vendredi 19 juin 2020

Iconoclaste

On en parle et il faut en parler. Les Noirs américains restent victimes de discrimination et de racisme. Il reste du chemin à faire, un long chemin, pour arriver à l'égalité.
"Quatre cents ans après le début de l'esclavage, plus de cinquante ans après l'adoption de la loi sur les droits civiques, les Noirs américains ont toujours deux fois et demie plus de risques d'être tués par la police que les Blancs, rappelle Elaine Godfrey dans The Atlantic (1). Ils sont trois fois plus nombreux à mourir du Covid-19. Et ils sont plus nombreux que les Blancs à avoir perdu leur emploi pendant la pandémie." Et le fossé économique entre Noirs et Blancs est toujours aussi important aujourd'hui qu'il y a cinquante ans. 74% des Blancs sont propriétaires de leur logement, 44% des Noirs seulement. Le patrimoine d'un ménage noir de la classe moyenne est de 13.000 dollars, celui d'un ménage blanc de 150.000. Tous les indicateurs socio-économiques montrent un fossé de cet ordre.
Comment ne pas comprendre la colère qui s'exprime aujourd'hui aux Etats-Unis? Elle fait des vagues en France et en Belgique.

On peut ainsi comprendre le déboulonnage de statues de personnalités qui ont concouru au colonialisme. Mais on a du mal à suivre certaines actions et déclarations qui font une soupe peu ragoutante, mélangeant allègrement passé et présent, confondant racisme, esclavagisme, colonialisme et violence policière, faisant un amalgame entre les colons et ceux qui ont accepté l'indépendance des colonies, voire qui l'ont favorisée. Certains antiracistes mettent dans le même sac Léopold II et Baudouin, Colbert et de Gaulle, Churchill et Botha. Et veulent croire qu'il y a en Europe une ségrégation comme elle existe encore aux Etats-Unis.  L'attitude violente et inacceptable de certains membres de la police serait liée à la qualité intrinsèquement raciste de nos Etats. Oubliée, une fois encore, tout sens de la mesure et de la nuance, toute analyse rationnelle. Oubliée, l'Histoire au profit du ressenti et de la colère de chacun. "J'ai l'impression que beaucoup de nos contemporains oublient que l'Histoire n'a pas commencé avec eux!", écrit Etienne Hubin, prof d'histoire à Bruxelles, qui invite à regarder l'Histoire en face (2).

S'attaquer aux statues?  D'accord pour le symbole, mais lesquelles? S'attaque-t-on à tous les symboles? En ce cas, détruisons les châteaux des seigneurs qui ont asservi leurs populations, qui ont participé aux croisades, qui ont soutenu l'Inquisition. Saccageons les églises qui ont participé activement à la colonisation. Et les mosquées aussi pour le rôle qu'ont joué tant de musulmans dans la politique esclavagiste en capturant des Noirs qu'ils ont vendus aux colons blancs.
Et, tant qu'à faire, attaquons-nous aux religions, outils de soumission, qui pratiquent aujourd'hui le pire colonialisme qui soit: celui des esprits. Et faisons tomber de leur piédestal tous ces héros de la décolonisation et de l'indépendance de leur pays qui se sont ensuite transformés en dictateurs. Et faisons tomber de son socle Che Guevara, statufié par l'extrême-gauche, même s'il fut extrêmement violent.
Et une fois qu'on aura fait tomber tous les symboles, quand on aura gommé une partie de l'Histoire,  quand on aura bien battu notre coulpe, que fera-t-on? On se fera fait plaisir, mais n'y aura-t-il plus de racisme pour autant? Plus de violence? Plus d'esclavagisme ? Plus d'enfants qui travaillent? De domestiques non payés, prisonniers de leurs patrons (notamment dans les pays du Golfe, qui étrangement échappent toujours à toute critique malgré leurs pratiques esclavagistes actuelles)?

"Il faut se méfier des symboles, écrit Gérard Biard, Ils sont toujours à manier avec prudence, car ils peuvent se retourner comme une chaussette. (...) Mettre un genou à terre peut signifier beaucoup de choses. C'est reproduire la scène du crime, c'est aussi symboliquement endosser la culpabilité du policier de Minneapolis, mais c'est également adopter la position dans laquelle sont censés se trouver les citoyens victimes de racisme. S'agenouiller à leur côté ou face à eux, ce n'est pas seulement s'associer à leur combat ou leur demander pardon, c'est considérer qu'ils ne vivront jamais autrement. Qu'ils seront toujours une minorité, les victimes éternelles des fléaux de l'esclavage et de la colonisation. Et rien que cela. Soit le contraire de la lutte contre le racisme et pour l'égalité, dont la finalité n'est pas que tout le monde soit à genoux, ni que l'on soit à genou à tour de rôle, mais que tout le monde vive debout."

A écouter: Sophia Aram, "Table rase",
https://www.franceinter.fr/emissions/le-billet-de-sophia-aram/le-billet-de-sophia-aram-15-juin-2020

(1) "Entre Noirs et Blancs, une mobilistion capitale", The Atlantic, 7.6.2020, in Le Courrier international, 11.6.2020.
(2) https://www.lalibre.be/debats/opinions/un-petit-point-bleu-pale-5ee9cf337b50a66a59841530
(3) "Les Blancs ne savent pas mourir", Charlie Hebdo, 17.6.2020.

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