lundi 10 septembre 2007

België blues (1)

ou... Impasse du nationalisme

La Belgique avance dans le brouillard depuis maintenant trois mois exactement.
Peut-être séduits par la victoire d’un Sarkozy qui a ratissé large dans les terres lepénistes, le CDV et la NVA se sont lancés dans une course aux électeurs flamingants pour tenter de prendre la main sur le Vlaams Blok/Belang et la liste Dedecker. Et ils n’en démordent pas : un jour (plus ou moins...) prochain, que les Francophones le veuillent ou non, la Flandre sera indépendante.
En attendant, ils réclament toujours plus de compétences régionales. Toujours sous le prétexte que ces riches Flamands en ont assez de payer pour ces chômeurs wallons, pauvres et malades. Les clichés mènent la danse en Belgique.
Il y aurait donc en Flandre une part non négligeable de l’opinion publique qui n’entendrait plus jouer le jeu de la solidarité. Tout Etat, tout niveau de pouvoir démocratique fonctionne sur un système de répartition et de redistribution des richesses. Ceux qui ont un travail paient pour ceux qui n’en ont pas ou n’en ont plus ; les bien portants paient pour les malades ; les riches paient pour les pauvres.
Le même principe de solidarité fonctionne au sein de l’Europe : les régions les plus aisées aident celles qui sont en retard de développement à améliorer leur niveau de vie. C’est ainsi que des pays comme le Portugal ou l’Irlande se sont spectaculairement redressés.
Si les Flamands vont au bout de leur logique « l’argent des riches reste chez les riches », la Flandre indépendante ne devrait pas demander son adhésion à l’Union européenne, mais faire cavalier seul. Et quitter ces « Eurorégions » en construction où, à une échelle sous-régionale, des Flamands, des Wallons et ici ou là des Français, des Allemands ou des Néerlandais tentent de nouer des liens de partenariat. Ces coopérations ont-elles un sens quand on ne veut plus assumer, par ailleurs, sa part de solidarité ? C’est d’ailleurs ce que dit Geert Van Istendael (auteur du Labyrinthe belge – Castor Astral 2004) dans Libération aujourd’hui : « Si la Belgique est impossible, l’Europe est également impossible, car si on ne peut concilier deux ou trois communautés et langues, comment le faire à 27 ? »

A l’intérieur même d’une Flandre indépendante, quelles seraient les limites d’une solidarité réinventée ? Le principe « l’argent des riches appartient aux riches » devrait vite montrer ses limites et il ne fera pas bon être malade, vieux ou chômeur en Flandre. On sait qu’on ne vit pas aussi bien dans le Limbourg que dans la région de Courtrai. La Flandre soi disant riche va-t-elle devoir se débarrasser de ses sous-régions « en retard de développement » ?

De toute façon, quel serait l’intérêt de plus de régionalisation ? Les routes belges seront-elles plus sûres une fois la sécurité routière régionalisée ? Le Wallon qui se rendra à Bruxelles en voiture aurait alors trois codes de la route différents à respecter. Alors qu’il faudrait tenter d’harmoniser les règles de sécurité routière au niveau européen, certains voudraient choisir la voie inverse, par pur orgueil nationaliste. La SNCB serait promise au même sort, avec les mêmes conséquences absurdes et sans doute coûteuses.

Et puis à l’heure où la diversité culturelle est dans toutes les déclarations politiques, comment peut-on à ce point se replier sur son nombril nationaliste en rejetant son voisin ? Aucun nationalisme n’est progressiste. Ils sont tous réactionnaires et individualistes, tournés vers le passé, la nostalgie, le rejet.

De quelle Flandre parlent les nationalistes ? Et en parlent-ils d'une même voix? Dans une carte blanche récente (LLB – 03.09.07), Jan De Troyer, rédacteur en chef de TV Brussel, constate le retour en force des dialectes en Flandre, au point que des téléspectateurs flamands (et plus encore néerlandais) ne comprennent pas des séries télé ou des chanteurs pourtant flamands:
« on est donc arrivé en Flandre dans la situation bizarre qu’après des décennies de lutte d’émancipation flamande et de lutte pour la reconnaissance du néerlandais comme langue de culture, nos artistes retournent à la langue régionale et les profs de néerlandais abandonnent les bases de l’enseignement linguistique. (…) Bien qu’il semble être à la mode, l’arbitraire linguistique n’est pourtant rien d’autre qu’un repli sur soi-même et une exclusion de l’autre. »

C’est quoi la Belgique ? « Un pays petit tombé par accident dans un trou de l’histoire », comme le dit Claude Semal, mais aussi un pays multiculturel, où tout se mélange. Un pays zinneke. Où chacun a au moins un ancêtre qui venait de l’autre côté de la frontière linguistique. Où l’ancien ministre-président wallon porte un patronyme flamand, alors que son équivalent flamand affiche un nom francophone. Où les Flamands se sentent chez eux dans les Ardennes, autant que les Francophones à la côte. Où Arno l’ostendo-bruxellois fait un tabac, autant que la rocheforto-monégasque Justine Hénin. Cette multicultarité est-elle donc si haïssable aux yeux des nationalistes ? Après la fin de la Yougoslavie, celle de la Belgique ?
Mais sérieusement, cette fin est-elle possible ? Ou jouons-nous à nous faire peur ? De toute façon, Bruxelles, ville francophone en territoire flamand, empêche cette scission.

Et puis où en est l’opinion publique flamande ? Y a-t-il vraiment une majorité derrière cette volonté d’indépendance ?
Il serait temps que les intellectuels et les artistes se fassent – plus - entendre. Il y a quelques mois, Arno présentait son nouveau CD au casino d’Ostende et déclarait que l’urgence n’était pas de savoir qui serait le président d’une Flandre indépendante, puisque de toute façon à la fin du siècle les Ostendais et bien d’autres Flamands auraient les pieds dans l’eau à cause du réchauffement climatique. Et Arno de prévoir qu’un jour pas si lointain le président flamand se verrait forcé de se réfugier à Bruxelles.
« Et puis nous, on préfère s’envier et se détester
On adore les histoires de quartier
Ca part dans tous les sens
Rien qu’on se bat mais on se trompe de sens
Carrément on passe pas pour des gens qui pensent. »
(Arno et Faf Larage : I’m not into hop)


P.S. : Sur le plan parlementaire, seuls « grands » partis politiques à être nés chacun de leur côté alors que le processus fédéral était enclenché, les Ecologistes flamands et francophones constituent à la chambre un groupe commun. Une particularité dans ce pays qui suit plutôt un processus de division. Les trois familles traditionnelles (socialiste, sociale-chrétienne et libérale) ont suivi le chemin inverse : les partis nationaux se sont « communautarisés", jusqu’à n’avoir parfois plus beaucoup de contacts entre eux.
Les Ecologistes plaident pour une circonscription électorale unique : que les électeurs belges puissent élire, pour une part de leurs élus nationaux, des hommes et des femmes politiques qui auraient une légitimité dans tout le pays. Pour cela, il faudrait mieux se connaître et plus s'intéresser à "l'autre".

P.S.2: Signe des temps, le sens de l'auto-dérision typiquement belge n'a pas encore fait sa rentrée, semble-t-il...

P.S.3: La Belgique est un plaisir et doit le rester.

(1) België blues était le titre d'une chanson de Walter De Buck, à la fin des années '70.

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