Les armes se sont enfin tues à Gaza. On ne peut que s'en réjouir. Mais pour combien de temps ? Le cessez-le-feu a été acquis et, heureusement, mis en œuvre, mais sans processus de paix. "C’est la recette de futures catastrophes", estime Pierre Haski (1). "Le plan de Trump pêche sur au moins trois points. D’abord, qui va diriger Gaza dans l’après-guerre ? Qui désarmera le Hamas ?, c’est un élément-clé. Et enfin la question de la Cisjordanie, totalement ignorée par le plan Trump." (...) " Le chaos menace si la Force de stabilisation internationale envisagée par le plan n’est pas rapidement en place. Mais quel sera son mandat ? Appuyer une force palestinienne qui n’existe pas encore, ou imposer l’ordre elle-même ? Et qui désarmera le Hamas qui a annoncé qu’il refusait de livrer ses armes tant qu’Israël occupe une partie de la bande de Gaza ? On le voit, c’est d’une complexité folle."
Ni Israël, ni les Etats-Unis ne veulent entendre parler d'une solution à deux Etats. Pas plus qu'ils ne veulent d'une remise en selle de l'Autorité palestinienne. Trump pense demander à Tony Blair de gérer Gaza au risque - dont il se moque sûrement - de faire apparaître cette autorité, même temporaire, comme coloniale. Alors qu'il faudrait impliquer des Etats arabes, qui se sont enfin mobilisés pour agir, dans la gestion de cette zone ultra-sensible.
Qui a gagné quoi que ce soit dans ce conflit ? La Bande de Gaza est dévastée et les morts s'y comptent par dizaines de milliers, sans compter les blessés, les mutilés, les orphelins... La société israélienne est profondément blessée, ne fera jamais son deuil du 7-octobre et est mise au ban de la communauté internationale. Seuls les haineux des deux camps ont gagné. La création des deux Etats apparaît si peu probable.
Dans Le Monde (2), le sociologue Alain Diekoff relève un sondage réalisé pour le compte du Peace Index, en juillet : il "montre que les Israéliens juifs considèrent majoritairement (43,7 %) que, dans un avenir prévisible, la « situation actuelle se maintiendra », c’est-à-dire qu’Israël se contentera de « gérer le conflit » avec les Palestiniens (alors même que le 7-Octobre a montré l’inanité de cette position). Ils sont 23,3 % à estimer que la perspective probable est l’annexion de territoires par Israël avec des droits limités pour les Palestiniens. Seuls 12,6 % croient à l’édification d’un Etat palestinien aux côtés d’Israël. La solution à deux Etats est très majoritairement tenue pour peu crédible, et les deux ans de guerre n’ont pas accru sa popularité." Alain Diekhoff constate encore que "les discours d’ouverture ne trouvent qu’un écho limité au sein d’une société traumatisée, dans laquelle la rhétorique extrémiste véhiculée par l’extrême droite s’est banalisée". D'autres sondages indiquent qu'une majorité de Palestiniens s'opposent à la solution à deux Etats, en partie pour des raisons religieuses. (3)
Une paix est-elle alors réellement envisageable ? Delphine Horvilleur, rabbin et philosophe, veut y croire (4). "Moi, je ne veux pas cesser d'y croire, j'ai toujours voulu m'engager dans la construction de ponts et à la fois je veux être lucide. En temps de guerre, on dégomme les ponts et on essaie d'abattre ceux qui les construisent, donc je sais très bien que l'enjeu est particulièrement difficile aujourd'hui. Il y a trente ans de cela, lorsque je vivais à Jérusalem, j'ai assisté à l'assassinat de Yitzhak Rabin. À l'époque, j'avais l'impression qu'on touchait la paix du doigt, et en fait, a posteriori, je dois admettre que je me suis complètement trompée, qu'en fait, on n'avait jamais été aussi loin de cette paix qu'à cette époque. Et je me dis étrangement que dans les moments où on en est à des années-lumière dans notre perception, peut-être que finalement on n'en est pas si loin."
Et ce qu'il faut faire, c'est commencer par 'Réparer les vivants' (5). "Je me dis que c'est exactement ce dont on a tous besoin", explique Delphine Horvilleur. "Comment on va réparer les vivants, ceux qui reviennent, ceux vers qui personne ne revient, ou peut-être simplement des corps ; comment on va se réparer nous, comment est-ce qu'on va tous se réparer de ce qui nous est arrivé collectivement depuis deux ans, et qui ne devrait laisser personne indifférent : ni les personnes sur place, ni les juifs, ni les arabes, ni les palestiniens, ni les israéliens, mais l'humanité toute entière." Nous réparer tous, sortir là-bas de la guerre, de la violence, du rejet, mais aussi, ici, des invectives, des insultes, des injonctions, des analyses brutales et simplistes, de l'antisémitisme, du racisme. Le chantier est immense.
(2)
https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/10/11/alain-dieckhoff-en-israel-l-apres-guerre-mettra-clairement-benyamin-netanyahou-et-son-gouvernement-sur-la-sellette_6645789_3232.html