mercredi 8 janvier 2014

Nausée

Un pavé (belge) dans la mare (française). Voilà ce qu'était ce billet d'humeur qu'a bien voulu publier rue89. Je l'ai repris dans la figure. Certains diront sans doute que je l'ai bien cherché. 
Intitulé "Ma vie (de Belge) en pays grognon (la France)", je l'avais écrit encouragé par quelques amis belges, effarés comme moi de l'ambiance qui règne en France ces derniers temps. Je peux me réjouir qu'il ait été lu par quelques dizaines de milliers de personnes et commenté par près de trois cents d'entre eux.
Des commentaires sont argumentés, ils me soutiennent ou s'opposent à ma vision des choses, mais expliquent leurs points de vue. C'est ce qu'on peut attendre d'un forum de discussion. D'autres sont assez abscons, on a l'impression que leur auteur se comprend lui-même sans chercher à se faire comprendre. D'autres contributions ne contribuent à rien d'autre qu'à faire savoir que leurs auteurs n'ont rien à dire, mais tiennent à être présents dans la discussion.
Le problème, c'est non seulement de lire cette masse de commentaires et de comprendre ce que veulent dire certains intervenants et à qui ils s'adressent, mais c'est surtout la virulence de certains "commentarteurs". Ce sont des commentaires qui ne le sont pas, des messages assassins, des exécutions sommaires. On est dans le rejet brutal, dans l'invective, dans l'insulte, dans le racisme même. Pourquoi faut-il exprimer tant d'agressivité pour dire que non, vraiment non, on n'est pas grincheux?
Dans mon billet, je n'attaque personne nommément. Mais moi, en revanche, que ce soit sur mon blog ou sur rue89, j'en prends personnellement plein la figure.
J'ai pris le temps de rédiger ce billet ("Ma vie etc."), de solliciter l'avis de proches, de le nourrir, de le nuancer. Et dès qu'il est publié, bardaf, c'est l'embardée, c'est l'assaut, c'est l'hallali. De l'autre côté de l'écran, des locuteurs (à ne pas confondre avec interlocuteurs) tirent leurs salves sans prendre le temps d'arriver au bout de leur réflexion (s'il y en a une).
On est loin d'une expression assertive, d'une capacité à dire les choses clairement, fermement s'il le faut, mais en respectant ses interlocuteurs. On n'est plus dans la communication, on est dans la boxe.
Tous ces commentaires me viennent de parfaits inconnus, tous masqués par un pseudonyme. J'ai l'impression de croiser des gens en burqa qui savent qui je suis, m'identifient, sans que je ne sache rien d'eux. La relation est pervertie, elle est malsaine.

Parlementaire, journaliste, présentateur télé, j'ai reçu parfois des lettres d'insulte et, plus rarement, des menaces.  C'était, à l'époque, des courriers papier, toujours anonymes. Chaque fois, c'est difficile à vivre, mais ils furent très peu nombreux.
Avec Internet, on a changé d'échelle. Les forums ne sont plus seulement des espaces de rencontre, mais aussi des rings où tous les coups semblent permis, et arrivent en rafales via quelques mots à peine réfléchis. Je l'ai écrit souvent sur ce blog: l'anonymat que permet Internet normalise la parole "déchaînée". On confond liberté d'expression et liberté d'agression. La pensée régresse au profit d'une parole vomie.
Aucun site, visiblement, n'est épargné. On pouvait espérer qu'un site d'information de gauche, participatif, comme rue89 aurait un public plus policé, plus assertif. Il n'en est hélas rien et je ne suis pas le premier à le constater (1). Je n'ose imaginer ce qui s'écrit sur le site de Minute.
Un "commentateur" de mon blog m'a, un jour, demandé, de quelle maladie mentale je souffrais pour ne pas supporter l'anonymat. Qui est le malade? Celui qui s'exprime à visage découvert ou celui qui ne peut parler que masqué?
En Belgique, le groupe de presse Roularta a décidé, en octobre 2012, d'obliger ses interlocuteurs à s'identifier par leur vrai nom sur ses forums en ligne. Résultat immédiat: une perte de la moitié des réactions aux articles, mais "des réactions plus intéressantes et de bien meilleure qualité", selon le rédacteur en chef adjoint de la rédaction web de Roularta (1).

Internet peut être et est un formidable outil de communication et de mobilisation. C'est aussi un inquiétant vecteur d'agressivité, de populisme et de lâcheté.
Je sais faire la part des choses et constater que, par rapport aux dizaines de milliers de lecteurs de mon billet et aux quelques centaines de commentaires, les attaques violentes dont j'ai été l'objet sont peu nombreuses. Mais elles le sont trop en même temps et leur brutalité est difficile à  vivre.
Sincèrement désolé pour les commentateurs respectueux et intéressants qui se sont manifestés, je me refuse à jeter encore un œil sur les commentaires à mon billet. Une question de protection et d'équilibre personnel.
La contribution qui fut la mienne aura été la première et la dernière sur un autre site que mon blog où je sais me protéger.

En guise de conclusion qui n'a rien à voir (quoique...), cette jolie phrase d'une boulangère entendue hier sur le JT de France3, Région Centre: "on a le printemps à 500 mètres de chez nous". Elle est boulangère à Bourges.

(1) Sur ce blog: "Vomir, dit-elle", 18 mars 2013.
Et puis aussi:
- "Le grand complot", 10 mai 2011.
- "L'anonymat d'Internet", 29 avril 2008.
- "Les roquets d'Internet", 5 janvier 2008.


3 commentaires:

gabrielle a dit…

Vous avez osé "critiquer" un pays qui vous accueille depuis quelques temps... Malheur à vous, vil manant, vil étranger, vil ignare, vous qui avez eu cette outrecuidance. :-))

La même chose est arrivée au journaliste français Quatremer qui, vivant en Belgique depuis des années, a écrit un article sur Bruxelles. Des commentateurs du dimanche, des frustrés de la Toile, des caractériels patentés, des QI de gastéropodes, et même des politiques, l'ont immédiatement incendié de manière hargneuse ou haineuse.

Vous n'avez pas eu de commentaire désobligeant de la part de l'Elysée, on espère? :-))






Grégoire a dit…

Vous avez été victime de votre amour pour ce beau pays. Peut-être, comme dans le cadre d'une relation de personne à personne, on idéalise quelque peu, même inconsciemment, l'autre et il arrive que le quotidien fasse sauter quelques illusions (je ne sous-entends aucun défaut d'intelligence, c'est dans le domaine de l'affectif). Et puis, un regard neuf facilite souvent une certaine lucidité. On m'a rapporté que, dans le sud de la France, même après 30 ans de résidence, tel Belge était toujours l'étranger, malgré ses effort d'intégration. Certains français "de souche" se réservant le droit de critiquer leur propre pays ne supportent pas qu'un voisin de fraîche date en fasse autant. Pour ma part, je rêve, comme vous, de m'y "exiler" à ma pension, en Bretagne précisément. J'y ai aussi des amis de longue date, dont certains me considèrent comme étant pratiquement de leur famille. Des Bretons me trouvent plus "Breton" que leurs propres voisins, et au fil des conversations, je leur démontre parfois la chance qu'ils ont d'y habiter (nature, culture, douceur du climat, etc.). Si j'arrive à réaliser ce projet, je ne m'inquiète pas trop de mon éventuelle intégration, vu le nombre d'associations au kilomètres carrés. J'ai rencontré, il y a trois ans, le président d'une association à Quimper d'origine belge. Il ne voulait plus retourner en Belgique, et pour le voir, ses enfants devaient se déplacer en Bretagne. Néanmoins, je sais que malgré mes séjours répétés, malgré mes attaches, le quotidien me décevra. L'étonnement teintée de déception que vous avez manifesté sur Rue89 de ce qu'est ou de ce que devient la France ne pouvait probablement que se heurter au désenchantement de Français qui ont l'impression, réelle ou non, de ne pas contrôler l'évolution de leur pays et de leur société - ce qu'un psy qualifierait sans doute de névrose.

Michel GUILBERT a dit…

C'est vrai que les réactions à mon billet s'apparentent à celles que Jean Quatremer a dû essuyer pour avoir eu l'outrecuidance de critiquer Bruxelles. Comme si la critique d'une ville, d'un pays ne pouvait être admise que si elle vient de ses "nés-natifs". Les "étrangers" n'auraient qu'une alternative: partir ou se taire. Alors que le regard distant que peut apporter celui ou celle qui vient d'ailleurs pourrait permettre de regarder autre chose que son propre nombril...
Ceci dit, l'esprit chagrin que je déplorais dans mon billet est celui qui règne globalement en France ces derniers temps. Ici où je vis, nous sommes magnifiquement accueillis par des voisins charmants (comme je l'ai écrit en introduction de mon texte) et nous avons déjà intégré une association qui nous a ouvert ses portes.
Quant au ton employé sur les forums dits sociaux, il est le même en Belgique qu'en France. Un tout petit coup d'œil ce matin même sur le site du Soir et celui de l'Avenir m'a aussitôt convaincu de ne plus jamais y lire quoi que ce soit. C'est le rendez-vous des aboyeurs. On dit que "chien qui aboie ne mord pas". Mais je ne comprends rien au langage canin et je me méfie.