dimanche 3 septembre 2017

Rire de mourir

Charlie Hebdo devrait supprimer ses unes et commencer immédiatement par la page 2. Ses unes font trop souvent polémique. Récemment (1), c'est un dessin dénonçant la violence d'un certain islam qui choquait les culs bénis. Voilà que la une de mercredi dernier scandalise, nous dit-on, des élus et des journalistes américains. Elle est drôle, pourtant, cette une dont le dessin de Riss représente des drapeaux nazis à moitié immergés sous une pluie battante et des mains tendues qui sortent de l'eau. On y lit "Dieu existe! Il a noyé tous les néonazis du Texas!". Shocking pour de bonnes âmes américaines (2). L'une d'elles trouve cette une "méprisable" mais reconnaît que les dessinateurs de Charlie ont quand même "la bénédiction de Dieu pour la publier." Un autre affirme qu'il n'est plus Charlie. Un autre encore estime que par peur de l'islam Charlie s'attaque aux victimes de tempêtes. "Les terroristes musulmans ont gagné", affirme cet homme qui visiblement ne lit jamais Charlie Hebdo.
Ces braves Américains devraient, au contraire, se réjouir de voir que - enfin - Charlie Hebdo croit en l'existence de Dieu. Mais non, ils s'offusquent d'un dessin qui se moque non pas des victimes de l'ouragan mais des néonazis qui récemment se sont tristement illustrés à Charlottesville et à qui l'élection d'Ubu Trump semble avoir donné une vraie fierté et une arrogance insupportable.
Au-delà de l'incompréhension de tel ou tel dessin, se posent des questions: la caricature peut-elle être limitée? Doit-elle, peut-elle être, sans perdre son sens, politiquement correcte?  Les néonazis ou les islamistes le sont-ils, eux, politiquement corrects? Et enfin ne peut-on rire de la mort, elle qui se rit de nous chaque jour?
L'humour nous fait rire tant qu'il ne nous touche pas personnellement. Le répertoire des Misters des Voix picardes, dont j'ai fait partie, ne comportait que des chansons "tristes et affligeantes". Nous chantions - à notre façon - la maladie, la mort, les accidents de la route, les violences familiales, les échecs, la dépression, le handicap et tant d'autres aspects noirs de la vie. Les spectateurs nous disaient avoir beaucoup ri, sauf, nous disait l'un, de cette chanson sur la maladie, lui qui venait d'en connaître une "longue et pénible"; sauf, nous disait une autre, de cette chanson sur le chômage, elle qui venait de le vivre trop longtemps; sauf, nous disait un troisième, de cette chanson sur la mort, lui qui l'avait trop souvent côtoyée. Mais toutes les autres les avaient fait beaucoup rire.
Si l'humour ne sert qu'à rire des autres et pas de soi a-t-il tout son sens? 
Ceci dit, imaginer ces red necks texans, si fiers de la couleur de leur peau et se moquant de ceux qui n'ont pas la même, les imaginant donc, ces producteurs de pétrole victimes du dérèglement climatique, le cul (et le reste) dans l'eau me fait rire. Allez savoir pourquoi.

(1) sur ce blog, "Padam padam", 23 août 2017.
(2) http://www.huffingtonpost.fr/2017/09/01/les-americains-choques-par-la-une-de-charlie-hebdo-sur-les-sinistres-dharvey_a_23193204/?utm_hp_ref=fr-homepage

1 commentaire:

Grégoire a dit…

Lecteur régulier de Charlie Hebdo depuis l'été 92, je dois bien avouer que je trouve rarement leurs "unes" franchement drôles. Dans celle du 23 août, j'y vois surtout de la colère contre l'instrumentalisation d'une religion (1).
Pour en revenir à celle du mercredi 30 août (2), c'est plutôt de l'ironie. La vision d'un épisode de Walker Texas Ranger suffit à constater qu'au Texas on peut être chrétien et défendre ses valeurs à coups de poings et de pistolets. Certes, ce n'est qu'une fiction...
Cependant, en 2010, Chuck Norris a reçu un véritable insigne de ranger des mains du gouverneur Rick Perry, pour avoir " fait honneur au département texan de la sécurité publique". Affligeant, vu d'Europe...
A titre d'anecdote, voici une version littérale de la chanson du générique : « Dans les yeux du Ranger, l'étranger crédule, ferait mieux de bien savoir discerner le bien du mal. Parce que les yeux du Ranger sont pointés sur vous, chaque erreur faite il la verra. Quand vous êtes au Texas, regardez derrière vous, car ce sera là que le Ranger se trouvera. »
Plutôt premier degré, non?
Charlie n'est pas toujours drôle, mais je crois que son rôle principal est de nous faire réfléchir et agir. C'est peut-être l'avis de Charlie... Ce sont les dessins de Vuillemin qui m'amusent le plus...