mercredi 19 novembre 2025

Avenir obscurci

Un professeur d'une université américaine affirme (sous le pseudonyme de Hilarius Bookbinder) que "la plupart de nos élèves aujourd'hui sont des analphabètes fonctionnels. J'entends par là qu'ils sont incapables de lire et de comprendre des romans pour adultes sérieux écrits par des auteurs grand public (...). Nos diplômés sont littéralement incapables de les lire d'un bout à l'autre en comprenant ce qu'ils ont sous les yeux. Ils n'ont ni le désir d'essayer, ni le vocabulaire nécessaire pour saisir le sens des phrases, et certainement pas la capacité d'attention nécessaire pour finir. (...) Mais le pire, c'est leur résistance à toute pensée originale. il y a une soumission réflexe au cliché le plus banal, et un refus de toute nouvelle idée". (1) Une étude de 2022, publiée dans The Chronicle of Higher Education, faisait le même constat et en attribuait les causes à l'usage excessif des portables et des réseaux dits sociaux, aux conséquences du confinement lors de l'épidémie de Covid-19 et à l'intelligence artificielle. 

Hier matin, dans sa revue de presse sur France Inter (3), Nora Hamadi expliquait, citant un article du quotidien La Croix, que "le prestigieux MIT a mené une expérience auprès d’un groupe d’étudiants. Leur activité neuronale a été mesurée pendant qu’ils rédigeaient une dissertation en 20 minutes : les uns avec ChatGPT, les autres avec un moteur de recherche de type Google, et les derniers sans aucun soutien externe. Conclusion : c’est ce troisième groupe qui produisait le plus de connexions neuronales, comparativement aux deux autres. Les étudiants avec ChatGPT voient une baisse moyenne de 55 % de leur activité neuronale, ils se souvenaient beaucoup moins bien de leur écrit. L’étude a conclu à une diminution probable des compétences d’apprentissage. En gros, « ChatGPT rend bête ». « Déléguer le raisonnement humain a des algorithmes probabilistes, cela engendre une perte d’efforts cognitifs et une perte de pensées critique », explique Laure Tabouy, neuroscientifique : « Sur le long terme, il y a un risque d’atrophie de certaines zones cérébrales au détriment d’autres »".

Dans le même temps, le Père Ubu américain (dont on sait qu'il ne lit absolument rien sinon les propos élogieux à son égard - rien d'autre ne l'intéresse) fait la guerre aux universités. "De ce point de vue, écrit Marc Weitzmann (2), l'offensive catastrophique de l'administration Trump contre les campus et contre la science en général, dont nous paierons tous le prix à la première pandémie, ou lors du réchauffement climatique, paraît s'inscrire dans la continuation d'un processus de destruction initié par les universités elles-mêmes, leurs départements des sciences humaines et leurs administrations en particulier. Des médias aux universités, tous les lieux du savoir, comme l'écrit l'essayiste Ted Gloria, connaissent une crise, voire un effondrement sans précédent. Il est remarquable qu'on assiste en parallèle à la montée d'un catholicisme réactionnaire, voire moyenâgeux, qui trouve des alliés improbables chez certains magnats de la haute technologie."

En France, l'islam prend de plus en plus de place dans la vie des jeunes musulmans. Une étude de l'Ifop, rendue publique hier et commentée dans Charlie Hebdo de ce jour (4), indique que "65% des musulmans (de France) pensent que la religion a raison face à la science sur la question de la création du monde" (19% chez les adeptes d'autres religions) ; que "57% des musulmans âgés de 15 à 24 ans pensent que le respect des règles musulmanes est plus important que celui des lois françaises" ; que "32% des moins de 25 ans ont de la sympathie pour les Frères musulmans (13% chez les musulmans de plus de 50 ans) et que seuls 12% des 15 à 24 ans souhaitent que "l'islam se modernise" (ils étaient 41% en 1998). "Il est troublant de constater que ce sont les plus jeunes qui sont les plus traditionalistes, alors que les plus âgés le sont moins", commente Riss.

En Espagne, de plus en plus de jeunes voient le franquisme comme "une période idyllique". En France, de plus en plus de jeunes sont séduits par le ballon de baudruche Bardella et son RN très FN.

On voit par là qu'une partie inquiétante de la jeunesse avance à reculons. Dans l'obscurité et vers le pire.

(1) cité par Marc Weitzmann, "La part sauvage", Grasset, 2025.
(2) op. cit.
(3) https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/dans-l-oeil-de/dans-l-oeil-de-du-mardi-18-novembre-2025-6529260
(4) Jean-Loup Adénor, "Les jeunes musulamns en pincent pour l'islamisme" - Riss, "Islamisme made in France", Charlie Hebdo, 19.11.2025.

3 commentaires:

Bernard De Backer a dit…

Oui Michel, je suis de mon côté également persuadé que l'IA "grand public" rend bête et inculte. Qu'elle ait son utilité dans la recherche techno-scientifique, et même dans la quête de réponses rapides pour des opérations pratiques (comme je viens de le faire pour intégrer une nouvelle boîte mail dans la messagerie de mon ordinateur), je n'en doute pas. Mais elle présente de nombreux dangers, à la fois en elle-même (quel que soit les propriétaires, même publics) et bien évidemment aux mains des seigneurs de la tech ou du PC chinois. Un autre risque est l'effacement du sujet humain, qu'il soit créateur ou simple alter-ego. J'ai eu ainsi la (demi) surprise de recevoir, comme réponse à des questions sur l'IA à un cousin informaticien, une réponse générée par l'IA... Ceci étant, je pense depuis le début que si le Web est progressivement colonisé par des contenus IA (ce qui est le cas), l'intelligence artificielle n'aura plus de contenu nouveau à se mettre sous la dent. L'IA deviendra un serpent qui se mort la queue, un cannibale condamné au magma répétitif. À suivre...

Michel GUILBERT a dit…

Oui, à suivre. Et pour mieux s'y préparer, je conseille aux lecteurs ces deux excellents billets de ton blog, Bernard : https://geoculture.blog/2025/08/30/croquer-la-pomme-de-lia-i/
https://geoculture.blog/2025/10/23/croquer-la-pomme-de-lia-2/

gabrielle a dit…

Pour sourire. Récemment j'ai fait un test IA pour vérifier une info de la 2e GM (dont je connaissais heureusement la réponse). Ma question : "Delestraint était-il un supérieur de De Gaulle ?" Réponses un peu surréalistes : 1. Essayez avec l'orthographe 'Delestraint était un supérieur de de gaaulle' 2. Non, Delestraint était supérieur de De Gaulle. Le général Delestraint commandait la 3e brigade de chars de combat, où le colonel de Gaulle l'a rejoint en 1937. (...) de Gaulle avait une grande estime pour son supérieur.