mercredi 6 février 2019

Notre démocratie

Une démocratie ne peut vivre sans débat. Bien sûr, le président français qui entendait bousculer les vieux partis et l'ensemble du système politique aurait dû, dès le début de son mandat, ouvrir des espaces de dialogue, plutôt que s'instituer, de manière infatuée, comme un président jupitérien. Il n'ouvre le débat, depuis la mi-janvier et pendant deux mois, que sous la pression des Gilets jaunes. Mais il le fait. Le Grand débat national invite chacun à vider son sac (et on sait qu'il est sans fond pour certains) et surtout à émettre des propositions. 
Mais de très nombreux G.J. refusent d'y participer. La CGT fait de même, préfèrant rester dans une certaine tradition française: celle de la rue et des slogans. 
On a le droit de critiquer la forme de ces débats, mais d'une part chacun est libre d'en organiser, et d'autre part on a du mal à comprendre ceux qui se plaignent de ne pas être entendus et qui refusent les occasions de se faire entendre. Il y a, c'est vrai, mille raisons de trouver la démocratie imparfaite, mais ceux qui refusent de participer au dialogue se rendent inaudibles et donnent l'impression de vouloir rester dans l'entre-soi et de préférer conserver ces imperfections pour pouvoir continuer à grogner. 
"Quand partout dans le monde, écrit Télérama, des régimes brutaux plaquent leur main de fer sur les bouches dissidentes, et que nos propres institutions, rouillées, n'en finissent plus de grincer, déclarer pompeusement ce débat mort-né et refuser d'y participer semble irresponsable." Olivier Pascal-Mousselard rappelle les débats de l'Agora athénienne, du Forum romain, de la salle du Manège en 1789, d'Occupy Wall Street tout récemment. "L'audace, l'imagination et la responsabilité de chacun contribuaient grandement à (la) réussite (du débat). Ce serait un beau pari que la France, qui n'a pas - contrairement à l'Italie, la Hongrie, la Pologne, les Etats-Unis et tant d'autres - cédé le mégaphone à ses leaders populistes, permette enfin aux fragiles, aux sincères et aux taiseux de s'exprimer; que l'exigence de la réflexion l'emporte sur le ping-pong des opinions." (1)
Les sondages constatent que sur le plan politique le mouvement des G.J. profite d'abord et avant tout à une Marine Le Pen qui vivotait depuis son deuxième tour catastrophique de la dernière élection présidentielle. Son parti, RN-ex-FN, n'a pas la moindre idée de ce qu'est un débat. C'est un parti de chef.

Le maire de Ciron, en Indre, a organisé un débat auquel a participé une trentaine des 580 habitants de la commune (2). 5 % de la population. On ne nous écoute pas, se plaint une part importante des citoyens qui paraît avoir d'autres priorités que de venir débattre un samedi en fin d'après-midi. Le maire constate par ailleurs que "ce n'est pas si simple de réunir quinze personnes pour constituer une liste" pour les élections municipales. Parmi d'autres, une revendication dans ce débat: la prise en compte du vote blanc. Absurde, n'est-il pas? Des électeurs refusent de faire un choix électoral, estimant ne trouver aucun parti, aucune liste qui réponde à leurs attentes mais n'ont pas le temps ou le courage ou les deux de se présenter eux-mêmes au suffrage. Voilà qui me rappelle une anecdote (peut-être déjà rapportée ici): la maire d'un petit village de l'Indre se fait virulemment interpeller par un de ses administrés: "Vous ne pensez qu'à vous en mettre plein les poches!". Elle lui répond que si c'était là son objectif elle aurait choisi une autre activité que celle de maire rurale qui lui coûte plus qu'elle ne lui rapporte. Et elle l'invite, s'il est insatisfait, à se présenter aux prochaines municipales, bref, à prendre ses responsabilités. Réplique du grognon: "Vous rigolez? Si c'est pour avoir autant d'emmerdes que vous...".
Autre revendication dans ce même débat de Ciron: la possibilité de révoquer les élus. Elle existe pourtant depuis le début du sytème démocratique que nous connaissons. Elle s'appelle élection.
Encore faut-il y participer: les électeurs de Thizay, en Indre toujours, étaient invités dimanche dernier à élire, suite à des démissions, quatre nouveaux conseillers municipaux. Seuls un tiers d'entre eux se sont déplacés pour choisir leurs représentants (3). 
On voit par là que la démocratie, il ne suffit pas de la réclamer dans la rue. Elle n'est pas qu'un concept qui vit d'un claquement de doigt. Elle est avant tout une question de responsabilité personnelle.

(1) Olivier Pascal-Mousselard, "Débat, acte I", Télérama, 16.1.2019.
(2) "Grand Débat: Ciron donne le la", La Nouvelle République - Indre, 4.2.2019.
(3) "Un seul tour a suffi pour élire quatre conseillers",  La Nouvelle République - Indre, 4.2.2019.

3 commentaires:

Grégoire a dit…

JEAN LAFONT (membre du comité exécutif de Mouvement ECOLO) sur un autre blog, a une autre lecture qui rejoint la mienne, et comme ce n'est pas la grande forme aujourd'hui, je reprends ses propres mots (en espérant qu'il ne m'en voudra pas...):
"Macron a déjà annoncé qu'il ne changerait pas de politique ! Dès lors, à quoi sert réellement ce débat ? C'est le gouvernement qui fixe le cadre du débat, définit les questions (plus de 80!), désigne deux de ses membres pour le co-animer, ainsi que cinq garants pour observer son déroulement et contrôler la synthèse et qui, à la fin, décidera des suites qu'il donne. Bref, un Etat juge et partie, du début à la fin, qui n'a pas voulu s'encombrer de la Commission Nationale du débat public et de ses règles trop contraignantes (pour lui !). Macron s'adresse aux individus isolés, définit un cadre contraint, orienté et aseptisé, dans lequel les absences sont aussi importantes que les questions posées. Ces règles, décidées unilatéralement, sont un piège dans lequel il ne faut pas tomber."
La révocation des élus n'est pas l'élection. Elle n'existe que dans cinq pays : États-Unis, Équateur, Palaos, Roumanie et Venezuela. Dans tous les autres, entre deux élections, sur plusieurs années, qui peuvent parfois sembler longues, l'élu est libre de ne pas respecter ses promesses électorales ou de faire des choix qui déplairont. Ou les deux. Beaucoup de ceux qui ont voté Macron ont en fait voté contre Le Pen, mais peu d'entre eux, probablement, ne s'attendaient pas à une telle politique ultra-libérale, même venant d'un ancien de Rothschild. Je vous épargne ses petites phrases méprisantes sur "ceux qui ne sont rien...", sur "ceux qui déconnent..." pour appuyer mon propos.
Quant au taux de participation au débat de Ciron, tout le monde ne se sent pas forécement à l'aise dans l'exercice, tout le monde n'a pas la possibité d'être libre ce jour-là. Le prochain débat public qui aura lieu dans mon village sera à 18h30, mais avec un trajet maison-boulot quotidien de 200 km aller-retour, à faire en voiture ce jour-là (un jour de grève général en Belgique, avec donc des embouteillages à prévoir...), je ne suis pas sûr d'arriver à temps.
Pas mal de Français doivent penser qu'ils ont affaire à un président psychorigide, qui s'obstinera forcément. Alors à quoi bon discuter...? Juan Branco, avocat de Wikileaks, entre autres, décrit Macron comme quelqu'un qui ne comprend pas, et ne supporte pas, qu'on ne puisse pas l'aimer et ne pas être d'accord avec lui.
Les années à venir, en France, risquent décidément, d'être très longues...

Anonyme a dit…

Depuis que je suis engagé comme citoyen (ça fait longtemps) - et un temps comme élu - j'ai toujours entendu plein de bonnes (et de moins bonnes) raisons pour ne pas participer à des débats ou des rencontres. Mais si on ne se met pas autour d'une table, on fait quoi pour faire avancer la démocratie? Comment on se l'approprie? La question reste entière. Avec d'autres, j'ai participé à la création d'un groupe local Ecolo à Brunehaut (en 2000, si je me souviens bien), nous avons invité via un toutes-boîtes (distribué par nous-mêmes) la population locale à nous rencontrer pour discuter des attentes des uns et des autres avant les élections communales. Sur 7500 habitants, il en est venu... 1.
(Et des exemples comme celui-là, j'en ai, hélas, d'autres).

Michel GUILBERT a dit…

Je ne comprends pas pourquoi le commentaire précédent n'a pas été automatiquement signé de mon nom, puisqu'il est bien de moi. Désolé.
Michel Guilbert