lundi 24 octobre 2016

Cachez cette femme que je ne saurais voir

On relit l'article deux fois plutôt qu'une, pas sûr d'avoir bien compris ce qu'écrit Ali Al-Saqa dans Al-Modon (Beyrouth) (1). Et pourtant, oui, c'est bien ce qui se passe: dans la campagne  pour les élections municipales palestiniennes (finalement reportées),  "on a vu des affiches (de candidates) avec des bouquets de fleurs à la place des visages, et avec de simples initiales assortis d'un épouse d'untel, fille d'untel ou sœur d'untel, à la place de leurs noms". C'est que montrer le visage d'une femme serait aussi "impudique" qu'afficher publiquement son nom. Les électeurs pourraient donc choisir des candidates réduites à l'état de fantômes. La démocratie des mâles. Heureusement, des femmes palestiniennes se sont mobilisées sur les réseaux sociaux "pour s'insurger contre le fait qu'on puisse dire que les noms des femmes sont quelque chose de honteux qu'il convient de cacher." L'une d'elles, ironiquement, propose une solution: créer des villes séparées pour les hommes et pour les femmes, ce qui éviterait les problèmes de mixité. Les Territoires palestiniens ne détiennent pas le monopole du sexisme: "la même chose existe en Egypte, où beaucoup d'hommes jettent eux aussi un voile pudique sur le nom de leur mère, de leurs sœurs et de leur épouse".

Nous voilà donc au-delà du burkini, de la burqa et du voile, de "ces vêtements politiques" (comme le dit Abnousse Shalmani) qui disent la honte que constitue, dans l'idéologie islamique, le corps féminin qui doit impérativement être caché. C'est la femme en son essence même qui est niée.
"Ce qui distingue essentiellement et avant tout les pays occidentaux d'un pays musulman, sans même qu'il y ait un régime islamo-fasciste, c'est la place du corps féminin à l'intérieur de la structure familiale et dans la société, affirme l'écrivaine d'origine iranienne Chahdortt Djavann (2). Que représente-t-il, ce corps? A qui, à quoi sert-il? Que symbolise-t-il?
Le corps féminin, celui de la mère, de la sœur, de l'épouse, de la fille, est le garant de l'honneur de la famille, de la communauté. Car ce corps appartient à tous, sauf à la femme qui l'habite. Le corps de la femme n'est pas à elle, alors même qu'elle est réduite à ce corps inférieur et infériorisé. Un objet sous tutelle masculine: telle est la place du corps féminin dans l'islam en 2016."

L'avocate tunisienne Maya Ksouri pense de même (3): "Lisez les mémoires d'un des plus éminents dirigeants de la Nahda (le parti islamiste tunisien vendu comme le parangon de l'islam modéré), Abdelhamid Jelassi (...) et vous verrez que le voile et ses pendants ne sont pas des vêtements comme les autres. Il le dit clairement. Le voile et la volonté insidieuse de sa généralisation, sous toutes ses formes, dans l'espace public, est aujourd'hui, dans un contexte d'islam politique florissant, un élément de propagande, de démonstration de force et de victoire... Victoire remportée sur le modèle social caractérisé par la libération des femmes arabes et leur émancipation à partir des années 30 sous l'impulsion d'Atatürk, Bourguiba et Nasser."

Récemment, une des ses concitoyennes, l'écrivaine et journaliste tunisienne Fawzia Zouari, dans un "quart d'heure de colère", affirmait qu'il y a des jours où elle regrette d'être née arabe, et fustigeait l'islam, ses pseudo martyrs, ces nababs insensibles à la pauvrété et à la violence, "et ces gourdes qui se voilent et se courbent au lieu de flairer le piège, qui revendiquent le statut de coépouse, de complémentaire, de moins que rien! Et ces niqabées qui, en Europe, prennent un malin plaisir à choquer le bon Gaulois ou le bon Belge comme si c'était une prouesse de sortir en scaphandrier! Comme si c'était une manière de grandir l'islam que de le présenter dans ses atours les plus rétrogrades". (4)

Le burkini a fait beaucoup parler de lui cet été en France. Excessivement sûrement. Mais c'était bien le but recherché par celles qui le portaient et ceux qui les y poussaient. "Le burkini, c'est de l'exhibitionnisme de la plus belle espèce, estime Chahdortt Djavann (5), qui ne doit rien à l'inattention ou à la distraction". (...) "Si le but de ces femmes et de leurs mentors était de préserver leur pudeur , elles seraient allées dans des plages isolées, comme les nudistes. Il faut savoir que la morale islamique interdit tout autant à une femme de montrer son corps et sa chevelure aux hommes que de regarder le corps nu des hommes: les plages mixtes sont interdites en Arabie saoudite ou en Iran, où la charia fait office de loi! Leur souci n'était nullement de protéger leur pudeur, mais bel et bien de proclamer leur rejet des modes vie occidentaux, d'exacerber les tensions et de jouer donc in fine le jeu du Front national."

Ici ou là, aujourd'hui bien plus qu'hier, les forcenés de l'islamisme veulent nier le corps, jusqu'à son image. "Sur le campus de l'Institut indonésien des Arts (ISI) de Yogyakarta, certains mènent des opérations de propagande et cherchent à interdire toute représentation d'êtres vivants", écrivent Prihandoko et Shinta Maharani dans Tempo (Jakarta) (6). Ces censeurs sont membres d'un groupe qui considère la démocratie comme "satanique". Rien de moins. Ils veulent "transformer l'Indonésie en un pays soumis à la charia". Pour eux, l'art doit se limiter à la calligraphie. Ils refusent d'ailleurs d'enseigner l'anatomie plastique des êtres humains et des animaux. Le corps humain doit disparaître. C'est dans le même pays, qu'au nom de cette même charia, treize jeunes, six femmes et sept hommes, ont été récemment châtiés à coups de canne. Leur crime: s'être touchés ou embrassés. (7)
On voit par là que la charia n'a rien à voir avec l'intelligence et la raison. Juste avec la terreur. 

Le corps est la manifestation de la vie. Quel peut bien être l'intérêt d'une religion qui hait à ce point la vie?

Post-scriptum: sur le corps en général, à écouter l'excellente chronique de François Morel sur France Inter ce vendredi 28 octobre à 8h55 - https://www.franceinter.fr

(1) "Des candidates sans nom ni visage", Al-Modon, 29.9.2016, in le Courrier international, 13 octobre 2016.
(2) Chahdortt Djavann, "Intrégrez-vous, immigrés!", Charlie Hebdo, 12 octobre 2016.
(3) http://www.marianne.net/agora-tunisie-burkini-insulte-au-combat-mene-chaque-jour-les-femmes-arabes-100245556.html
(4) dans Jeune Afrique, récemment. Voir le texte ci-dessous.
(5) "Un voile sur la république", Charlie Hebdo, 14 septembre 2016.
(6) "Drôle de fatwa contre les arts", Tempo, 16 septembre 2016, in Le Courrier international, 22 septembre 2016.
(7) http://www.lalibre.be/actu/international/coups-de-canne-infliges-a-des-couples-qui-se-touchaient-ou-s-embrassaient-en-indonesie-58050620cd70cd5761cbd682


Fawzia Zouari, écrivaine et journaliste tunisienne, docteur en littérature française et comparée de la Sorbonne.
A publié dans « Jeune Afrique » cet article:

" Il y a des jours où je regrette d’être née arabe.

Les jours où je me réveille devant le spectacle de gueules hirsutes prêtes à massacrer au nom d’Allah et où je m’endors avec le bruit des explosions diffusées sur fond de versets coraniques.

Les jours où je regarde les cadavres joncher les rues de Bagdad ou de Beyrouth par la faute des kamikazes; où des cheikhs manchots et aveugles s’arrogent le droit d’émettre des fatwas parce qu’ils sont pleins comme des outres de haine et de sang; où je vois des petites filles, les unes courir protéger de leur corps leur mère qu’on lapide et les autres revêtir la robe de mariée à l’âge de 9 ans.

Et puis ces jours où j’entends des mamans chrétiennes confier en sanglotant que leur progéniture convertie à l’islam refuse de les toucher sous prétexte qu’elles sont impures.

Quand j’entends pleurer ce père musulman parce qu’il ne sait pas pourquoi son garçon est allé se faire tuer en Syrie. À l’heure où celui-ci parade dans les faubourgs d’Alep, kalachnikov en bandoulière, en attendant de se repaître d’une gamine venue de la banlieue de Tunis ou de Londres, à qui l’on a fait croire que le viol est un laissez-passer pour le paradis.

Ces jours où je vois les Bill Gates dépenser leur argent pour les petits Africains et les François Pinault pour les artistes de leur continent, tandis que les cheikhs du Golfe dilapident leur fortune dans les casinos et les maisons de charme et qu’il ne vient pas à l’idée des nababs du Maghreb de penser au chômeur qui crève la faim, au poète qui vit en clandestin, à l’artiste qui n’a pas de quoi s’acheter un pinceau.

Et tous ces croyants qui se prennent pour les inventeurs de la poudre alors qu’ils ne savent pas nouer une cravate, et je ne parle pas de leur incapacité à fabriquer une tablette ou une voiture.

Les mêmes qui dénombrent les miracles de la science dans le Coran et sont dénués du plus petit savoir capable de faire reculer les maladies.

Non ! L’Occident, ces prêcheurs pleins d’arrogance le vomissent, bien qu’ils ne puissent se passer de ses portables, de ses médicaments, de ses progrès en tous genres.

Et la cacophonie de ces « révolutions » qui tombent entre des mains obscurantistes comme le fruit de l’arbre.

Ces islamistes qui parlent de démocratie et n’en croient pas un mot, qui clament le respect des femmes et les traitent en esclaves.

Et ces gourdes qui se voilent et se courbent au lieu de flairer le piège, qui revendiquent le statut de coépouse, de complémentaire, de moins que rien !

Et ces « niqabées » qui, en Europe, prennent un malin plaisir à choquer le bon Gaulois ou le bon Belge comme si c’était une prouesse de sortir en scaphandrier ! Comme si c’était une manière de grandir l’islam que de le présenter dans ses atours les plus rétrogrades.

Ces jours, enfin, où je cherche le salut et ne le trouve nulle part, même pas auprès d’une élite intellectuelle arabe qui sévit sur les antennes et ignore le terrain, qui vitupère le jour et finit dans les bars la nuit, qui parle principes et se vend pour une poignée de dollars, qui fait du bruit et qui ne sert à rien !

Voilà, c’était mon quart d’heure de colère contre les miens... Souhaitons que l'Occident ouvre les yeux.... " Fawzia Zouari


2 commentaires:

Grégoire a dit…

Il m'arrive parfois, à la lecture régulière, de ce blog, d'être tiraillé entre la crainte de ne pas m'exprimer assez clairement, au risque d'être assimilé à ce que je ne suis pas, au pire, ou que j'espère ne pas être, et celle d'être perçu, au mieux, comme un naïf. Et c'est le cas aujourd'hui. Quand se pose la question d'un Islam français, on en vient immanquablement à se demander s'il faut purger le livre saint des passages les plus violents (appels aux meurtres des infidèles, par ex.). Impossible du point de vue musulman, car le Coran a été dicté par Dieu à son ultime prophète, alors que les Evangiles "ne sont que" des faits relatés par des auteurs dont l'Eglise a fini par admettre que le résultat est plus que probablement le fruit de collectages collectifs et non celui de l'apôtre auquel on attribue le texte final. Quoi que pour Saint-Jean, mais je m'égare... On n'y enlève rien, mais on peut interpréter les textes pour parfois en faire des métaphores. Raisonnements parfois tordus, mais parfois pratiques.
Il y a donc d'un côté des femmes dans des pays musulmans qui luttent pour avoir simplement le droit d'exister en tant que femmes dans l'espace public et de l'autre des musulmanes qui "luttent" pour avoir le droit d'exister en tant que musulmanes dans l'espace public, dit laïc, en occident. Je n'ai qu'une seule expérience de séjour en pays musulman à revendiquer. Mon épouse, qui m'accompagnait, fut surprise d'être aussi transparente aux yeux des hommes locaux, sauf quand ils avaient quelque chose à lui vendre. C'est un constat, rien de plus. Quelle est donc la motivation des musulmanes, présentes en Occident, pour porter une tenue censée les différencier des non-musulman(e)s? : "Je ne suis pas comme vous"? ou "Vous ne faites pas partie de mon monde"? ou "Je ne veux pas faire partie de votre société (mais j'en accepte quand même les avantages plus nombreux que ceux que je pourrais trouver dans les pétro-monarchies)"? Ou...? J'en reviens à Saint Ambroise et son "Si tu vis à Rome, vis comme les Romains.". "Le corps humain doit disparaître." écrivez-vous. Ajoutez à cela une situation économique difficile qui retarde l'émancipation économique de toute une jeunesse - obligée de restée chez les parents et donc ne pouvant se marier - , en Egypte, par exemple, et vous aurez une foule d'hommes frustrés qui, il y a 5 ans, se jette littéralement sur une journaliste de France télévision pour l'agresser (et elle ne fut pas la seule journaliste à avoir vécu ce genre de choses, semble-t-il).
Je suis de plus en plus pessimiste, et je m'étonne néanmoins, avec soulagement, du niveau de tolérance de la société occidentale vis à vis des personnes qui vivent parmi nous tout en ne voulant pas vivre comme nous. Jusqu'à quand? Tant que le niveau socio-économique reste supportable, sans doute...

Michel GUILBERT a dit…

Rassurez-vous: vous êtes compris!
Sur l'origine des Evangiles, deux ouvrages assez remarquables, selon moi:
- "Le Royaume" d'Emmanuel Carrère
- et "Jésus contre Jésus" de Gérad Mordillat et Jérôme Prieur (chez Points).