samedi 19 décembre 2020

La culture contre la culture

Qui sont donc ces médiateurs culturels qui encouragent l'entre-soi, soutiennent de facto les censeurs et découragent le débat ? On les entend, on les lit, sans bien comprendre le gloubi-boulga dans lequel ils formulent leurs points de vue brumeux. 

Voilà qu'on découvre que Point Culture, ex-Médiathèque de la Communauté française de Belgique, soutient des ateliers "en non mixité choisie". Récemment, l'un d'eux, très critiqué,  organisé par l'association Imazi-Reine, était  réservé aux "femmes et personnes queers racisées". Sujet de l'atelier: « Pour une convergence des luttes non consensuelle. Entre antiracisme et misogynie, qu’en est-il de nos hommes ? ». On s'interroge - de l'extérieur, forcément: qu'est-ce qu'une convergence non consensuelle? Sans doute s'agit-il de se rapprocher sans vouloir être d’accord sur tout. Mais poser d’emblée qu’on ne veut pas de consensus apparaît pour le moins curieux. La dernière phrase de la présentation de cet atelier est remarquable: « Parce que l’inclusivité est vide de sens, elle est radicalement inclusive ». On a beau la relire tant et plus, on n'arrive pas à la comprendre. On regrette d'autant plus de n'avoir pu participer à l'atelier pour avoir une explication de texte. Mais on se le demande: cette phrase veut-elle vraiment dire quelque chose ou atteint-on là un sommet du pédantisme (ou de l'exclusivité)? Si on lit bien, l’inclusivité est inclusive et vide de sens. On est soit dans "1984", soit dans "Les Précieuses ridicules". Même si on sait qu'on tend là le bâton pour se faire traiter de blanc macho, on se demande s'il faut rire ou s'alarmer.

On le comprend, on se trouve ici dans la mouvance décoloniale, à la mode aujourd'hui, qui divise le monde en deux: les blancs et les non blancs. Etant entendu que les blancs sont les dominateurs, les non blancs les dominés. Que les uns sont racistes et les autres racisés. Que les blancs portent et porteront à jamais la marque infamante de l'esclavagisme dont ont été et restent victimes les autres, tous les autres. Ces antiracistes réinventent la notion de race, pour mieux la combattre, disent-ils. Les racisés sont tous les non blancs, ils souffrent tous, à des degrés divers, de racisme. Racisme qui est le fait des blancs et uniquement des blancs. Et tout blanc qui s'en défend prouve ainsi qu'il l'est. Il y a les bons et les méchants. Fin du débat. Le racisme est dans les gènes de tout Etat occidental qui s'avère, de plus, machiste, patriarcal, islamophobe et homophobe. L'Occident est coupable de tous les maux et les Occidentaux, qu'ils en soient conscients ou non, sont tous coupables d'être les héritiers d'esclavagistes et devront expier leur faute jusqu'à la fin des temps. De leur temps, du moins.

Cette absence de débat et ce manichéisme suscitent des réactions outrées. Auxquelles Point Culture a répondu par un communiqué dans lequel il se dit désolé. Désolé du ton des réactions et désolé d'avoir manqué de pédagogie. Car, bien sûr, l'ex-Médiathèque défend ces "réunions en non mixité choisie (ou safe space ou espace positif ) (qui) ont toujours été un outil d’émancipation important dans les diverses luttes pour les droits des minorités. Elles permettent par exemple aux participant·es de partir d’une expérience commune de la discrimination, sans être constamment obligées d’en rappeler les contours ou même d’en justifier la réalité. Elles ouvrent un espace où la parole et le vécu se partagent plus aisément qu’en présence de personnes assimilées, même inconsciemment, à la domination." Dans sa conclusion, Point Culture affirme que notre société a un besoin criant "de rencontres et de débats (...) et non de polémiques sur les réseaux sociaux". Si on comprend bien les explications, les personnes racisées, en se retrouvant entre elles, n’ont pas à justifier la réalité de leur vécu. Pas de débat donc. Elles sont dominées. La preuve, c'est qu'elles le disent. Et dans ces safe space, elles peuvent se conforter les unes les autres dans leur statut de victimes et se retrouver dans l’entre-soi parce que notre société a besoin de rencontres et d’échanges. Donc de débat. On voit par là que les contradictions ne manquent pas.

Ce qui est inquiétant, c'est de voir des institutions culturelles soutenir le mouvement décolonial au nom duquel nombre de racisés entendent régenter le monde culturel en décidant qui peut traiter de tel ou tel sujet et comment, empêchent physiquement des débats de se tenir (on a en a cité quelques exemples ici), censurent des expos et des spectacles (voir ici encore plusieurs billets), dénoncent ce qu'ils appellent islamophobie (idem). Les islamophobes étant en fait ceux qui ont l'outrecuidance de critiquer l'ingérence de l'islam dans les règles de la société. Les contempteurs de l'islamophobie soutiennent le voile et les dérives d’une religion très largement dominée par une culture machiste qui rabaisse sans cesse la femme. Mais accusent l'Occident d'être patriarcal. 

Les mêmes racisés qui reprochent aux blancs leur euro-centrisme ignorent sciemment ce qu'il se passe et s'est passé ailleurs sur la planète. Ils ne savent rien de la traite négrière islamo-musulmane, ne veulent pas voir le racisme qui sévit au Japon ou en Inde, ont déjà oublié les génocides rwandais et khmer, n'entendent pas les militants saharouis qui dénoncent "la colonisation du Sahara occidental par le Maroc", pas plus qu'ils n'entendent les footballeurs noirs qui se plaignent du racisme dont ils sont victimes en Chine. Ils ne voient pas la répression menée par l'Etat chinois contre les Ouïghours, population musulmane, "depuis la colonisation de la région par la Chine". C'est la présidente de l'Institut ouïghour d'Europe qui en parlait récemment (1), dénonçant "le caractère racial du travail forcé" et "l'esclavagisme" auxquels sont soumis les Ouïghours, et parlant de "la grande puissance impérialiste qu'est la Chine". Mais, encore une fois, pour les racisés et les décoloniaux, seuls les blancs sont coupables de racisme et d'esclavagisme. Ce qui explique les réactions assassines des djihadistes. Les décoloniaux ne veulent pas savoir que 90% des victimes du djihadisme sont musulmanes et vivent essentiellement en Afrique, au Moyen-Orient en Asie. Ces victimes n'existent pas. Ils ne voient pas que les Etats ouvertement homophobes sont aussi ceux où l'islam est le plus prégnant (voir la carte sur la législation sur les droits sexuels - 2). Il n'est point de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.

Un élément encore: Point Culture justifie sa position en affirmant que les termes blancs et racisés "sont de plus en plus adoptés par nombre de militant·es, professionnel·les et universitaires tout à fait respectables". Le postulat posé, on ne pourrait donc pas les critiquer? Il suffit de lire Pierre-André Taguieff pour comprendre combien on a affaire à une imposture (3) et que nombreux sont les universitaires à critiquer ces théories nébuleuses. On y reviendra plus longuement.

Post-scriptum: à lire aussi: https://www.marianne.net/monde/ameriques/se-soumettre-ou-etre-detruit-le-temoignage-dun-chercheur-americain-victime-du-mouvement-woke-a-luniversite-devergreen

(Re)lire sur ce blog "Un monde en noir et blanc" 28.11.2017 et "Je ne suis pas tout blanc", 9.7.2020.

(1) Arte, "28 minutes", 17.12.2020.

(2)  https://ilga.org/downloads/03_ILGA_WorldMap_ENGLISH_Overview_May2016.pdf

(3) P.-A. Taguieff, "L'Imposture décoloniale - Science imaginaire et pseudo-antiracisme", éditions de l'Observatoire, 2020. 

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