samedi 16 septembre 2017

Le mépris

Ils sont arrivés en France, après mille détours, après avoir fui les menaces et/ou la violence dans leur propre pays, après avoir parfois subi la torture et/ou l'emprisonnement chez eux ou sur la route de leur exil forcé. Ils pensaient, espéraient être arrivés au bout de leur chemin de croix, en étant accueillis, de manière correcte et humaine, dans un Centre d'Accueil et d'Orientation (CAO). Ils ne demandaient qu'une chose: s'intégrer, s'inventer une nouvelle vie. Et simplement vivre. Enfin. Librement. Ils s'étaient mis, avec opiniâtreté, à étudier un alphabet et une langue qui leur étaient étrangers, ils apprenaient les codes de ce qu'ils pensaient être leur nouveau pays, ils se montraient reconnaissants auprès des professionnels et des bénévoles qui leur venaient en aide.
Ils pensaient sans doute que dans le pays des Droits de l'Homme on les écouterait, on les respecterait, on leur ferait une place, même modeste. L'un d'eux avait intégré un lycée, un autre s'apprêtait à entamer des études d'électricien, tous espéraient se rendre utiles dans la société.
Ils ont 19 ans, 21 ans, 25 ans, 33 ans, 49 ans, ils s'appellent Ismaïl, Abdallah, Reda, Fekado, Mohamed, Osman, Saber. Ils ont un nom et découvrent qu'ils ne sont qu'un numéro de dossier. Leurs espoirs se trouvent aujourd'hui broyés par une machine administrative aussi hypocrite que peut l'être un être humain. Les voilà, une fois de plus, déracinés, expédiés d'un CAO à un PRAHDA (Programme d'Accueil et d'Hébergement des Demandeurs d'Asile), d'une ville où ils commençaient à tisser des liens, à une autre où ils ne connaissent personne et ne peuvent avoir accès à Internet.
Le diable s'habille en PRAHDA, un nom rédigé en novlangue: "le PRAHDA, estime une bénévole d'une association qui tente de leur venir en aide, consitue actuellement un dispositif national destiné à transférer très rapidement et discrètement les déboutés et surtout les demandeurs en procédure Dublin. Tout est fait pour qu'ils ne puissent pas exercer efficacement de recours."
Après le PRAHDA, ce sera le CRA, Centre de Rétention administrative. Et, de là, le renvoi vers le pays de l'Union européenne où ils ont été pour la première fois enregistrés. Le plus souvent, pour les amis soudanais dont je parle ici, ce sera l'Italie. Qui, principale porte d'entrée en Europe pour les demandeurs d'asile africains, est débordée par des afflux quotidiens et les renverra en France qui les rejettera une fois encore. Comme de vulgaires colis que personne n'aurait commandés. 
Ils sont les juifs errants du XXIe siècle. Qui parmi les responsables politiques, de tous niveaux, les verra enfin comme une chance et non comme un fardeau dont on se débarrasse comme d'une cannette qu'on jette par la fenêtre de la voiture en espérant ne pas être vu? Qui les verra comme des êtres humains plutôt que comme des chiens qu'on chasse à coups de pied?

Pour vouloir le monde parlé, 
Soudan, mon Soudan, 
Celui d'la parole échangée, 
On s'casse les dents. 
Oh, oh, oh, et je rêve 
Que Soudan, mon pays, soudain, se soulève... 
Oh, oh, 
Rêver, c'est déjà ça, c'est déjà ça. 

Alain Souchon

(Re)lire sur ce blog
- "Etre ou haïr", 8 août 2017;
- "Dans le mur", 10 février 2017;
- "Je cherche un homme", 22 janvier 2017.

2 commentaires:

Grégoire a dit…

L'époque est au mépris... L'actuel président français, qui se gargarise régulièrement de faire ce qu'il a promis de faire s'il était élu (je rappelle au passage qu'il a eu 24% des votes au premier tour, et si on retire les abstentions, soit 22% de de ceux qui ont dû s'inscrire pour voter, si on retire tous ceux qui ne se sont pas inscrits, la part de la population qui lui fût favorable dès le départ n'est plus si imposante que ce président voudrait nous faire croire), a clairement affiché son mépris pour ceux qui ne veulent pas de ses réformes. Une réforme, nous "dit" le Littré est un changement en bien. Si on n'est pas d'accord avec ses réformes, pour ce président, eh bien, on est au choix (encore que...) un extrémiste, un cynique ou un fainéant. Le mépris et l'insulte comme arguments.
Etait-ce Coluche ou Desproges qui déclara un jour qu'en France on a toujours su distinguer un émir d'un émigré quand on les voyait arriver? Celui qui débarque est jugé sur son utilité. Mes parents voulurent, il y a 40 ans, émigrer au Canada. On leur a refusé l'entrée car leurs profils professionnels ne correspondaient à aucun besoin.
Comme je leur disais hier soir, ces pauvres d'ailleurs se heurteront tôt ou tard aux pauvres d'ici. Le nombre de travailleurs pauvres en Allemagne est, si j'ai bien lu, de 22% de la population active, grâce à Merkel. Et l'arrivée d'une main d'oeuvre concurrentielle ne va pas arranger les choses. Je reste pessimiste...

Grégoire a dit…

Mépris encore (dans l'actualité).
Une campagne du Medef a(vait) pour slogan, notamment, ceci : "Si l'école faisait son travail, j'aurais un travail"
L'ancienne présidente de ce machin a réagi en écrivant sur tuiteur: "La campagne du @medef sur l'Ecole est inqualifiable. Morgue, mépris, bêtise, ignorance."
— Laurence Parisot (@LaurenceParisot) 21 septembre 2017
Son président actuel, Pierre Gattaz, prétend qu'il "a trop de respect pour eux (les professeurs)”, après que son machin a assumé cette phrase qui se voulait humoristique, mais aussi provocatrice, c'est une marche arrière qui s'impose.
J'ai l'impression que cela devient une méthode répétitive. On balance une phrase provocatrice, on attend les réactions, histoire de voir si ceux qui sont pour sont plus nombreux que ceux qui sont contre, et, si le résultat est défavorable, on fait acte de contrition en soulignant qu'on a aussi été mal compris, avec en filigrane l'hypothèse, à peine voilée, que ceux qui ont lu ne sont pas assez intelligents pour bien comprendre. Comme Macron qui estime que sa pensée est trop complexe pour être comprise par les journalistes. "A l'Elysée, on fait valoir que la 'pensée complexe' du président se prête mal au jeu des questions réponses avec des journalistes", selon le journal Le Monde. Ou comme il fut écrit dans Marianne : "Le prince il te parle pas parce que toi pas comprendre."
Un détail qui semble avoir échappé à beaucoup. La conjugaison dans la phrase. "J'aurais" est du conditionnel. Aussi conditionnel que le million d'emplois promis et jamais honorés par le Medef en contrepartie des 40 milliards d'euros de réduction dans le cadre du CICE. Mépris pour la stupidité du pouvoir politique qui ne pense même pas à vouloir et obtenir des garanties en échange d'un cadeau de 40 milliards d'euros. Pourquoi se priver...