mercredi 25 janvier 2023

Comment en sortir ?

La guerre d'Ukraine ne semble pas près de s'arrêter. Quelles victoires, quels accords, quelle stratégie pourraient y mettre un terme et assurer une paix durable ?
Certaines bonnes âmes se présentent comme non alignées. Entendons par là qu'elles ne soutiennent pas la Russie - dont elles condamnent l'attitude et l'action - mais qu'elles ne veulent surtout pas, en appuyant l'Ukraine, apparaître rangées derrière les Etats-Unis. Elles s'opposent dès lors à ce que les pays occidentaux arment l'Ukraine. Elles crient au bellicisme, les traitent de va-t-en-guerre. Leur anti-américanisme les rend aveugles et neutres. Elles en conviennent : cette agression est scandaleuse et inadmissible, mais les Ukrainiens n'ont qu'à se débrouiller seuls. Ces Ponce-Pilate, dès lors, ne font pas de différence entre un Etat agresseur aux pratiques barbares et un Etat agressé qui tente de faire respecter sa souveraineté.
On comprend vite qu'avec ces aveugles qui regardent ailleurs les dictateurs peuvent se rêver en empereurs.

"Où en seraient les vingt-sept Etats de l’Union et l’ensemble des démocraties si le renseignement américain et les premières livraisons d’armes européennes n’avaient pas empêché Vladimir Poutine de prendre Kiev ?", se demande Bernard Guetta, (1) député européen et ancien éditorialiste de France Inter.  "Toute l’Ukraine, répond-il, serait occupée et, conforté dans son idée de la décadence occidentale, Poutine aurait annexé sans tarder l’Ukraine et la Biélorussie en leur donnant un statut d’Etats associés à la Fédération de Russie. Il n’aurait alors pas eu besoin de reconquérir les pays baltes qui, preuve étant faite que les démocraties ne défendent pas la démocratie, n’auraient pas eu d’autre choix que de s’aligner sur Moscou ou d’être soumis par la force."
"La Russie, écrit-il encore, serait, en un mot, devenue la puissance dominante du continent, puisque les Etats-Unis auraient acté leur désengagement et que l’Union aurait dû renoncer à tout projet de défense commune face à la montée, jusque dans ses rangs, des tentations neutralistes." En outre, il imagine les conséquences dramatiques qu'une victoire de Poutine en Ukraine aurait en Afrique, en Amérique latine et en Chine "où Xi Jinping s’en serait trouvé encouragé à lancer ses armées contre Taïwan et à risquer, pour le coup, un affrontement direct avec les Etats-Unis".

Si on écoutait les bonnes âmes qui se veulent pacifistes à tout prix (les bonnes âmes ont un vieux fond judéo-chrétien : si on les frappe sur la joue gauche, elles tendent la joue droite, ça  leur permet d'expier leur péché originel), les pays occidentaux cesseraient de livrer des armes à l'Ukraine et "l’Union européenne se déferait vite ", estime Bernard Guetta – et  "à cette immense victoire de M. Poutine s’en ajouterait aussitôt une autre, puisque les Ukrainiens ne seraient plus en situation de continuer à libérer leurs territoires et n’auraient, au contraire, bientôt plus assez de munitions pour faire face à une reprise de la progression russe qui menacerait de nouveau Kiev".
Donc, affirme le député européen, il ne faut surtout pas limiter les livraisons d’armes à l’Ukraine. "Mais cela signifie-t-il qu’il n’y ait pas là de place pour la diplomatie ? Tout dépend de ce que l’on fait dire à ce mot. Si l’on veut dire par là qu’il faudrait conduire les Ukrainiens – et en réalité les y obliger – à abandonner le Donbass en plus de la Crimée à M. Poutine, attention ! Ce serait tout simplement lui reconnaître une victoire qu’il n’a pas remportée et lui donner le temps, comme en 2014, de digérer ses conquêtes et d’en envisager d’autres. Cette diplomatie-là ne mènerait qu’à offrir au président russe les conditions les plus favorables possibles à un conflit de plus grande ampleur. C’est une tout autre diplomatie qu’il faut viser."
Selon Guetta, il faut cesser de penser à négocier les frontières de l’Ukraine à la place des Ukrainiens, il faut continuer à leur donner les moyens de se défendre et de prendre la main sur leur agresseur mais aussi proposer à la Russie les grandes lignes de ce que devrait être l'avenir, une fois l’Ukraine  libérée : les conditions politiques, économiques et militaires d’une stabilisation du continent et d’une coopération pacifique de tous ses Etats.
"Il nous faut solennellement rappeler aux Russes que ni l’Alliance atlantique ni l’Union européenne n’ambitionnent de violer leurs frontières, et leur faire clairement comprendre que, aussitôt que leur pays aura renoncé à asservir, martyriser et fractionner l’Ukraine, il trouvera toute sa place dans le continent dont il fait partie." Il suggère aussi de proposer à la Russie un destin de partenaire de l’Union, "infiniment préférable  à celui de vassal de la Chine". (...) "Il faut tout à la fois combattre l’agression et parler à la Russie. Il faut permettre à l’Ukraine de gagner la guerre et ouvrir aux Russes l’horizon d’une paix pérenne, de Lisbonne à Vladivostok." 

Un rêve raisonnable face à la brutalité du tsar stalinien ?

(1) https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/25/bernard-guetta-il-faut-cesser-de-penser-a-negocier-les-frontieres-de-l-ukraine-a-la-place-des-ukrainiens_6159189_3232.html


6 commentaires:

Bernard De Backer a dit…

Guetta voit juste. Il n'y a, à mon sens, pas d'autre option que la victoire militaire de l'Ukraine. Il me semble que, hors l'extrême droite et l'extrême gauche (l'éternel pacte Molotov-Ribbentrop), la majorité des acteurs occidentaux (au sens large : les pays démocratiques, y compris en Asie) le comprennent. J'avais, en 2016, signé un éditorial de La Revue nouvelle titré ironiquement "Vladimir l'Européen". On peut notament y lire ceci : "Le président de la Fédération de Russie n’aspirerait pas seulement à s’affirmer comme protecteur des minorités russes hors du territoire national, à préserver son « étranger proche » d’une propagation démocratique risquant d’atteindre la Russie — et, bien sûr, à maintenir ces pays ex-soviétiques dans sa sphère d’influence. Il viserait également l’affaiblissement de l’Union européenne, voire sa réduction à une mosaïque éclatée d’États nations." L'article est en lien sur mon nom (publié en ligne par Cairn)

Michel GUILBERT a dit…

Tu avais vu juste, Bernard ! Je crois aussi que la grande majorité des observateurs pensent qu'une victoire militaire de l'Ukraine est la seule manière d'en sortir, mais on entend ici régulièrement (peut-être moins en Belgique ?) cette petite musique, effectivement aux deux extrêmes (décidément si proches), laissant entendre que cette guerre n'est pas notre affaire.

Bernard De Backer a dit…

En Belgique aussi. De l'extrême gauche (le PTB et ses satellites) et des millieux pacifistes, souvent chrétiens de gauche ou écologistes (Paul ou/et Pierre Galand, le mouvement de jeunesse ecolo-J). Je ne crois pas que ce soit le cas des nationalistes flamands de la NVA, mais bien de certains du Vlaamse Blok et de groupuscules d'extrême droite. En France, je discutais avec une agricultrice de la Drôme. Elle nous disait que beaucoup de gens affirmaient que la hausse du coût de l'énergie, "c'est la faute à l'Ukraine" (et pas à la Russie). Mais ils sont minoritaires. Par contre, l'écologiste d'origine russe du même village était très (très) opposée à Poutine et drôlement bien informée.

Bernard De Backer a dit…

Complément : article cruel sur l'aveuglement d'Hélène Carrère d'Encausse, "la Perpétuelle", sur la Russie et l'Ukraine - dans Le Monde de ce soir. Les hautes fonctions, parfois, éblouissent ceux qui les occupent et ceux qui les regardent...

Michel GUILBERT a dit…

Ah oui, en effet : cruel !
Après avoir tant applaudi Poutine, elle est aujourd'hui perdue...

https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/01/26/helene-carrere-d-encausse-une-grande-connaisseuse-de-la-russie-en-plein-brouillard_6159463_3246.html

Michel GUILBERT a dit…

Ces braves gens du PTB :
https://www.lalibre.be/belgique/politique-belge/2023/01/26/le-ptb-utilise-le-meme-langage-que-la-russie-FSH5VYQCOJGL7AR6TM4XWVFLCY/