En ces temps où pullulent les va-t-en-guerre - contre les autres, contre les voisins, contre ceux qui ne sont pas comme nous, qui ne pensent pas comme nous, qui osent avoir une opinion différente de la nôtre - les voix des pacifistes sont précieuses. Celle de Sari Nusseibeh est de celles-là.
Ce philosophe palestinien, qui fut président de l'Université Al-Qods (Jérusalem-Est), a été, en 2002, à l'initiative d'un plan de règlement du conflit israélo-palestinien, rédigé avec Ami Ayalon, un ancien chef du Shin Bet (le service de renseignement intérieur israélien). Son engagement pour la paix - "la seule solution" - lui a parfois coûté cher. En 1987, pour avoir été approché par des membres du Likhoud à la recherche d'interlocuteurs palestiniens, il fut frappé à coups de bâton par des étudiants de son université. Quatre ans plus tard, alors qu'il essayait d'induire une stratégique pacifique à la première Intifada, il fut emprisonné durant trois mois par Israël.
"Le 7-octobre fut un moment horrible, dit-il (1), et pour moi totalement inattendu. En Israël, ce fut une aubaine pour Benyamin Netanyahou, dont l'avenir politique était compromis par ses affaires de corruption. Pour les Palestiniens, il était clair que cela n'améliorerait pas la situation, mais de là à imaginer ce qui allait se produire..." Aujourd'hui, dit-il encore, le sentiment d'impasse est tangible. "Comme si les deux côtés étaient saisis par une quasi-impossibilité à réfléchir à la façon de s'en sortir. (...) Même si Israël montre sa puissance dans tout le Proche-Orient, le problème central demeurera : comment faire pour que des Juifs et des Arabes, qui revendiquent la même zone, parviennent à vivre côte-à-côte ? A eux de trouver la solution."
Sari Nusseibeh parvient malgré tout à rester optimiste, non pas grâce aux gouvernements mais grâce aux personnes. "Au niveau des individus, avant le 7 octobre, il y avait de nombreux cas où des Juifs et des Palestiniens s'étaient rapprochés, aidés, avaient travaillé ensemble , étaient même devenus amis. Après 1967, les gens ont commencé à se connaître. Cele montre qu'un jour les deux côtés pourraient créer une relation humaine qui permette la paix."
Si on considère les leaders actuels, c'est désespérant. D'un côté, Netanyahou, "un cas pathologique", qui "n'agit pas pour le bien de son propre pays" et qui "détruit les forces, au sein d'Israël, qui pourraient lui permettre de vivre en paix". De l'autre, le Hamas : "sans même parler de son rapport à la religion, il ne mise que sur la violence, ce qui est une impasse (...), la marque d'une grande faiblesse politique."
Depuis les années 1930, dit-il encore, "les deux côtés ont été insensés. Et pourtant, en Israël comme en Palestine, il y eut aussi des périodes - celle du processus d'Oslo, par exemple - où une grande partie des populations avaient compris l'intérêt de s'entendre. Sans doute que cela reviendra, mais il faudra de la patience, et parvenir à travailler de nouveau conjointement sur le terrain".
C'est pour cela que au-delà des positions de principe de boycott, il soutient "la coopération académique entre les Palestiniens et les Israéliens, qui a existé dans une multitude de domaines. Il demeure des passerelles, très peu, qu'il est important de préserver, car demain, nous devrons les franchir ensemble pour traverser le précipice...". Et il appelle ceux qui veulent mener des boycotts à mettre tout en bas de leur liste la culture et les universités.
S'il dénonce avec force les tueries dont est responsable l'armée israélienne, Sari Nusseibeh n'utilise cependant pas le mot génocide. "Certains mots sont des armes, et génocide en est un. Je n'utilise pas de mots-armes. Si j'étais juriste, je tenterais de déterminer si la situation correspond ou pas à la définition d'un génocide. Je ne suis pas juriste. Et je n'ai pas besoin d'un tel mot pour savoir la peine et la douleur que je ressens."
Pour en sortir, il faudra de la créativité, dit-il. "Entre êtres humains, tous les agencements sont imaginables, tant qu'on en a la volonté."
(1) "C'est aux Israéliens et aux Palestiniens de se considérer comme des partenaires", propos recueillis par Valérie Lehoux, Télérama, 8.10.2025.
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