jeudi 25 septembre 2014

Le mal en soi

L'acte ignoble des jihadistes algériens qui ont décapité Hervé Gourdel les classe dans la part de l'homme qui le rapproche du rat: les hommes et les rats sont les deux seules espèces vivantes qui sont capables de mettre délibérément à mort un de leurs congénères, a écrit Raymond Aron (1).
Un peu partout, les musulmans se lèvent pour dire leur horreur, rejeter cette violence commise au nom de l'islam (2).
Certains esprits bien pensants en France estiment qu'ils n'ont pas à le faire, qu'on sait bien qu'il y a islam et islam et que leur demander de condamner le soi disant Etat islamique, c'est être islamophobe. Quel angélisme amène Rue89 à imaginer que tout le monde fait naturellement la part des choses? Il était légitime de demander aux responsables de l'église catholique de prendre leurs distances avec l'attitude du Vatican durant la seconde guerre mondiale. Il l'est tout autant de leur demander de condamner les actes pédophiles commis par certains de leurs prêtres. On a vu des communistes prendre clairement leurs distances avec les pratiques soviétiques, affirmer qu'ils ne se reconnaissaient pas dans ce communisme-là. Si demain, des crimes devaient être commis au nom de la défense de l'environnement, on espère que les écologistes les condamneront aussitôt. A quoi joue Rue89 en s'offensant et en multipliant à l'envi les comparaisons idiotes et inadaptées, à l'humour inapproprié? A l'autruche? C'est, au contraire, ne pas condamner cette vision violente et fasciste de l'islam qui alimentera cette islamophobie, qui poussera plus de jeunes encore vers le jihad.
Un peu partout en Europe, des musulmans, des mosquées se mobilisent pour dire leur condamnation de ces jihadistes.
Mais certains vont plus loin et osent l'autocritique (4): "nous ne pouvons pas nous contenter de rejeter le monstre islamiste comme extérieur à nous, disent certains penseurs, il faut encore penser les conditions qui ont rendu sa création possible, ici et maintenant, de l'intérieur même de l'islam". Il faut affronter la "part maudite" de la religion, estime le journaliste marocain Abdellah Tourabi. "Les idées de Daech ne sont pas venues de l'étranger, affirme son collègue algérien K. Selim (dans un article intitulé Le Daech est en nous). On fait du Daech quand on refuse la citoyenneté, quand on méprise le savoir, quand on entretient la détestation des femmes (...) des chiites et des autres". La féministe tunisienne Raja Ben Slama pense aussi que l'islam doit se regarder en face: "depuis son abolition en 1924, les musulmans fantasment le retour du califat. Daech est en fin de compte la réalisation d'un rêve qui tourne au cauchemar, où le sacré et le ridicule se tutoient d'une manière tragique. Ce n'est pas l'islam, et c'est en même temps l'islam, c'est une caricature". "Ce monstre est notre produit, estime l'intellectuel syrien Yassin al-Haj Saleh, on doit se demander où est la pensée islamique qui peut faire face à Daech."
Si toute cette folie meurtrière, dont sont en premier lieu victimes des musulmans, pouvait, au moins, amener cette autocritique et ce recadrage, tout le monde, musulmans et non musulmans, y gagnerait en respect et en confiance. Se mettre la tête dans le sable n'a jamais permis d'avancer.

Lire aussi, sur ce blog, "Vrai ou faux", 17 septembre 2014.

(1) dans Paix et guerre entre les nations, 1962 (cité par Paul Veyne, Et dans l'éternité je ne m'ennuierai pas, Albin Michel, 2014.
(2) www.liberation.fr/monde/2014/09/25/en-europe-des-voix-se-levent-contre-l-etat-islamique_1107463
www.liberation.fr/societe/2014/09/25/musulmans-de-france-il-faut-que-la-majorite-silencieuse-s-exprime_1108290
(3) http://apps.rue89.nouvelobs.com/2014/09/25/les-musulmans-pries-condamner-terroristes-quelle-folie-255074
(4) tous les extraits de ce paragraphe proviennent de l'article "C'est la religion qu'il faut réformer", Marie Lemonnier,  Le Nouvel Observateur, 18 septembre 2014.

A lire aussi:
http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20140922.OBS9880/etat-islamique-le-bilan-comptable-des-massacres.html


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