vendredi 2 mai 2025

Derrière l'écrivain, un peuple réduit au silence

Dans deux semaines, il y aura six mois que Boualem Sansal est emprisonné à Alger. Coupable d'être critique envers le régime algérien. Comme l'écrit Le Monde (1), "le silence s’installe autour de sa cause. Il menace d’aggraver le sort d’un homme qui paie de sa liberté le choix d’avoir voulu rester dans son pays tout en cinglant le pouvoir de ses critiques".   
Lisa Romain vient de publier un essai : "Boualem Sansal à l’épreuve du réel" (2). "L’autrice, écrit Le Monde, montre (...) avec talent que l’œuvre de (Sansal) consiste en un effort de retrouvailles avec le réel. Car l’accès au réel s’est trouvé obturé par la propagande islamiste comme par celle du régime algérien, que Boualem Sansal a l’une et l’autre combattues en démocrate, en laïc et en partisan des identités plurielles dont son pays est fait (arabe, kabyle, juive, européenne, etc.). Aux yeux de Sansal, les médias algériens aux ordres et les consciences occidentales au jugement altéré par la culpabilité postcoloniale contribuent à brouiller la réalité de l’Algérie contemporaine. Tout comme la tendance au « quituquisme » (qui tue qui ?). On désigne par là une mentalité frisant le complotisme, qui empêche d’attribuer les massacres islamistes à leurs véritables auteurs, soit qu’on cherche à ceux-ci des circonstances atténuantes en en faisant de modernes « damnés de la terre », soit qu’on voie dans leurs exactions la main des militaires algériens (les puissants d’Alger n’étant par ailleurs nullement exonérés par Sansal de leurs propres méfaits)."

En Belgique francophone, à l'initiative du Pen Belgique francophone, une quarantaine d'auteurs ont publié en commun des textes de soutien à leur prestigieux confrère algéro-français, réunis sous le titre "Amorces de récits - En soutien à Boualem Sansal" (3).
L'un de ces auteurs, Christophe Roche-Ford, revient sur l'accusation principale adressée par le pouvoir à l'écrivain : avoir osé enfreindre un tabou. Dans une interview, il a questionné "la légitimité historique du tracé de la frontière héritée de la colonisation entre l'Algérie et le Maroc". La Guerre des Sables avait eu lieu en 1963 à son sujet. C'est l'Organisation de l'Unité africaine qui y avait mis fin, "reconnaissant l'intangibilité des frontières coloniales, essentielle à la stabilité du continent africain". Pour avoir questionné ce tracé, Sansal est aujourd'hui poursuivi notamment pour "acte terroriste ou subversif" et la presse algérienne parle de lui comme d'un "traitre" et d'un "pantin révisionniste anti-algérien". 
Voilà l'Algérie, qui s'est enfermée dans son passé de lutte anti-colonialiste, qui défend la frontière tracée par les colons.

"En invoquant l'histoire pour interroger les frontières, il (Boualem Sansal) a fait sortir de sa contenance un pouvoir intransigeant sur le contenu du pays", écrit Jean-Marc Rigaux, avocat et écrivain. "La ligne artificielle dessinée par l'ancien colonisateur pour séparer le royaume chérifien du Maroc de l'Algérie encore inexistante devient paradoxalement une ligne de défense du caractère intangible du pays. Tout ce qu'a fait ou non la France a été et reste néfaste. Sauf cela. La limite. Ici. Chez nous. Là. Chez eux."

"En attendant, écrit encore Christophe Roche-Ford, "ce passé qui se met en travers du présent verrouille la situation politique et est une pièce maîtresse de la névrose du pouvoir algérien, se réclamant de la guerre de libération du peuple algérien tout en confisquant sa liberté, et qui a conduit à l'arrestation arbitraire de Boualem Sansal." L'emprisonnement d'un écrivain questionne la liberté de tout un peuple. "La nuit de Boualem Sansal en sa prison est aussi la très longue nuit du peuple algérien." 

(1) https://www.lemonde.fr/livres/article/2025/04/30/boualem-sansal-a-l-epreuve-du-reel-de-lisa-romain-l-ecrivain-qui-engage-son-lecteur_6602011_3260.html
(2) éditions Cerf.
(3) Asmodée Edern, Pen Belgique francophone. 


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