jeudi 26 avril 2012

La gangrène s'étend

La France sent mauvais. Un policier est mis en examen pour "homicide volontaire".  Ses collègues manifestent. Le président-candidat-président les soutient avec la virulence qu'on lui connaît. Il demande au parquet de faire appel. Il est pour la "présomption de légitime défense" des policiers. Le président, qui a vécu, vit et vivra dans des quartiers difficiles (c'est ce qu'on croit comprendre de son discours) (1) estime que les habitants de ces quartiers doivent pouvoir vivre en paix. Il suscite l'enthousiasme chez ses supporteurs qui eux aussi, sûrement, vivent la même situation, à Neuilly ou dans le XVIe, par exemple. Et puis l'homme abattu était un récidiviste, en liberté conditionnelle. Bref, un criminel. Où est le problème? Le Ministre de l'Intérieur, Claude Guéant, soutient et la police et son président. Même s'il comprend que la magistrature (qui rappelle qu'on ne peut confondre mise en examen et condamnation) s'offusque de ses réactions, il trouve qu'elle a tort. On ne touche pas à la police.
Un des grands principes d'une démocratie est la séparation des pouvoirs. L'exécutif n'a pas à intervenir dans les décisions du judiciaire. Entre ces deux tours des élections, la France de Sarkozy semble être un peu moins démocratique.
Le Sarkozy court derrière La Le Pen. Il l'estime d'ailleurs compatible avec la république. Les vrais vainqueurs du premier tour sont bien les Le Pen, fille et père. L'une sourit, arrondit les angles, s'offusque des propos outranciers de son père: oui, le parti est bien dédiabolisé, entendez normalisé; l'autre rassure la vieille garde facho par ses propos à l'humour plus que douteux et aux références honteuses: oui, le parti reste bien celui du diable.
Marine Le Pen sait que la séduction paye. Son résultat au premier tour n'est guère surprenant. Dans le spectacle-animation "Elise et nous", qui met en scène trois candidats aux élections - dont une représentante du Bloc national, les scores de cette dernière (le public vote en fin de débat) ont énormément progressé depuis que la comédienne joue plus à la Marine: texte inchangé, mais dits plus doucement et avec le sourire. Elle a bondi de 10 à 25%.
Marine Le Pen peut aussi remercier Nicolas Sarkozy qui lui a ouvert une voie royale. En supprimant la police de proximité, remplacée par une police de répression (2), il n'a fait qu'empirer le problème de la sécurité. En supprimant des milliers de postes dans l'éducation, il témoigne de son mépris pour la jeunesse et l'avenir. Moins les électeurs sont instruits, et donc capables de critique, d'analyse et de distance, plus ils vote(ro)nt pour le Front national. En mettant en avant le moindre fait d'insécurité, en courant prendre dans ses bras les victimes, en pointant du doigt les Roms et les sans-papiers, Nicolas Sarkozy a ouvert un boulevard à l'extrême droite. "(Le succès du FN) se résume pour moi en une phrase, explique Manuel Abramowicz (3): c'est l'échec de la copie et la victoire de l'original."
La transformation du FN n'est que leurre. On a ravalé la façade, repeinte en blonde. Mais dès qu'on pousse la porte du F Haine, l'odeur reste la même: mélange d'odeur d'égout et de renfermé. Le programme sent le rance, la nostalgie, le patriotisme anti-dreyfusard est devenu anti-musulman. Les mensonges et les déformations sont devenus des habitudes. Marine Le Pen stigmatise "l'invasion migratoire", "en chiffrant à 6 millions le nombre de titres de séjour accordés à des immigrés en vingt ans, alors que l'INSEE l'évalue autour de 2 millions, sans même tenir compte des immigrés retournés dans leur pays d'origine". (4) Quand Marine Le Pen proclamait haut et fort que la France devait quitter la zone euro pour revenir à ce bon vieux franc (un point de son programme disparu de ses tracts depuis que des commerçants et les PME lui ont fait comprendre que ce projet était ridicule et dangereux), elle estimait que cette sortie de l'euro ne conduirait qu'à une dépréciation nationale de 9,7%, "alors que les économistes les plus favorables à l'abandon de la monnaie européenne évoquent, eux, une dévaluation de 20 à 30% et que les économistes libéraux de l'Institut Montaigne pronostiquent une baise de 50%". (4) Mieux valait donc parler de la viande halal, en manipulant, une fois encore, les chiffres.
Le FN a beau se teindre en blonde, "il reste autoritariste, dirigiste, pour le contrôle sur les libertés, avec juste un zeste de modernité", estime Manuel Abramowicz (3).
En attendant, ce parti de braves patriotes sème ses métastases à droite. "Le patriotisme est l'ultime refuge des canailles", estimait l'écrivain anglais Samuel Johnson (5). C'était au XVIIIe siècle. Celui des Lumières.

(1) Journal parlé, 13h, France Inter, 26 avril 2012
(2) lire sur ce blog "Le regard qui tue", 27 mars 2012
(3) LLB, 24 avril 2012
(4) Marianne, 14 avril 2012
(5) cité par John Irving dans son (excellent) dernier roman: "Dernière nuit à Twister River", (Seuil 2011)

1 commentaire:

gabrielle a dit…

Le FN - qui va s'offrir une petite teinture en changeant de nom prochainement - a l'apparence d'un parti républicain.

http://www.rue89.com/rue89-presidentielle/2012/04/26/pourquoi-le-front-national-nest-pas-un-parti-republicain-231544

Quant à l'effarant suivisme présidentiel dans la banalisation des thèses dudit Front, on est en droit de se demander s'il s'agit seulement d'obtenir ses voix au 2e tour ou s'il existe une réelle convergence de vues depuis toujours.

http://www.liberation.fr/politiques/2012/04/26/sarkozy-sort-le-gros-rouge-qui-tache_814549

http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/04/25/la-fin-ne-justifie-pas-tous-les-moyens_1690892_3232.html#ens_id=1588921&xtor=RSS-3208

http://tempsreel.nouvelobs.com/l-oeil-de-nabil/20120426.OBS7196/legitime-defense-des-policiers-sarkozy-defend-gueant-conteste.html