lundi 17 mai 2010

Les braves gens et la prison

De braves gens ont conçu un power point (non signé - les braves gens oublient souvent de signer, il ne faut pas leur en vouloir, ce sont de braves gens, ils croient bien faire) que je viens de recevoir et qui compare une prison d'Arizona et une prison française. Le propos, en gros, est le suivant: le shériff qui gère la prison américaine est un vrai shériff. Un vrai de vrais, un brave. Entendez par là que, pour lui, les détenus sont en prison pour en baver au maximum et pas pour vivre à l'hôtel. Tout le monde sait que les détenus vivent en prison comme à l'hôtel. Cela se sait dans le premier café du commerce venu. Donc, pas de cadeau pour tous ces salauds. Les travaux forcés, ils les exécutent sous le soleil brûlant, juste vêtus d'un caleçon rose. Ils l'ont bien cherché. Par contre, nous explique le power point, en France, à Nancy plus précisément, les prisonniers vivent dans un établissement ultra moderne construit grâce à nos deniers de cochons de contribuables. Ils ont le cul dans le beurre.
Le propos est aussi bête que populiste. Ce qui est, on en conviendra, un pléonasme.
C'est oublier quel est le rôle de la prison: punir, mais aussi protéger la société et le prisonnier contre lui-même. Ce qui passe par la rééducation. Ou l'éducation tout court.
C'est oublier que sévit aux Etats-Unis une justice de classe (ou de race) et que dès lors, dans ce grand pays de liberté, il vaut mieux être un brave blanc qu'un brave noir si on veut éviter la prison. C'est oublier que bien des procès y sont expédiés comme lettres à la poste.
La journaliste Florence Aubenas, très connue depuis qu'elle a été détenue en otage durant plusieurs mois en Irak, est présidente de l'Observatoire international des prisons, section française. Voici ce qu'elle déclarait au Vif/l'Express (édition du 9 octobre 2009): "Aujourd'hui la plupart des citoyens considèrent qu'un détenu doit aller en prison pour en baver. Il faut leur expliquer qu'il existe d'autres sanctions que la prison, que les aménagements de peine ne sont pas une preuve de laxisme mais une façon de punir qui permet de ne pas abîmer davantage la société." (...) "L'opinion doit comprendre qu'humilier quelqu'un en prison n'est bon pour personne. Quel bénéfice la société a-t-elle d'enfermer des gens s'ils sortent comme ça, à part de se dire que c'est bien fait pour leur gueule? La prison doit se donner des moyens, il faut embaucher du personnel. Avant, on comptait un gardien pour quarante détenus; maintenant c'est un pour quatre-vingt. Au gardien qui prend un peu de temps pour parler avec les détenus, on demande de quel côté il est. Il faut donner du travail aux détenus qui le souhaitent et leur permettre de faire du sport, sans qu'ils doivent attendre des mois pour cela."
Le député Ecolo Fouad Lahssaini déclarait à la Libre Belgique (du 7 novembre 2009) que "plus une prison est sécurisée, plus il y a de violence due au manque de liens personnels entre surveillants et détenus". Il dénonçait l'abus de détention préventive: sur les 10400 prisonniers que comptait alors la Belgique, 5450 n'avaient pas encore été jugés. Le taux le plus élevé d'Europe occidentale. Et il rappelait que l'ordre des barreaux flamands estimait que 50% des détenus en préventive ne sont jamais poursuivis ou ne sont pas condamnés. Il propose aussi de mettre à profit la période de détention pour aider les détenus à se réinsérer. Un pari sur l'être humain, sur la possibilité de changer, de se racheter. Une position radicalement opposée à celle d'un shériff.
Jean-Marc Mahy a commis un meurtre à dix-sept ans: il a tué un policier qui l'avait surpris en plein braquage. Puis un deuxième meurtre lors d'une tentative d'évasion. Il sera jugé en cinq heures en allemand et en luxembourgeois et condamné aux travaux forcés à perpétuité. Aujourd'hui, il est éducateur et témoigne dans un spectacle ("Un homme debout" - voir LLB, 05.03.10) de l'enfer carcéral, à mille lieues de la prison dorée qu'imaginent les braves gens.
Aux Etats-Unis, Robert Clark a clamé son innocence pendant vingt-quatre ans. Condamné à perpétuité à l'âge de 21 ans, pour un viol qu'il a toujours nié avoir commis, il est sorti de prison en 2005, à l'âge de 45 ans, innocenté par des tests ADN. Il témoigne lui aussi de l'enfer de la prison: "j'ai trop vu, en prison, d'hommes hantés par leur colère, contre leur victime, contre la justice. L'amertume les enferme plus encore que les murs de leur prison. Elle dévore leur énergie, chaque minute de leur vie. Elle les conduit à aggraver leur cas au lieu de travailler à la seule chose qui compte: retrouver leur liberté." (Le Vif, 10.02.2006)
Les braves gens croient-ils en l'homme? Et si oui, lequel?

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