mercredi 22 mars 2017

Les braves sociologues

Ils sont gentils, les sociologues. Ils nous offrent des explications simples à des problèmes compliqués.  Ils ont mieux compris les situations que les gens qui les vivent au quotidien. Et les sociologues blancs, très gentiment, n'hésitent pas à prendre la parole à la place de personnes d'origine maghrébine qui n'ont visiblement pas bien compris ce qui se passe autour d'elles.
Lundi, sur le plateau de l'émission 28 minutes sur Arte (1), il était question, une fois encore de lutte contre la radicalisation islamiste. Le sociologue Michel Fize a une explication: s'il y a de plus en plus de jeunes radicalisés en France, c'est "parce qu'il y a de plus en plus de souffrance, de désespérance, de colère, tous ces sentiments étant mêlés, qui font qu'un jeune va basculer parce qu'il ne voit plus une société qui lui apporte un sens". Nadia Remadna, fondatrice de la Brigade des Mères, lui répond, à partir de son expérience que, chez les radicalisés, "on a tous les profils", le facteur social en étant un parmi d'autres. Il faut sortir, dit-elle, du cliché du jeune abandonné socialement. "On ne se radicalise pas parce qu'on est pauvre, on se radicalise à cause d'une idéologie. Il faut travailler sur les rabatteurs qui transmettent la haine à nos enfants". Elle appelle à s'éloigner du "discours de victimisation".
Abdelghani Merah, frère aîné de Mohamed Merah qui a assassiné neuf personnes, va dans le même sens, appelant à empêcher de nuire des prédicateurs extrêmement dangereux et dont certains sont bien connus des autorités. Lui qui a été élevé par ses parents "dans la haine des Français et des Juifs" vient de traverser la France à pied durant trente-neuf jours (2) pour défendre la laïcité et la République qu'il remercie: "j'ai été élevé par la France, par la police de proximité, par l'Education nationale".
Le sociologue n'a pas l'air de l'entendre, il enfonce le clou et renforce le cliché: "qui sont les plus exclus de notre société?, demande-t-il. Des jeunes qui appartiennent à ces quartiers, souvent, du fait de leur couleur de peau, plus discriminés que les autres". Nadia Remadna a des gestes de dénégation, lève les yeux au ciel. Visiblement, elle n'a pas été entendue. Puis, Michel Fize a ce constat imparable: parlant de l'agresseur d'une militaire à Orly il y a quelques jours, il constate que "dans l'histoire de cet homme, on s'aperçoit que tout pourrait avoir basculé après la perte du frère aîné, qui l'a littéralement traumatisé. Donc y a un problème de lien social qui s'est défait progressivement, une cicatrice qui ne s'est pas fermée." C'est le même sociologue qui en appelait quelques minutes auparavant à la complexité des analyses. Il ne nous explique pas pourquoi la perte d'un frère amène un homme de trente-neuf ans à vouloir tuer des gens qui n'ont rien à voir avec son histoire personnelle, pourquoi un sentiment d'abandon social mène des jeunes à se transformer en tueurs lâches. A quoi sert un sociologue? A nous dire que les agresseurs sont des victimes? A nous culpabiliser? On repense à Edwy Plenel pour qui la barbarie de Daech n'est que la réponse à notre barbarie (3). Et celle des nazis à qui répondait-elle?
(note: j'ai zappé ensuite, tant les braves explications du bon blanc m'apparaissaient insupportables. Il faut dire que s'annoncait alors le sketch de Thibaut Nolte, le roi du cliché... J'en avais mon compte pour ce soir-là.)

(1) http://sites.arte.tv/28minutes/fr/bertrand-perier-et-eddy-moniot-radicalisation-comment-empecher-le-passage-la-violence-28minuten
(2) http://www.huffingtonpost.fr/2017/03/19/le-frere-de-mohamed-merah-nous-raconte-les-deux-moments-forts-de_a_21895652/?utm_hp_ref=fr-homepage
(3) cité par Philippe Val dans "Malaise dans l'inculture", Grasset, 2015, p. 249.

1 commentaire:

Bernard De Backer a dit…

Je trouve que ces sociologues ne sont pas si braves - ils sont même très néfastes. Ils sont loin de représenter toute la profession (pas moi, en tous cas). Malheureusement, un paradigme "marxien" (ou parfois libéral) à la vie dure : la culture et la religion comptent pour du beurre, ce ne sont que des superstructures qui masquent les vrais problèmes.

Au secours, Max Weber reviens !

Voisi mon point de vue, exprimé dans Imagine en novembre 2001 : http://www.revuenouvelle.be/La-democratie-ne-promet-pas-le-Paradis

(désolé si je l'ai déjà posté).