarderont, vous aussi, avec horreur. », Vassili Grossman, "Vie et Destin" (1950-1962).

Pour ceux qui ne le savent pas, Grossman est un écrivain juif soviétique, né en 1905 à Berditchev en Ukraine. Sa mère y fut assassinée par les Einszatsgrüppe nazis. Il fut le premier journaliste à pénétrer dans le camp de Treblinka. Mais aussi, sans doute, le premier écrivain soviétique à comparer nazisme et communisme bolchévique dès la fin des années 1950. Il enfonça le clou, si j'ose dire, dans "Tout passe" son dernier roman (saisi par le KGB, comme "Vie et destin") dans lequel il décrit longuement la famine de 1933 en Ukraine.

Michel GUILBERT a dit…

Les plus grandes œuvres de Vassili Grossman (dont "Vie et destin") viennent d'être rééditées aux éditions Calmann-Lévy.

Bernard De Backer a dit…

Il est peu probable que les oeuvres de Grossman, surtout "Vie et destin" et "Tout passe", soient aujourd'hui disponibles en Russie. Elles seraient d'ailleurs condamnées pas les diverses lois poutiniennes relatives à la mémoire historique "officielle".