samedi 25 septembre 2021

Chasse punitive

Il est drôle, Willy Schraen. C'est sans doute un des meilleurs humoristes français actuels. Quand il se présente en malheureuse victime, on s'esclaffe. Le président de la Fédération nationale des chasseurs dénonce l'interdiction de la chasse à certains oiseaux. C'est de "l'écologie punitive", tonne-t-il. Il nous fait rire. On se demande ce que lui ont fait les alouettes des champs, les vanneaux huppés, les pluviers dorés, les grives et les merles noirs pour être punis de mort par lui et les chasseurs qui veulent continuer à s'adonner à cette étrange passion morbide sous prétexte qu'il faut continuer à faire vivre une tradition culturelle qui remonte à Néandertal (qui reste visiblement leur modèle).

"On a un harcèlement terrible qui vient de l'écologie punitive en permanence, pleurniche Schraen dans un de ses sketchs dont il a le secret. Les chasseurs sont malmenés. On commence à en prendre plein la gueule à longueur de journée."  (1) Bien moins que les oiseaux. L'alouette des champs a perdu près du tiers de ses effectifs en trente ans. Mais les larmes de crocodile de Schraen ont ému le gouvernement français: le Ministère de la transition écologique met en consultation plusieurs projets d’arrêtés pour autoriser à nouveau le piégeage de quelque 115 000 oiseaux par le biais de méthodes de chasse dites « traditionnelles ». Même si elles sont fondées sur des techniques non conformes au droit européen et ont été jugées illégales par le Conseil d’Etat. Peu auparavant, en clôture du Congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) (à Marseille du 3 au 11 septembre), le gouvernement français, la main sur le cœur, avait déclaré son intention de faire tout ce qui est en son pouvoir pour sauver la biodiversité. Le Monde (2): "Le temps est venu, a résumé Bruno Oberle, le directeur général de l’UICN, d’un « changement fondamental ». Certes, répond en substance la France, pays hôte du congrès, mais nous souhaitons malgré tout pouvoir continuer à enfreindre la loi pour permettre à une fraction de pourcent de nos concitoyens de s’adonner au plaisir de tuer des dizaines de milliers d’oiseaux en déclin. Parmi les espèces ciblées par les projets d’arrêtés, certaines ont vu leurs populations se contracter de moitié, en Europe, au cours des trente à quarante dernières années. Le contraste entre le fracas des mots utilisés pour décrire le problème et l’absence forcenée du plus petit début de réponse politique à ce problème incarne bien plus que ce que la novlangue politicienne qualifie généralement de « mesure pragmatique ». Ce contraste illustre plutôt le fait que l’enjeu environnemental est désormais au cœur d’une rupture du pacte démocratique."

Le Monde rappelle que "l’alouette des champs et le vanneau huppé sont respectivement classés en « préoccupation mineure » et « quasi menacé », selon la liste rouge des espèces menacées de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en France. « Les nouveaux arrêtés en préparation demeurent illégaux, et la LPO [la Ligue de protection des oiseaux] demandera leur suspension immédiate devant le Conseil d’Etat si jamais ils sont signés », a immédiatement réagi la LPO. Les populations d’oiseaux des villes et des champs se sont effondrées en France à cause des activités humaines, alertent les scientifiques. Pour la LPO, il s’agit de « satisfaire les lobbys cynégétiques à l’approche de l’élection présidentielle ». « Chasser hors du cadre légal, c’est braconner », a ainsi assené son président, Alain Bougrain-Dubourg dans un communiqué." (3) Schraen, lui, a critiqué « une radicalisation d’une partie ultraminoritaire de la société » contre la chasse, refusant de voir que l'opinion publique rejette très majoritairement la chasse, aujourd'hui vue comme une activité d'un autre âge.

Les oiseaux qui résident dans les marais d'Harchies, réserve naturelle belge, à la frontière française, sont depuis toujours victimes de la chasse punitive des chasseurs français. Dans les années '80 Jean-Pierre Verhaeghen, le conservateur de l'époque, m'expliquait le problème que lui posaient ces derniers: certains d'entre eux, sous prétexte de promenade, circulaient dans les marais et y faisaient un maximum de bruit pour pousser les oiseaux vers la frontière où les attendaient leurs camarades canardeurs. Plus de trente ans après, rien n'a changé. Ces cinq dernières années, les naturalistes ont recensé le nombre de coups de feu tirés par les chasseurs français lors de leur première soirée de chasse: 1100 en 2016, 2054 en 2020.  Mais ces chasseurs sont ou très mauvais ou trop imbibés: "Ce n'est pas un massacre. Nous, ce soir, on tuera un ou deux canards tout au plus. Il y a même des soirs où l'on ne prend rien. On dit alors qu'on fait capot. En fait, on vient surtout pour passer une bonne soirée ensemble et partager un bon barbecue." (4) Qui donc arrivera un jour à expliquer aux chasseurs qu'on peut passer un bon moment entre amis sans sortir son fusil ?

Dans une luxueuse plaquette audacieusement intitulée "La chasse, cœur de la biodiversité" et distribuée il y a quelques mois aux 520.000 conseillers municipaux de France, la Fédération des chasseurs tente de se présenter comme une organisation dont l'écologie est le souci premier. Leur vision de l'écologie est assez particulière: "Tuer des animaux et les déguster est une évidence pour nous. (...) Nous ne renierons jamais que la quête de l'animal est une philosophie de vie pour nous." Ecologiste donc, mais aussi philosophe. Willy Schraen est décidément un humoriste qui ose tout. 

Le mal aimé / Je suis le mal aimé (Claude François)

Post-scriptum: j'avais cru comprendre que les chasseurs étaient les seuls vrais écolos. Et voilà qu'ils ne sont que des barbares néandertaliens : https://www.huffingtonpost.fr/entry/hautes-alpes-une-louve-tuee-par-balles-retrouvee-pendue-devant-une-mairie_fr_614de817e4b03dd7280a8a3d

Consultation publique sur les projets d’arrêtés relatifs à la capture de 98 702 alouettes des champs au moyen de pantes dans les Landes, la Gironde, le Lot-et-Garonne et les Pyrénées-Atlantiques

 

Consultation publique sur les projets d’arrêtés relatifs à la capture de 7 798 alouettes des champs au moyen de matoles dans les Landes et le Lot-et-Garonne

 

Consultation publique sur le projet d’arrêté relatif à la capture de 1 200 vanneaux huppés et 30 pluviers dorés au moyen de tenderies aux filets dans les Ardennes

 

Consultation publique sur le projet d'arrêté relatif à la tenderie de 5800 grives et merles noirs dans les Ardennes

 

Le site des consultations sature fréquemment en cas de trop nombreuses connections simultanées et il faut parfois persévérer ou recommencer à un autre horaire. Il est également important de ne pas simplement copier-coller des argumentaires existants car seuls les avis individuels originaux sont pris en compte. (LPO)




(1) France Inter, 17.9.2021, Journal de 13h.

(2) https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/09/19/l-enjeu-environnemental-est-desormais-au-c-ur-d-une-rupture-du-pacte-democratique_6095186_3232.html

(3) https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/09/16/le-gouvernement-veut-autoriser-a-nouveau-certaines-chasses-traditionnelles-d-oiseaux_6094886_3244.html


(4) https://www.rtbf.be/info/regions/hainaut/detail_encore-un-soir-complique-pour-les-canards-des-marais-d-harchies-canardes-en-passant-la-frontiere?id=10828025&fbclid=IwAR2y7MTtNev9fmZNoxY2fChfi7UEBUzbaj1DejldDmx0VrplYM2iafQ9vdw


https://www.lalibre.be/international/europe/2021/09/22/un-chasseur-manifeste-en-accrochant-un-pigeon-vivant-sur-une-pancarte-PAQIC56M3ZBVLEXNUXXMMFMGZQ/

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