mardi 13 mars 2007

Blasphème ?

La Libre Belgique de ce 13 mars 2007 publie une excellente carte blanche de Patrice Dartevelle, Président de la Ligue pour l'abolition des lois réprimant le blasphème et le droit de s'exprimer librement et Vice-président du Centre d'Action Laïque: il s'inquiète d'un projet de loi réprimant le blasphème. Le Gouvernement belge a déposé devant la Chambre, le 26 octobre 2006, un projet de loi tendant à lutter contre certaines formes de discrimination. "Le but de la loi est louable en soi, estime-t-il: lutter contre toutes les formes de discrimination, qu'elles touchent à la race, à la nationalité, au sexe ou aux opinions religieuses, philosophiques ou politiques. (...) Tout autre chose est ce que prévoient les articles 22 et 38 (qui modifie l'article 453 bis du Code pénal) du projet de loi. Le premier punit l'incitation à la haine à l'égard d'une personne pour l'ensemble des critères de discrimination et donc "la conviction religieuse et philosophique, la conviction politique (article 3) et ce dans tout domaine, même hors du champ d'application de la loi". L'article 453 bis modifié vise pour sa part la question des injures, ce qui est exactement le chef d'accusation utilisé par les adversaires de Charlie Hebdo (...)." "Religions, convictions philosophiques ou convictions politiques relèvent résolument de l'opinion, dit-il, et les protéger va totalement à l'encontre de la liberté d'expression."
Je partage pleinement son analyse et vous invite à la lire (www.lalibre.be)
Le débat politique au sens large - donc le débat d'idées - est le fondement de toute société démocratique, de toute société qui avance. Pour certains croyants, le blasphème est simplement la remise en question de leurs dogmes. Condamner le blasphème reviendrait à mettre les religions hors jeu dans le débat d'idées. On pourrait donc rire de tout, mais pas des religions? On pourrait discuter de tout, mais pas de l'existence de dieu(x)? La législation tente aujourd'hui de protéger les citoyens des nuisances des sectes, mais leur interdirait la critique de la religion? Les religions, comme disait je ne sais plus qui, sont des sectes qui ont (bien) réussi...
Aujourd'hui, on entend de plus en plus des intégristes, tant chrétiens que musulmans, remettre en question le darwinisme et l'évolution des espèces pour imposer les vues créationnistes. Contester le créationnisme sera-t-il considéré comme un blasphème? Considérera-t-on que sous prétexte de respecter les dogmes et les croyances le créationnisme ne peut être critiqué? "Si la critique de la religion devient répréhensible, cela signifie que sur le territoire de la République, lorsque des hommes dénieront des droits aux femmes, comme celui se s'habiller comme elles le veulent, d'aller et de venir et de fréquenter qui elles veulent, on ne pourra plus intervenir. Lorsqu'un macho bafouera les droits fondamentaux des femmes, on laissera faire puisqu'il le fait au nom de la religion" (Philippe Val, Charlie Hebdo, 07.02.07).
Le "sacré" ne l'est que pour celui qui le considère comme tel. De la même façon que le blasphème n'est un péché que pour les croyants. Interdire légalement le blasphème reviendrait à reconnaître légalement le péché. Le blasphème, comme la caricature, comme la critique, est un droit inhérent à la démocratie.
Et les croyants doivent avoir une foi bien fragile pour avoir besoin de la faire protéger de toute remise en question. Dans son intervention au procès de Charlie Hebdo, François Bayrou a rappelé sa foi catholique, mais a mis au-dessus le droit de critiquer les dogmes quels qu'ils soient. Dominique Sopo, le président de SOS Racisme, y a fait la différence entre la critique de la religion et le racisme. Abdelwahab Meddeb y a exposé les nécessités pour les religions d'encaisser les critiques et l'humour (cités par Ph. Val dans Charlie Hebdo, 14.02.07).
Le projet de loi du gouvernement belge (très "laïc", comme le rappelle P. Dartevelle), en ses articles 22 et 38, est plus qu'inquiétant, ses répercussions pourraient être désastreuses pour la liberté de pensée et d'expression et pour le débat d'idées.
J'espère que tous les démocrates s'y sont opposés et s'y opposeront avec vigueur, sans tomber dans le piège du politiquement correct qui voudrait que les religions (et certaine en particulier...) bénéficient d'un traitement divin plutôt qu'humain.

A lire:
"Traité d'athéologie", Michel Onfray, Grasset 2005
"La tentation obscurantiste", Caroline Fourest, Grasset 2005
"Traité de savoir-survivre par temps obscurs", Philippe Val, Grasset 2007
"Contre-prêches", Abdelwahab Meddeb, Seuil
www.prochoix.org

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bien envoyé, Monsieur Guilbert!

Comme disait Jean-François Kahn:
« Toute religion est une secte qui a réussi. On donne d'ailleurs le nom de secte à toute église non officielle qui concurrence les églises officielles. »

A bientôt et bonne chance pour les élections.