lundi 11 février 2019

Changeons tout

Y a pas d'avance, comme on dit en Belgique, si on veut avancer, il va falloir bouger. Et pas qu'un peu. Tout changer en fait à nos modes de vie dévastateurs pour la planète et donc pour nous-mêmes. Consommer moins, beaucoup moins, et mieux, c'est-à-dire plus intelligemment. Et vivre différemment.
Selon le bureau d'études B&L (1), il faudrait - si l'on veut éviter une augmentation de température moyenne de 1,5°C dans le monde - interdire désormais la vente de véhicules neufs pour un usage particulier, l'accès des villes aux voitures à moteur thermique et la construction de nouvelles maisons individuelles, instaurer un couvre-feu thermique, interdire dès 2020 tout vol hors Europe non justifié (pourquoi uniquement hors Europe?) ou encore obliger tout travailleur qui habite à plus de 10 kilomètres de son travail à au moins deux journées de télétravail par semaine. Il faudrait fixer des quotas sur les produits importés (tels que thé, café ou cacao, par exemple), relocaliser la production textile, réduire de plus des trois quarts nos consommations de viande, transformer les parkings en potagers.
Bref, il s'agit de modifier fondamentalement nos habitudes: fini le temps de la sacralisation de l'économie libre et du marché tout puissant, fini le temps du véhicule individuel que l'on utilise pour un oui pour un non, fini la consommation de produits venus de l'autre bout de la planète, fini notre foi en une croissance salvatrice qui s'apparente pourtant à un cancer. Il s'agit surtout d'accepter que, pour la survie de l'humanité, on nous interdise ce qui nous tient lieu de confort. Même si ce confort nous tue.
Les auteurs de ces suggestions ne se font pas d'illusions: "faire accepter à la population un ensemble de mesures complet aussi ambitieux est improbable", estiment-ils, eux qui veulent plutôt nous "aider à comprendre l'ampleur des efforts à réaliser". Ce grand changement, à la fois de points de vue et de pratiques, disent-ils, "se heurtera à nos barrières cognitives et entraînera certainement des rejets massifs". Mais, ajoutent-ils, "ne rien faire serait pire".

Ils rejoignent là ceux qui sont convaincus que tout notre système s'effondrera un jour ou l'autre (et si ce n'est pas à court terme ce le sera à moyen terme). On les appelle collapsologues. Pour eux, la collapsologie est "l'exercice transdisciplinaire d'étude de l'effondrement de notre civilisation industrielle, et de ce qui pourrait lui succéder, en s'appuyant sur les deux modes cognitifs que sont la raison et l'intuition, et sur des travaux scientifiques reconnus". Pablo Servigne et Raphaël Stevens (2), qui nous donnent cette définition, citent le scientifique Denis Meadows (3) selon qui ces quarante dernières années, alors que nous savions que nous courions vers le pire, "nous avons simplement continué à changer les raisons  de ne pas changer notre comportement".
Les premiers lanceurs d'alerte écologique étaient moqués. Peu nombreux sont ceux qui n'ont pas ri de René Dumont, candidat à l'élection présidentielle de 1974, caricaturé en clown triste ou en oiseau de mauvais augure. Dans ces années-là, on tentait de nous rassurer: il n'y a pas de limites au développement. Dans les années '80, rappelle Meadows, la question des limites pouvait être abordée, mais comme elles semblaient encore très éloignées, elles ne valaient pas la peine de s'y pencher. Dix ans plus tard, ces limites apparaissaient plus proches, mais le marché et la technologie allaient offrir des solutions de confiance. Depuis, le message dominant nous affirme que c'est la croissance qui nous apportera la solution, c'est elle qui nous donnera les ressources nécessaires pour affronter les problèmes.
De plus en plus, il apparaît que la croissance n'est pas la solution mais le problème. Mis à part les lobbies économiques et ceux qui les soutiennent, qui doute encore que nos ressources sont de plus en plus limitées et que leur exploitation mène l'humanité dans le mur?
L'effondrement arrivera, d'une manière ou d'une autre, les collapsologues en sont sûrs. La seule question est: quand? Demain ou après-demain? "Cela ne se fera pas en un jour. Un effondrement prendra des vitesses, des formes et des tournures différentes suivant les régions, les cultures et les aléas environnementaux. Il doit donc être vu comme une mosaïque complexe où rien n'est joué à l'avance." (2) A nous de nous y préparer, à faire preuve de réalisme, sachant que l'utopie a changé de camp. "Est aujourd'hui utopiste celui qui croit que tout peut continuer comme avant. Le réalisme, au contraire, consiste à mettre toute l'énergie qui nous reste dans une transition rapide et radicale, dans la construction de résilience locale, qu'elle soit territoriale ou humaine." Et c'est bien parce que nous ne voulons pas de catastrophe qu'il faut l'avoir à l'œil, sans se mettre la tête dans le sable: "nous faisons un pas de plus en constatant  qu'il sera très difficile de l'éviter, et que nous pouvons seulement tenter d'en atténuer certains effets".
Pablo Servigne et Raphaël Stevens nous invitent à sortir de chez soi dès maintenant et "créer des pratiques collectives, ces aptitudes à vivre ensemble que notre société matérialiste et individualiste a méthodiquement et consciencieusement détricotées au cours ces dernières décennies. Ces compétences sociales sont notre seule vraie garantie de résilience en temps de catastrophe".
Ces questions, fondamentales pour l'humanité et son avenir, seront-elles dominantes dans le Grand débat en France? On a des doutes. Les populistes font, à leur sujet, comme les ultra-libéraux (et, il faut bien le dire, la grande majorité des partis politiques et de la population) les mêmes gestes que les trois petits singes: surtout ne pas savoir. Et faire semblant de croire. A qui ou à quoi? Ni la technologie, ni la croissance ni un deus ex machina ne nous sauvera de notre aveuglement et de notre attachement au confort.

(1) https://www.marianne.net/societe/rechauffement-climatique-scenario-noir?_ope=eyJndWlkIjoiMWRhMjc0MDM2MDEzNTMyNzJkNjYxMmIyOWM2M2NiMDAifQ%3D%3D
(2) Pablo Servigne et Raphaël Stevens, "Comment tout peut s'effondrer - petit manuel de collapsologie à l'usage des générations présentes", Seuil, 2015.
A lire aussi: http://www.socialter.fr/fr/module/99999672/748/pablo_servigne__qleffondrement_a_dj_commencq
(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Dennis_Meadows

1 commentaire:

Bernard De Backer a dit…

Parfaitement d'accord sur le diagnostic, et ceci depuis longtemps (le rapport Meadows, que j'ai lu à sa sortie).

Mais il y a un grand oublié chez les écolos : la gépolitique et la géoculture. Quand les auteurs écrivent « Dans ce deuxième opus, après "Comment tout peut s’effondrer", les auteurs montrent qu’un changement de cap ouvrant à de nouveaux horizons passe nécessairement par un cheminement intérieur et par une remise en question radicale de NOTRE vision du monde. Par-delà optimisme et pessimisme, ce sentier non-balisé part de la collapsologie et mène à ce que l’on pourrait appeler la collapsosophie… » Qui est ce « NOUS » ?