mercredi 26 août 2015

Paroles, paroles, paroles

Les candidats réfugiés sont et seront toujours plus nombreux à tenter de gagner l'Europe. Le mot réfugié dit bien ce qu'il veut dire: il désigne celui qui cherche et demande asile, un lieu, un pays, une ville où trouver refuge. L'Europe a beau faire le gros dos, bougonner, voire tempêter, elle n'y pourra rien: les guerres civiles et les régimes dictatoriaux qui règnent en Syrie, en Libye, en Irak, en Erythrée et dans d'autres pays pousseront toujours plus de gens à fuir et à tenter de sauver leur peau. Les accueillir est forcément un devoir pour tout être humain. Reste à le faire le plus dignement possible et à les répartir équitablement entre pays et entre communes. Le flot de réfugiés ne va pas se tarir. C'est un fait qu'il faut prendre en compte. Sans angélisme, sans cynisme, sans nymbisme.
Visiblement, une étrange vision électoraliste l'a emporté chez Rudy Demotte, l'un des deux demi-bourgmestres de Tournai. On peut évidemment condamner l'absence de concertation qui a amené le Secrétaire d'Etat à l'Asile et aux Migrations, Théo Francken, à décider d'autorité que la caserne Saint-Jean à Tournai accueillerait de 400 à 700 candidats réfugiés politiques, autre chose est de fermer la porte sans précisément cette volonté de concertation. Rudy Demotte affirme que ce projet de centre "revient à ghettoïser des poches entière de populations au statut précaire" (1). Ce type de lieu a pour vocation d'offrir un abri avec un confort minimal aux candidats réfugiés, le temps (raccourci à présent à trois mois) que leur dossier soit traité. Un tel centre d'accueil est ouvert, les réfugiés peuvent y aller et venir, il ne s'agit pas d'un centre fermé. En refusant fermement dans sa ville ce qu'il considère comme un ghetto, Rudy Demotte ignore-t-il que des milliers de  candidats réfugiés restent prisonniers de la jungle de Calais, de l'île de Lampedusa, de Vintimille ou de ports lybiens? Pas de ghetto chez moi, mais ailleurs?
Demotte souligne la précarisation importante de la population tournaisienne. C'est un fait, mais que fait la Ville en la matière? Quelle politique volontariste et novatrice mène-t-elle? Où est son bourgmestre en titre? Cette ville semble à l'abandon depuis plusieurs années. Il est temps qu'elle se réveille et se reprenne en mains.
Rudy Demotte voit dans le projet de centre d'accueil à Tournai "un dessein de PROVOQUER politiquement et, au passage, de créer un climat de tension entre communautés diverses avec des risques d'incompréhension évidents, générés par la peur de l'autre, mais aussi l'absence d'un réel projet  d'accueil de ces personnes". Rudy Demotte fait donc un procès d'intention tant au Gouvernement fédéral qu'à sa population, à qui il ne fait pas plus confiance qu'à son équipe, à son administration, aux services et organismes locaux. Les Tournaisiens auraient-ils automatiquement peur de l'autre, seraient-ils incapables de monter un projet d'accueil? Heureusement, certains d'entre eux lui répondent, l'appelant à leur faire confiance, lançant des initiatives, telle celle du pianiste Fred Wilbaux qui propose aux citoyens tournaisiens de parrainer un candidat réfugié, de manière à lui apporter un soutien moral (2).
Affirmer son attachement aux droits de l'homme et à l'accueil de l'autre ne coûte rien. Appliquer ces valeurs est autre chose. Mais pour cela, il faut être sur le terrain et agir, sortir d'une vision électoraliste du discours politique. Ce qui est difficile quand on cumule les mandats (dans une quasi illégalité), on ne peut être bourgmestre quand ça vous arrange. On l'est ou on ne l'est pas. Tournai est une ville qui mérite mieux que la poussière qui semble la recouvrir ces dernières années. De nombreuses communes un peu partout en Europe ont fait le pari que l'apport de populations étrangères pouvait leur être bénéfique (3). Tournai mérite d'avoir un seul bourgmestre, totalement investi dans sa fonction, capable d'une politique audacieuse pour sortir cette ville de son déclin et de sa frilosité. Et si l'autre était une chance?

(1) http://www.lavenir.net/cnt/dmf20150807_00685171
http://www.lalibre.be/actu/belgique/accueil-des-demandeurs-d-asile-pathetique-lamentable-revue-de-presse-55c844b63570b5465333523c
http://portfolio.lesoir.be/main.php?g2_itemId=971006&_ga=1.132754697.626903632.1439743595
(2) http://www.lavenir.net/cnt/DMF20150810_00686098
(3) (re)lire sur ce blog "Le pays de l'accueil", 12 octobre 2007.

A (re)lire aussi:
- "La honte", 9 juin 2015
- "Il y a trop d'étrangers dans le monde", 3 février 2011.



1 commentaire:

gabrielle a dit…

Nous vivons dans une commune de +/-22.000 habitants dans laquelle est situé un des 17 centres d'accueil gérés par Fedasil.

Dans nos boîtes aux lettres fin août une lettre officielle de la direction de Fedasil Bxl nous informe qu'en attendant que le gvt fédéral ouvre des places d'accueil dans d'anciennes casernes, il sera procédé à une mise en place temporaire de quelques unités de logement supplémentaires et provisoires dans le centre existant ici. Lorsque le gvt ouvrira les casernes, ces unités de logement seront retirées.

Voilà. On est informés. Le centre d'une capacité d'environ 140 personnes est situé dans un environnement verdoyant et ne pose pas de problème aux habitants la commune (sauf sans doute à quelques esprits désespérément bornés). Les demandeurs d'asile sont libres d'aller et venir durant certaines heures fixées par le Centre, leurs enfants vont à l'école, il y a des activités prévues entre les habitants de la commune et les résidents du Fedasil. Le Centre publie régulièrement une lettre d'info, des bénévoles ont un rôle d'animation et de sensibilisation des résidents, de jeunes volontaires de tous les pays du monde viennent chaque été partager 3 semaines le quotidien des résidents, etc.

Tout se passe tellement bien que certains habitants ignorent qu'il y a un Fedasil dans la commune. :-)

La mission d'un Fedasil est d'offrir un toit, de l'alimentation et un accompagnement médico et psycho social pendant l'examen des demandes d'asile des résidents, en attendant qu'ils reçoivent soit le statut de réfugiés, un statut de protection ou un ordre de quitter le territoire.