mercredi 19 novembre 2025

Avenir obscurci

Un professeur d'une université américaine affirme (sous le pseudonyme de Hilarius Bookbinder) que "la plupart de nos élèves aujourd'hui sont des analphabètes fonctionnels. J'entends par là qu'ils sont incapables de lire et de comprendre des romans pour adultes sérieux écrits par des auteurs grand public (...). Nos diplômés sont littéralement incapables de les lire d'un bout à l'autre en comprenant ce qu'ils ont sous les yeux. Ils n'ont ni le désir d'essayer, ni le vocabulaire nécessaire pour saisir le sens des phrases, et certainement pas la capacité d'attention nécessaire pour finir. (...) Mais le pire, c'est leur résistance à toute pensée originale. il y a une soumission réflexe au cliché le plus banal, et un refus de toute nouvelle idée". (1) Une étude de 2022, publiée dans The Chronicle of Higher Education, faisait le même constat et en attribuait les causes à l'usage excessif des portables et des réseaux dits sociaux, aux conséquences du confinement lors de l'épidémie de Covid-19 et à l'intelligence artificielle. 

Hier matin, dans sa revue de presse sur France Inter (3), Nora Hamadi expliquait, citant un article du quotidien La Croix, que "le prestigieux MIT a mené une expérience auprès d’un groupe d’étudiants. Leur activité neuronale a été mesurée pendant qu’ils rédigeaient une dissertation en 20 minutes : les uns avec ChatGPT, les autres avec un moteur de recherche de type Google, et les derniers sans aucun soutien externe. Conclusion : c’est ce troisième groupe qui produisait le plus de connexions neuronales, comparativement aux deux autres. Les étudiants avec ChatGPT voient une baisse moyenne de 55 % de leur activité neuronale, ils se souvenaient beaucoup moins bien de leur écrit. L’étude a conclu à une diminution probable des compétences d’apprentissage. En gros, « ChatGPT rend bête ». « Déléguer le raisonnement humain a des algorithmes probabilistes, cela engendre une perte d’efforts cognitifs et une perte de pensées critique », explique Laure Tabouy, neuroscientifique : « Sur le long terme, il y a un risque d’atrophie de certaines zones cérébrales au détriment d’autres »".

Dans le même temps, le Père Ubu américain (dont on sait qu'il ne lit absolument rien sinon les propos élogieux à son égard - rien d'autre ne l'intéresse) fait la guerre aux universités. "De ce point de vue, écrit Marc Weitzmann (2), l'offensive catastrophique de l'administration Trump contre les campus et contre la science en général, dont nous paierons tous le prix à la première pandémie, ou lors du réchauffement climatique, paraît s'inscrire dans la continuation d'un processus de destruction initié par les universités elles-mêmes, leurs départements des sciences humaines et leurs administrations en particulier. Des médias aux universités, tous les lieux du savoir, comme l'écrit l'essayiste Ted Gloria, connaissent une crise, voire un effondrement sans précédent. Il est remarquable qu'on assiste en parallèle à la montée d'un catholicisme réactionnaire, voire moyenâgeux, qui trouve des alliés improbables chez certains magnats de la haute technologie."

En France, l'islam prend de plus en plus de place dans la vie des jeunes musulmans. Une étude de l'Ifop, rendue publique hier et commentée dans Charlie Hebdo de ce jour (4), indique que "65% des musulmans (de France) pensent que la religion a raison face à la science sur la question de la création du monde" (19% chez les adeptes d'autres religions) ; que "57% des musulmans âgés de 15 à 24 ans pensent que le respect des règles musulmanes est plus important que celui des lois françaises" ; que "32% des moins de 25 ans ont de la sympathie pour les Frères musulmans (13% chez les musulmans de plus de 50 ans) et que seuls 12% des 15 à 24 ans souhaitent que "l'islam se modernise" (ils étaient 41% en 1998). "Il est troublant de constater que ce sont les plus jeunes qui sont les plus traditionalistes, alors que les plus âgés le sont moins", commente Riss.

En Espagne, de plus en plus de jeunes voient le franquisme comme "une période idyllique". En France, de plus en plus de jeunes sont séduits par le ballon de baudruche Bardella et son RN très FN.

On voit par là qu'une partie inquiétante de la jeunesse avance à reculons. Dans l'obscurité et vers le pire.

(1) cité par Marc Weitzmann, "La part sauvage", Grasset, 2025.
(2) op. cit.
(3) https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/dans-l-oeil-de/dans-l-oeil-de-du-mardi-18-novembre-2025-6529260
(4) Jean-Loup Adénor, "Les jeunes musulamns en pincent pour l'islamisme" - Riss, "Islamisme made in France", Charlie Hebdo, 19.11.2025.

dimanche 16 novembre 2025

Philistins antirépublicains

     Sensibilité, empathie, solidarité, fraternité, humanité, voilà autant de notions qui échappent à l'extrême droite. Les élus du RN-FN n'ont visiblement aucune notion de psychologie et ont le cœur desséché. Ils sont incapables de verser la moindre larme devant le Chœur du 13, cette chorale de rescapés et de familles de victimes des tueries du 13 novembre 2015, interprétant Shooting Stars (1). Au contraire. Ils se moquent, ricanent, persiflent. C'est tout ce qu'ils sont capables de faire.
Le Monde rapporte (2) les propos d'élus du RN sur le réseau X : « Les islamistes découragés à la vue de ces images », a écrit le député Alexandre Sabatou ;  « J’ai honte », a déclaré son collègue Julien Odoul qui se demande : « Quelle est la prochaine étape ? Une chorale avec Salah Abdeslam ? Cette cérémonie a été l’illustration d’une forme de lâcheté, de déni et de pacifisme totalement scandaleux au regard de la mémoire qu’on doit aux victimes. Les mouvements islamistes qui ont regardé leur télé ont dû bien rigoler. »
Le président de l’association de victimes Life for Paris, Arthur Dénouveaux, leur a répondu : « De cette cérémonie est né un sentiment de réunion républicaine, autour de valeurs que l’extrême droite essaie de nous confisquer : liberté, égalité, fraternité, et le drapeau français. Ils sont paniqués de voir que la société civile n’est pas dans l’envie de vengeance, alors ils réagissent à leur manière : en salissant et sortant les choses de leur contexte. Ils démontrent juste qu’ils sont profondément antirépublicains ».

Résumons-nous : le RN devrait se choisir des représentants humains.

(1) https://www.youtube.com/watch?v=7E9duxhyDrk&list=RD7E9duxhyDrk&start_radio=1
(2) https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/11/14/le-rassemblement-national-tourne-en-derision-la-commemoration-des-dix-ans-du-13-novembre_6653464_823448.html

jeudi 13 novembre 2025

La terreur perd et gagne

    Voilà donc dix ans déjà que la terreur islamiste se répandait dans tout Paris. Cent vingt personnes ont été tuées froidement et sans raison, des centaines d'autres blessées, des milliers terrorisées, tout un pays et ses voisins pétrifiés par l'horreur. Mais les terroristes n'ont pas gagné par rapport à l'opinion publique. Ils ne nous ont pas fait changer nos modes de vie. On sort toujours boire un verre en terrasse, on va toujours aux stades ou aux concerts. Et contrairement à ce qu'espéraient les islamistes et ce que veulent absolument croire certains, ce qu'ils appellent islamophobie ne s'est pas développé. "Je garde une certaine admiration pour les Français aujourd'hui, affirme Stefano Montefiori, correspondant à Paris du Corriere della Sera (1). Vu le choc, on aurait pu s'attendre à beaucoup de haine, mais je retiens surtout la douleur et la dignité des réactions tout autour de moi."
Son confrère du Spiegel, Leo Klimm, lui fait écho (2) : "Je sais ce que l'on ressent quand on est la cible du terrorisme. Et à quel point une société fait la démonstration de sa force quand elle résiste à la tentation de haïr en retour. Aucun autre pays d'Europe n'a été autant mis à l'épreuve par le terrorisme islamiste que la France. Jamais elle n'a réagi en sombrant dans l'hystérie."

    Si l'opinion publique a plutôt bien résisté, on ne peut en dire autant d'une bonne part des partis de gauche, devenus des culs-bénits soucieux d'accepter que se répandent dans la société les modes de vie prétendument rendus obligatoires par l'islam. Une telle attitude qui se veut bienveillante - et est très souvent électoraliste (3) - cache en fait une forme de racisme qui parfois s'ignore. Les mêmes qui montent au créneau pour pourfendre les censures qu'imposent les évangéliques se montrent très tolérants par rapport aux pratiques islamiques qui s'étendent le plus souvent au mépris des femmes et des musulmans qui ont envie de pratiquer leur religion sans ostentation.
"Les enquêtes et les ouvrages qui alertent l'opinion publique sur la stratégie des islamistes pour imposer à notre société leurs dogmes religieux ne manquent pas, écrit Riss (4). Mais l'islamisme, c'est comme le réchauffement climatique : on a beau disposer de toutes les informations sur le phénomène, personne ne le combat efficacement. Au contraire, on nous incite à l'accepter en nous habituant." Le directeur de Charlie Hebdo estime que "la couardise généralisée est plus efficace que les kalachnikovs des attentats de janvier et de novembre 2015, de Toulouse et de Montauban en 2012, et de tous les précédents. Les islamistes n'ont plus à se casser la tête pour diffuser leur idéologie : d'autres s'en chargent très bien et sans violence".

(1) "On oublie parfois quand on est journaliste, qu'on est aussi concerné", Le Courrier international, 6.11.2025.
(2) Leo Klimm, "La France a résisté à la tentation de haïr en retour", Der Spiegel, 29.10.2025, in Le Courrier international, 6.11.2025.
(3) Lire l'interview de Omar Youssef Souleimane : https://www.leddv.fr/actualite/omar-youssef-souleimane-les-islamistes-ont-trouve-chez-lfi-un-echo-pour-leur-propagande-20251111
(4) Riss, "Trente ans de franche rigolade", Charlie Hebdo, 12.11.2025.

mercredi 12 novembre 2025

Enfin !

Boualem Sansal va être libéré après près d'un an de prison. Enfin ! Il n'aurait pas dû être enfermé un seul jour.

Allez, ouste, les dictateurs, les usurpateurs, les mafieux, les crapulards, l'avenir appartient aux gens de bien. Tiens, je crois que c'est ça la bonne définition de cet objet non identifié qu'est l'humanité, que je cherche depuis des années : l'humanité, ce sont ces gens de bien qui, vaille que vaille, assurent le service de la vie. (Boualem Sansal, "Vivre - Le compte à rebours", Gallimard, nrf, 2024)

mardi 11 novembre 2025

Démantèlement durable

     La plus grande centrale nucléaire d'Europe, celle de Sellafield sur la côte nord-ouest de l'Angleterre, ne produit plus d'électricité depuis 2003. Elle est en cours de démantèlement. Il devrait durer jusqu'en 2125. Au moins. C'est ce qu'on apprend en lisant un article du Guardian (1). "Entre l'entreprise chargée des travaux Sellafield Ltd et sa chaîne d'approvisionnement, le site emploie environ 60 000 personnes, dont plus de 80% de la région."
La durée de vie d'une centrale nucléaire est estimée à quarante ans, mais il en faut, dans ce cas-ci, cent vingt pour la démanteler après usage. Voilà donc pourquoi certains parlent à propos du nucléaire d'énergie durable. 

Note : ouvert en 1947, le site de Windscale est chargé de produire du plutonium pour le programme nucléaire britannique. En 1957, une fuite radioactive pollue les environs, pire accident nucléaire avant ceux de Three Mile Island en 1979 et Tchernobyl en 1986. Dans les années '60, le rejet d'eaux contaminées dans la mer d'Irlande provoque la colère des pays scandinaves et de l'Irlande qui portent l'affaire devant l'ONU en 2001. En 1981, le site a changé de nom pour modifier son image de marque. Le démantèlement de Sellafield a été entamé en 2005.

(1) Eve Livingston, "La vie à l'ombre de la centrale nucléaire",  The Guardian, 7.10.2025, in Le Courrier international, 30.10.2025.

samedi 8 novembre 2025

Le Soudan comme une proie

    Parmi ces guerres qui nous indiffèrent (voir billet précédent), il y a celle du Soudan. L'émission d'Arte Le Dessous des cartes en a donné un excellent résumé ce vendredi (1).
Tandis qu'une guerre interne divise le Soudan du Sud depuis 2013 (deux ans après son indépendance), le Soudan, l'un des pays les plus pauvres de la planète, est tout aussi déchiré par une guerre civile qui fait rage depuis 2023. Elle oppose le général Abdel Fattah al-Burhan, à la tête de l'armée régulière, et son homologue Mohamed Hamdan Dogolo, dit Hemetti, qui commande les Forces de soutien rapide (FSR).

    A l'automne 2021, deux ans après la chute du dictateur Omar al-Bachir, l'armée a viré les civils du pouvoir pour l'occuper seule. Un pouvoir aussitôt contesté par Hemetti, chef d'une milice paramilitaire responsable de massacres au Darfour qui ont fait au moins 300 000 morts entre 2003 et 2020. Les deux camps ont chacun la main sur des parties de territoires qu'ils conquièrent, puis contrôlent en enrôlant de force des civils sur des bases ethniques.

    Les ressources du Soudan - or, pétrole, gomme arabique, produits agricoles - attirent les rapaces voisins qui trouvent aussi des intérêts stratégiques à se positionner dans ce conflit en soutenant l'un des deux camps. Et parfois les deux. L'Egypte et l'Ethiopie s'opposent sur le contrôle du Nil et se mènent une guerre par procuration à travers les acteurs du conflit soudanais : la première soutient l'armée régulière, la seconde les FSR.
L'armée régulière d'al-Burhan est donc soutenue par l'Egypte, mais aussi par l'Iran, la Turquie, le Qatar,  l’Arabie saoudite et l’Erythrée, tandis que l'Ethiopie, les Emirats arabes unis et l'Africa Corps, ex-milice russe Wagner, soutiennent les paramilitaires d'Hemetti qui viennent de commettre de nouveaux massacres en prenant la ville d'El-Fasher (2). Les Russes contrôlent des mines d'or avec le soutien d'Hemetti, mais entendent aussi contrôler Port-Soudan, sur la mer Rouge, avec le soutien d'al-Burhan cette fois. En février 2025, Poutine, le tueur sans frontière, a obtenu d'al-Burhan un accord pour la construction d'une base navale sur la Mer Rouge.

    Résultat - très provisoire - de ce Stratego cynique et sanglant : plus de 150 000 morts, des viols, des crimes contre l'humanité, plus de 13 millions de déplacés, des pillages et des situations de famine qui menacent la moitié des 45 millions de Soudanais. La soif de pouvoir de quelques-uns écrase des populations entières. Dans l'indifférence et le cynisme.

(1) https://www.arte.tv/fr/videos/125533-005-A/le-dessous-des-cartes/
(2) https://www.lemonde.fr/afrique/article/2025/11/03/au-soudan-le-jeu-trouble-des-emirats-arabes-unis-et-le-desinteret-coupable-des-occidentaux_6651268_3212.html

jeudi 6 novembre 2025

Ces guerres qui nous indiffèrent

    Il y a les guerres à la mode contre lesquelles les mobilisations sont nombreuses. Et il y a celles qui nous indiffèrent. Telles celle du Soudan ou celle qui ravage l'est du Congo. Ces guerres n'intéressent personne ou presque. Parce qu'elles sont trop lointaines ? Parce qu'elles ne nous parlent pas ? Parce qu'elles sont trop compliquées à comprendre ? Parce qu'on ne sait quel camp choisir ? 

    "La République démocratique du Congo (RDC), rappelle l'organisation Panzi (1), a connu l'un des conflits les plus meurtriers depuis la Seconde Guerre mondiale, avec plus de 6 millions de morts et des millions de personnes déplacées. Souvent motivé par la lutte pour ses vastes richesses minières, le conflit en cours a causé des souffrances indicibles, en particulier pour les femmes et les enfants. La violence sexuelle a été une arme de guerre, avec des atrocités massives commises par des groupes rebelles et des milices soutenues par l'étranger."
Depuis l'afflux de réfugiés suite au génocide rwandais en 1994, les cycles de violence se succèdent dans l'est de la RDC. "Des groupes armés comme le M23 continuent de déstabiliser la région. Malgré plusieurs accords de paix, les causes sous-jacentes (pauvreté, exploitation des ressources et faible gouvernance) n'ont pas encore été résolues, laissant l'est du Congo dans un état d'insécurité chronique."

    Les conséquences, constate Oxfam, sont catastrophiques pour les populations locales.
"5,2 millions de personnes déplacées à l'intérieur du pays pour fuir les affrontements militaires dans la région. C’est colossal.
28 millions de personnes souffrent de la faim. Soit un quart de la population.
1 viol toutes les 4 minutes. Le viol est largement utilisé comme arme de guerre avec plus de 123 000 cas recensés par l'ONU.
Les camps de réfugiés débordent, les conditions sanitaires sont désastreuses. Les populations survivent sans accès à l'eau potable, à la nourriture ou aux soins essentiels. C’est d'ailleurs une cible stratégique des attaques. 
Epidémie de choléra qui se propage dans toute la région à cause du manque d'eau potable, aggravant une situation sanitaire déjà précaire."

    Le 27 juin 2025 à Washington, un accord a été signé entre le Rwanda et la RDC. Il affirme l’intégrité territoriale de la RDC, prévoit le retrait des troupes rwandaises sous conditions, la fin du soutien du Rwanda et de la RDC aux milices, la mise en place d’un mécanisme conjoint de sécurité et un cadre d’intégration économique régionale. "Mais cet accord, signé en grande pompe devant les caméras, n’a pas changé la réalité du terrain", estime Lydia Mutyebele Ngoi (2). Les derniers rapports soulignent même une accélération du nombre de morts." Selon la députée fédérale belge (PS), "cet accord est en l’état un malheureux symbole du désintérêt de l’Occident pour une crise et une région dans lesquelles il est plus impliqué qu’il aimerait l’admettre." Un désintérêt dont profite le Rwanda. "Le président rwandais Paul Kagame mène sa guerre, conscient d’être protégé par la passivité internationale. Il agit à l’instar de nombreux leaders qui ferment les yeux sur les violations du droit et privilégient leurs intérêts, dans un monde qui sombre dans le cynisme le plus profond, aussi profondément que le mutisme dans lequel le droit international a coulé."
Lydia Mutyebele Ngoi appelle à "appliquer des sanctions ciblées contre Paul Kagame, les responsables militaires rwandais et les chefs du M23, ainsi que contre les entreprises profitant illégalement des minerais congolais. Une traçabilité stricte des ressources est indispensable pour tarir le financement de la guerre. Nous appelons à la création d’un mécanisme international de justice chargé de juger les crimes de guerre, à un financement massif de l’aide humanitaire et à une politique étrangère belge et européenne fondée sur le droit international, rejetant la diplomatie transactionnelle."

    A l'initiative du Togo et de la France, une conférence a réuni à Paris le 30 octobre une soixantaine de pays et d’organisations qui ont "mobilisé plus de 1 milliard et demi d’euros d’assistance pour les populations les plus vulnérables", s'est réjoui le président français. Son collègue togolais, Faure Gnassingbé, a noté, souligne Le Monde (3) que l’urgence ne devait pas faire oublier « une autre vérité » : « On ne peut pas répondre indéfiniment au long terme avec des outils de court terme », a-t-il déclaré, appelant l’Afrique à participer à son propre effort humanitaire, « non pas seulement par devoir moral, mais parce que c’est une question de dignité et d’efficacité ». Il a aussi exhorté à faire toute la transparence sur l’aide humanitaire, qui dans un contexte de guerre « a tendance elle-même à devenir un enjeu de pouvoir »."
« Il faut, a-t-il déclaré, que l’aide soulage sans nourrir la dépendance, qu’elle stabilise sans figer les rapports de force. C’est pourquoi, pour protéger les bienfaits de l’aide et ceux qui la portent, il faut un contrôle africain renforcé ». Il a aussi plaidé pour que chaque ressource soit traçable.

    Si les populations de l'est de la RDC peuvent enfin être tirées du bourbier mortel duquel elles sont prisonnières, ce le sera aussi par la mobilisation de la communauté internationale. Si ce mot a un sens.

(1) https://panzifoundation.org/fr/war-in-congo/#
(2) https://www.levif.be/international/afrique/rdc-une-paix-trahie-les-congolais-abandonnes/
(3) https://www.lemonde.fr/afrique/article/2025/10/30/emmanuel-macron-annonce-une-aide-internationale-de-plus-1-5-milliard-d-euros-pour-la-region-des-grands-lacs_6650333_3212.html?search-type=classic&ise_click_rank=2

lundi 3 novembre 2025

Padamalgam

Si ce n'est pas de l'antisémitisme, alors qu'est-ce ? 
Le 16 octobre dernier, une librairie de Séville a annulé, en dernière minute, la venue de l’essayiste Javier Leibiusky. Il devait venir y présenter le lendemain son dernier livre, Sefarad, l’Empire ottoman et Villa Crespo : un travail universitaire sur l’immigration des juifs ottomans vers Buenos-Aires à la fin du XIXe siècle.
"L’ouvrage, reconnu pour sa rigueur historique et son intérêt sociologique, ne traite ni d’Israël ni du conflit israélo-palestinien, relève Céline Masson, professeur à l’Université de Picardie Jules Verne et directrice du Réseau de recherche sur le Racisme et l’Antisémitisme (1). Il explore la coexistence entre juifs et musulmans dans l’Empire ottoman, ainsi que le processus d’assimilation culturelle des communautés judéo-espagnoles en Argentine." Mais voilà : "la librairie a une position ouvertement pro-palestinienne, sans équivoque et frontale, et elle condamne le sionisme", affirme le libraire que sa "position frontale" amène donc à refuser qu'un auteur vienne présenter un ouvrage sur la coexistence entre juifs et musulmans.
On voit les librairies comme des espaces d'ouverture au monde, de dialogue, de partage de réflexions. Celle-ci s'affiche comme un lieu de censure qui a choisi le camp du bien. Contre celui du mal donc.
"La tiédeur n’a pas sa place ici", a déclaré le libraire qui appelle à "se positionner pour ou contre". Et conclut : "Je suppose qu’il s’agit d’un désaccord sérieux, suffisamment pour annuler cet événement". 
Javier Leibiusky a exprimé son refus de toute instrumentalisation politique : "Je n’ai pas de position “pour” ou “contre” ; ces postures font partie du problème, non de la solution. Je me définis plutôt comme pacifiste, défendant le droit des deux peuples à exister et à vivre en paix. (...) Il est dangereux d’amalgamer “juif” et “israélien”."

"Cet épisode, écrit encore Céline Masson, dépasse le cadre d’un simple malentendu. Il illustre les nouvelles formes de censure idéologique qui s’exercent dans les espaces culturels et universitaires au nom d’un prétendu « antisionisme de principe », lequel masque une hostilité à toute voix juive. Dans ce cas précis, il apparaît nettement que le sujet du livre ne portait pas sur Israël ni sur la politique israélienne, que l’auteur ne défendait aucune position militante ; et pourtant, son identité et le thème juif de son travail ont suffi à déclencher la suspicion et la disqualification." Les censeurs, tous les censeurs, sont toujours sûrs d'être des modèles de vertu. Ils ne sont que des censeurs. "L’argument avancé par le libraire, « la tiédeur n’a pas sa place ici », révèle un climat de polarisation morale où toute nuance est suspectée de complicité. Le refus d’accueillir un auteur juif et associé à l’histoire juive, sous prétexte de la ligne pro-palestinienne d’un lieu culturel constitue une forme de discrimination fondée sur l’appartenance et participe d’un antisémitisme maquillé d’humanisme."

Ce sont parfois les mêmes qui, après chaque attentat, chaque tuerie commise au nom du Prophète, appellent à ne pas faire d'amalgame avec l'islam et donnent dans les amalgames les plus grossiers et haineux entre gouvernement israélien et juifs.
Où est la solution ? Dans le boycott mutuel ? Cette attitude de censure participe de ce grand mouvement général qui veut que chacun ait raison contre l'autre, voire à cause de l'autre. 
Javier Leibiusky a raison : ces postures, qui se veulent vertueuses, font partie du problème, pas de la solution.

(1) https://www.leddv.fr/actualite/quand-lantisemitisme-emprunte-la-voie-de-la-cancellation-20251020



vendredi 31 octobre 2025

Une voix vers la paix

    En ces temps où pullulent les va-t-en-guerre - contre les autres, contre les voisins, contre ceux qui ne sont pas comme nous, qui ne pensent pas comme nous, qui osent avoir une opinion différente de la nôtre - les voix des pacifistes sont précieuses. Celle de Sari Nusseibeh est de celles-là.
Ce philosophe palestinien, qui fut président de l'Université Al-Qods (Jérusalem-Est), a été, en 2002, à l'initiative d'un plan de règlement du conflit israélo-palestinien, rédigé avec Ami Ayalon, un ancien chef du Shin Bet (le service de renseignement intérieur israélien). Son engagement pour la paix - "la seule solution" - lui a parfois coûté cher. En 1987, pour avoir été approché par des membres du Likhoud à la recherche d'interlocuteurs palestiniens, il fut frappé à coups de bâton par des étudiants de son université. Quatre ans plus tard, alors qu'il essayait d'induire une stratégique pacifique à la première Intifada, il fut emprisonné durant trois mois par Israël.

    "Le 7-octobre fut un moment horrible, dit-il (1), et pour moi totalement inattendu. En Israël, ce fut une aubaine pour Benyamin Netanyahou, dont l'avenir politique était compromis par ses affaires de corruption. Pour les Palestiniens, il était clair que cela n'améliorerait pas la situation, mais de là à imaginer ce qui allait se produire..." Aujourd'hui, dit-il encore, le sentiment d'impasse est tangible. "Comme si les deux côtés étaient saisis par une quasi-impossibilité à réfléchir à la façon de s'en sortir. (...) Même si Israël montre sa puissance dans tout le Proche-Orient, le problème central demeurera : comment faire pour que des Juifs et des Arabes, qui revendiquent la même zone, parviennent à vivre côte-à-côte ? A eux de trouver la solution."
Sari Nusseibeh parvient malgré tout à rester optimiste, non pas grâce aux gouvernements mais grâce aux personnes. "Au niveau des individus, avant le 7 octobre, il y avait de nombreux cas où des Juifs et des Palestiniens s'étaient rapprochés, aidés, avaient travaillé ensemble , étaient même devenus amis. Après 1967, les gens ont commencé à se connaître. Cele montre qu'un jour les deux côtés pourraient créer une relation humaine qui permette la paix."
Si on considère les leaders actuels, c'est désespérant. D'un côté, Netanyahou, "un cas pathologique", qui "n'agit pas pour le bien de son propre pays" et qui "détruit les forces, au sein d'Israël, qui pourraient lui permettre de vivre en paix". De l'autre, le Hamas : "sans même parler de son rapport à la religion, il ne mise que sur la violence, ce qui est une impasse (...), la marque d'une grande faiblesse politique."
Depuis les années 1930, dit-il encore, "les deux côtés ont été insensés. Et pourtant, en Israël comme en Palestine, il y eut aussi des périodes - celle du processus d'Oslo, par exemple - où une grande partie des populations avaient compris l'intérêt de s'entendre. Sans doute que cela reviendra, mais il faudra de la patience, et parvenir à travailler de nouveau conjointement sur le terrain". 
C'est pour cela que au-delà des positions de principe de boycott, il soutient "la coopération académique entre les Palestiniens et les Israéliens, qui a existé dans une multitude de domaines. Il demeure des passerelles, très peu, qu'il est important de préserver, car demain, nous devrons les franchir ensemble pour traverser le précipice...". Et il appelle ceux qui veulent mener des boycotts à mettre tout en bas de leur liste la culture et les universités. 

     S'il dénonce avec force les tueries dont est responsable l'armée israélienne, Sari Nusseibeh n'utilise cependant pas le mot génocide. "Certains mots sont des armes, et génocide en est un. Je n'utilise pas de mots-armes. Si j'étais juriste, je tenterais de déterminer si la situation correspond ou pas à la définition d'un génocide. Je ne suis pas juriste. Et je n'ai pas besoin d'un tel mot pour savoir la peine et la douleur que je ressens."
Pour en sortir, il faudra de la créativité, dit-il. "Entre êtres humains, tous les agencements sont imaginables, tant qu'on en a la volonté."

(1) "C'est aux Israéliens et aux Palestiniens de se considérer comme des partenaires", propos recueillis par Valérie Lehoux, Télérama, 8.10.2025.

mardi 28 octobre 2025

Tous des barbares

    D'où viens-je ? C'est la première question que devraient se poser les identitaires, tous ceux qui sont convaincus qu'ils appartiennent à une nation homogène depuis toujours. Ils devraient d'abord se rappeler que nous venons tous du rift est-africain. 

L'archéologue français Jean-Paul Demoule (1) est remonté à la première présence humaine attestée sur l'actuel territoire français. C'était il y a à peu près un million d'années. Il rappelle que l'homo erectus né en Afrique a parcouru la planète, du Pacifique à l'Atlantique, et s'est établi en Asie et en Europe. Cet homo erectus a évolué à l'est en dénisoviens et à l'ouest en néandertaliens. Ceux qui sont restés sur le continent africain ont continué à évoluer jusqu'à se transformer, voilà trois cent mille ans, en homo sapiens, notre véritable ancêtre. En se déplaçant, très lentement, celui-ci se mélange en Europe avec les néandertaliens qui disparaissent peu à peu mais dont nous conservons quelques gènes. "Ce buissonnement donne tort à l'extrême droite, mais aussi, sans vouloir leur manquer de respect, au général de Gaulle (La France venue du fond des âges) et à l'un des grands historiens français du XXe siècle, Fernand Braudel, qui parlait de la France comme d'une nation forgée à partir d'un peuple homogène depuis le paléolithique. Ceux qui sont restés en Afrique sont, en fait, les seuls sapiens "purs" ! "
Ensuite, rappelle encore l'archéologue, sont arrivés, vers 6000 avant notre ère sur le territoire de ce qui sera la France, des agriculteurs venus du Proche-Orient. On retrouve trace aussi de personnes venues des steppes d'Europe centrale. Vers 600 avant JC, des Grecs venus de Phocée sur la côte turque fondaient la ville de Marseille. Puis, des Wisigoths, des Etrusques, des Romains s'installèrent en France. Et ensuite, des Burgondes (venus d'Allemagne) en Bourgogne et en Savoie, des Vikings en Normandie, des Arabes dans le sud. Les communautés juives et tziganes arriveront au Moyen-Age. Plus tard, la révolution industrielle et le besoin de main d'œuvre amèneront en France des travailleurs de pays voisins, puis des réfugiés polonais et arméniens, des républicains espagnols, des pieds-noirs, des Italiens, des Algériens, des Turcs, des Marocains, etc. "Etant donné que la France est le fruit d'un mélange permanent, on ne voit pas quelle pourrait bien être cette race pure, génétiquement identifiable, qui viendrait du fond des âges."

Jean-Paul Demoule rappelle aussi les origines du terme barbare : "dès l'origine, le mot barbare vient du grec barbaros, qui désigne ceux qui font des borborygmes. C'est le nom qu'on donne aux Gaulois, dépeints par les auteurs grecs et latins sous les couleurs de hordes de combattants mal éduqués et avinés, qui ne rasaient pas la barbe alors que les Romains s'épilaient et qui mangeaient donc de manière dégoûtante". Les Gaulois étaient donc qualifiés de barbares. Aujourd'hui, leurs descendants traitent du même mot les autres.
Contre qui le parti Reconquête, le RN-FN et tous les identitaires français sont-ils en guerre ? L'homo sapiens ? Au nom des néandertaliens ?

(1) "Un perpétuel grand remplacement", propos recueillis par Marion Rousset, Télérama, 1.10.2025.
Jean-Paul Demoule, "La France éternelle, une enquête archéologique", éd. La Fabrique, 2025