lundi 22 juin 2020

Plus dure sera la chute

Quelques réflexions sur le déboulonnage des statues, en suite du billet précédent publié sur ce blog.

Dans The Spectator (1), Matthew Parris revient sur la statue d'Edward Colston, sir Edward Colston, jetée à l'eau dans le port de Bristol. Eriger en 1890 cette sculpture dans l'espace public "ne relevait pas d'une volonté historique ou biographique: il s'agissait ni plus ni moins d'une célébration". Celle, rappelle-t-il, d'un négrier connu pour avoir jeté à la mer les esclaves malades qui n'avaient plus de valeur marchande".
Et il pose cette question: "s'il y a du sens à ériger des monuments aux hommes et aux femmes que nous admirons, pourquoi n'y en aurait-il pas à abattre les monuments à ceux que nous n'admirons pas?". "Cette statue, ajoute-t-il, ne relevait pas de l'histoire, mais de l'opinion. Notre époque a le droit d'exprimer la sienne. Loin d'une volonté d'effacer l'histoire, le déboulonnage est une inscription dans l'histoire. L'histoire, c'est ce qui arrive."
Il rappelle que c'est ainsi qu'ont fini en Espagne les monuments à Franco ou à Bagdad les statues de Saddam Hussein. "Sans susciter de regrets". On pense aussi à ces magnifiques images de cette statue déboulonnée de Lénine descendant le Danube sur une barge, dans le film d'Angelopoulos Le Regard d'Ulysse.

Dans De Morgen (2), Jonathan Holslag, professeur de droit international à la VUB, estime "important d'étudier l'histoire de la décolonisation et de l'esclavage, mais dans ce cas il faut l'étudier dans sa totalité, sans limitation géographique, et en remontant le plus loin possible dans le temps". Et il fait remarquer que si le recours à l'esclavage dans la construction de monuments devient le critère pour décider ce qu'on en fait, il risque de ne plus rester grand-chose du patrimoine mondial, du Taj Mahal aux pyramides de Gizeh.

Media Congo (3) rapporte l'avis d'un habitant de Kinshasa qui estime que la statue de Léopold II qui trône dans la capitale aurait dû être déboulonnée depuis longtemps, "car c'est un homme qui a fait souffrir les Congolais pendant l'esclavage". Un directeur du Musée national du Mont Ngaliema, José Bateke, pense au contraire que cette statue doit garder sa place: "ça reflète une histoire, ça devient une mémoire, une référence à nos enfants. Donc, l'histoire, qu'elle soit mauvaise ou bonne, reste une histoire".

Au Sénégal, de nombreuses personnes exigent le déboulonnage de la statue du général Faidherbe à Saint-Louis. "On n'efface pas l'histoire en déboulonnant une statue héritée de la colonisation et qui représente une figure coloniale symbole de l'assimilation aliénante et de méthodes sanguinaires, écrit Sénéplus (3).  Mais ajoute que "cette statue signifie (...) le bourreau honoré et glorifié. Elle consacre, aux yeux des enfants qui la voient tous les jours, l'humiliation et l'asservissement subis par leurs ancêtres".

Dans The Guardian (3), le politologue sud-africain Eusebius McKaiser trouve que "la vérité est aussi simple que difficile à admettre: il est nécessaire d'abattre les statues des racistes, mais ce n'est pas cela qui donnera naissance à une société antiraciste".

(1) "Tant mieux si les statues tombent", The Spectator (Londres), 13.6.2020, in Le Courrier international, 18.6.2020.
(2) "Il faut s'emparer de l'histoire", Le Courrier international, 18.6.2020.
(3) "Cela ne donnera naissance pas à une société antiraciste",  Le Courrier international, 18.6.2020.

1 commentaire:

Bernard De Backer a dit…

Notons que, pendant ce temps, une statue de Lénine a été érigée en Allemagne (de l'Ouest) par le parti marxiste-léniniste d’Allemagne (MLPD). Il affirmait notamment : "Ce sont pour ainsi dire les fondateurs du socialisme scientifique, Marx, Engels, puis Lénine, qui ont lutté avec succès pour le premier État socialiste et l’ont construit, affirme Gabi Fechtner, présidente du MLPD, au micro de l’AFP. Et puis Mao Tsé-toung et Staline, qui se sont battus pour le maintien du socialisme." La justice a autorisé cette statue parce qu'elle est sur un terrain privé (sic). Sur Lénine pour faire court, lire Nicolas Werth, Le cimetière de l’espérance (2019). Il y écrit : "Les crimes du stalinisme sont inscrits bien plus qu’en filigrane dans le léninisme; ils lui sont consubstantiels."