mercredi 17 juillet 2019

Je rugis

Je n'ai jamais eu aucune sympathie pour François de Rugy. Quand je dis jamais, ça ne veut pas dire depuis longtemps. Je n'avais jamais entendu parler de lui avant qu'il ne soit, suite à l'élection de Macron,  désigné président de l'Assemblée nationale, avant d'être nommé ministre de la Transition écologique. Les gens qui changent de camp (il a quitté les Verts pour rejoindre La République en Marche) m'apparaissent comme des opportunistes, que je soupçonne de poursuivre des ambitions bien plus personnelles que collectives. Je suis loin d'être le seul à le voir comme un mollasson de l'écologie qui a(vait) bien compris où était son avenir, mais ne changera le système qu'à la marge.
Pour autant, je ne peux participer à la chasse aux sorcières dont il est aujourd'hui victime.

Nous n'avons publié que des faits objectifs, déclarait ce mercredi matin sur France Inter un journaliste  de Mediapart. Sans doute. Mais chacun est porteur de mille, cinq mille ou cinq cents mille faits objectifs. Et on nous cite ici quelques "faits objectifs" parmi tant d'autres. La succession de leur révélation démontre une volonté d'acharnement. D'autant qu'ils ne sont pas analysés. On nous dit que, président de l'Assemblée, il organisait de fastueux dîners avec "ses potes". Et on lit le témoignage d'un journaliste qui en était et se souvient qu'il n'y connaissait personne et s'y est ennuyé. Un autre témoin a trouvé cette rencontre "intéressante". On reproche aux politiques de ne pas consulter et quand ils le font, on leur reproche de ne pas consulter les bonnes personnes et on déplore les conditions de la rencontre. Chacun va-t-il mettre son nez désormais dans l'agenda et les assiettes de chaque ministre?  Faut-il désormais pour ne pas heurter le peuple que, comme l'écrit Riss dans Charlie Hebdo (1), les ministres ne mangent que du hachis parmentier, arrosé d'une bouteille de Sprite avec un choco BN pour dessert? "Quand les idées manquent, il reste le moralisme, dit-il encore. Dans tous les domaines, qu'il s'agisse de politique ou de mœurs, l'offensive généralisée de la morale ne présage rien de bon. (...) L'exigence de pureté, quand on l'applique à la politique, ne rend pas la démocratie plus juste, mais elle la métamorphose en une sorte d'Inquisition à l'affût du premier bûcher à allumer pour livrer à la colère de la foule le premier pécheur."

Et le peuple dans son ensemble se scandalise. Le peuple n'aime rien tant que se scandaliser et hurler avec les loups.
Effectivement, ces images de repas fastueux sont catastrophiques en termes d'images des gouvernants. Mais veut-on que demain les invités d'un ministre ou d'un élu x ou y soient reçus avec ces œufs brouillés qui plaisaient tant au président Giscard d'Estaing?
Voilà qui me ramène au projet auquel je crois: en finir avec la classe politique. Que les mandats soient extrêmement limités dans le temps, ce qui permettra à beaucoup plus de citoyens d'exercer une fonction politique. Que chacun à son tour puisse devenir ministre, parlementaire, conseiller régional, maire. Et qu'il assume alors son mandat en toute transparence face aux kalashnikovs médiatiques.
Mais que les médias en fassent autant: que les rédacteurs en chef, les chefs d'éditions, les journalistes disent avec qui ils mangent, ce qu'ils mangent et qui a payé l'addition. 

Il y a vingt ans, j'étais élu au Parlement wallon. Je n'y ai effectué qu'un seul mandat. Ainsi en ont décidé les électeurs. J'ai mal vécu alors l'échec cuisant et que je continue à trouver injuste d'Ecolo aux élections régionales de 2004. Mais j'ai surtout mal vécu le "bulletin" que Le Soir  a publié juste avant les élections, distribuant aux parlementaires des points sous forme d'étoiles. Je n'en ai obtenu qu'une seule. Comme un vulgaire parlementaire touriste. J'en ai été profondément et longtemps blessé, moi qui durant cinq ans avais travaillé sur tant de dossiers divers de cinquante à septante-cinq heures par semaine, motivé, convaincu que par ce mandat je pouvais participer à une évolution positive de la société. Le journaliste qui s'était institué juge se basait sur des "faits objectifs": le nombre de questions écrites et orales posées, d'interpellations, de propositions de décret. Et ce exclusivement au Parlement wallon. Alors que tout député wallon siège également au Parlement de la Communauté française. Et que, les deux dernières années de mon mandat, je siègeais également au Sénat comme sénateur de communauté. Nous n'étions d'ailleurs plus que deux sénateurs, Isabelle Durant et moi, en 2003-2004. C'est dire si le travail au Sénat était devenu pour moi proritaire. Mais tout ce travail-là, dans ces autres institutions (tout autant que le travail, non quantifiable, d'auditions, de négociations, de contacts au sein et à l'extérieur du Parlement wallon), était superbement ignoré par le journaliste, si sûr de ses "faits objectifs", de ses calculs d'épiciers.
C'était il y a quinze ans.  Aujourd'hui, je garde une amertume de ce que j'ai considéré comme un "flingage", mais je n'ai plus aucun regret. Pour rien au monde, je ne voudrais à nouveau siéger comme parlementaire. Aujourd'hui plus qu'hier, nous sommes dans le temps des hyènes, des inquisiteurs, des Tartuffe.

Post-scriptum:  ce mercredi soir, selon le Journal de France 3, le parquet financier n'ouvrira aucune enquête au vu des informations actuelles. Donc, en l'état, rien d'illégal ne lui est reproché. Juste une question de morale donc. "N'oubliez jamais, disait Léo Ferré, que ce qu'il y a d'encombrant dans la morale, c'est que c'est toujours la morale des autres."

(1) "Un petit pas pour l'homme, un grand pas pour le homard", Charlie Hebdo, 17.7.2019.

Aucun commentaire: