lundi 22 avril 2024

Toxique et séduisant

Aider l'Ukraine, c'est sauver notre démocratie (voir billet précédent). L'historien américain Timothy Snyder ne dit pas autre chose (1). Il rappelle la toxicité de Vladimir Poutine, tant dans son propre pays qu'à l'ouest, mais aussi en Afrique : en Russie, "depuis le début des années 2000, Poutine étend son pouvoir en minant le processus électoral et en contrôlant les richesses. Il détourne l'oligarchie à son profit pour s'imposer comme le plus puissant, le plus riche des oligarques. Depuis son arrivée au pouvoir, la politique intérieure est figée, la mobilité sociale n'existe pas. Il lui faut donc déployer une politique étrangère spectaculaire et exporter le chaos : il a besoin de faire croire que la corruption et le mensonge ne sont pas l'apanage de son régime mais qu'ils se répandent partout." Sa propagande tend à faire croire que nulle part, et surtout pas en Europe de l'ouest, la démocratie n'est respectée. "L'Ukraine est ainsi devenue un grand danger après la révolution de Maïdan (2014), quand elle s'est affirmée en tant que démocratie électorale et quand elle a mis en avant son désir d'intégration à la Communauté européenne. Si la démocratie est mise à mal en Russie, elle doit aussi l'être ailleurs."
On sait que Poutine et sa clique ont fait et font tout ce qu'ils peuvent - et ils peuvent beaucoup - pour favoriser les mouvements d'extrême droite en Europe, pour pousser le candidat Trump aux Etats-Unis et pour amener les Britanniques à choisir le Brexit. Toujours plus de chaos et moins de démocratie, c'est leur devise. Dans son livre (2), Timothy Snyder parle d'eux comme de "schizo-fascistes", "de véritables fascistes qui traitent leur adversaires de fascistes". Pour lui, "la Russie est aujourd'hui, selon toutes les définitions, un Etat fasciste : un parti unique, un leader dans le style de Hitler ou de Mussolini qui célèbre le primat de la volonté sur la raison, qui glorifie la guerre, mobilise la population et fait prospérer des théories du complot, contre les Juifs ou les lobbys homosexuels accusés de détruire les valeurs traditionnelles." Poutine reproduit beaucoup de pratiques de la Seconde guerre mondiale, affirme-t-il. "Il mène cette guerre selon une logique fasciste dans laquelle l'autre camp n'existe pas. L'Ukraine n'est pour lui ni un Etat ni une nation, il est normal de l'anéantir."

Poutine veut à la fois réécrire l'histoire et gommer le passé. "La propagande russe vise à effacer toute compréhension du passé. Vladimir Poutine proclame que la culture russe est menacée, mais en réalité il fait la guerre aux historiens. Il a fait fermer des ONG comme Memorial (3), qui avait entrepris un travail considérable pour mettre à nu les crimes du pouvoir soviétique, notamment sous Staline, ou de l'armée russe en Tchétchénie. Il mène des actions en justice contre des historiens, et une loi punit ceux qui publient sur Internet des informations sur le passé. Tous les politiciens qui essaient aujourd'hui de détruire la démocratie de l'intérieur procèdent ainsi, ils ramènent l'histoire au mythe d'une innocence perdue qu'il faut reconquérir."

Que pouvons-nous faire ? Pas grand-chose en attendant la chute inévitable du leader fasciste, sinon "aider l'Ukraine à gagner la guerre, ce qui contribuera à définir les paramètres d'une Russie du futur". 
Et pourtant, on ne les compte plus toutes celles et tous ceux qui à l'extrême droite comme à l'extrême gauche, à l'extrême jaune comme à l'extrême complotiste qui refusent de condamner le tueur en série. "Parce que, disait ce matin Sophia Aram (4), pour les poutinolâtres, on aurait apparemment tout à gagner à ne pas énerver la bête, surtout quand elle est occupée à dévorer quelqu'un d'autre que soi ou à continuer après vingt ans d'échecs à négocier avec le boucher de Grozny, d'Alep et de Butcha. C’est vrai, ça, on ne sait jamais, au fond de chaque criminel de guerre, sommeille peut-être l'âme d'un futur prix Nobel de la paix. (...) Un homme qui élimine ses opposants, assassine des journalistes, bombarde Irpin, Sebastopol ou Kherson, pactise avec Bachar Al Assad, s'allie avec les mollahs, assujettit la Tchétchénie et la Biélorussie, déstabilise la Géorgie, annexe la Crimée, lance des cyber-attaques, fait de l’ingérence dans les campagnes électorales américaines ou françaises, systématise le viol et la torture comme arme de guerre, organise la déportation d’enfants... Cet homme, cache peut-être au fond de lui une aspiration au dialogue."
Les partis politiques occidentaux qui soutiennent ou en tout cas refusent de condamner le monstre devraient faire fuir les électeurs. Et c'est le contraire. "Eh bien vous me croirez ou pas, dit encore Sophia Aram, pendant ce temps-là, à un mois des élections européennes, près de 46 % des Français s'apprêteraient à voter pour des partis qui n'ont absolument pas conscience que les Ukrainiens se battent aussi pour notre souveraineté, ou pour des partis qui considèrent que Poutine est un modèle ou un banquier." Poutine fascine. Le chaos gagne les têtes.

(1) "La stratégie du chaos", Télérama, 21.2.2024.
(2) Timothy Snyder, "La route pour la servitude. Russie, Europe, Amérique", éd. Gallimard, 2024.
(3) https://memorial-france.org/
(4) https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-billet-de-sophia-aram/le-billet-de-sophia-aram-du-lundi-22-avril-2024-9568929

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