vendredi 22 juillet 2016

Les gros malins

C'est fou le nombre de gros malins qu'il y a aujourd'hui en France. Tous ceux qui savent - et se répandent dans la presse et sur Internet pour l'affirmer - ce qu'il fallait faire pour éviter le carnage de Nice. Mettre des blocs de béton ici, des barrières de sécurité là, plus de gendarmes encore, de policiers, de militaires, de surveillance, de fichage, de filage. Comme s'ils savaient ce qui allait arriver, comme s'ils avaient imaginé qu'un camion conduit par un fou furieux difficilement décelable allait foncer dans la foule.
La veille du massacre de Nice, je me baladais dans un vide-greniers dans une petite ville du centre de la France. Ni barrières, ni blocs de béton, ni policiers, ni gendarmes, les étals de vendeurs suffisaient à faire comprendre aux automobilistes que l'accès à la ville leur était fermé. Ce qui n'a pas empêché l'une d'entre eux de pénétrer au pas dans une ruelle pour une raison inconnue. Elle n'avait visiblement rien à faire là et n'a heureusement, à ma connaissance, causé aucun dégât, mais qui imagine que certains citoyens (se) conduisent comme des abrutis? Il faut maintenant vivre avec l'idée que le pire est possible partout, sous toutes les formes et que la prévention de la violence a d'énormes limites. Faut-il désormais mettre des blocs de béton devant tout rassemblement, tout établissement public, faut-il interdire la vente et l'usage de marteaux, de hâches, de foreuses, de tronçonneuses?  Après le prochain atttentat, que nous diront-ils qu'il aurait fallu faire, les gros malins?

Les gros malins ont les solutions: emprisonner tous ceux qui sont fichés, renvoyer les étrangers, fermer les mosquées salafistes, expulser les musulmans, fermer les frontières. Et tant pis si toutes ces solutions ne sont pas réellement applicables (1), il n'yaka tempêter pour faire croire que toute situation complexe a des solutions simples.
Les gros malins, adeptes du yaka, fustigent les autorités qui n'auraient pas pris les mesures nécessaires à Nice et celles-ci se montrent du doigt, s'insultent, se renvoient la responsabilité. Pendant ce temps, les gros cons rigolent. Ils ont réussi à créer la zizanie et préparent leur prochain coup. Qui viendra là où on ne l'attend pas, dans une foire agricole, une fête de village, une piscine de plein air, une rue commerçante ou un restaurant bondé. Et les agresseurs useront de moyens auxquels on n'avait pas pensé. Ils savent qu'on ne peut mettre un flic derrière chaque citoyen, qu'on ne peut fouiller tous les sacs ni tous les véhicules, que la barbarie ne se détecte pas au faciès.

Ceux qui appellent à fermer les frontières sont de dangeeux illusionnistes. Les agresseurs ne viennent pas de l'étranger. Les assassins sont parmi nous et c'est ce qui fait leur force. "Les attentats se préparent dans l'esprit de gens dont les intentions restent impossibles à déceler jusqu'à ce que les balles se mettent à siffler", écrit Max Fisher dans le New York Times (2). "Il est possible d'améliorer la sécurité, dit-il encore, avec des barrages, des détecteurs de métaux et des programmes des surveillance, mais pas de la garantir absolument. Les gouvernements devraient plutôt s'attaquer à l'idéologie qui appelle à commettre de telles violences." Max Fisher pointe aussi d'autres causes: "des Etats autoritaires souvent violents, des institutions religieuses généralement complices, des économies étranglées qui n'offrent que peu d'espoir aux jeunes et des conflits sans fin qui encouragent le tribalisme et l'extrémisme".
Dans The Guardian (3), Simon Jenkins estime que les dispositifs policiers et militaires montrent aujourd'hui leurs limites, que "aucune force de sécurité au monde ne peut défendre une foule contre un déséquilibré au volant d'un camion et que ce sont "10 000 psychologues ou 10 000 historiens spécialistes de l'islam" qu'il faudrait déployer en France. "Nous vivons dans un monde où règne le désastre mental", écrit Philippe Lançon dans Charlie Hebdo cette semaine. Il conclut son article (4) en constatant que "désormais, l'asile est partout et les fous sont armés".

(1) http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/07/21/petit-manuel-pour-lutter-contre-les-pensees-simplistes-apres-les-attentats_4972776_4355770.html#dcdr_carte15
(2) "Le nouveau visage du terrorisme", New York Times, 16 juillet 2016, in Le Courrier international,  21 juillet 2016.
(3) "Une riposte militaire serait la pire des réponses", The Guradian, 15 juillet 2016, in Le Courrier international,  21 juillet 2016.
"(4) Salade niçoise", Charlie Hebdo, 20 juillet 2016.

Post-scriptum: à lire aussi: l'excellent billet de Guillaume Erner dans Charlie Hebdo de cette semaine, "Message à l'intention des futurs djihadistes", où il exprime son écœurement par rapport à ces crétins, juste capables de "sadisme imbécile". Et dans la même logique que cet article, une pétition appelant à l'anonymat des terroristes dans les médias. Une manière de leur dire: vous n'avez jamais existé, vous n'existez pas, vous n'existez plus! Vous n'êtes rien. Nuls, juste nuls!
https://www.change.org/p/csaudiovisuel-pour-l-anonymat-des-terroristes-dans-les-médias/sponsors/new

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